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confirmé par la reine Elisabeth, et Charles II, en 1660, fit de nouvelles défenses. Les peines furent portées à un degré de sévérité tel, que Blackstone en fait mention dans ses Commentaires sur les lois anglaises; elles furent adoucies par Guillaume III, en 1688. Il paraît que les embarras de la surabondance des laines s'était fait sentir, puisqu'en 1665 il fut rendu un bill qui ordonnait que les morts fussent ensevelis dans des étoffes de laine; je crois même que ce bill est encore en vigueur.

troupeaux, et c'est ce que je vous propose de faire.

Sur cet article, un droit n'est point prévu; il ne fait point partie des revenus portés dans le budget de 1814 et 1815, au chapitre des douanes.

Les revenus même que produit cette administration sont variables à l'excès, ainsi que l'a observé M. le ministre des finances, et nous avons lieu d'espérer que, sous un gouvernement paternel et réparateur de nos maux, elle sera rappelée à son institution primitive, et qu'elle ne sera plus qu'un sage régulateur du commerce. Je demanderai donc que le produit de ce droit, au moins dans les années 1814 et 1815, soit ap

à raison de la quantité d'agneaux qui seront nés dans le courant desdites années.

Cependant, un statut de George Ier, en 1717, ordonne la peine sévère de la déportation contre celui qui exportera des laines, et, de nos jours, en 1786 et 1787, sur la demande des habitants dupliqué en primes accordées à chaque propriétaire, comté d'Exeter, il fut passé au Parlement un bill qui ordonnait à tous les propriétaires de laines de faire enregistrer, sous serment, le nombre et le poids des toisons pour empêcher qu'elles ne passassent à l'étranger. Get exemple d'un peuple fort éclairé sur les intérêts de l'agriculture, du commerce et des manufactures semble militer en faveur du système prohibitif.

Mais le commerce, à son tour, réclame une liberté indispensablé à la prospérité de toute industrie; il viendra au secours des agriculteurs en exportant leurs produits; il viendra au secours des manufactures, en établissant une concurrence utile entre les agriculteurs régnicoles et étrangers.

En effet, Messieurs, vous serez étonnés d'apprendre ce dont je suis assuré dans les bureaux des douanes. Malgré les travaux et les succès de nos agriculteurs, malgré les frais qu'occasionnent le transport des laines étrangères, et les droits auxquels elles sont soumises, il en est

entré:

En 1810, 8 millions de kilogrammes;

En 1811, 5 millions 600,000 kilogrammes; En 1812, 7 millions 300,000, dont 5 millions 600,000 du Nord;

En 1813, 5 millions 300,000 kilogrammes, dont 3 millions 500,000 du Nord, ce qui prouve incontestablement que les nôtres ne réunissent pas toutes les qualités désirables; et que la cause de leur stagnation dans les magasins ne provient pas uniquement de leur surabondance.

En maintenant le système d'importation, en même temps que vous adopterez le système d'exportation, je vois dans le parti que vous prendrez un principe de vie et de mouvement qui doit ranimer l'agriculture et tranquilliser les manufactures. Ainsi, Messieurs, je pense que la sortie des laines indigènes, et la sortie des laines étrangères qui auraient été ou qui seraient importées, doit être permise, et qu'elles doivent payer seulement un droit à la sortie; nous pourrons prendre pour base le droit que payent à l'entrée les laines étrangères.

Mais je pense qu'en même temps vous devez déterminer, par un article de loi, l'emploi qui devra être fait du produit de ce droit.

Ne croyez pas que par là vous empiétez sur les attributions du pouvoir exécutif; la fixation de cet emploi entre dans vos attributions, et nous en trouvons la preuve et un exemple dans l'article 6 du projet de loi dont il vous a été donné communication.

« Le produit des droits perçus à la sortie des « grains sera employé en encouragements et en « travaux utiles aux progrès de l'agriculture.

