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Elle prohibe sagement (article 13) la clandestinité des presses. Celle de ce tigre que la colère divine fit naître parmi les hommes, ne sortit, comme lui-même, de sa caverne qu'au néfaste jour du 10 août 1792.

« Nul imprimeur ne pourra imprimer un écrit << avant d'avoir déclaré qu'il se propose de l'im«< primer, ni le mettre en vente ou le publier « avant que d'avoir déposé le nombre prescrit d'exemplaires (article 14).

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«Il y a lieu (article 15) à saisie et séquestre « d'un ouvrage : 1° si l'imprimeur ne représente « pas les récépissés de la déclaration et du dé«pôt; 2o si chaque exemplaire ne porte pas le « vrai nom et la vraie demeure de l'imprimeur ; « 3o si l'ouvrage est déféré aux tribunaux pour « son contenu. »>

A ces dispositions sévères, que la loi proposée n'ajoute-t-elle encore l'injonction à l'auteur de tout écrit de le signer, et à l'imprimeur de porter le nom de l'auteur sur chaque exemplaire! Le suffrage public a constamment recommandé cette obligation. Les vrais amis de la patrie le désirent à plus d'un titre.

Quoi! Messieurs, cette réunion de moyens indirects pour arrêter les abus de la presse, joints aux droits que je viens de reconnaître résider dans la suprême surveillance du gouvernement de faire saisir tout manuscrit livré à l'impression, qui attaquerait le trône, exciterait au brigandage, tendrait à l'avilissement du pouvoir, joints à la terreur des peines répressives des délits, peut ne pas paraître aux ministres de Sa Majesté suffisamment préservatrice!

Il faut à la conscience de leur sécurité, que la loi constitue la servitude de la pensée, établisse un silence absolu sur chaque acte de leur pouvoir comme sur toutes les parties de l'administration, par l'examen et la censure préalable d'hommes choisis par l'autorité!

Je n'exagère pas ici, Messieurs, en disant que l'examen et la censure préalable emprisonneront la pensée, couvriront de la nuit l'administration et ses actes généraux et particuliers. J'en atteste vos souvenirs: les remontrances des cours du parlement et autres cours supérieures, chefs-d'œuvre de logique et de raison, toutes écrites avec la plus sage retenue, vrais modèles de pétitions décentes et respectueuses envers le pouvoir qu'elles suppliaient de s'arrêter, n'étaient-elles pas traitées comme des harangues des Gracques, par les ministres et la cour? Leur inquiétude n'allait-elle pas jusqu'à la violence de les supprimer sur les registres, qui n'étaient pas cependant ouverts au public?

J'entends que l'on me dit: L'examen des censeurs que la loi proposée établit ne pourra être arbitraire. Il est soumis à une commission composée de trois commissaires du Roi, de trois membres de la Chambre des députés et de trois membres de celle des pairs.

Eh! d'après la torture donnée à la rédaction de l'article 8 de la Charte qui nous occupe, peut-on do bouue fo1, Messieurs, espérer que l'examen d'un ouvrage qui ne peut pas ne pas être fait avec quelque préventions par l'agent de l'autorité dont les principes et les actes sont contredits, ne donne pas toujours lieu à un jugement arbitraire!

Mais cette composition de la commission forme elle-même un moyen particulier de rejet de la loi proposée.

10 Quel que soit le sens que l'on donne à l'article 8 de la Charte, l'on conviendra au moins qu'il exprime, de quelque manière, que les Fran

çais ont le droit de publier et faire imprimer leurs opinions.

Ce droit, étant exprimé par la Constitution, est bien constitutionnel.

Or, la garde de tous les droits constitutionnels n'est-elle pas essentiellement remise à la surveillance immédiate des Chambres représentatives de la nation?

Maintenant, est-il au pouvoir des Chambres de déléguer à une infiniment petite extraction d'elles une garde que la nation, dont le Roi a exprimé au 4 juin la volonté, n'a entendu remettre qu'à la Chambre entière des députés des départements, qu'à la Chambre entière des pairs du royaume?

Non. La représentation ne peut pas elle-même se réduire par une sous-délégation, ou le gouvernement représentatif est subverti.

