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la commission qui, dans cette affaire, décide le jugement | de la Chambre; il aurait remarqué: 19 que M. Pictet, né à Genève, avant la réunion temporaire de cette république, n'était pas ainsi né Français; 20 qu'on ne peut siéger parmi les pairs ou les députés, sans cette condition de naissance ou des lettres de naturalisation extraordinaire, vérifiées dans les deux Chambres; 3o enfin, que M. Pictet, depuis le traité qui a rendu Genève à son indépendance, prétendait pouvoir cumuler la qualité de Français avec celle de membre du conseil souverain de cette république.

Y a-t-il sérieusement quelque rapport entre la situation particulière de M. Pictet et la demande générale des habitants des provinces temporairement réunies? Ceux-ci offraient d'opter et de transporter, dans l'ancienne France, leur domicile et leurs propriétés; il n'etait pas question du privilége de siéger dans les deux Chambres. ae respecte la décision prise aujourd'hui, mis je persiste, sans contradiction, dans l'opinion que j'ai émise, el celle que je prononçai relativement à M. Pictet.

L'impression du discours de M. Dumolard est ordonnée.

On demande de nouveau à aller aux voix.

M. Ollivier reproduit les arguments qu'il a déjà employés pour soutenir l'avis de la commission dont il était l'organe, savoir le retour naturel à l'état primitif par l'effet d'une nouvelle conquête. Il va même jusqu'à soupçonner la réalité de l'assentiment des peuples ci-devant réunis à la France, et à prétendre qu ils avaient le désir de recouvrer leur titre originaire. Ils l'ont repris, poursuit M. Ollivier; et les droits politiques qui en sont la conséquence, ne peuvent s'exercer dans deux pays à la fois; ce qu'ils ont regagné d'un côté, ils doivent l'avoir perdu de l'autre. Ce qu'il trouve vrai par l'effet de la conquète, lui paraît bien plus incontestable encore pour le cas de restitution.

Le rapporteur juge différemment qu'on ne l'a fait du sens de l'article 17 du traité du 30 mai. Les auteurs de ce traité n'ont point prétendu, ditil, que les habitants des provinces séparées de la France soient restés sujets français; et, se reportant aux articles subséquents dont il fait lecture, la preuve de son opinion lui paraît confirmée avec plus d'évidence encore. L'article 17 ne donne pas même, selon lui, à ces habitants, le droit indéfini de redevenir Français, mais un droit vague et général de se retirer partout où ils voudront, et pas plus en France qu'ailleurs; autrement on aurait dit s'établir. Il ne s'agit donc que de résidence, sans aucune idée de qualité positive.

M. Ollivier n'admet point la distinction qu'on a voulu faire entre les habitants de la Belgique et les autres peuples ci-devant réunis. Ils les reconnaît tous comme devenus étrangers d'après le traité comme d'après le droit public. Les formalités qu'on exige d'eux pour les naturaliser Français ne présentent point d'effet rétroactif, la loi fes prenant dans leur état d'extranéité actuelle.

L'orateur justifie de nouveau les dispositions de la loi amendée par la commission. Elle n'a point pour but d'écarter ceux qui auraient l'intention de redevenir Français, mais de ne les admettre qu'avec le discernement de la sagesse, en graduant la faveur sur le dégré du mérite, au lieu que l'égalité serait au fond une souveraine injustice. Elle laisse au monarque, juste appréciateur de ce mérite, le droit de récompenser les services rendus. Cette noble attribution envers des personnes qui ont cessé d'être sujets de la France, sera-t-elle refusée à celui qui dispense les encouragements et les récompenses aux Français qui ont bien mérité de la patrie, ou cherchent a lui être utiles?

Pour répondre à ceux qui paraissent ne redouter aucun résultat fâcheux du nombre d'étranger qui afflueraient en France, en disant que les lois sauront punir quiconque troublerait l'ordre public, M. Ollivier objecte qu'il est bien plus raisonble de les prévenir. Vaul-il mieux accueillir ces étrangers sans choix, sans discerne nent? Tout doit porter à adopter le projet de loi, et l'exemple du passé et celui d'un gouvernement que l'on a souvent cité comme modèle. Ne craignons pas, ajoute M. Ollivier, ne craignons pas que les belles actions restent jamais chez nous sans récompense. On ne fera jamais ce reproche à la France. qui a fourni des exemples si éclatants de munificence nationale.

