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A ceux-là pourront se joindre encore plusieurs de ces fonctionnaires civils et militaires, l'élite de leurs départements, mais dont les services que nous en avons reçus ne seront pas toujours des titres à la faveur du gouvernement auquel le pays qu'ils habitent vient d'être soumis.

En un mot, Messieurs, tous ces hommes sont Français par l'expression de leur vou, par l'acceptation que nous en avons faite, par les traités solennels qui les ont agrégés à notre nation.

Si, depuis les traités qui les ont séparés de la France, ils n'ont perdu leur titre de Français par aucun des actes que la loi a considérés comme faisant cesser cette qualité, ils doivent avoir la faculté de s'établir en France, en déclarant, dans le délai qui sera réglé, leur intention de s'y fixer, sans qu'ils aient besoin d'une autorisation spéciale du gouvernement.

Sans doute que la justice et la sagacité du Roi garantiront Sa Majesté de toute erreur; mais à la suite des convulsions politiques qui ont porté l'exagération dans toutes les têtes, qui ont malheureusement excité tant de ressentiments et de haines ou de préventions seulement, quel est l'homme de bien qui sera certain de n'être pas exposé aux traits de la calomnie ou aux attaques de l'inimitié? Le Roi et ses ministres ne seront-ils jamais trompés?... D'ailleurs, on doit toujours respecter les droits acquis.

Mais les individus de ces départements qui auront l'intention de conserver leur qualité de Français, et qui viendront se domicilier en France, seront-ils élevés au rang de citoyens? Auront-ils le libre exercice des droits civils et politiques des citoyens français?

Le projet de loi maintient la distinction que j'ai

annoncée.

Les habitants des départements cédés, et qui, en vertu de la réunion de ces pays à la France, sont venus se domicilier dans les départements conservés, et y ont résidé sans interruption depuis dix ans, obtiendront des lettres de naturalité. Leur existence dans les pays conquis leur a tenu lieu de la déclaration prescrite aux étrangers par la loi du 22 frimaire an VIII.

Telle est la disposition de l'article 1er du projet.

L'article 2 porte que ceux qui auront moins de dix années de résidence dans le royaume n'acquerront les droits de citoyen français que du jour où les dix ans de domicile seront révolus. Le Roi se réserve d'abréger en leur faveur la durée de ce stage politique.

J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'adopter le même tempérament pour les habitants encore établis dans des départements, dont la réunion à la France a été faite par des traités solennels, consentis par les peuples et ratifiés par les anciens souverains de ces départements, c'est-à-dire que leur résidence dans ces départements depuis la conquête leur tiendra lieu de la déclaration prescrite par la loi du 22 frimaire de l'an VIII; ils devront seulement faire connaître, dans le délai qui sera réglé, leur intention de transporter leur domicile en France, sans qu'ils soient assujettis à obtenir l'autorisation du Roi pour s'y établir.

Ils ne jouiront des droits de citoyen, et ils n'obtiendront des lettres de déclaration de naturalité, qu'après la durée de la résidence prescrite par la loi du 22 frimaire de l'an VIII, à moins que Sa Majesté ne daigne leur accorder ces lettres avant les dix ans de résidence révolus.

Je ne crains pas que l'on m'objecte qu'on ne

doit pas diviser leurs droits, et qu'il faut, ou les admettre à jouir, dès ce moment, de toute leur existence civile et politique, ainsi que M. Raynouard l'a proposé, ou les dépouiller entièrement de tous droits, même civils, sauf à eux à solliciter de la bienveillance du Roi l'autorisation de se fixer en France.

L'article 2 du projet de loi répond d'une manière victorieuse à cette objection. II admet la distinction que j'ai établie; il détermine que les individus de ces départements, actuellement résidant en France, pourront y compléter le stage politique exigé par la loi du 22 frimaire de l'an VIII, pour acquérir les droits de cité. Ainsi, par une conséquence nécessaire, un particulier de Bruxelles ou de Chambéry, n'eût-il en sa faveur qu'une résidence antérieure de quelques mois seulement à notre restauration, est admis à continuer de demeurer en France, et à y jouir des droits civils, sans autre formalité que de déclarer qu'il persiste dans l'intention de s'y domicilier.