2o Cette haute commission est un tribunal, une cour qui juge.

Et qu'elles parties sont devant elle? L'auteur et le ministre qui accuse.

Or, devant quelle cour de justice ou d'équité l'une des parties eut-elle jamais le droit de s'associer au nombre'des juges?

Telle est cependant la composition de cette haute commission qui compte au nombre de ses membres trois commissaires de l'autorité, les représentants de la patrie de l'auteur, et évidemment elle-même et toute sa prévention.

Sans doute, dans le gouvernement monarchique, toute commission qui déploie une autorité de discipline comme de simple exécution, ne peut exister sans un représentant du Roi qui la

couronne.

Mais ici le représentant était naturellement indiqué M. le président de la Chambre des pairs, M. le chancelier de France.

3o La composition de cette haute commission est si simplement balancée, pour assurer le triomphe à la censure, que la confirmation de l'examen de la librairie est toujours infaillible.

Et en effet, trois commissaires du Roi, trois membres de la Chambre des députés et trois pairs forment la commission.

Est-il un ami d'une sage liberté qui ne serait effrayé, s'il n'avait la conscience que sur toute proposition le ministre est certain d'un grand nombre de suffrages dans les Chambres? Oui, je le professe, Messieurs, l'influence des ministres est indispensable dans toute assemblée représentative car le premier besoin des peuples est un gouvernement; la liberté n'est que le second.

D'après cette vérité de fait, l'influence des ministres dans les Chambres, parmi les six commissaires de la Chambre des pairs et de la Chambre des députés, le ministre aura donc constamment, avec toute certitude, au moins deux voix qui, avec les trois indubitables des commissaires du Roi, feront toujours la majorité pour le jugement de la censure.

L'établissement de l'examen et de la censure préalable, en supposant que la Charte le tolérât, serait donc encore, Messieurs, évidemment organisé de la manière la plus vicieuse.

Mais cette institution, quel que soit le mode de son organisation, est l'éversion du droit public des Français de publier et imprimer leurs opinions.

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La loi ne peut donc l'établir. La loi a sa limite dans les droits constitutionnels qu'elle ne peut enfreindre sans qu'il n'y ait tyrannie.

Mais, Messieurs, y a-t-on bien réfléchi en procette atteinte au droit des Français de pufaire imprimer leurs opinions?

A-t-on aperçu que l'on détruisait la combinaison du système d'équilibre constitutionnel, si l'on veut demeurer dans le gouvernement mixte que, pour obéir, expressions royales, à la direction imprimée aux esprits depuis un demi-siècle, la Charte a voulu donner à la nation?

Le droit des Français de publier et faire imprimer leurs opinions est la part laissée à l'universalité des citoyens de concourir par l'expansion de leurs lumières à éclairer et diriger l'opinion publique, la sagesse de la représentation fixant dans un certain nombre l'expression directe de la volonté collective.

En refusant, par la censure préalable, à cette universalité de citoyens, le droit de faire connaître leur pensée sur l'administration générale ou particulière, il faut donc, ou le gouvernement cessera d'être mixte, car la représentation y est toute aristocratique, l'appeler plus ou moins médiatement dans la régularisation qui est à faire du système d'élection ou même du système d'administration.

Mais la juste part d'influence de cette universalité de citoyens n'est-elle donc pas plus heureusement déterminée dans la liberté de la presse, d'ailleurs limitée par ses abus?

Plus on sonde l'atteinte portée à cette liberté, plus on la juge funeste à l'ordre public.

Les ministres de Sa Majesté ont-ils bien entendu et la sécurité de leur jouissance du pouvoir et le soin de leur responsabilité?

Comment n'ont-ils pas conçu que la liberté de la presse, soit par son silence, soit par ses avertissements, rend également impuissante contre eux et l'obscure intrigue des courtisans, leurs ennemis-nés, s'ils n'en sont pas les alliés, et la turbulente popularité ou l'inquiétude de l'esprit de parti qui pourrait se manifester aux tribunes des Chambres ?