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Vous pouvez donc déterminer que le produit des droits perçus à la sortie des laines, sera employé en encouragements pour l'éducation des

De cette manière, Messieurs, vous favorisez deux fois l'agriculture dans une seule mesure.

Mais si je pense que la sortie des laines doive être encouragée, je suis bien loin de comprendre dans la même mesure l'animal qui les produit · en effet, Messieurs, que diriez-vous si l'on vous proposait d'arracher vos vignes, et de les expoṛter en même temps que vous vendez votre vin aux étrangers? Le mérinos produit la laine, comme la vigne produit le vin; gardons-le soigneusement: exporter les mérinos, c'est, en d'autres termes, vendre nos troupeaux aux étrangers: ne partageons point le mouvement de découragement ou d'impatience qui agite les agriculteurs, et conservons ce qui nous a coûté tant de peines à acquérir.

D'ailleurs, quel succès pourrions-nous espérer d'une pareille disposition? Si les étrangers ont des troupeaux, ils n'achèteront pas les nôtres, ou ils les achèteront à vil prix, et la permission que vous auriez accordée serait illusoire ou de peu de succès; s'ils n'en ont pas, nous leur procurerions par là un gerine de richesse qu'il faut garder pour nous-mêmes.

Je propose donc un amendement considérable à l'article 1er du projet de loi de la commission, et je demande que le Roi soit humblement supplié de présenter un projet qui contienne les dispositions suivantes :

Art. 1er. Les laines indigènes brutes, en suint. et les laines communes, pourront être librement vendues et exportées à l'étranger, en payant un droit de sortie de 10 francs les 100 kilogrammes. Les laines de mérinos et de métis lavées, en payant 30 francs.

Les laines, provenant du commerce étranger, pourront également sortir en payant un droit de balance.

N. B. Observez, je vous prie, Messieurs, que les laines étrangères ont déjà payé un assez fort droit d'entrée, qu'il serait injuste d'en exiger un nouveau à la sortie, qu'il serait plutôt dans les principes d'une bonne administration des douanes, de restituer ce droit, tout ou en partie, et qu'il res terait encore à la France les bénéfices du transit, des frais et des commissions qu'il occasionne.

Art. 2. Le produit de ce droit sera applicable en encouragements aux agriculteurs qui élèvent des mérinos, à raison de chaque tête d'agneau, d'après les dénombrements qui seront faits par les maires, recensés par les sous-préfets, visés par les préfets, et présentés à M. le ministre de l'intérieur.

Je demande la suppression de l'article 2 du projet de la commission, ainsi conçu :

Art. 2. « Dans l'intervalle d'une session à (( l'autre, si les circonstances l'exigent, le gouver

nement pourra suspendre ou modifier les effets ⚫ de la présente loi, en présentant, à la session sui-vante, les motifs qui auraient déterminé cette

⚫ mesure. v

Les dispositions que renferme cet article jetteraient de l'incertitude dans l'esprit des propriétaires de troupeaux et des négociants. Il faut des mesures fixes, et sur lesquelles on puisse compter. Il ne faut pas être sans cesse soumis à l'influence de ce que l'on appelle les circontances, dénomination vague, dont on peut abuser à l'infini, et qui ne présente rien de positif à la pensée.

Ce n'est qu'après de nouvelles réflexions que Vous croyez devoir autoriser l'exportation des laines: laissez à présent l'effet de cette disposition entière et imperturbable.

Que l'agriculteur élève ses troupeaux avec la confiance qu'il pourra en vendre le produit pour l'étranger; que le négociant fasse ses achats avec la même confiance, sans la crainte que de prétendues circonstances, qu'ils ne prévoient pas, viennent déranger tous leurs calculs.

La versatilité dans les mesures est plus préjudiciable mille fois que l'imperfection de celles que l'on a adoptées.

L'article 3 du projet de la commission demande que les lois et règlements antérieurs relatifs aux laines fines soient abrogés. Avant de les condamner tous ainsi, et en masse, il aurait été nécessaire de nous les faire connaître. Ils doivent être nombreux; ils peuvent renfermer des dispositions fort sages, et je crois qu'il serait indiscret de les comprendre tous dans une proscription générale. La nécessité de cet article ne me paraît pas sentie pour l'objet qui nous occupe, et j'en demande la suppression.