Il est juste de traiter de la même manière les individus encore établis dans les départements cédés, et qui réclament leur admission en France.

La proposition de ne les considérer que comme simples régnicoles, quelque rigoureuse qu'elle semble, est conforme au bien général, et la prudence conseille de l'adopter.

La naturalité ou le titre de citoyen français introduisant celui qui le reçoit dans la jouissance des plus hautes prérogatives, et le rendant apte à remplir les fonctions auxquelles il serait élu ou nommé, il est sage de prendre à son égard toutes les précautions capables de garantir que la faveur qui lui sera accordée ne tournera pas contre l'Etat.

Le caractère personnel de l'individu, sa moralité, le moment où il veut se placer dans le rang des citoyens, peuvent rendre son admission plus ou moins désirable. Il est prudent de l'assujettir au stage politique que la loi du 22 frimaire an VIII a prescrit pour l'obtention du titre de citoyen.

Ce stage, que le Roi sera toujours libre d'abréger, mettra le gouvernement en état de juger de la sincérité des sentiments de celui qui aspirera à acquérir les droits de cité. Dans l'intervalle, il sera régnicole, il sera Français. Il aura l'exercice de tous les droits civils des Français, il aura la même existence civile dont jouissent la plupart des Français et dont ils se contentent.

En effet, les droits civils sont ceux dont la jouissance importe davantage à tous les citoyens dans leur vie privée.

Si ces individus sont sincèrement attachés à la France et à son gouvernement, s'ils ne sont pas mus par des vues que l'ambition, plutôt qu'un intérêt éclairé, pourrait suggérer, la justice qui leur sera offerte devra les satisfaire. La politique et la prudence conseillent de la circonscrire dans ces limites. Il dépendra de leur conduite que le monarque daigne abréger le temps d'épreuve auquel ils devront être soumis pour être élevés au rang de citoyens.

Pourquoi, d'ailleurs, ne le dirions-nous pas? Le nom français, malgré nos fautes et nos désastres, reste à une assez grande hauteur pour qu'on souhaite de le mériter et de l'obtenir.

Sans doute la richesse est une partie de la puissance; sans doute la richesse s'accroit par l'industrie des habitants, sans doute les nombreux capitaux excitent et fécondent les entreprises et le commerce;

Mais il nous faut surtout des cœurs français; et l'honneur d'appartenir à une nation qui sera toujours grande est bien digne d'exciter l'émulation des âmes généreuses et élevées.

Je vote pour l'adoption des deux premiers articles du projet de loi, et j'ai l'honneur de proposer à la Chambre que l'article 3 soit modifié ainsi que je l'ai expliqué.

En voici la nouvelle rédaction :

Art. 3. A l'égard des individus nés et encore domiciliés dans les départements, qui, après avoir été réunis à la France par des traités et des actes solennels, consentis par les habitants de ces départements, et ratifiés par les puissances sous la domination desquelles ils avaient existé, et qui en ont été séparés par les derniers traités, ils auront la permission de s'établir dans le royaume, à charge par eux de déclarer, dans le délai de trois mois, à dater de la publication de la présente loi, qu'ils ont l'intention de se fixer en France Ils devront y avoir transporté leur résidence dans l'année qui suivra cette déclaration, a peine d'être déchus de droit de cette faculté. Ils ne pourront exercer les droits de citoyen français qu'après avoir rempli la condition de résidence prescrite par la loi du 22 frimaire an VIII, et avoir obtenu du roi des lettres de déclaration de naturalité, que le roi pourra néanmoins leur accorder avant les dix ans de résidence révolus.

M. Labbey de Pompierres (1). Messieurs, pour résoudre la question qui nous occupe, il ne Suffit pas de connaître les lois qui ont régi la naturalisation, soit antérieurement, soit pendant la Révolution; il faut encore examiner si ces lois sont applicables au cas qui se présente.

Avant la Révolution, un étranger ne pouvait Devenir Français sans obtenir des lettres de naturalité, enregistrées dans une cour souveraine.