Plusieurs voix. Appuyé!

Beaucoup de membres demandent que l'on ferme la discussion.

M. le Président. Deux membres seulement sont inscrits pour la parole: MM. Hardouin et Soucques... Notre collègue Flaugergues me fan observer que le rapporteur ne doit pas être entendu le dernier dans la discussion; je dois dire que MM. Hardouin et Soucques doivent parler contre le rapport. J'exécuterai ce que l'Assemblée décidera.

On demande de toute part la clôture de la discussion.

L'Assemblée décide que la discussion est fermée, et qu'elle va délibérer.

M. le Président résume ainsi la discussion: Peu d'observations ont été faites sur les deux premières dispositions du projet de loi. C'est sur P'article 3 que les objections se sont multipliées. Il est nécessaire de délibérer d'abord sur les amendements de cet article, parce que s'ils soal adoptés, ils influent sur les deux premiers articles.

La commission a proposé un amendement qui confère au Roi la faculté d'accorder des lettres de naturalité aux habitants des pays réunis, quelle que soit l'époque de la réunion, leurs conditions. Jeurs qualités.

M. Raynouard a combattu l'amendement; l n'accorde par la naturalité à tous les habitants sans distinction; il propose trois exceptions, et il ne veut de lettres de naturalité dans aucun de ces cas; c'est surtout en faveur des Belges qu'il reclame.

Beaucoup de membres ont adopté son avis. regardant la Belgique comme naturalisée.

Ces amendements ont été modifiés par plusieur membres.

M. Flaugergues, adoptant la loi pour les pays réunis depuis le traité d'Amens, a expose que tous les habitants réunis par ce traité devaient rester Français, en faisant une déclaration dans les délais qu'il indique.

MM. Bouvier et Delhorme se sont réunis à l'opinion de M. Flaugergues.

M. de Pompières, comme la commission, ne fixe aucune époque de réunion; il distingue entre les droits civils et les droits politiques, ou la qualité de citoyen français. Pour les droits civils, leur déclaration suffira; pour les droits politiques, s n'en jouiront qu'après avoir obtenu de la loi de lettres de naturalité.

De tous ces amendements, même de celui de la commission, il résulte le vœu de conserver les droits de Français, s'ils les réclament, a ceux qui ont longtemps habité les pays réunis à la France; on ne diffère que sur le mode.

Ainsi il y a quatre opinions principales: la commission, MM. Raynouard, Flaugergues, Labbey

de Pompières. A laquelle de ces opinions donnera i-on la priorité?

Il est naturel de mettre d'abord aux voix celle de la commission. Si l'assemblée la rejette, elle prononcera successivement sur les autres amendements.

Je vais mettre aux voix l'amendement proposé par la commission.

M. Flaugergues pense que la priorité doit être déterminée par la nature de l'objet a résou⚫ dre, et non d'après sa date.

M. le Président. J'observe que dans toutes les assemblées délibérantes cette question a toujours éprouvé des difficultés; chaque opinant voulant donner la préférence au sentiment qui lui est propre, il y aurait alors priorité sur priorité. Pour lever cet inconvénient, il est plus naturel de soumettre à la Chambre la priorité pour l'amendement de la commission.

La Chambre, consultée, décide la priorité en faveur de la commission.

M. le Président lit l'article 3 du projet et ensuite l'amendement de la commission, qui est adopté par la Chambre.

M. le Président. Si les autres amendements sont contraires à celui de la commission, je pourrais me dispenser de les mettre aux voix.

M. Emeric David. J'ai l'honneur d'observer que les autres amendements accordent davantage que celui de la commission. Nous avons voté le moins, il faut passer maintenant à ceux qui ont demandé le plus.

M. d'Estourmel pense que l'adoption de l'amendement de la commission écarte tous les autres, et demande la question préalable.

M. Dedoch ne croit point la Chambre liée par cette première adoption, d'autant plus que les amendements de MM. Raynouard, Flaugergues et Pompières ne sont point incompatibles avec celui de la commission, et qu'ils accordent davantage. Vous serez, dit-il, conséquents et justes.

