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nos discussions politiques, d'agrandir le domaine de la science, de conserver à la France cette suprématie littéraire que tant d'ouvrages immortels lui ont si justement acquise. Point de censure pour vous, point d'examen préalable; c'est l'estime dont vous jouissez qui, auprès de votre pays, devient la garantie la plus sûre de vos opinions.

Quels sont donc les dangers que je veux prévenir? Ce sont ceux qui peuvent naître de ces pamphlets licencieux, brandon de discorde civile, vil rebut de la littérature, opprobre du goût, poison pour les mœurs, qui, imprimés dans un moment, circulent avec la rapidité de l'éclair, sont répandus avec profusion dans toutes les classes, arrivent à l'ombre du mystère, et comme des météores malfaisants et imprévus, peuvent faire des ravages d'autant plus grands, qu'il a été impossible de les prévoir ni de les prévenir.

Des lois sévères, une surveillance active, nous dit-on, empêcheraient tous les maux que vous craignez. Mais vous voulez infliger des peines, et moi je voudrais les prévenir; je cherche à éteindre le mal dans sa source, parce qu'il n'a pu faire encore aucun ravage; vous voulez attendre ses cruels effets, car il faut encore l'avouer, Messieurs, avec des lois répressives, le mal sera fait souvent avant même que le coupable puisse être connu, et quand on sera parvenu à le connaître, combien de retards, de ménagements arrêteront ces moyens de répression contre des hommes qui, peut-être sans intention, auront proclamé des principes dangereux, ou qui les auront développés de manière à produire des effets nuisibles sans que leurs délits puissent être prouvés; combien, par une fausse interprétation, échapperont à l'application d'une peine d'autant plus difficile à prononcer, que le délit, au lieu d'être un sujet de honte pour celui qui l'aura commis, deviendra pour lui un titre de gloire? D'autres, Messieurs, l'ont dit avant moi, et je crois important de le répéter des lois répressives ont besoin d'être appuyées par les mœurs publiques. Si l'effervescence des passions les empêche d'obtenir l'assentiment général, elles resteront bientôt sans vigueur, et leur exécution, devenue impossible, les fera bientôt tomber en desuétude.

Qu'il me soit prouvé que les lois qui doivent réprimer les abus de la presse, que les précautions nécessaires à la tranquillité publique seront suffisantes pour la garantir, etje renonce volontiers, dès ce moment, à cette censure préalable, dont il serait sans doute heureux de pouvoir se passer.

La Charte constitutionnelle, me dira-t-on enfin, prononce cette liberté illimitée; c'est la loi suprême, devant elle toute réflexion doit s'arrêter, et, dans ce moment, la violation d'un de ses articles serait un crime capital, parce qu'elle toucherait à l'arche sainte, et serait le premier coup porté à l'édifice sur lequel reposent toutes nos espérances, toute la fixité de notre bonheur.

Mais, en mettant de côté toute prévention, ne peut-on point dire que cet article peut être interprété dans un sens différent de celui que les partisans de la liberté de la presse voudraient lui donner?

L'article dit: Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté. »

Mais s'ils ne peuvent publier, c'est-à-dire mettre au jour, faire paraître, qu'en se conformant aux lois faites pour réprimer les abus, le droit de publier n'est donc accordé qu'à la charge de

se conformer à ces lois, qui doivent empêcher que la publication ne soit elle-même un abus ; sans cette interprétation l'article n'aurait dû contenir que ces mots : les abus de la presse seront réprimés.

Je ne pouvais que répéter ici ce que vient de vous dire mon honorable collègue M. Fleury, sur la véritable manière d'interpréter cet article constitutionnel.

Je me borne donc à appuyer mon opinion sur l'intérêt de la France, le salut de la patrie, qui sont toujours pour vous la suprême loi.