Cependant, une simple déclaration du prince Suffisait pour les habitants d'Etats ayant des rapports d'affiliation avec la France; ce sont les termes de M. le rapporteur de la commission.

On voit que déjà il régnait une distinction, et qu'on était d'autant moins sévère envers les indiVidus, qu'on avait eu plus de relations particuières avec eux.

Une ordonnance du Roi augmenta encore la facilité de la naturalisation. On put l'acquérir, sans formalité, par des services rendus.

Cette ordonnance, citée par un de nos collègues, non comme un titre en faveur des départements réunis, mais comme une preuve que le gouvernement français savait apprécier les services rendus, a servi de prétexte à M. le rapporteur de la commission pour établir que les habitants des pays réunis ne pouvaient être admis à jouir, en ce moment, des droits civils en France.

Cette ordonnance, a-t-il dit, est une exception; mais l'exception suppose la règle donc il en xistáit une qui prescrivait le mode de naturalisation.

Ce raisonnement est très-juste, sans doute, mais on ne peut l'opposer qu'aux étrangers. Or, les habitants des pays réunis sont-ils des étraners? M. le rapporteur aurait dù le prouver, il ne la pas fait; j'oserai dire plus, il ne l'a pas pensé; car il s'exprime en ces termes : Les habitants de quelques départements ont presque cessé d'étre Français sans pouvoir, toutefois, étre précisément assimilés à de véritables étrangers.

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur : nous le publions in extenso.

Ici la vérité l'emporte sur l'opinion; elle la soumet.

Pouvait-il, en effet, assimiler à des étrangers des peuples qui, depuis plus de vingt années, étaient reconnus Français par toutes les puissances de l'Europe? Pouvait-il, surtout, assimiler à des étrangers celui qui, né sous la domination française, y a acquis sa majorité? Si donc les habitants des départements réunis ne peuvent être assimilés à des étrangers, les lois qui concernent les étrangers ne leur sont point applicables.

Un autre orateur a accusé de stérilité cette ordonnance; il a prétendu qu'elle n'avait été d'aucune utilité à la France, qu'aucun étranger de marque n'en avait profité.

Cet orateur a été mal servi par sa mémoire, en cette occasion. Il est trop instruit pour ignorer que les Lowendal, les Saxe, les Berwick, les Rosen, les Dillon, les Macdonald et beaucoup d'autres célèbres dans les armes, dans les sciences et dans les arts, n'eurent jamais besoin d'autres titres de naturalité que celui qui leur était assuré par cette ordonnance.

Mais je sens que je m'écarte de mon sujet, et je me hâte d'y revenir.

On voit que les lois anciennes ne concernent que les étrangers; qu'elles facilitent, qu'elles établissent même la naturalisation pour ceux qui, ayant bien mérité de la France n'avaient cependant jamais cessé d'être étrangers.

Ces lois peuvent donc être opposées aux habitants des départements réunis, qui, on ne peut le nier, ont été Français.

Par la même raison, on ne peut leur opposer ni l'article 13 du Code civil, ni la loi du 22 frimaire an VIII. Ces lois ne concernent que les étrangers, elles ne prévoient point les circonstances où nous nous trouvons, circonstances tout à fait neuves dans l'histoire moderne.

Si, ni les lois anciennes, ni les lois nouvelles n'ont réglé le sort de la question qui nous occupe, quelle autorité doit nous servir de guide? La prudence veut que nous avons recours aux publicistes, aux jurisconsultes célèbres qui, de tout temps, ont éclairé et souvent décidé les questions d'Etat.

On lit dans le Traité des Personnes, de Pothier: Lorsqu'un pays conquis est rendu par un traité de paix, les habitants changent de domination..... » Ils peuvent, cependant, conserver la qualité et les droits de citoyens, en venant s'établir dans une autre province de la domination française; car, comme ils ne perdraient la qualité de citoyens qui leur était acquise en continuant de demeurer dans la province démembrée ou rendue par le traité de paix, que parce qu'ils seraient passés sous une domination étrangère, et qu'ils reconnaîtraient un autre souverain; il s'ensuit que s'ils restent toujours sous la même domination, s'ils reconnaissent le même souverain, ils continuent d'être citoyens, et demeurent dans la possession de tous les droits attachés à cette qualité.