M. Flaugergues appuie et motive l'observation de MM. Emeric David et Bedoch.

M. le Président pense que les amendements de MM. Flaugergues et Pompières seraient incompatibles avec celui de la commission, mais qu'il n'en est pas de même de ceux de M. Raynouard: qu'au reste la Chambre décidera du sort des uns et des autres en délibérant sur la question préalable.

Cette question, mise aux voix, paraît décidée affirmativement. Néanmoins le bureau, sans avoir précisément de doute, désirerait que l'épreuve fût renouvelée.

La Chambre s'en rapporte à la décision de son président.

Elle vote ensuite sur chacun des articles du projet de loi, en y comprenant l'amendement de la commission pour l'article 3. Ils sont tous adoptés.

Alors la délibération a lieu au scrutin secret, sur l'ensemble de la loi proposée.

Sur 193 votants, il y a 139 boules blanches contre 54 boules noires.

M. le Président prononce que la Chambre apopte la loi.

La séance est levée et ajournée à samedi.

CHAMBRE DES PAIRS.

PRÉSIDENCE DE M. LE CHANCELIER.

Séance du 1er octobre 1814.

A deux heures, la Chambre se réunit en vertu

de l'ajournement porté au procès-verbal de la séance du 27 septembre dernier.

L'Assemblée entend la lecture et approuve la ré daction de ce procès-verbal.

M. le Président annonce que depuis la dernière séance, il a reçu deux messages de la Chambre des députés, contenant envoi de résolutions prises par cette Chambre les 20 et 21 du mois dernier. Il fait donner lecture à l'Assemblée, par un de MM. les secrétaires, tant de ces messages, en date des 30 septembre et 1er octobre 1814, que des résolutions jointes à l'une et à l'autre, et dout la première, datée du 20 septembre, est relative à l'exportation des laines et béliers provenant des troupeaux merinos français, le second, en date du 21, tend à modifier la loi du 16 septembre 1807, relative aux attributions de la cour de cassation.

Lecture faite de ces pièces, M. le Président ordonne, conformément à l'article 15 du règlement, qu'elles seront imprimées et distribuées aux bureaux, ainsi qu'à chacun des pairs à domicile (Voy. plus haut le texte de ces résolutions, page 679).

L'ordre du jour appelle le renouvellement des bureaux, conformément à l'article 60 du règle

ment.

L'assemblée arrête que le résultat du tirage au sort qui vient d'avoir lieu sera consigné au procès-verbal de ce jour.

Elle se divise ensuite en bureaux, sur l'invitation de M. le Président, pour nommer dans chaque bureau un président, un vice-président, un secrétaire, un vice-secrétaire et un membre du comité des pétitions.

M. le Président observe que les bureaux, après avoir procédé à ces nominations, pourraient s'occuper de l'examen des résolutions communiquées à la Chambre dans cette séance, et dont les dispositions sont connues par les exemplaires de P'une et de l'autre, qui font partie des distributions envoyées par la Chambre des députés.

L'Assemblée arrête qu'elle s'occupera de la première de ces résolutions.

La séance est suspendue jusqu'après les opérations des bureaux.

Ces opérations terminées, la Chambre se réunit. M. le Président annonce à l'Assemblée que, d'après les notes qui lui ont été remises par le secrétaire de chaque bureau, les six bureaux dans lesquels la Chambre se partage ont fait les nominations suivantes :

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Les membres nommés pour former ce comité sont: MM. le comte Pastoret, le maréchal duc de Tarente, le comte Cornudet, le comte de Valence, le comte Cornel et le comte de Pontécoulant.

L'Assemblée ordonne l'impression et la distribution tant de l'état nominatif des membres attachés à chaque bureau, que des nominatiens faites par chacun des six bureaux.

M. le Président annonce ensuite que les bureaux s'étant occupés de la résolution relative à l'exportation des laines et béliers provenant de troupeaux mérinos français, il va consulter l'Assemblée pour savoir si elle veut ouvrir la discussion ou nommer une commission spéciale pour lui faire son rapport.

La Chambre, consultée, arrête qu'il sera nommé une commission spéciale de cinq membres.