Messieurs, c'est de la question qui vous occupe que dépendent peut-être les destinées de la France; c'est par vous, ce n'est que par vous, qu'un prince vertueux et éclairé peut faire à notre patrie tout le bien qui est dans son cœur. Vous avez cet ascendant d'opinion, obtenu dans des circonstances difficiles, par un noble courage et par une conduite sage et modérée dans des temps plus tranquilles. Ce prince vous a dit, par l'organe de son ministre, que, dans l'état où se trouve la France, la liberté de la presse peut avoir de graves inconvénients. I le croit, du moins, et quand le vœu unanime des Français, quand votre confiance l'ont chargé d'une aussi effrayante responsabilité; quand ses mains doivent tenir le gouvernail d'un vaisseau entouré de tant d'écueils. environné de tant d'orages, ne devons-nous pas écarter tout ce qui peut le faire échouer ou da moins entraver sa marche ?

Ajournons donc, Messieurs, cette liberté de la presse, qui peut compromettre cette même libert que nous voulons tous défendre; consacrons-en invariablement le principe, cherchons encore des modifications au projet de loi présenté, qui en tempère les effets, et laisse à la pensée plus de latitude que celle qu'on a voulu lui donner; essayons ainsi avec prudence tout ce que notre situation présente nous permet de tenter sans compromettre les intérêts de notre chère patrie; arrivons par degrés à établir cette liberté de la presse, objet du vœu manifeste formé par la raison, et qui,dans le dix-neuvième siècle, ne pourrait, sans la position particulière où se trouve la France, devenir l'objet d'une discussion, mais aussi qui, pour opérer tout le bien qu'on doit en attendre, doit s'établir sans efforts, sans secousses comme sans dangers.

Je proposerai donc, Messieurs, que dans le cas où l'examen préalable de quelques écrits fut le You de la Chambre, elle détermine:

1° Que cet examen n'aurait lieu que pour les écrits au-dessous de vingt feuilles d'impression; 2o Que le jury, pour examiner ces écrits sera permanent, pour que, s'il se trouve dans ces écrits quelques vérités utiles, elles puissent être promulguées sans retard;

3o Que la loi n'aura són effet que jusqu'à la prochaine législature, et qu'à cette époque, la même question, telle qu'elle se présente aujourd'hui, sera de nouveau soumise à la discussion de la Chambre des députés.

Je me propose,dans le cas où la Chambre adopterait les idées que je viens d'avoir l'honneur de lui soumettre, de lui présenter un projet de loi où ces différentes propositions seront établies et développées.

L'impression du discours de M. Goulard est ordonnée.

M. Dumolard (1). Messieurs, on a tout dit,

(1) Le discours de M. Dumolard est abrégé au Moniteur nous le reproduisons in extenso.

tout écrit sur le principe de la liberté de la presse, et ce procès est jugé depuis longtemps pour les hommes raisonnables et de bonne foi.

Dans nos Etats modernes, au point de civilisation où nous sommes parvenus, la liberté de la presse est l'égide nécessaire de la liberté civile et politique. Se priver de l'une c'est tuer l'autre.

A quoi bon, dès lors, fatiguerai-je de raisonnements inutiles les représentants éclairés d'un grand peuple pour leur prouver l'évidence! Le vœu national et la Charte constitutionnelle ont fait de ce principe une de nos maximes fondamentales que l'on tourmente en vain grammaticalement pour lui donner une interprétation contraire à la vérité, et surtout à nos devoirs. En effet, la liberté de la presse serait-elle autre chose qu'un mot vide de sens, ou plutôt qu'une ironie cruelle, si elle n'exprimait le droit d'émettre et publier sa pensée, avant d'en être responsable?

Elle est bien loin de moi, l'intention de protéger la licence sous les couleurs de la liberté. La liberté elle-même est intéressée à la répression de ses propres abus. Réprimons donc les abus par des garanties et par des peines, mais ne l'étouffons pas sous prétexte de la défendre.

C'est dans cet esprit que j'ai étudié, Messieurs, le projet de loi soumis à votre adoption; je l'ai examiné dans son ensemble et dans ses détails, dans ses rapports directs avec le principe incontestable avoué par la nation et par son chef suprême, et dans les rapports de circonstances que trop souvent l'intrigue présente et la faiblesse saisit pour échapper aux mesures décisives.