Comment n'ont-il pas conçu que la liberté de la presse, en plaçant constamment leurs actes sous la surveillance immédiate de l'opinion publique, toujours d'autant plus généreuse, d'autant plus facile, que l'on paraît se reposer avec plus de confiance sur elle, peut réduire seul à un petit nombre d'articles la foi de leur responsabilité ? Qu'ils ne se rassurent pas sur la concision des termes de la Charte. Quoique concis, ils n'en sont pas moins complets. Trahir son devoir, n'est-ce pas trahir son Roi et sa nation?

Non, je ne doute pas que les grands ministres dont l'Angleterre s'honore, n'aient trouvé dans la liberté de la presse un large moyen de gouver

nement.

L'on accumule les hypotyposes sur les excès de cette ère de révolutions parcourue, lesquels on attribue libéralement aux abus de la presse.

Comme si tout n'était pas moyen dans les agitations civiles, comme si tout ne devenait pas violence dans les convulsions de l'Etat! La presse a, sans doute, concouru à nos déplorables excès. Le jury a été lui-même une voie de terreur. Mais l'histoire ne montrera pas plus dans la presse que dans le jury la cause productive de cet ébranlement de l'édifice social que notre France a trop longtemps ressenti.

L'argumentation, au surplus, que l'on tire de ces peintures animées des abus de la presse aux premières années de nos commotions est-elle d'une bonne logique? La Charte qui garantit aux Français le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, sauf la responsabilité des abus, est du 4 juin dernier. Les abus de ces premiers temps n'ont pas échappé à la sublime pensée de

notre monarque qui, embrassant d'une même vue tout le passé, a aussi pesé les bienfaits non contestés de la liberté de la presse aux années 1795, 1796 et 1797, depuis lesquelles elle avait disparu de notre France jusqu'à ces jours fortunés qui luisent sur la patrie.

On fait valoir enfin la suprême considération de la restauration qui, récente, peut nécessiter que l'on donne à l'action du pouvoir toute l'intensité qu'il peut réclamer.

On s'appuie de l'exemple de l'Angleterre, lors de sa dernière révolution de 1688.

Je renouvelle ici, Messieurs, la déclaration que j'ai faite en commençant le développement de mon opinion. Si la loi proposée ne renfermait qu'une simple suspension provisoire du libre exercice de la presse pendant un temps déterminé, je n'eusse pas attaqué la loi; elle aurait mon suffrage.

Mais je réclame et je réclamerai constamment pour que le principe de la liberté de la presse demeure intact. Or, la loi proposée énonce ouvertement que l'institution de la censure préalable doit s'unir à la disposition constitutionnelle pour en être le corps.

Toutefois l'exemple de ce qui s'est passé en Angleterre après la seconde révolution de 1688, où la liberté de la presse demeura suspendue par différents bills, jusqu'en 1694, n'est pas heureusement appliqué.

Sont-ils semblables et en eux-mêmes et dans leurs circonstances, les événements d'Angleterre en 1688 et ceux de France en 1814.

Ceux-là présentent l'occupation d'une famille étrangère qui s'assied sur un trône déclaré vacant. Ceux-ci étaient appelés par le dogme de l'hérédité qui avait entretenu l'espérance et qui imprime dans toutes les âmes le caractère religieux de la légitimité,

En la Chambre haute du parlement anglais, la ligne de succession ne fut tranchée qu'à la majorité de deux voix. L'unanimité des suffrages dans le Sénat et dans la Chambre législative, les deux corps alors représentatifs de la nation, a décidé les événements qui ont replacé sur le trône francais l'auguste et antique race de nos Rois.

En Angleterre, la famille dépouillée laissait au milieu de la nation le juste et profond attachement d'un grand parti religieux asservi par les lois de l'Etat, et qu'elle avait voulu émanciper.

Quel sentiment de reconnaissance fondé a pu laisser dans quelque portion de la nation française le chef du dernier gouvernement?