Avant d'ouvrir le scrutin pour cette nomina-· tion, M. le Président désigne, par la voie du sort, deux scrutateurs pour assister au dépouillement des votes. Les bulletins sont distribués et recueilils dans la forme accoutumée. Le nombre des votants était de 68. Le résultat du dépouillement donne la majorité absolue des suffrages dans l'ordre suivant: à M. le comte de Beurnonville, M. Je maréchal comte de Gouvion Saint-Cyr, M. le comte Lecouteulx de Canteleu, M. le comte Garnier et M. le comte Dejean. Ils sont proclamés, par M. le Président, membres de la commission spéciale chargée de faire un rapport sur la résolution relative à l'exportation des laines et béliers.

La commission est invitée à présenter ce rapport mardi prochain, s'il est possible.

M. le Président lève la séance après avoir ajourné l'Assemblée au mardi 4 de ce mois à une heure, pour l'examen de la seconde résolution dans les bureaux, et à deux heures pour entendre, s'il y a lieu, le rapport de la commission spéciale sur la première et délibérer ensuite sur ce rapport.

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
PRÉSIDENCE DE M. LAINÉ.

Séance du 1er octobre 1814.

Le procès-verbal de la séance du 29 septembre est lu et adopté.

Il est rendu compte d'une pétition des fabricants de bouchons de lieg de Collioure, qui demandent que le droit sur les bouchons étrangers et particulièrement espagnols, soit augmenté.

Elle est renvoyée à la commission des pétitions.

L'ordre du jour appelle un rapport de la commission centrale sur le projet de loi relatif au mode et aux conditions de l'exportation des grains.

M. le chevalier Poyferé de Cère. Messieurs, rendre le mouvement et la vie à l'agriculture du royaume, rétablir la propriété dans ses droits en procurant au cultivateur la faculté d'utiliser le fruit de son travail; conserver un juste équilibre entre la classe industrieuse qui produit et la classe nombreuse qui consomme, tel était le difficile problème à résoudre pour établir avec sagesse et sur des bases fixes le mode et les conditions de l'exportation des grains.

Un projet de loi sur cette importante matière a été présenté, au nom de Sa Majesté, à la Chambre, par M. le ministre de l'intérieur, et une commission centrale a été chargée par vous de faire l'examen de ce projet. Je viens aujourd'hui, au nom de cette commission, vous soumettre le resultat de son travail.

Un principe lumineux énoncé dans les motifs qui précèdent la loi sur laquelle vous avez à prononcer, développe le système dans lequel cette loi tutélaire a été conçue. Ce principe établit :

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«Que la liberté d'exporter les blés doit être le droit commun de la France, en reconnaissant « néanmoins que cette liberté doit être restreinte << toutes les fois que le bien de l'Etat peut l'exiger »

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En effet, Messieurs, quel est celui de nous qui, avec la conviction que chacun a le droit de disposer à son gré des productions de son industrie, he convienne en même temps qu'il est des circonstances où le bien de tous peut exiger momentanément le sacrifice de cette faculté?

Par cette exception, le droit de propriété ne se trouve point blessé. L'exercice de ce droit ne saurait s'étendre à ce qui peut froisser les intérêts de la famille; ne serait-ce pas méconnaitre ses intérêts les plus chers, et livrer une population immense de consommateurs à l'incertitude et à l'avidité de spéculations étrangères, si l'on oubliait que,par une sage dispensation de nos ressources, la prévoyance doit la garantir des privations de

la disette?

Félicitons-nous, Messieurs, d'être arrivés à une époque où, libres de préjugés, mais éclairés par l'expérience, nous pouvons traiter de ces graves questions dans le calme qui prépare les règlements utiles, les lois éminement nationales; je dis éminement nationales, car une loi qui, dans un royaume essentiellement agricole, a pour objet de relever la culture, de multiplier la reproduction, d'intéresser même la propriété à la diminution du prix des subsistances, est le plus grand bienfait que la sagesse d'un souverain puisse offrir à ses peuples, et la pensée la plus libérale à laquelle les représentants d'une grande nation soient appelés à coopérer.

Ce n'est point ici une théorie vaine qui est présentée à vos méditations. Le premier effet d'une législation bien réglée sur le mouvement et sur le commerce des blés, est d'imprimer une action rapide à tous les ressorts de l'industrie rurale, d'ouvrir toutes les sources de produits, de vivifier tous les germes d'abondance.