Denizart, chapitre de la Naturalisation, paragraphe 16, s'exprime ainsi :

«Les étrangers, dont le pays est conquis, sont de droit réputés naturalisés, s'ils restent sous la domination du Roi, sans qu'ils aient besoin de lettres cette espèce de naturalisation ne s'efface même point si, lorsque par des traités particuliers, les pays conquis retournant à l'ancien souverain, les habitants viennent fixer leur demeure en France. »

Il résulte de ces opinions que par suite de con

quête, on devient citoyen en restant dans son domicile, en se soumettant aux charges, et participant aux droits de tous.

D'où il suit que la qualité de citoyen, une fois acquise, ne peut se perdre que de la même manière.

Ainsi, dans l'espèce, celui qui, né dans les départements réunis, y restera, perdra sa qualité de citoyen français dès que le temps fixé par la loi pour le quitter sera écoulé. Et celui-là, au contraire, la conservera, qui aura transporté son domicile dans les limites de la France, dans le délai prescrit.

En adoptant l'opinion de ces jurisconsultes, je ne porterai pas mes conclusions aussi loin qu'eux. Je pense que la loi peut exiger une déclaration de ceux qui, voulant rester Français, transportent leur domicile en France.

Je ne prétendrai pas non plus que cette déclaration suffise pour leur conserver les droits politiques, parce que, quoique ce soient les vrais principes, l'ordonnance du 4 juin en ayant décidé autrement, je ne me permettrai pas de solliciter une disposition contraire.

J'adopte donc les exceptions proposées par notre collègue Raynouard.

Je propose, de plus, à la Chambre d'amender l'article 3 ainsi qu'il suit :

« A l'égard des individus nés et encore domiciliés dans les départements, qui, après avoir fait partie de la France, en ont été séparés par les derniers traités, et qui ne sont pas compris dans les exceptions ci-dessus, ils conserveront la qualité de Français, en faisant leur déclaration dans le délai de trois mois, à dater de la publication de la présente loi, et en transportant leur domicile en France, dans le terme fixé par le traité de paix.

«Ils jouiront alors des droits civils, mais ils ne pourront exercer leurs droits politiques qu'après avoir obtenu des lettres de naturalité. »

M. Lefaucheux (1). Messieurs, tous ceux qui ont parlé dans cette tribune sur la question qui nous agite, ont invoqué tour à tour les principes du droit public ou ceux du droit des gens.

Les uns, c'est pour vouloir que, sans examen et sans formalités, on reconnaisse comme citoyens français tous les habitants des pays reconquis ou séparés de la France par le traité de paix, qui désireraient redevenir ou rester Français.

Les autres, c'est pour demander qu'ils soient assujettis à des déclarations, à des règles, à des épreuves préliminaires, avant d'obtenir une concession aussi importante.

C'est vraiment, Messieurs, un mot bien heureux, un instrument bien commode et bien flexible que ce mot de principes, puisque chacun l'applique à son gré, puisque chacun en use selon le besoin de l'opinion qu'il veut faire triompher.

Mais moi, Messieurs, pour qui toute considération qui n'a pas la patrie pour unique objet n'est rien, moi, qui ne suis ému que par l'intérêt public, devant qui tous les intérêts privés ou étrangers doivent disparaître, j'ai aussi pour principe ce vieil adage que le salut de la patrie est la suprême loi;

Qu'il ne faut jamais rien faire qui puisse compromettre sa sûreté ou sa tranquilité;

Qu'on doit surtout bien se garder de courir les risques d'ajouter de nouveaux levains de discorde

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur : nous le reproduisons in extenso.

à tous ceux qui pourraient encore exister er France, après cette épouvantable révolution qui s'est prolongée sous tant de formes, et dont contre-coup s'est fait ressentir dans toute l'Erope.