Le système du projet porte, en général, sur une censure préalable à la publication de toutes sortes d'écrits. Le premier article semble en dispenser les ouvrages de plus de trente feuilles d'impression; mais les articles 14 et 15 reviennent adroitement sur cette exception pour en détruire l'effet; ils veulent, sans distinction du volume, qu'on ne puisse publier aucun écrit avant de l'avoir déclaré et déposé, et que l'ouvrage soit saisi s'il est déféré aux tribunaux.

ce

Remarquez, Messieurs, ces expressions n'est point un examen, un jugement du tribunal qui sont requis. Il suffit que l'ouvrage soit déféré par le moindre agent de police, pour que la publication en soit arrêtée un temps indéfini, et qu'il est si facile de prolonger.

Cette combinaison des articles du projet vous ramène à l'idée première qui en fait la base. On ne publiera rien, et par suite, on ne lira rien en France que par permission ou par ordre.

Admettons toutefois, si l'on veut, une nuance favorable aux écrits de plus de trente feuilles d'impression; je m'empresse de rendre justice à leur utilité dans les sciences et la littérature; mais on conviendra que le nombre est inaperçu dès qu'on le compare à celui des écrits d'un moindre volume que la presse livre tous les ans à la curiosité publique. On conviendra que ces derniers seuls se prêtent aux loisirs et à l'attention possible de l'immense majorité des lecteurs. On conviendra que seuls ils se prêtent encore aux circonstances fugitives qui rendent sans objet, le lendemain, l'impression importante de la veille.

Et quels sont, dans le système du projet, les régulateurs de l'usage de la presse, les premiers arbitres de la pensée des écrivains? On nous indique, en province, les préfets, administrateurs révocables au gré des ministres ; à Paris, quelques censeurs qui sont les hommes du directeur général de l'imprimerie, et enfin ce directeur lui

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même, despote de la pensée, dictateur inviolable et pourtant soumis de fait à une révocation arbitraire par les ministres. Je réduis ainsi le problème à sa plus simple expression: Faut-il que désormais on ne puisse imprimer et lire en France que sous le bon plaisir des ministres ?

Que redoutez-vous! s'écrient les partisans. N'avez-vous pas lu les articles 6, 7 et 8 qui créent la commission réparatrice de toutes les erreurs ? Je me tais sur sa composition, Messieurs, et cependant j'aurais bien des choses à dire; mais je la suppose parfaite et j'accorde à chacun des commissaires l'indépendance et l'impartialité dont il aurait besoin. Je cherche franchement, à l'ouverture des sessions législatives, les effets présumables d'une institution si vantée.

La justice de la commission dédommagera-telle l'auteur et le public de la perte d'un ouvrage dont le mérite était l'à-propos ? Si l'écrit supprimé était la dénonciation courageuse d'un acte arbitraire, la révélation d'un attentat à la liberté, l'éveil donné sur la trahison d'un fonctionnaire prévaricateur, l'examen tardif de la commission empêcherait-il que le crime n'eût été commis, que le mal ne fût irréparable?

Mais cet examen lui-même serait-il facile et d'une probable utilité pour l'avenir? Admettons, et j'aime à le croire, que l'opinion publique et le courage des écrivains résisteront à la tyrannie de la pensée.

Réfléchissez à la masse des écrits que vont atteindre annuellement les ciseaux de la censure! Voyez apparaître à la commission, le directeur général succombant sous le poids des sursis qu'il aura signés, et dites si trois pairs de France et trois députés de la nation peuvent être condamnés avec quelque succès à lire minutieusement tous ces écrits pour juger l'opinion de chaque cen

seur.

Dévorons pour un moment cette absurdité et supposons que les commissaires aient reconuu l'injustice, l'iniquité de la censure d'un ouvrage : le directeur général est-il déclaré responsable devant la loi de ses signatures et des méfaits de ses employés? On se garde bien de vous le proposer, Messieurs, ce directeur n'est qu'un fantôme gigantesque. Voyez derrière lui les ministres s'applaudissant de leur succès.

En effet, que craindront-ils désormais, s'ils peuvent amener la nation à ne voir que par leurs yeux, à ne lire que par leurs inspirations? C'est bien là l'objet caché de la combinaison adroite du projet de loi que l'on vous propose.