Avec une telle législation, l'abondance n'est plus le fléau du cultivateur. Certain d'écouler le superflu de sa denrée, son intérêt le porte sans cesse à augmenter les quantités. La diminution du prix, suite nécessaire de l'augmentation des produits, est pour lui un motif de perfectionner ses cultures, et c'est dans les résultats mêmes de ce perfectionnement qu'il trouve le dédommagement de ses peines et la source de ses profit<

Une nation voisine nous a donné un mémorable exemple de ce que peuvent les bonnes lois

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L'Angleterre, après avoir souvent éprouvé dans le prix des grains, comme en France, de ces inégalités fâcheuses qui découragent le cultivateur, ou provoquent les clameurs du pauvre, adopta en 1660, sur le commerce des blés, un régime qui a été la principale cause de la prospérité de son agriculture.

Elle commença par permettre l'exportation des blés lorsqu'ils seraient à bas prix. Trois ans plus tard, elle osa doubler l'effet de cette permission, en accordant, par un acte du parlement, une prime à la sortie des grains, et assujettissant à un droit l'importation des blés étrangers; mais l'exportation fut sévèrement interdite, lorsque le blé serait parvenu à un certain prix.

Examinons quels furent les effets de cette mesure. Dans les quarante-huit années qui avaient précédé le bill sur l'exportation des grains, c'està-dire, depuis l'année 1646 jusqu'en 1689, le prix moyen avait été de 2 livres 10 sous sterling le quarter. (Cette mesure équivaut à peu près à 2 setiers de Paris, le setier pèse environ 240 liv.)

Pendant les quarante-trois années qui suivirent le bill d'exportation et la prime consentie par le parlement, c'est-à-dire depuis 1689 jusqu'en 1731, le prix moyen du quarter descendit à 2 liv. 5 s.

Enfin depuis 1731 jusqu'en 1754, le prix moyen du quarter descendit encore à 1 liv. 15 s. 8 den. Cependant dans une seule période de vingt ans, depuis 1725 jusqu'en 1745, les exportations s'élevèrent à plus de 750,000 setiers par année.

La surprise augmente lorsqu'on voit, par le tableau présenté en 1751 à la Chambre des Communes, que depuis 1746 jusqu'à la fin de 1750, les exportations de différentes sortes de grains s'élevèrent à plus de 10,850,000 setiers, et firent entrer, pendant ces cinq années, une somme de 170,335,000 liv. tournois, sur lesquelles il faut observerque la France paya pour sa part, 10,465,000 livres pour les blés qu'elle tira d'Angleterre en 1748, 1749 et 1750.

Il résulte donc avec la dernière évidence, par une série de faits établis sur une expérience de cent neuf années, qu'une exportation bien combinée, loin d'être nuisible, a pour effet immédiat et nécessaire d'encourager la culture, d'augmenter la reproduction, et en même temps de diminuer le prix des grains.

Avant d'entrer dans la discussion du projet de loi qui vous a été soumis, je vais indiquer un aperçu des principaux règlements qui, jusqu'à ce jour, ont existé en France, sur le régime et la police des grains.

A l'exception de quelques édits de circonstance presque aussitôt abolis que publiés, on trouve peu de lois générales sur cette matière avant le seizième siècle.

Une disettte survenue en 1566 provoqua l'attention du conseil. Il fut rendu une ordonnance à ce sujet le 4 février 1567.

On alla chercher dans le droit romain ce qui s'était pratiqué dans les temps calamiteux pour prévenir les inconvénients de la disette. De là F'esprit des lois romaines passa dans l'ordonnance de Charles IX, et s'est perpétué depuis dans les différents règlements qui ont eu le commerce des grains pour objet.

Pour prouver combien le principe qui avait dicté cette loi était vicieux pour la France, il n'est pas besoin de rappeler le genre d'intérêt que les patriciens, dans le temps de la république,

T. XII.

et ensuite les empereurs, avaient de tenir exclusivement en leurs mains l'approvisionnement général.

Une ordonnance de Henri III, en 1577, renouvela les principales dispositions de celle de Charles IX.

En 1699 parut l'ordonnance de Louis XIV; et ce qui est fait pour étonner, c'est que, dans un siècle si fécond en lumières et en améliorations de tout genre, cette ordonnance ne fit qu'ajouter un nouveau système d'entraves et de prohibitions à celles qui dérivaient des règlements antérieurs.