Telles sont, Messieurs, les réflexions que j'ose hasarder sur cet important objet.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELIER.

Séance du samedi 10 septembre 1814.

A deux heures après midi, les pairs se réunissent, en vertu de l'ajournement porté au procèsverbal de la séance du 8 de ce mois.

L'Assemblée entend la lecture et approuve la rédaction de ce procès-verbal.

L'ordre du jour appelle la discussion, en assemblée générale, de la résolution prise par la Chambre des députés sur la liste civile et la dotation de la couronne.

Les bureaux s'étant réunis avant la séance et ayant examiné, conformément à l'article 16 du réglement de la Chambre, la résolution dont il s'agit, M. le Président, aux termes de l'article 17, consulte l'Assemblée pour savoir si elle veut ouvrir la discussion ou nommer une commission spéciale pour lui faire son rapport.

L'Assemblée arrête qu'il sera nommé une commission spéciale de cinq membres.

Avant d'ouvrir le scrutin pour cette nomination, M. le Président désigne par la voie du sort deux scrutateurs pour assister au dépouillement des

votes.

Les bulletins sont distribués et recueillis en la manière accoutumée. Le nombre des votants était de 108. Le résultat du dépouillement donne la majorité absolue des suffrages dans l'ordre suivant: à M. le comte de Sémonville; M. le duc de Cadore, M. le duc de Lévis, M. le maréchal duc de Tarente, et M. le comte de Pontécoulant.

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M. Lajard observe à la Chambre que ces trois Mémoires méritent toute son attention, et demande que non-seulement le dépôt à la bibliothèque soit ordonné, mais qu'il en soit envoyé un exemplaire à la commission centrale des contributions indirectes.

Cette proposition est adoptée.

M. Pervinquière, au nom de la commission des pétitions. Messieurs, le sieur Blondeau, se disant l'organe des pensionnaires ecclésiastiques de Bourges, demande pour eux l'intégralité de leurs pensions.

Votre commission a examiné cette pétition avec tout l'intérêt qu'elle inspire; mais de graves considérations ne lui ont pas permis de vous proposer d'y avoir égard. La réduction des pensions, consommée depuis plusieurs années, est une opération définitive et considérée comme telle dans le règlement de notre système financier. En vous proposant les budgets de 1814 et 1815, le gouvernement lui-même a pensé que l'on ne devait pas s'écarter de l'ordre de choses établi; vous avez émis votre vœu sur le projet de la loi, et tout est maintenant consommé pour ces deux années. On peut espérer qu'une plus grande liberté dans la manisfestation de leurs opinions religieuses permettra à plusieurs ecclésiastiques de trouver des ressources dans l'exercice de leur ministère. Si quelques-uns se trouvaient réduits à une position fâcheuse par l'âge ou les infirmités qui les priveraient de cette faculté, leurs supérieurs et le gouvernement s'empresseraient sans doute de les secourir.

Votre commission est d'avis qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

La Chambre adopte la conclusion du rappor

teur.

M. Pervinquière. Messieurs, le sieur Devaux, juge suppléant au tribunal de Clamecy, vous a présenté une pétition dans laquelle il expose qu'une décision de la commission du contentieux, du 7 février 1813, le condamne, comme propriétaire du moulin d'armes situé sur la rivière d'Yonne, à supporter le quart de la dépense de la reconstruction du pertuis de ce moulin, dépense dont les trois autres quarts sont déclarés à la charge des marchands de bois; il dénonce cette décision comme contraire aux anciennes ordonnances relatives à cette matière.