Remarquez comme ils redoublent de sévérité dans l'article 9, pour arrêter le choc lumineux des opinions, et comprimer partout l'expansion généreuse de la vérité.

Dans un grand Etat, chez un peuple éclairé et sous le régime représentatif, on ne peut concevoir de transmission habituelle et facile de la pensée, sans la libre circulation des journaux et feuilles périodiques, sauf la responsabilité prompte et rigoureuse, mais légale des propriétaires et rédacteurs. On doit prendre, s'il est besoin, des précautions fortes pour assurer cette responsabilité, mais non choisir pour cela les véhicules et les auxiliaires de la tyrannie.

C'est abuser du nom du Roi que d'établir que ces sortes d'écrits ne pourront paraître qu'avec son autorisation. Je vais traduire cet article en termes plus intelligibles et plus conformes à l'idée des rédacteurs du projet: choisis par nous, ont-ils pensé, et dociles et révocables instruments de nos volontés arbitraires, les journalistes, à

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peine de confiscation de leur propriété, ne publieront que ce qui nous plaira et tairont ou travestiront tout le reste.

Vous avez fait depuis douze ans, Messieurs, une assez cruelle épreuve de l'esclavage des journaux, pour que je me dispense d'en développer ici tous les funestes résultats.

A Dien ne plaise que je prétende assimiler les ministres actuels aux agents de la dernière tyrannie Mais, daignez réfléchir que le vice et le danger des mesures despotiques sont dans leur nature et leur essence, bien plus que dans les intentions de ceux qui les emploient.

Souffrez un jour que les dispositaires de l'autorité dévient inpunément de la route tutélaire des principes, et la pente rapide des passions et des événements va vous entraîner dans l'abîme! L'erreur appellera l'erreur, l'injustice, l'injustice, les ténèbres, les ténèbres, et la perte de la liberté sur un point, finira par la faire crouler toute entière.

Résignez-vous à voir les poisons de la calomnie flétrir impunément tout homme énergique qui n'aura pas craint de résister à l'arbitraire; résignez-vous à voir les vices érigés en vertus, les turpitudes en titre de gloire, et les courtisans en héros! Résignez-vous enfin à devenir les jouets de la moindre intrigue de police, les dupes de tous les mensonges, et la fable de l'Europe; car la censure que l'on vous demande n'est autre chose au fond qu'un privilége exclusif de la licence de la presse.

Je ne puis m'arrêter, Représentants du peuple! Vos opinions personnelles, ces idées et ces vœux, dont vous êtes responsables à vos commettants, vont cesser d'être à vous. En vain les proclamerez-vous avec énergie à cette tribune nationale! Députés des provinces, la masse de vos concitoyens n'est point là pour vous entendre... Mais, rédigés bien ou mal, les journaux, au village comme à la ville, dans la .boutique de l'artisan comme au salon du propriétaire, sont devenus un besoin que la publicité de vos séances rendra plus actif encore. S'ils étaient libres, leur discordance, leur opinion même, éveilleraient l'attention, réchaufferaient l'amour de la patrie, et feraient jaillir la lumière. Rendez-les esclaves ! Ils vont désormais, au signal de la baguette ministérielle, dénaturer vos opinions, envenimer ou frapper de ridicule les élans patriotiques des amis de la liberté. Plus on sera fidèle à ses devoirs et l'ennemi de l'intrigue, plus on sera blâmé; plus on sera vil et corrompu, plus on sera couvert d'éloges.

Et quels sont vos moyens pour échapper aux effets du mensonge sous cette accablante et monotone tyrannie? L'impression de vos discours! ils circuleront à peine autour de vous, et leur publicité faible et douteuse ne résistera pas à l'effet des trompettes éclatantes de la renommée. Que dis-je, l'impression de vos discours! Où donc avez-vous lu dans ce projet une exemption, en votre faveur, d'une censure meurtière ? Naguère encore,ne vous a-t-on pas rendu les silencieux témoins d'une insulte faite à cet égard à l'un de vos plus estimables et courageux collègues?