C'est donc, Messieurs, en vertu de ce principe qui est avoué par tous les bons esprits, c'est au nom de la raison et de la prudence que je viens vous supplier de considérer que la foi proposes par le Roi, adoptée par la Chambre des pairs, et amendée par votre commission, contient tout ce qu'une nation généreuse, mais prévoyante, tour ce qu'un gouvernement juste, mais circonspect peuvent accorder à des étrangers qui ont quelques droits à un souvenir bienveillant.

Cette loi n'appelle pas, il est vrai, tous les étrangers en masse et indistinctement, mais aussi elle n'en repousse aucun, et c'est avec sagess qu'elle confie au Roi le droit d'accorder où de refuser, parce que ses relations intérieures extérieures sont telles, qu'il n'y a que lui qu puisse faire une juste distinction des demandes qui peuvent être accueillies avec utilité, de celles qui ne pourraient l'être sans danger ou sans inconvénient pour le repos public ou l'ordre

la société.

Je vote pour l'adoption de la loi avec l'ame dement proposé par la commission.

M. Silvestre de Sacy (1). Messieurs, je n'aura point demandé la parole dans la discussion inportante qui occupe la Chambre et qui a done lieu à des débats très-prolongés, s'il ne m'ava paru qu'aucun des orateurs qui m'ont précede a la tribune n'avait suffisamment développé les avantages de l'amendement proposé par la cour mission, avantages tels que, à mon avis, ils surpassent ceux qui résulteraient des amendement que M. Raynouard désire que la Chambre y substitue. C'est ce que j'espère faire voir en très-peu de mots. Mais auparavant je dois fixer l'attentice de la Chambre sur une réflexion que la discussion m'a suggérée, et qui peut influer sur la de libération.

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Tant que les orateurs, qui ont défendu les amer dements proposés par M Raynouard, ont elab leur opinion sur des principes généraux de dru public, il a été facile de s'apercevoir, en compa rant les principes par eux invoqués avec les con séquences qu'ils en tiraient, que les principes étaient trop vastes, ou les conséquences trop res treintes. Sí, en effet, comme on l'a avancé, réunion, prolongée pendant plusieurs années, des départements étrangers, aujourd'hui séparés d la France, a suffi pour acquérir à leurs habitants les droits de citoyen français, et que le trait de paix, qui les a séparés de la France, n'a pu leur enlever ce droit même une fois acquis comment peut-on proposer des amendements dont l'effet certain, en accordant la conservation de cet avantage à quelques classes particulières, est de l'enlever à tous ceux qui ne seront pas compris dans ces classes favorisées ? Et d'arleurs, ne faudrait-il pas en faire jouir aussi ceux qu'une force majeure, et non une libre détermi nation de leur volonté, aurait séparés de France, avant dix années révolues de réunion? Mais si l'on n'a pas osé tirer du principe la consquence rigoureuse qu'on devait en déduire, et à un droit on s'est contenté de substituer une fi veur, n'est-ce pas un des plus fort arguments qu'on puisse faire valoir contre le principe mêm

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur: nɔz le publions in extenso

Je suis d'autant plus fondé à le penser, que l'un des orateurs qui à parlé en faveur de ces amendements a paru abandonner le principe, pour se borner à vous présenter des considérations.

En me saisissant aujourd'hui de cette importante concession, et ne considérant plus les amendements de M. Raynouard que comme des dispositions de faveur et de convenance, je ne crains point de dire que l'amendement de la commission atteint le même but, et l'atteint mieux, plus complétement, et sans aucun des inconvénients qu'on peut craindre dans l'autre hypothèse. Je dis qu'il l'atteint mieux, parce qu'une faveur accordée à tous ceux que des services militaires, des fonctions publiques dans les administrations civiles, ou des avantages procurés aux fabriques et à l'industrie française, auraient attachés d'une manière plus spéciale à notre patrie, n'aurait pas, pour ceux qui y participeraient, le même prix que celle qui ne serait accordée que d'après des Considérations individuelles, et porterait, par consequent, avec elle-même un témoignage honorable de la reconnaissance de la patrie adoptive envers ceux qui seraient ainsi admis dans son sein.