Les époques de ces deux événements que l'on rapproche ne présentent d'autre ressemblance qu'en ce que, à la seconde révolution d'Angleterre, en 1688, les libertés de la nation, la puissance et les prérogatives de la couronne ont été définies plus exactement dans une déclaration solennelle; et qu'aux événements qui viennent de rendre la nation française à son Roi naturel et le Roi à sa nation, la nation a reçu de son Roi une Constitution écrite que,sous ses anciens monarques, elle n'avait pas, qui était son besoin réel, selon l'expression de la Charte, et qui eût en effet prévenu cette révolution dont ils sont la fin; révolution dont les sillons ont été ouverts par la révélation du désordre des finances aux notables que le ministre aux abois avait réunis en 1787.

De cette partie unique entre les deux époques rapprochées, je tire, Messieurs, cette instruction, et c'est par là que je termine mon opinion.

Les discours émanés du trône du royaumeuni d'Angleterre reconnaissent que c'est à la fi

dèle observation de sa Constitution libérale que la nation doit attribuer et sa richesse et sa puissance, et son bonheur.

Ils nous donnent cet avertissement que c'est aussi dans l'exacte et respectueuse observation par les ministres de Sa Majesté, et dans la fidèle et religieuse garde par les deux Chambres, de notre Charte constitutionnelle, que la nation française trouvera son repos, sa gloire et sa prospérité.

Je vote pour le rejet de la proposition.

On demande, et l'assemblée ordonne l'impression du discours prononcé par l'opinant.

M. le duc de Doudeauville obtient la parole. Messieurs, malgré ma répugnance pour abuser de vos moments, je crois devoir vous soumettre quelques réflexions dictées par l'importance du sujet, quoiqu'elles aient été écrites au moment où la loi sur la presse a paru pour la première fois. Elles auront un désavantage que nous éprouvons souvent dans cette Chambre, c'est de ne paraître que répéter ce qui aura été dit pendant une longue discussion à la Chambre des députés; mais ce n'est pas un motif suffisant pour se condamner au silence dans des matières d'un intérêt majeur; d'ailleurs, quelques-unes de ces observations, ajoutées depuis, pourront répondre à une partie des objections.

La liberté de la presse a de grands avantages, mais elle peut avoir de grands inconvénients; ce sont deux vérités dont on ne saurait trop se pénétrer dans l'intéressante question qui nous occupe. Tâchons de profiter de ses avantages en évitant ses dangers, et tàchons d'user de cette liberté sans en abuser, comme on ne l'a que trop fait, dans la liberté en général, dans les premiè res années de la Révolution. Une autre vérité, c'est que les Français sont disposés, par la vivacité de leur imagination, à donner dans les extrêmes et à passer rapidement d'un excès à l'autre; tenons-nous en garde contre cette propension inquiétante et tâchons de conserver une mesure utile et sage.

Les modifications que l'on peut apporter à la liberté de la presse n'ont rien qui soit réellement opposé à la Constitution; la Charte constitutionnelle dit :

Les Français ont droit de publier et de faire imprimer leurs opinions, en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté.

Réprimer, dit-on, n'est pas prévenir, mais réprimer ses penchants vicieux, c'est bien prévenir les désordres où ils pourraient nous entraîner.

Celui qui réprime la vivacité de ses passions en prévient les excès, et ne détruit pas plus les passions elles-mêmes, ni ce qu'elles peuvent avoir d'utile, quand elles sont contenues dans de justes bornes, que les précautions sur la presse n'en détruisent la liberté.

Les lois qu'on fait pour réprimer les abus, ne sont donc point contre la Constitution ce qui y serait contraire, ce serait de ne point les faire, čes lois préservatrices sagement prévues; ce serait de ne pas inodifier une liberté dont la Constitution elle-même voit d'avance les inconvénients et annonce le remède.

Au reste, soit qu'on regarde la loi proposée comme une suite de la Constitution, soit qu'on veuille la regarder comme une suspension momentanée d'une portion de la Constitution, cette loi n'en est pas moins sage et nécessaire; il faut mettre très-peu de valeur à une dispute de mots, mais il faut en mettre beaucoup à une question aussi essentielle.

Nous ne sommes plus, heureusement, au temps où l'on disait : « Sacritions toutes les colonies plutôt qu'un principe. »

Il y a bien des cas dans la vie, et surtout dans l'administration, où l'on n'a que le choix des inconvénients; mais alors il faut éviter avec soin les plus considérables.