Craignez,si vous êtes impassibles, que l'on n'ose bientôt davantage ! C'est ainsi qu'on étouffe successivement dans l'esprit des peuples toutes les idées libérales, tout désir de juger par eux-mêmes de leurs intérêts les plus chers; c'est ainsi qu'on les amène à dire, du bien de l'Etat : Que m'importe! et dès lors, pour me servir des expressions d'un homme célèbre, on peut dire que l'Etat est perdu.

Je crois, Messieurs, par le rapprochement et l'examen des articles essentiels du projet de loi, vous en avoir fait saisir le système, l'esprit et l'intention. Je ne m'appesantirai point ici sur les mesures relatives à l'exercice de l'état d'imprimeur et de libraire.

Les amis de la vraie liberté sont bien loin de vouloir soustraire cette classe de citoyens à la responsabilité la plus rigoureuse. Ils veulent, à cet égard, pour la tranquillité de l'Etat et des familles, des garanties plus fortes que celles demandées par le gouvernement et seront plus sévères que lui. Mais ils prétendent lier ces garanties à la répression constante et rapide des délits de la presse et non pas à son esclavage.

Son esclavage! Les ministres frémiraient euxmêmes s'ils réfléchissaient à la suite, à la combinaison des mesures qu'il leur faudra mettre en usage pour l'établir! Ne conçoivent-ils donc pas que des lois sévères, mais justes, peuvent appeler et soutenir l'obéissance; mais que des prohibitions iniques et des défenses arbitraires provoquent elles-mêmes à la violer? Dites-leur de se garder, contre le vœu national, de la sourde activité des presses clandestines et des introductions étrangères, de la multiforme industrie des colporteurs et de l'avide curiosité du public. Je n'en connais qu'un moyen, on le leur a dit : c'est de ressusciter le gouvernement qui a cessé d'être (on murmure), de revenir à son système continental et de multiplier en France les bastilles et les cachots.

Il est temps d'examiner, Messieurs, les motifs que l'on donne d'un projet de loi dont je viens de vous prédire les nécessaires résultats.

Les ministres ont débuté par un éloge de la liberté de la presse qui s'accorde assez mal avec les conséquences qu'ils en tirent. Je ne me permets pas de mettre en doute leur amour de cette liberté; mais, qui le croirait! c'est par intérêt pour elle qu'ils vous proposent de la suspendre au moins trois ans.....

On a vu, par respect pour la Constitution, la Convention nationale la renfermer dans l'arche sainte et la compter pour rien. Il en sera ainsi de la liberté de la presse. Permettez qu'on éteigne un jour son flambeau ; les prétextes ne manqueront pas pour ne le rallumer jamais!

On se flatte de nous satisfaire en nous disant que l'intervalle a pour objet de nous préparer à cet aliment encore indigeste pour nous. O prodige! trop souvent l'histoire nous a montré des ministres dressant des peuples à la servitude: les nôtres vont être nos introducteurs à la liberté. Il ne m'est pas donné de croire facilement aux miracles je crains que les lisières dont on dit vouloir protéger notre prétendue faiblesse ne soient bientôt pour nous les durs liens de l'escla

vage.

Mais où donc a-t-on pris que la nation francaise ait besoin de lisières et sans doute des hochets de l'enfance? Pourquoi la juger autrement que ne l'a fait son Roi lui-même, qui, certes, l'a reconnue et traitée comme majeure en lui donnant une Charte constitutionnelle qui les honore l'un et l'autre.

Il est difficile, poursuit l'orateur, de se conserver calme en réfléchissant avec quelle légèreté on attaque le caractère d'une grande nation.

Ecoutez les ministres ! Nous avons reçu de la nature une mobilité d'imagination qu'il faut absolument contenir, et le moindre oubli des convenances nous jette aussitôt dans une licence effrénée.

Entendez les auteurs de certains pamphlets dont on nous assiége: tous les Français qui ont pris part à la Révolution (sans établir entre eux la moindre nuance) s'alimentent de leurs haines, et sont divisés en partis qui s'observent.