Je dis, en second lieu, que l'amendement proposé par la commission atteint plus complétement le but désiré; et il est facile de l'apercevoir, puisque ce ne serait pas seulement aux militaires, aux fonctionnaires civils et aux fabricants qué la qualité de citoyen français pourrait étre accordée dans un délai plus ou moins rapproché, mais que le jurisconsulte, que l'homme de lettres, le savant, l'artiste distingué, le négociant, le propriétaire même qui aurait mérité et désirerait obtenir cette faveur importante, pourrait y prétendre.

Je dis enfin que l'amendement de la commission n'offre point les inconvénients que pourraient présenter ceux qu'on veut y substituer. Je ne diral point que sous tous les gouvernements, le mérite n'est pas toujours ce qui mène aux emplois publics; mais je dirai hardiment que, sous le précédent gouvernement, il est arrivé plus d'une fois que des étrangers appelés aux grandes fonctions de l'administration avaient, pour prinripale recommandation, un dévouement sans bornes à un pouvoir absolu; dévouement peu utile certes à leurs administrés, et dont le principe était, on peut le dire sans danger, quand on se renferme dans une assertion générale, bien plus dans des intérêts particuliers, dans des vues ambitieuses, dans les projets de l'intrigue, que dans un véritable attachement pour la nouvelle patrie à laquelle ces administrateurs appartenaient par le droit de conquête. D'après cette simple observation, laquelle je ne me permettrai pas de donner un plus grand développement, mais dont chacun peut sentir l'importance et les résultats, je soutiens qu'il est à souhaiter, pour intérêt de la France, que la faveur dont il s'agit ne soit accordée qu'en connaissance de cause, et non par des dispositions générales.

à

Je demande donc la priorité pour l'amendement proposé par la commission."

M. Flaugergues (1). propose de mettre en tête de la loi, et par amendement, les deux articles suivants :

Art. 1er. Les habitants des départements séparés de la France par le traité du 30 mai dernier, mais qui lui avaient été réunis antérieurement au

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur: nous le publions in extenso.

traité d'Amiens, s'ils veulent continuer à rester Français et à jouir des priviléges de ce titre, seront tenus d'en faire la déclaration dans le délai de six mois après la publication de la présente, et de fixer leur domicile en France, dans le délai d'un an à partir de la même époque s'ils laissent expirer ces délais sans remplir ces conditions, ils seront traités comme étrangers.

Art. 2. Les habitants des départements séparés de la France par le traité du 30 mai dernier, mais qui lui avaient été réunis postérieurement au traité d'Amiens, qui voudraient devenir Français, seront traités d'après les dispositions suivantes.

M. Flaugergues pense que les dispositions du projet de loi peuvent convenir à ces derniers; mais il demande à proposer les amendements convenables pour la rédaction quand la loi sera votée article par article.

M. Tuauit (1). Messieurs, une même cause peut produire des effets différents. MM. Raynouard, Dumolard et Flaugergues ont appuyé leur opinion d'ajouter aux facilités proposées à la naturalisation des étrangers en France, sur les vertus de nos anciens collègues séparés de nous par le dernier traité de paix, et c'est précisément sur le patriotisme distingué de ces messieurs (la première de toutes les vertus politiques), que j'appuie mon opposition à cette augmentation de facilité, tout en partageant les regrets de la Chambre entière de leur séparation. Le sort de la guerre nous les avait donnés; il nous les a enlevés.