Et quels inconvénients ne peut avoir la liberté indéfinie de la presse ? Quels inconvénients n'aurait-elle pas en ce moment? Plus toutes les pensées ont été comprimées, plus la faculté de les publier a été enchaînée, plus on se livrerait avec impétuosité au désir, à la possibilité de les faire connaitre; ce serait un torrent longtemps retenu auquel on ouvrirait soudain et sans précaution une imprudente issue; il porterait partout la dévastation au lieu d'y porter la prospérité.

Toute réaction est fâcheuse, et il s'en ferait une dont on peut prévoir la violence, mais dont il est difficile de calculer les suites.

On peut encore moins en calculer la force; elle est effrayante dans un temps où toutes les passions sont en jeu, dans un pays où l'opinion a toujours régné si puissamment, chez un peuple où l'esprit est si actif et les impressions si vives.

Quelle autorité pourrait résister à son choc? Quels personnages pourraient soutenir ses attaques? Elles ne seraient pas toujours directes; mais pour être déguisées, elles n'en seraient pas moins puissantes.

La liberté de la presse, espèce de tocsin à l'aide duquel se rallient, se rassemblent, s'unissent tous les hommes agitateurs ou agités, mus par de grands intérêts ou de grandes passions, a renversé en France quatre ou cinq gouvernements depuis 1788 jusqu'à 1800.

Elle menacerait plus ou moins notre tranquillité, tant que cette tranquillité n'aurait pas eu le temps de s'affermir sur des bases solides; c'est une nourriture très-forte qui peut faire beaucoup de bien à un homme en santé, mais qui ferait beaucoup de mal à un homme en maladie, et même en convalescence.

Fatigués par vingt-cinq ans de maux et de troubles, notre tempérament politique n'est pas assez robuste pour nous la permettre sans ménagement; préparons-nous-y et attendons le moment où elle n'aura plus que des avantages.

En voulant jouir trop tôt, avec cette pétulance, avec cette impatience qui toujours nous caracté rise et souvent nous égare, nous risquons de nous en priver tout à fait ses abus sont si nuisibles et si choquants qu'ils nous feront perdre encore cette liberté que, selon l'expression d'un homme d'un grand talent, nous ne faisons que traverser.

Le gouvernement qui vient de s'écrouler a été son plus grand ennemi, c'est maintenant son principal appui, par ses torts et ses envahissements passés; l'idée qu'elle les aurait empêchés décide beaucoup de gens à relever inconsidérément et dans toute son étendue cette barrière salutaire, mais redoutable.

Ils veulent qu'on se serve sans précaution de cette arme redoutable qui peut blesser également ceux qu'elle défend et ceux qu'elle attaque; ils craignent des inconvénients qui n'existent plus; ils veulent remédier à un danger qui est passé en oubliant celui qui est menaçant.

Le dernier gouvernement visait au despotisme par goût, par caractère, par excès de force, et même par les moyens que lui donnait le souvenir des maux qu'avait produits l'anarchie; ce n'est pas là, nul n'en doute, ce que nous avons à redouter du gouvernement actuel; la pensée

toujours présente du pouvoir absolu sous lequel on a gémi, l'existence de deux corps puissants et jaloux de leur puissance, et mille raisons inutiles à détailler, offrent contre l'excès de l'autorité et de la force un rempart qui doit rassurer les plus alarmés.

Il n'est pas un homme de bonne foi qui ne convienne qu'on ne peut avoir, d'ici à deux ans que cette loi doit cesser, la plus légère inquiétude à cet égard.

Mais n'avons-nous pas d'autres périls à craindre, et n'est-ce pas contre ces périls que nous devons nous armér, que nous devons diriger nos précautions et nos efforts?

Que l'appréhension d'un mal imaginaire ne nous fasse pas oublier celui qui ne serait que trop réel si nous le perdions de vue, si, oubliant les leçons de l'expérience et les premières années de la révolution, nous n'ôtions pas pendant quelque temps à la liberté de la presse tout ce qu'elle peut avoir de dangereux. Essayons-en pendant un certain temps, disent quelques personnes; si l'on s'en trouve mal on la limitera. C'est proposer d'arrêter une inondation après avoir imprudemment rompu les digues qui retenaient les eaux; d'éteindre un incendie, après l'avoir allumé par imprudence et presque par calcul.