Les jeunes gens qui se sont formés depuis 89, composent un peuple nouveau, nation ambitieuse et ignorante qui prend la force pour de l'énergie, et méprise ce qu'elle ne connaît pas.

Nous étions assez fous pour nous honorer de la gloire des armes françaises, des services qu'elles ont rendus et rendront encore à la patrie. Relisez le pamphlet que l'on vous distribuà avec profusion le jour même où le projet vous fut soumis : il vous apprend que cet esprit militaire n'est fondé que sur l'égoïsme individuel; qu'il ne se manifeste que par son opposition à tout ce que demande le bien public; que cet esprit servit à opprimer la France, et ne s'est plu qu'à l'agiter... Je me tais, Messieurs; la justification de nos braves est dans l'histoire et dans nos cœurs.

Lorsque l'on veut abrutir et décidément perdre un homme, le moyen le plus sùr c'est de l'avilir à ses propres yeux. Il en est d'un peuple comme d'un individu.

(A cette phrase de l'orateur, on entend partir des tribunes un cri d'adhésion très-vif, mais aussitôt contenu par un souvenir de la disposition réglementaire qui interdit toute espèce de signes d'approbation ou d'improbation.)

N'en déplaise à ceux qui cherchent à les dégrader, les Français ont la conscience de leur mérite national. L'agitation prolongée des flots après la tempête n'est pas le sourd murmure qui l'annonce, et les partis n'existent aujourd'hui que dans l'idée de ceux qui les supposent pour les faire naître.

Ces hommes de la Révolution que vous affectez de craindre, ne vous demandent que la paix; ces jeunes gens que vous méprisez sans les connaître, n'aspirent qu'à servir l'Etat de leurs talents et de leur vie.

On cherche en vain, pour vous donner le change, à confondre les symptômes d'un mal avec sa cause. Ce fut l'effervescence révolutionnaire qui produisit chez nous la licence coupable des écrits, et non les écrits qui produisirent l'effervescence.

Que l'on mette au moins de la bonne foi en nous citant notre propre histoire et des faits dont nous fùmes témoins. A l'époque de ce 10 août qu'on nous rappelle avec tant d'amertume, nous n'étions pas étranger aux victimes de leur dévouement au Roi. Quel avait été notre auxiliaire? La liberté de la presse. Elle tomba comme le trône; elle n'était plus lorsqu'il fallut vous sauver des poignards de septembre et des échafauds de la Terreur.

Ingrats, qui contestez ces bienfaits! Il ne vous souvient donc pas de l'avoir vu disputer pied à pied, le salut de milliers de familles, aux vexations de la tyrannie? Le Directoire, plus clairvoyant, apprécia les journalistes que vous attaquez en masse, et les condamna à périr avec nous dans les déserts infects de la Guyane.

Imprudents que vous êtes! Si, par votre faute, le fantôme dont vous cherchez à nous faire peur acquérait enfin de la consistance, au temps du danger, au péril de la vie, avec la liberté de la presse nous vous défendrions encore; ne nous en ôtez pas les moyens!

Sortez d'un rêve pénible et n'en croyez pas aveuglément quelques hommes à qui de longues infortunes n'ont rien appris et rien fait oublier, qui ne jugent de ce qui est que par leurs souve

nirs, leurs préjugés et leurs espérances, qui ne se doutent pas que vingt ans de révolution ont été vingt siècles, et qu'on reviendrait aussi difficilement en 88 qu'au règne de Pharamond.

La France toute entière est également lasse de la servitude et de la licence. Elle veut sa constitution et son Roi, rien de plus, rien de moins.

Vous qu'il honore de sa confiance, ministres de ses volontés, répondez aux engagements du prince envers le peuple, au dévouement du peuple pour son prince. Je vous indique un moyen plus sûr que celui de l'esclavage de la presse, de faire tomber toutes les inquiétudes et d'asseoir le trône dans les cœurs que la Charte soit respectée dans ses détails comme dans son ensemble, et que les institutions et les propriétés qu'elle avoue ne soient pas menacées impunément.