Enfin, vers le milieu du siècle dernier, les idées prirent une direction nouvelle. De fréquentes disettes s'étaient fait ressentir dans les temps qui avaient précédé, malgré la gène imposée au commerce et à l'exportation des grains. On examina si ces moyens employés pour assurer l'abondance n'étaient pas diametralement opposés au but qu'on s'était proposé d'obtenir. On chercha des exemples dans la conduite et dans la législation des peuples voisins; on se convainquit que la France était presque le seul Etat de l'Europe soumis à un régime de prohibition. Mais, par une fatalité assez ordinaire, en cherchant à éviter un excès, on tomba dans un autre. On voulut brusquer le bien; on ne sentit pas assez, que ce n'est que par une marche insensible que les réformes utiles peuvent s'étendre et se mettre à la place des préjugés. On se porta tout d'un coup, par la pensée, à un point de liberté où d'autres nations n'étaient arrivées qu'à tâtons et après un régime d'exceptions d'un effet sagement combiné et graduellement restreint.

Ce fut au milieu de cette disposition des esprits que parut l'édit de 1764, suivi, quelques années après, de l'arrêt du conseil de 1774. Par le premier, le principe de l'exportation limitée des grains fut consacré. La limite fut fixée, lorsque le blé-froment aurait atteint le prix de 12 liv. 10 s. le quintal pendant trois marchés consécutifs. Mais l'exécution de cet édit ne fut que momentanée.

Par le second, la liberté de la circulation des grains dans l'intérieur fut définitivement assurée. Ce fut une précieuse conquête sur les préjugés et sur les abus. Cette loi eût été bien plus décisive si elle eût précédé l'édit de 1764.

Enfin, en 1806, on permit la sortie des blés jusqu'à 24 francs l'hectolitre, avec un droit proportionnel de 2 francs lorsque le prix du froment ne serait que de 18 francs et de 8 francs lorsque l'hectolitre se serait élevé à 23 francs

Mais dans l'état violent où se trouvait la France, elle ne put jouir longtemps du bienfait d'une mesure que les vues d'un gouvernement stable et paternel peuvent seules consolider.

Il ne sera pas indifférent, pour la question qui nous occupe, de rechercher le prix des blés à quelques époques de la monarchie, et de le rapprocher de celles où furent rendues les ordonnances que nous venons de citer.

En 1567, époque de l'ordonnance de Charles IX, le prix du setier de blé, évalué en monnaie actuelle, fut de 28 livres tournois.

Sous Henri Ill, en 1573 et 1574, le prix moyen du setier de blé s'était élevé à 46 liv. 17 s. (1). En 1698, 1699 et 1700, sous le règne de Louis XIV, le setier se paya 38 livres 9 sous.

En 1764, le prix moyen du setier de blé fut de 17 liv. 5 s.

Si l'on excepte cette dernière époque, on voit

(1) Le marc d'argent était alors à 16 liv. 13 s. 4 d.

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qu'on ne s'est guère occupé en France de la législation des grains que dans des temps calamiteux et de cherté excessive, et certes, lorsqu'on attend de telles extrémités, si l'on doit peu se promettre de règlements dictés par la nécessité du présent, il est bien plus difficile de méditer de bonnes lois pour l'avenir.

C'est donc pour nous un nouveau sujet d'apprécier la haute prévoyance du gouvernement, en voyant ses soins paternels se porter sur une des principales branches de notre économie intérieure, et appeler la nation elle-même à concourir à des mesures éminemment propres à encourager la culture des terres, à favoriser la reproduction et à maintenir la subsistance des peuples à un prix modéré.

Quoique l'agriculture ait fait dans les temps modernes, et particulièrement depuis quelques années en France, de grands progrès, quoique l'introduction du maïs, de la pomme de terre et de quelques autres légumes, ait tellement augmenté la masse des substances alimentaires que, pour les hommes qui connaissent le mieux nos ressources, il soit bien démontré que nos récoltes surpassent considérablement nos besoins, qu'une disette réelle soit désormais impossible, cependant nous sommes bien loin encore d'obtenir de notre sol tout ce qu'il pourrait produire. Ce sera à l'industrie encouragée à nous révéler de nouveaux miracles, à multiplier la subsistance des peuples, à accroître leurs richesses et celles de l'Etat, à justifier enfin que ce que l'on fait pour la terre, la terre le rend au centuple.