La commission a pensé que cette réclamation était du ressort de la juridiction contentieuse dans laquelle la Chambre ne peut intervenir. Toutefois, dit le rapporteur, en vous proposant de déclarer qu'il n'y a pas lieu à délibérer, la commission dont je suis l'organe a jugé que, lorsque vous aurez terminé des travaux plus urgents, il pourrait y avoir lieu d'examiner si les dispositions impératives nécessaires pour l'administration des rivières navigables et flottables, et le règlement des difficultés qui pourraient s'élever entre les riverains, les propriétaires d'usines et les agents du commerce qui fréquentent ces rivières ne devront pas rentrer dans le domaine de la législation générale.

La Chambre décide qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la pétition du sieur Devaux.

M. Pervinquière. Le sieur Jacques-François Moutois, maire du Trucy, département de l'Aisne, vous a présenté une pétition par laquelle il vous invite à proposer sans délai une loi qui supprime le divorce pour quelle cause que ce soit, et les articles 312 et 315 du Code civil qui accordent, selon lui, au mépris des lois de la nature, la légitimité à l'enfant qui naît le trois centième jour de la grossesse présumée de la mère.

Votre commission a trouvé, Messieurs, plus de zèle que de prudence et de réflexion dans les propositions de ce pétitionnaire.

Le divorce, introduit trop brusquement parmi nous au milieu d'une grande commotion politique, s'est longtemps ressenti des impressions inséparables de l'époque de sa naissance et de la latitude qu'on lui avait assignée.

Mais des temps plus calmes ont amené des discussions sur cette matière, et des modifications nécessaires à la législation première. Le Code civil, en rejetant des causes morales douteuses puisque des consentements simulés suffisaient pour les prouver, en n'adoptant que des effets physiques de ces causes graves et légalement justifiées, s'est en quelque sorte montré plus sévère que Montesquieu, qui dit que : « Là où la loi « établit des causes qui peuvent rompre le ma«riage, l'incompatibilité mutuelle est la plus «forte de toutes. >>

Les ménagements dus par la loi civile à la religion de l'Etat ont aussi été respectés, puisque les époux qui se croiraient liés par ces préceptes, peuvent se soustraire à une union mal assortie par des moyens plus appropriés à leurs opinions.

Quant au second objet de la pétition, l'auteur n'assigne aucun terme autre que celui qu'il rejette le trois centième jour de la grossesse présumée. Il avoue ainsi qu'il n'est pas initié dans les mystères de la nature, qui, constante dans ses effets, se plaît néanmoins à montrer sa puissance par quelques irrégularités. On a dit qu'il valait mieux laisser échapper plusieurs coupables que de condamner un innocent; ne serait-ce pas le cas de dire qu'il vaut mieux courir les risques d'absoudre de tout soupçon plusieurs femmes infidèles, que de s'exposer à condamner une seule épouse vertueuse?

Votre commission est d'avis qu'il n'y a lieu à délibérer.

L'avis de la commission est adopté.

La même décision est prise par la Chambre sur une autre pétition d'un intérêt individuel et qu'elle n'a pas jugée du ressort de ses attributions.

Sur la proposition de plusieurs membres, la Chambre a ordonné l'impression du rapport de M. Pervinquière, concernant la demande en suppression du divorce.

L'ordre du jour appelle le développement de la proposition de M. Metz, tendante à ce que Sa Majesté soit humblement suppliée de présenter un projet de loi « qui rende la culture, la fabrication et la vente des tabacs libres, en établissant sur la fabrication et la vente un impót qui concilie l'intérêt de l'agriculture, celui de l'industrie et du commerce, avec l'intérêt du trésor royal. »

M. Metz (1). Messieurs, si le résultat de la liberté de la culture, de la fabrication et du commerce de tabac, pouvait être de réduire les ressources que le trésor royal attend du monopole, vous ne me verriez pas à cette tribune pour vous la proposer. Dans la position actuelle de la France, où un gouvernement nouveau a un arriére considérable à éteindre, de nombreux engagements à remplir, de grands maux à réparer, de grands services à récompenser, notre premier devoir est de lui procurer les moyens de satisfaire à de si vastes obligations. Si le monopole du tabac était un de ces moyens indispensables, je dirais : Le monopole est, à la vérité, contraire à l'industrie, à l'intérêt particulier et à l'intérêt général; mais l'intérêt général et l'intérêt particulier, l'industrie et le commerce commandent avant tout de faire marcher le gouvernement, sans lequel il n'y a ni commerce, ni industrie, ni bonheur public, ni bonheur individuel. J'ajouterais: Il faut attendre des moments plus heureux, où le gouvernement consolidé pourra suivre les principes ordinaires de l'économie publique.