N'oubliez pas qu'il est une justice première, un grand intérêt national à qui tout cède. Le devoir des gouvernements et la reconnaissance des rois ne se pèsent pas aux mêmes balances que les affections des individus. Pour ceux qui décident des destinées des peuples, une reconnaissance irréfléchie peut être un crime.

Voulez-vous que vos noms soient bénis d'âge en âge, se lient dans la mémoire de nos neveux à celui de Louis-le-Désiré? Ne cherchez pas à gouverner dans les ténèbres et par les ténèbres; appelez de toutes parts la lumière; rendez la nation entière confidente de l'Europe; en dépit de ses détracteurs, vous la verrez se presser autour de vous et de son Roi.

C'est une horrible injustice que de faire refluer sur son caractère l'opprobre qui n'est dù qu'à ses oppresseurs! Quel peuple au monde oserait se flatter de n'avoir jamais été séduit, jamais victime d'une exaltation passagère, jamais la proie d'un tyran? Ah! laissez-moi dans le feu même de leurs guerres civiles, dans tous les partis, sous toutes les bannières, admirer et louer les Français. Je sens comme vous le mérite des guerriers vendéens et l'héroïque dévouement du jeune et malheureux Sombreuil! Sentez comme moi celui de ces phalanges immortelles qui, pour m'exprimer avec un orateur célèbre, ont tiré constamment un rideau de gloire sur les désastres et les crimes de l'intérieur. Soyez justes envers votre patrie comme les rois de l'Europe, et surtout ce héros du Nord qu'il est permis de louer en son absence, et quand on ne lui demande rien. Ils ont vaincu Bonaparte ils n'ont pas prétendu triompher des Français.

Vous dirai-je ceux qui se flattent de les vaincre? Ce sont ceux qui cherchent à les avilir, qui voudraient infiltrer le despotisme dans vos institutions et les en saturer à jamais.

Amis de la liberté, nous supportâmes la tyrannie de Robespierre; mais le 9 thermidor percait dans le lointain à travers les nuages. Nous pùmes souffrir celle de Napoléon (il s'élève des murmures); mais le despotisme comme la guerre était en viager sur notre tête, et nous avions un avenir! Français, cet avenir, on veut l'éteindre, et couvrir à jamais d'un voile de plomb la statue de la Liberté le souffrirez-vous?

Ah! j'en appelle au Roi que nous vénérons, au Roi qui, dans sa jeunesse, la protégea de son amour, au Roi que de longs malheurs n'ont pu détourner de son culte, au Roi qui nous a juré de la défendre et de l'asseoir pour des siècles sur les fondements de la monarchie!

Je conclus au rejet pur et simple du proje! de loi présenté. »

Plusieurs membres demandent l'impression du

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M. Dufougerais fait la lecture du procèsverbal de la séance de samedi, et présente ensuite l'hommage d'une production destinée à l'instruction de la jeunesse, et intitulée l'Abeille française, par M. l'abbé Cordier.

M. Bruneau-Beaumetz demande la parole pour une motion d'ordre. — Elle lui est accordée. M. Beaumetz rappelle l'invasion faite, il y a peu de jours, par le public, d'une partie de l'enceinte où siégent les membres de la Chambre, et l'obstination avec laquelle ces places avaient été conservées, même après l'invitation faite par M. le président de les évacuer; obstination, dit M. Beaumetz, qui a donné à l'assemblée le regret de ne pouvoir s'occuper ce jour-là d'une discussion importante, de perdre un temps précieux que réclamait l'intérêt de la patrie. Pour déterminer la Chambre à se montrer sévère sur l'exécution de son règlement, l'orateur ne croit pas avoir besoin de rappeler ces temps calamiteux où l'esprit de parti cherchait à s'environner de la faveur populaire, afin d'assurer le triomphe de ses opinions; rien de semblable ne peut avoir lieu aujourd'hui. Cependant il n'a pas remarqué sans quelque peine, dans la séance d'hier, des signes d'approbation et d'improbation qui, quoique légèrement manifestés, n'avaient pas moins enfreint les dispositions du règlement, dont l'objet est d'assurer l'indépendance la plus entière des délibérations et discussions de la Chambre. En conséquence, M. Beaumetz demande que M. le président soit invité à donner des ordres pour que les articles du règlement qui concernent la police des tribunes soient affichés de manière que le public puisse les connaître et les observer.