:

Je dirai, et je croirai avoir bien plus raison de dire Essayons pendant quelque temps la loi proposée; et si, après ce temps, nous la jugeons inutile, ou même nuisible, nous la supprimerons. Ce parti est bien loin assurément, dans ce moment, d'avoir les dangers de l'autre, et dans le doute, il faut aller au plus sûr.

Ne défend-on pas la vente illimitée des médicaments utiles, mais dangereux, pour empêcher les ravages qu'ils pourraient faire, au lieu de se contenter de réparer les ravages qu'ils ont faits?

Vous voyez, dit-on encore, que depuis quelques mois elle n'éprouve aucune gène, et il n'en résulte point d'inconvénients. D'abord, je nierai qu'il n'y eût aucune gêne; si la liberté de la presse n'était pas refusée, elle n'était pas du moins accordée par une loi, ce qui obligeait les écrivains à une plus grande circonspection, et ce qui est assurément fort différent.

Je nierai ensuite qu'elle n'ait eu aucun inconvénient; si elle avait été soumise aux modifications proposées, une brochure dont on semble craindre l'influence n'aurait pas paru, des auteurs, des libraires estimables n'auraient pas été arrêtés.

Qu'on ne cite pas l'exemple d'une nation voisine où la liberté de la presse existe sans modification. Le caractère, les habitudes, tout est different; et, ce qui n'y produirait pas la moindre sensation, cause chez nous une agitation violente. Mais, au reste, c'est nous qui la citerons, cette nation si jalouse de sa liberté, où celle de la presse n'a été établie sans restriction que six ans après la restauration.

Ce n'est que quand la Constitution eut une marche assurée depuis plusieurs années, en 1694, qu'on se détermina à abroger les lois répressives qu'on avait cru devoir établir.

Pourquoi n'imiterions-nous pas un pareil exemple dont l'expérience nous a montré les avantages?

Il est des occasions où il faut suspendre momentanément les meilleures lois, les institutions les plus désirables. Un dictateur à Rome ne modifiait-il pas sagement pour un temps le système républicain? Chez nos voisins la loi d'habeas corpus, le palladium de la liberté, n'a-t-il pas été utilement suspendu depuis nombre d'années? En

T. XII.

supposant qu'on veuille regarder cette mesure comme une suspension d'un article de la Constitution, il faut encore l'adopter.

Il me semble prouvé qu'il faut une loi pour réprimer les abus de la presse, et la loi proposée me paraît les prévenir : heureux quand les lois préviennent les délits au lieu de les punir! C'est un mérite qu'il serait à désirer de leur voir plus fréquemment, et qu'il ne serait pas fondé de reprocher à celle-ci.

Il y a des cas, d'ailleurs, où cette punition est insuffisante et illusoire; tel écrit n'est pas punissable qui, d'après certaines circonstances, peut être fort dangereux; une prudente et légère précaution aurait empêché le mal, les plus puissants efforts n'en arrêteraient pas les funestes suites. Il en est des maux qui menacent le corps polititique comme de ceux qui attaquent les individus; le meilleur médecin est celui qui prévient au lieu d'attendre à les guérir.

Comment d'ailleurs une loi, pour punir les abus de la presse, pourra-t-elle les prévoir tous, pourra-t-elle désigner tous les cas surtout pour des temps où un écrit n'est répréhensible que par le moment où on le fait paraître?

Qui ne sait à quel point il sera facile à tout auteur de se soustraire souvent à la punition prononcée, au cas énoncé par la loi, et de répandre le poison contagieux de ses opinions par un des mille canaux qu'il aura été impossible de deviner ou de fermer d'avance?

Tout le monde connaît les discours qui ont été faits en proposant cette loi; je n'en répéterai pas les raisonnements, aussi justes pour la plupart que concluants.