Mais, Messieurs, nous ne nous trouvons pas dans cette position. J'espère, au contraire, vous convaincre que la liberté de la culture, de la fabrication et du commerce de tabac, n'opérerait aucune réduction dans les revenus du trésor royal.

On a cherché à jeter de la défaveur sur la proposition que je soumets à vos méditations, en voulant persuader qu'il ne s'agissait ici que de l'intérêt local des contrées où la culture du tabac a lieu. Je ne viens point défendre l'intérêt isolé de ces contrées, je viens défendre l'intérêt de l'Etat. Il s'agit d'un grand principe d'administration, de la jouissance du droit précieux de la propriété; il s'agit de l'intérêt de l'agriculture, de l'industrie manufacturière, du commerce, par conséquent, d'un objet qui se rattache essentiellement à la prosperité publique. Cette considération me garantit votre bienveillante attention.

L'impôt sur le tabac occupe, depuis longtemps et à juste titre, une des premières places parmi les impôts indirects.

Mais s'il est incontestablement une de premières matières imposables, il n'est pas moins constant que sa culture et sa fabrication procurent à l'Etat des avantages si précieux, qu'il faut éviter soigneusement, dans l'assiette de cet impôt, des entraves et des gênes qui pourraient faire abandonner ce genre d'industrie, et qu'il faut la combiner de manière à ce qu'elle concilie les intérêts de l'agriculture, de l'industrie et du commerce avec ceux du trésor public.

Après que j'aurai démontré que le monopole du tabac ne présente point ces avantages, je soumet trai à vos lumières l'établissement d'un impôt qui me paraît les réunir tous.

Avant 1789, la ferme générale avait le privilége exclusif de faire importer les feuilles de Virginie et de Maryland, et celui de fabriquer et de vendre. Vous rappellerai-je, Messieurs, tous les maux

(1) Le Moniteur ne donne qu'une courte annalyse du discours de M. Metz: nons le reproduisons in extenso.

dont ce régime désastreux a été la source? Rappellerai-je cette armée d'employés intéressés à trouver des fraudeurs; cette triple ligne de barrières qui, des diverses provinces du royaume, semblaient former autant d'Etats différents; ces inquisitions sur les routes et à l'entrée des villes, et dans l'intérieur des maisons; ces galères et ces gibets, où l'on voyait confondus et punis de la même peine le voleur de grands chemins, l'assassin même, avec un malheureux qui, dans la société de deux autres personnes, avait porté en contrebande une livre de tabac d'une province dans une autre? Ne nous arrêtons à ces souvenirs affligeants que pour nous donner l'assurance que ce régime, considéré avec raison comme une des principales causes de cette révolution qui a ébranlé l'Europe, ne peut renaître aujourd'hui, que l'expérience du passé nous a éclairés sur l'avenir, et sous le gouvernement paternel d'un monarque dont les idées libérales ne permettront jamais le retour d'aucun genre d'oppression. Observons seulement que, même sous le régime de la ferme générale, et malgré l'influence des hommes puissants qui en étaient les chefs, on a été forcé de reconnaître que la libre culture du tabac était incompatible avec le monopole, parce qu'on garantit du fléau de la ferme les provinces où cette plante était cultivée, l'Artois, la Flandre et l'Alsace.

La révolution de 1789 a détruit le système des contributions indirectes. Ce ne fut qu'en l'an VII qu'on imposa de nouveau le tabac; mais la loi du 22 brumaire, qui a établi cet impôt, proclama (article 1er) la liberté de la culture, de la fabrication et de la vente du tabac; elle assujettit seulement la fabrication à un droit de 4 décimes par kilogramme de tabac en poudre et en carottes, et de 2 décimes 4 centimes pour le tabac à fumer.