M. le Président déclare que cette disposition est exécutée, et fait néanmoins donner lecture de l'article 90 du règlement.

Plusieurs membres réclament l'ordre du jour; d'autres demandent l'impression des observations de M. Beaumetz.

Après deux épreuves (la première ayant paru douteuse), la Chambre décide que ces observations ne seront pas imprimées.

On reprend la discussion sur le projet de loi relatif à la liberté de la presse, en présence des ministres du Roi qui en ont donné communication à la Chambre.

M. le vicomte de Prunelé, député du Finistère (1). Messieurs, le rapporteur de votre commis

(1) Le discours de M. de Prunelé est fort incomplet au Moniteur; nous le donnons in extenso.

sion a assimilé à la faculté de penser et de parler celle de publier ses idées par la voie de l'impression; cette comparaison ne me paraît pas juste.

Imprimer n'est point seulement émettre sa pensée, droit que les hommes tiennent de la nature; ce n'est pas seulement exercer l'empire de la raison, l'empire souvent dangereux de l'éloquence, sur un nombreux auditoire, droit dont la société ne confie l'exercice à la classe enseignante dont les prédicateurs font partie, qu'en se réservant sur elle une constante inspection; imprimer, c'est agrandir son auditoire de tous les habitants d'une ville, d'une province, d'un empire, j'ai presque dit de l'univers entier; c'est exercer ou du moins essayer d'exercer sur la volonté de ses semblables une puissance directe; c'est chercher à changer, modifier ou diriger leurs opinions. Or, comme l'opinion détermine la conduite, on peut vouloir et obtenir en imprimant une grande puissance physique par l'effet de la puissance morale.

Lorsqu'un gouvernement gêne la liberté de la presse, il ne porte donc point atteinte à un droit naturel des citoyens, puisque la possibilité de parler à la fois à un nombre énorme d'individus répandus sur un territoire immense n'est point un don de la nature, mais l'effet d'une découverte de l'esprit humain.

Si ces observations sont justes, vous en conclurez avec moi, Messieurs, qu'en thèse générale, refuser aux citoyens la faculté de répandre à grands flots leurs pensées par la voie de l'impression, n'est une injustice que dans les pays où une convention formelle entre la nation et son gouvernement a établi la liberté de la presse; restreindre cette liberté, n'est la violation d'un droit que lorsque ce droit résulte d'un contrat ou d'une loi; car, je le repète, les hommes ne le tiennent pas de la nature.

Passant, Messieurs, de ces réflexions générales applicables à tous les gouvernements, au droit public des Français à cet égard, je le trouve établi en principe par l'article 8 de la Charte constitutionnelle, conçu en ces termes.

"

«Les Français ont le droit de publier et faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux «lois qui doivent réprimer les abus de cette li<< berté. »>

Je ne vois là que la promesse d'une liberté dont les limites et l'exercice doivent être ultérieurement déterminés. J'y vois de la part du monarque l'intention, la promesse générale de faire cesser la compression absolue sous laquelle le dernier gouvernement tenait la faculté d'écrire; mais je n'y vois ni l'intention ni la promesse de remplacer cette compression par un degré de liberté seinblable à celui qu'établit la législation anglaise.

Il faut que dans l'article 8 de la Charte le mot réprimer soit synonyme de celui de prévenir ou de celui de punir. Employons d'abord le mot prévenir et nous verrons cet article présenter un sens clair et raisonnable; remplaçons-le par celui de punir, et cette phrase ne veut rien dire, ou elle présente un sens déraisonnable; car se conformer aux lois qui punissent, ce serait encourir la punition.

Mais supposons un instant que la rédaction de cet article de la Charte présente un double sens. Lorsque la loi n'est pas claire, il faut en chercher l'esprit. Où peut-on trouver cet esprit? dans la pensée du législateur, au moment où il rédigeait la loi.

Ici tous les doutes se trouvent éclaircis par une circonstance qui a précédé la Charte, par une qui l'a suivie.

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