Je vous ferai remarquer seulement, qu'annonçant partout des vues modérées et des intentions bienfaisantes, montrant le désir d'accorder tout ce qui est raisonnablement possible en s'opposant à ce qui ne l'est pas, cette foi a été, dans la nouvelle rédaction, au-devant de ce qu'avait souhaité une grande partie de la Chambre des députés, et de ce que vous auriez pu souhaiter vous-mêmes.

Si, dans un sujet aussi délicat, aussi difficile, elle n'évite pas tous les écueils, elle sait éviter les plus considérables, et, si elle ne remplit pas tous les désirs, elle satisfait les plus importants et les plus raisonnables.

Souvenons-nous de ce législateur justement célèbre qui disait: Je n'ai pas donné les meilleures lois aux Athéniens, mais je leur ai donné les lois les meilleures pour eux et pour les circonstances. Il me paraît prouvé que de sages précautions sont nécessaires dans les conjonctures présentes; en supposant la chose douteuse, le parti à prendre, je le répète, ne doit pas l'être.

Si la loi sur la presse est nuisible, vous la modifierez, vous l'annulerez dans deux ans.

Mais si la liberté indéfinie a des inconvénients graves, comme il est au moins permis de le croire, qui vous assure que vous pourriez de même y apporter remède, et que le mal qu'elle aura fait n'ôtera pas la possibilité de remédier au mal qu'elle pourra faire? L'ingénieux apologue qui a paru dernièrement est trop juste pour ne nous avoir pas frappés, l'apologue de ce vaisseau arrivant chargé de marchandises précieuses; ces marchandises sont soupçonnées de receler le germe de maladies funestes et contagieuses. Beaucoup de gens veulent imprudemment les débarquer et en jouir sur-le-champ; des hommes sages n'en permettent l'usage qu'après leur avoir fait faire une quarantaine.

Que peut-on craindre de la loi proposée et de 24

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la censure qu'on peint sous des couleurs si sombres, qu'on veut faire croire si rédoutable?

Sans force contre les bons ouvrages qui ne lui seront pas même soumis, elle n'en aura que contre les pamphlets éphémères, que contre les feuilles de peu d'importance et néanmoins d'un grand danger.

Les mesures proposées, en garantissant de ses abus, ne répondent-elles pas de sa sagesse? Ces juges de première instance, si je peux m'exprimer ainsi, seront sùrs de voir, peu de temps après, leurs jugements revisés, réformés s'il y a lieu par un tribunal fait, par sa composition, pour inspirer une confiance générale. Il sera de leur intérêt de ne pas arrêter l'impression des ouvrages utiles ou même indifférents, et de ne pas s'exposer eux-mêmes, censeurs imprudents, aux effets de la censure de cette commission établie pour casser leur sentence.

Ainsi leurs décisions blâmables seraient nonseulement rectifiées promptement, mais, on peut le dire, reprimées d'avance.

En ayant la certitude de voir publier tout ce qui sera bon et avantageux, on n'aura donc pas la crainte et le malheur de voir publier des écrits dangereux, des écrits qui, dans de certaines époques surtout, peuvent agiter les esprits, troubler la tranquillité, entraver toutes les opérations du gouvernement et lui ôter une puissance dont l'anéantissement serait aussi désastreux que pourraient l'être les abus.

Ces abus, encore une fois, en ne considérant même que les circonstances et la Constitution sans envisager le caractère, l'esprit et les vertus de ceux qui nous gouvernent, sont loin d'être le danger que nous avons à retouter dans cet instant. Et, dans cet instant où le gouvernement a besoin de s'entourer de l'opinion et de la considération pour assurer sa marche, pour se donner une force aussi utile à la chose publique qu'à lui-même, Vous penserez qu'il ne serait pas indifférent dé rejeter la première loi qu'il vous propose, quand cette loi surtout est de nature à exciter aussi vivement l'attention et l'intérêt général; enfin quand cette loi lui est, dit-il, indispensable. Cette mesure, d'ailleurs, n'est que momentanée, et elle ne peut inquiéter personne, puisque l'exécution en grande partie vous en est confiée par des commissaires pris dans votre sein.