Ces droits, successivement augmentés par différentes lois, produisirent au trésor public, sur 103 départements :

20,500,000 fr. 25,500,000

En 1809..... En 1810... On fit espérer au chef du gouvernement que la fabrication et la vente du tabac, exclusivement concentrées entre les mains du gouvernement, lui rapporteraient... 80,000,000 fr.

...

Et le 29 décembre 1810, le monopole fut décrété; la fabrication et la vente exclusives furent attribuées à la régie des droits réunis; l'industrie particulière fut anéantie; des capitaux considérables furent rejetés du commerce, et des milliers de familles déplorèrent, sur les ruines de la fabrication, la perte de leur état et celle du travail qui leur avait donné du pain.

Le monopole du tabac renfermant un impôt réel, levé sur le consommateur, il ne pouvait être créé que par une loi. Etabli par un simple décret, il s'écroulerait faute de base, si on voulait se borner à le considérer sous ce rapport.

Mais pour bannir à jamais du système de notre législation ce régime, indigne d'un gouvernement libéral, je veux l'examiner dans ses funestes conséquences je démontrerai que, considéré sous le triple rapport de l'industrie agricole, manufacturière et commerciale, il est proscrit par les principes les plus incontestables de l'économie politique, et qu'il est même contraire à l'intérêt du trésor public.

Un gouvernement sage, a dit un auteur célèa bre, ne saurait, sans se couper les veines, refuser ses premières attentions à l'agriculture. » Il doit favoriser la multiplication de toutes espèces de productions, surtout de celles qui augmentent la valeur des terres et leurs produits; de

celles qui, comme matières premières, alimentent les fabriques et sont, par là même, la véritable richesse d'un Etat; car l'Etat est riche quand le cultivateur est aisé, et celui-ci est aisé, si de nombreuses manufactures lui fournissent des débouchés pour les produits de son industrie et de ses travaux.

A ces titres, quelle est la plante dont la culture soit plus digne de la protection spéciale du gouvernement que celle du tabac? Ses avantages sont inappréciables.

Il est universellement reconnu qu'un arpent planté en tabac produit au moins le double d'un arpent semé en blé ou en toute autre denrée. Outre les bienfaits présents que cette plante offre à celui qui lui a donné ses soins, elle le récompense encore quand elle n'est plus: elle fertilise, par le sel qu'elle dépose dans la terre, le champ où elle avait été cultivée; le froment le plus beau, le plus recherché dans les marchés, est celui récolté sur un champ qui, l'année précédente, avait produit du tabac. Aussi les fermages des terres où cette culture a lieu, sont-ils du double de ceux des contrées où elle n'existe pas. Leur valeur augmente dans la même proportion. Le même arpent qui, dans ces dernières années, où la culture du tabac languissait, se vendait, dans le département du Bas-Rhin, 500 francs ou 600 francs, s'était vendu avant le monopole, 1,200 francs. Voyez les contrées où cette culture existe tout y offre le spectacle d'une heureuse aisance; toujours ces contrées sont les premières à acquitter leur tribut à l'Etat ; là le fainéant, le pauvre n'affligent pas vos regards. Au temps de la récolte, le vieillard et l'adolescent, l'homme infirme et la femme valétudinaire, tous sont livrés à un travail peu fatigant et qui n'exige pas beaucoup de force. Là, on ne sait pas ce que c'est que des jachères : tout y est cultivé, tout produit. Depuis 1620, où cette plante fut cultivée pour la première fois en Alsace, elle y a porté au double non-seulement la valeur des terres et celle de ces produits, mais encore la population; parce que l'homme aime à se fixer là où la terre produit le plus, là où le sol et l'industrie lui présentent plus de moyens de subsistance. Elle y a donc doublé les premiers éléments de la puissance et de la richesse de l'Etat.