L'amour de la patrie, Messieurs (quand il n'est pas élevé à l'exagération, car ce qui est violent est sujet à durer peu), est un sentiment indélébile chez toutes les nations; il le fut dans tous les siècles, il s'accroit avec l'âge on ne peut se créer une patrie; l'ubi bene, ibi patria est d'un égoïste révoltant. Le vieillard cultivera encore les amis de son adolescence, de l'âge mûr, mais hélas ! il ne s'en fera plus, ou du moins peu de personnes auront ce bonheur; les vieillards vivent de leurs souvenirs; très-peu héritent de leur jeunesse; on aime, en approchant de sa tombe, à voir les lieux témoins de son enfance, de ses premiers plaisirs, même de ses chagrins, car il est une sorte de jouissance dans la mémoire de ses peines on désire (si je puis me permettre cette expression patriarcale) d'être enterré près du lieu où l'on naquit. Les habitants des zones glaciales et torrides verseront des larmes, mourront peut-être ou frémiront de rage, si vous enlevez les premiers à leurs glaçons, et les derniers à leurs sables brùlants. On sait cette réponse des Algonquins: « Dirons-nous aux ossements de nos pères de se lever et de nous suivre dans une « terre étrangère ? » Toujours on aima, on aime, et on ne cessera jamais d'aimer son pays: vous avez vu, Messieurs, l'empressement des émigrés à rentrer en France, quand ils ont cru le pouvoir faire suivant leurs opinions; le plaisir avec lequel ils ont été accueillis: il me semble voir partout la paix et la justice resserrant des liens de famille, qui jamais n'eussent dû être relâchés; la loyauté de nos généraux et de leurs soldats, dont les victoires ont élevé la réputation des armes françaises au sommet de la gloire, démontre que toujours ils ont combattu pour leur patrie et non pour des chefs transitoires, successivement investis du pouvoir absolu.

Jugeons, Messieurs, les autres nations d'après

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Monitenr: nous le publions in extenso."

crois indépendamment de la bonté de notre soi. de la beauté de notre climat, le caractère affabli des habitants peut inspirer le désir de vivr parmi eux à des êtres de mœurs analogues. ignorant peut-être encore à quel souverain là pc

leur patriotisme ainsi que pour leur amour de la liberté sans licence; mais une guerre malberreusement possible pourrait devenir une fatale pierre de touche.

la nôtre; aucune, je crois, ne s'en plaindra : supposons-nous naturalisés en Belgique, et y exerçant des fonctions publiques; s'il survenait une guerre entre les deux Etats, serionsnous bons Belges? Non, Messieurs, tôt ou tard l'instinct naturel l'emporterait, ou nous éprouve-litique les livrera, et cités dans l'histoire pou rions une sorte de remords: demandez-le aux émigrés; ils gémissaient, chez l'étranger, des maux dont notre patrie commune était accablée; ils attendaient un moment favorable pour y rentrer les victimes restées derrière eux, par tendresse paternelle, piété filiale, faute de fonds ou autrement, souriaient quelquefois ou dans les prisons, non des malheurs du royaume, mais de l'erreur de ceux qui les causaient. Chacun cherchait à rendre la paix à son pays par les moyens les plus convenables à ses yeux.

S'il nous était permis de consulter le Roi luimême, il nous le dirait avec attendrissement; le plus beau jour de sa vie fut celui où il put enfin, sur sa terre natale, recevoir en personne, dans ce sanctuaire, les bénédictions des grands de son royaume et des députés de son peuple; se retrouver au sein de cette grande famille, dont il est le chef suprême. Louis le Grand eut pour devise un soleil; mais il ne sortait pas d'un nuage épais; il n'annonçait pas le calme après la tempêté; ne brillait pas de tout son éclat; ne lançait pas de toutes parts la paix et le bonheur. Son exergue: Par pluribus (1), ne valait pas celui de Louis le Désiré Ex nube clarior exit.

Qui, Messieurs, dans l'Europe, ou dans le monde (car Voltaire se lit partout), n'a pas admiré ce superbe vers que lui dicta la nature:

A tous les cœurs bien nés, que la patrie est chère?

Qui d'entre nous ne se souvient pas avec plaisir de la douce émotion qu'il éprouva à la première lecture du Nos patriam fugimus, ou du Dulces moriens, au souvenir d'Argos en expirant? ou des petits vers du plus gai et du plus triste, du plus tendre et du plus voluptueux des poëtes latins, auquel on n'a reproché que d'avoir trop d'esprit, défaut dans lequel tombent rarement les critiques le Ter limen tetigi, tableau touchant de l'obéissance, conduisant le malheureux exilé trois fois sur le seuil de sa porte, et de la nature le ramenant dans son intérieur; du devoir lui faisant le signe impérieux de partir, et de l'humanité retenant ses pieds engourdis, et lui commandant, de l'œil, de rester?