Elle a passé à la Chambre des députés, elle ne sera pas refusée par celle des pairs, qui, comme on l'a très-bien dit dernièrement ici, est la partie monarchique de la Constitution, et par là est destinée plus particulièrement à conserver au gouvernement le degré de pouvoir nécessaire.

Voyant infiniment plus d'inconvénients à rejeter cette loi qu'à l'accueillir, je conclus à ce qu'elle soit adoptée telle qu'elle vous est proposée par le Roi, et qu'elle a été reçue par la Chambre des députés.

L'assemblée ordonne l'impression de ce dis

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Voici comment s constitutionnelle;

publier et de fair

ons que

<< se conformant aux lois qui doivent en réprimer << les abus. »

Il y a deux dispositions dans cet article; l'une qui déclare que les Français ont le droit de faire imprimer leurs opinions; l'autre qu'il y aura des lois destinées à réprimer les abus de cette liberté.

Ces dispositions ne peuvent être contradictoires, et elles ne le sont pas. Il en résulte que les lois répressives de la liberté dont il s'agit ne doivent point porter atteinte au droit qu'a chaque Français de publier et d'imprimer son opinion: c'est la condition que la Charte constitutionnelle impose au législateur chargé de faire la loi destinée à empêcher les abus qu'il veut réprimer.

Quelle sera cette loi répressive? Je ne le sais point; mais ce que je sais, d'après l'article que Vous venez d'entendre, c'est qu'elle ne peut porter aucun obstacle au droit qu'a chaque Français de publier et d'imprimer ses opinions.

Or, la censure qu'on veut établir viole cette disposition sacrée; elle est en opposition avec la Constitution: elle ne saurait donc être admise. En effet, si, quand vous aurez porté votre manuscrit au censeur, celui-ci s'oppose, sous quelque prétexte que ce soit, à ce que vous le fassiez imprimer, il contrevient formellement à l'article de la Charte qui vous donne le droit de faire imprimer et publier votre opinion, et il viole en vous ce droit reconnu et solennellement consacré.

Mais la législation ne saurait jamais être en opposition avec la Charte; elle doit en être le développement et la conséquence; elle doit en assurer l'exécution, mais elle ne doit ni l'abroger ni la modifier; car alors elle serait plus puissante qu'elle, et il ne peut rien y avoir au-dessus de la Constitution.

On a beaucoup discuté dans la Chambre des députés et parmi nous, sur le sens du mot réprimer quelques personnes, qui n'ont pas trouvé cette explication satisfaisante, ont répondu d'une manière assez plausible, que si le législateur constituant avait, dans sa haute sagesse, entendu le mot réprimer avec l'acception de prévenir, il l'aurait dit; qu'il ne lui en aurait pas plus coûté de mettre prévenir que réprimer, et quand même, s'il l'avait bien voulu, il aurait pu joindre les deux expressions pour annoncer à la fois deux idées; niais je pense que ce n'est pas là la question je consens, si vous voulez, que réprimer veuille dire prévenir, et, sous le bon plaisir de l'Institut, j'accorde même que ces deux mots soient parfaitement synonymes.

Faites donc toutes les fois que vous voudrez pour prévenir et pour réprimer les abus qui peuvent naître de la liberté de la presse; je les adopterai avec soumission, j'ai presque dít avec empressement, pourvu qu'elles ne portent point atteinte au droit qui m'a été conféré, comme Français, de publier et d'imprimer mon opinion, conformément à la Charte constitutionnelle, le plus grand bienfait que le meilleur et le plus éclairé des rois ait pu répandre sur son peuple.

VOUS

sujets elle u seuls

Non, Messieurs, malgré vos hautes prérogatives, malgré votre éminente dignité, la Constitution ne artient pas et vous n'en êtes que les appartient à la France entière dont semble tous les habitants et non aux squ'elle institue. Que dis-je ? sa perait l'abrogation de toute votre nis elle était détruite, vous cesmême d'être les premiers ce: au lieu d'être les pairs ce glorieux titre, à la ne seriez plus que de

violatio.

autorité, seriez à ce magistrats da du royaume Te missance légi

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