Ce serait une grande erreur de penser que la culture du tabac porte préjudice à la récolte des grains, et qu'elle pourrait, sous ce rapport, devenir nuisible à l'Etat. On a cherché à l'insinuer dans des mémoires imprimés, en prétendant qu'elle enlève des terres à la culture des denrées de première nécessité; mais cette assertion est fausse tout le monde sait que le même arpent de terre ne peut produire tous les ans des grains ou la même espèce de denrées. On plante en tabac les terres qu'on ne pourrait ensemencer de blé. Ainsi, quand même on ne planterait pas une tige de tabac, on ne récolterait pas un grain de blé de plus. La culture du tabac ne diminue donc pas la récolte en grains.

On vous a cité, dans des mémoires, l'exemple de l'Angleterre qui a banni de son sol la culture du tabac; la position de la France est, à cet égard, bien différente de celle de l'Angleterre. L'Angleterre est toujours au-dessous de sa consommation dans la récolte des grains; la France, au contraire, en récolte plus que sa consommation n'exige. L'Angleterre est donc obligée de ménager ses terres pour la culture des grains et pour celle du houblon, lequel est, chez cette nation, un objet de première nécessité. Je pour

rais, avec plus de fondement, invoquer l'exemple de l'Angleterre à l'appui de mon système. Quoique la prohibition de la culture du tabac donnât à cette nation toutes les facilités pour établir le monopole du tabac, elle préfère cependant d'en laisser la fabrication et le commerce libres : tant cette nation, si versée dans la science de l'économie politique, sent les grands avantages que cette liberté procure à l'Etat.

Les avantages de la culture du tabac en France sont donc incontestables; elle enrichit l'agriculture et l'Etat de plusieurs millions, qu'aucune autre denrée ne pourrait procurer: elle répand l'aisance dans les campagnes; elle donne au cultivateur d'autant plus de facilités pour payer son tribut à l'Etat, acquitter ses autres charges, et améliorer ses terres; et vous savez que les capitaux que le cultivateur peut employer à cette amélioration se multiplient à l'infini; ce sont de nouveaux germes d'une prospérité nouvelle.

Ces avantages, Messieurs, vous font sans doute désirer que la culture du tabac soit conservée, encouragée ? Le monopole la détruit; il la détruit, parce qu'il est une vérité reconnue par tous les planteurs, que la culture du tabac ne peut exister à côté du monopole.

L'agriculture aime la liberté. « Les pays ne « sont pas cultivés, a dit Montesquieu, en raison « de leur fertilité, mais en raison de leur li<< berté. >>

Le monopole présente au cultivateur trop de gêne, lui fait perdre un temps précieux, l'expose à des pertes considérables. Il l'oblige de livrer dans les magasins de la régie la quantité de quintaux de tabac à laquelle sa récolte a été fixée par des évaluations arbitraires (1). S'il ne peut livrer cette quantité, il encourt des amendes qui souvent absorbent une grande partie de sa récolte. Le prix de son tabac est réglé d'après une classification à laquelle préside souvent la partialité ou la passion. Le tabac trouvé d'une qualité inférieure est mis au rebut, et payé à des prix arbitrairement fixés par le garde-magasin. Quelle source d'abus et d'injustices! Aussi remarquez la funeste décadence que la culture a déjà éprouvée dans l'espace de deux années! De 200,000 quintaux anciens qui se récoltaient avant le monopole dans le département du BasRhin, on a vu la culture réduite, en 1813, à 50,000 quintaux; la réduction eût même été plus considérable, si M. le préfet, qui sait apprécier les avantages de cette culture, n'eût cherché, en administrateur éclairé, à l'encourager par des primes. Cette diminution a frappé l'agriculture, dans le seul département du Bas-Rhin, d'une perte annuelle d'environ 4 millions. Je ne cite l'exemple de l'Alsace que pour faire juger