:

Oui, Messieurs, ce sentiment d'attachement pour les lieux qui renferment ce qui nous fut, ce qui nous est le plus cher, ne s'éteint jamais dans le cœur de l'homme un étranger ne nous montre souvent que le masque du patriotisme cette plante exotique ne résistera pas à une forte gelée; elle ne donnera pas de fruits.

Loin de moi la pensée de m'opposer à la naturalisation d'étrangers qui ont témoigné leur attachement à la France, sous les gouvernements intermédiaires; mais, rappelons dans notre mémoire les batailles de Bouvines, d'Azincourt, de Crécy contre qui combattions-nous? Supplions Sa Majesté, dans les termes de notre commission, de ne pas exposer le bonheur de ses sujets par une confiance trop multipliée aux sujets d'une autre puissance; de ne pas oublier que les préjugés nationaux sont les frères naturels du patriotisme.

Les Belges désirent le droit de naturalité ; je le

(1) Le véritable exergue de Louis XIV est: Nec pluribus impar.

Messieurs, un émigrant ressemble à un voyageur de long cours, à un vieillard, à un agonisant. S'ils sont froids, égoïstes, ils diront un adieu se à ceux qu'ils quitteront s'ils sont sensibles, religieux (et les Belges le sont autant que nous ils diront à leurs amis: A revoir... Que cet à reco renferme de choses, Messieurs, je résiste à tentation de les détailler devant une assemble aussi bien composée on peut le prononcer avec courage, sans tristesse, même le dernier : el s l'affaiblissement, précurseur de la fin de l'homm lui arrache une larme, consultons tous notr. propre cœur, il nous dira qu'elle sera pour famille, pour son Roi et pour sa patrie.

Tout en partageant les sentiments d'estime. d'amitié, de regret de nos anciens collègues, qu ont motivé les propositions des nouveaux amer dements, j'opine pour leur non-admission, ti j'adhère en tout au rapport de la commission.

M. Fornter de Saint-Lary (1). Messieurs, les discussions relatives au droit de cité n'ont de l'importance que chez les peuples libres; elles y ont occasionné souvent des dissensions civiles. quelquefois même des guerres sanglantes.

On sait avec quelle sollicitude les peuples de la Grèce veillaient à la conservation de ce dro sacré, et combien ils s'en montraient jaloux.

Les prétentions des principales villes de l'Ital aux priviléges des citoyens romains donnèrent naissance à la fameuse guerre sociale, qui coûta à la république plus de trois cent mille hommes. la perte de deux consuls et celle de plusieurs grands personnages. Cependant, Montesquieu of serve, à ce sujet, qu'en accueillant trop légèrement le vœu des confédérés, le Sénat prépara les usurpations de Marius, de Sylla, de César, et la ruine de la liberté!

Ces discussions furent souvent la cause des troubles et des commotions qui agitaient les répu bliques italiennes du moyen âge, où les guerres, moins sanglantes que les dissensions civiles, étaient ordinairement terminées par le poignar lorsque l'épée les laissait indécises.

Quels que soient les résultats de la discussion qui nous occupe, on a pu observer que les prin cipes les plus libéraux et les intentions les plu loyales avaient également dicté les opinions de: partisans du projet de la commission et celle de ses adversaires.

Ces derniers prétendent que des hommes qu ont été déclarés citoyens par les lois, d'après leur consentement librement exprimé, qui, pendan vingt années, n'ont cessé de remplir leurs devoirs et qui ont été séparés de leur patrie adoptive par des événements aussi extraordinaires qu'impre vus, ne doivent pas être rejetés par elle lorsqu'is réclament des droits acquis au prix de tant de sacrifices. Ils protestent contre les dispositions d'une loi qui leur impose de nouvelles obligation pour obtenir un titre qui, selon eux, n'a jamai cessé d'exister; et déplaçant la question pose

(1) Ce discours n'a pas été inséré au Moniteur : nou le publions in extenso:

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