(1) Ces évaluations se font par les employés de la régie, qui comptent sur chaque pièce de terre plantée en tabac le nombre des tiges, d'après lequel ils règlent celui des feuilles, qui sert ensuite à déterminer la quantité de quintaux de la récolte de chaque cultivateur, quoiqu'il soit constant que les tiges ne portent pas le même nombre de feuilles, et que celles-ci varient de pesanteur, selon la diversité du sol, de l'engrais et de mille autres circonstances qui peuvent y influer. Ce mode d'évaluation prête à tant d'injustices. que, dans le département du Bas-Rhin, sur dix-neuf mille planteurs, treize mille ont été reconnus, dans une seule année, ne pas avoir la quantité de tabac que l'évaluation leur avait attribuée. L'erreur a été reconnue par toutes les autorités locales, et même par l'administration générale de la régie.

de la perte que cette décadence fait éprouver à toute la France (1).

Tels sont, Messieurs, les effets du monopole, considérés sous le rapport de l'industrie agricole, Ils nous mettent dans l'alternative de choisir ou l'abolition du monopole, ou la cessation successive d'une culture qu'une sage économie et l'intérêt de l'Etat commanderaient de créer, si elle n'existait pas. Notre choix pourrait-il être difficile?

Nous avons considéré le tabac entre les mains du cultivateur : suivons-le dans l'atelier du fabricant, et nous verrons que le monopole n'est pas moins désastreux quand on le considère sous le rapport de l'industrie manufacturière.

Il est incontestable que la matière première augmente de valeur, et ajoute par conséquent à la richesse de l'Etat, par les diverses manutentions qu'elle subit dans la fabrication, parce que la valeur de la marchandise fabriquée se compose tout à la fois et du prix de la matière première, et du salaire de l'ouvrier, et de l'intérêt des fonds du fabricant, et des bénéfices du fabricant, du négociant, du détaillant. Il est donc de l'intérêt de l'Etat de multiplier autant que possible la conversion de la matière première en matière manufacturée, ou, en d'autres termes, de multiplier, de favoriser, de stimuler la fabrication. Une fabrication exclusive est donc une monstruosité en économie politique.

Mais examinons de plus près les avantages de la fabrication libre du tabac; et pour les apprécier d'autant mieux, comparons l'état où se trouvait la fabrication au temps de sa liberté, avec l'état où elle est réduite sous le monopole.

Le décroissement dont l'industrie manufacturière a été frappée par le monopole, peut se calculer d'après le nombre des ouvriers employés dans les fabriques, qui se règle toujours d'après les extensions que le fabricant donne à sa fabrication.

Lors de l'établissement du monopole, il existait en France, telle qu'elle est délimitée aujourd'hui, 360 fabriques de tabac.

Strasbourg et le département du Bas-Rhin en renfermaient trente qui entretenaient 3 à 4,000 ouvriers. Combien la manufacture royale y en occupe-t-elle aujourd'hui ? Environ 100.

Paris employait autrefois 2,000 ouvriers, réduits aujourd'hui à 1,000.

Dunkerque occupait autrefois 2,000 ouvriers; il n'y existe plus de manufactures.

A Lille, 1,200 ouvriers travaillaient dans les fabriques; la manufacture royale en emploie aujourd'hui 200.

Les fabriques de la Bretagne occupaient 1,800 ouvriers; il n'y existe plus qu'une seule manufacture, celle de Morlaix, qui fait travailler 600 ouvriers.

Nancy en occupait 800; la manufacture royale y est suspendue.

En general, le nombre des ouvriers employés dans les fabriques, avant le monopole, peut étre

évalué à

Ceux occupés aujourd'hui dans les manufactures royales, ne sont qu'au nombre de...

Diminution.

18,000

3,500 14,500

(1) On a contesté, dans des Mémoires imprimés, la réalité de cette perte, par la raison que les terres qui auraient été plantées en tabac ont produit des grains. Mais ceux qui ont avancé cette erreur, ignorent-ils done qu'un arpent semé en grains ne produit pas la moiné de ce qu'il rendrait, s'il était planté en tabac ?

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