On a déjà vu, par ce qui a été dit plus haut de l'Angleterre, ce que des lois protectrices de la propriété lui ont procuré d'avantages, et tout le monde sait combien les différentes branches de son économie rurale en ont profité. Mais quelque avancé que soit à cet égard l'état de l'Angleterre, ses résultats sont peu de chose, si on les compare à ce que les traditions antiques nous ont transmis du rapport prodigieux de certaines contrées, et de l'harmonie de leurs lois avec le système de leur agriculture. Je supplie la Chambre de me permettre d'en citer ici un exemple; il ne paraîtra peut-être pas sans intérêt dans la question présente.

D'après le géographe Danville, l'étendue de la Palestine n'était que d'environ six millions d'arpents. Cependant il conste de dénombrements authentiques, faits à diverses époques, que ce petit royaume contenait cinq ou six millions d'habitants.

«En comparant, dit Paucton, l'étendue de la « France à celle de la Palestine, la France devrait «< contenir cent vingt millions d'habitants, et ce« pendant elle n'en compte environ que la cin« quième partie. »>

Comment expliquer une aussi énorme disproportion? Voici la solution du problème. Toute la Palestine, jusqu'aux sommets des côteaux et des montagnes, était en culture. « Les Hébreux fournissaient Tur et Sidon de blé, de lin, de chanvre. Ils envoyaient beaucoup de vin et d'huile en Egypte. »

C'étaient les pâturages et les bestiaux qui, par leur engrais, procuraient à la Palestine cette heureuse fécondité, et qui, avec une médiocre éten due, en faisaient un Etat puissant. Les Israélites furent bergers dès les premiers temps. Ils firent consister leur principale richesse dans l'élève des bœufs, des moutons, des chevaux, et ils ne négligèrent jamais cette lucrative occupation, même pendant leur servitude en Egypte.

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« Aujourd'hui, ajoute le judicieux Paucton, le « sol de la Palestine est le même, mais les habi«tants manquent au sol, et le courage aux habi<< tants. »

Que les nations modernes cessent donc de s'enorgueillir de leurs lumières et de leur science en économie rurale et politique; qu'elles ne pensent pas qu'elles n'ont plus rien à faire ni rien à apprendre, pour épuiser les dons de la nature. Si elles veulent savoir tout ce que peuvent l'amour de la propriété, et l'énergie du travail, quelques tribus qu'elles honorent à peine du nom de peuple leur en offriront un des plus étonnants et des plus mémorables exemples.

Mais je quitte cette digression pour venir au projet de loi qui est l'objet de ce rapport.

Ce projet est composé de douze articles.

La pensée fondamentale de la loi est que le blefroment étant en France la base principale de la nourriture du plus grand nombre des consommateurs, l'élévation du prix de cette denrée à un certain taux devra déterminer une limite au delà de laquelle l'exportation de tous grains, farines et légumes sera suspendue.

Votre commission a applaudi unanimement à la sagesse de ce principe. Quelques observations seulement ont été faites quant au mode d'exécution de la mesure suspensive.

«L'article 2 porte que les départements-fromtières de la France seront partagés en trois classes; dans la première seront compris les départements où les grains sont habituellement plus chers que dans le reste du royaume; dans la seconde, ceux où ils se maintiennent à un prix moyen, et dans la dernière classe, ceux où ils sont ordinairement au prix le moins élevé.

«L'article 3 ajoute que les grains, farines et légumes, à leur sortie de France, ne seront assujettis qu'à un simple droit de balance, tant que le blé-froment se maintiendra au-dessous de 21 francs l'hectolitre, dans les départements de la première classe; au-dessous de 19 francs dans ceux de la seconde et de 17 francs dans ceux de la troisième. »

Cette classification, ayant eu pour base le prix moyen de l'hectolitre du blé-froment, pendant les douze années de 1802 à 1813 inclusivement, il eût été impossible de s'arrêter à un type régulateur, à la fois plus juste et mieux combiné. On a remarqué cependant que, dans plusieurs de nos départements méridionaux, les prix moyens avaient été hors de cette règle, et que, pendan! la série d'années ci-dessus, ces prix avaient été au-dessus de celui fixé pour les départements de première classe. De fortes objections, dans l'intérêt de l'agriculture de ces départements et des départements limitrophes, ont été présentées, et ont donné lieu à la proposition de former une quatrième classe des départements, où les prix moyens de 1802 à 1813 auraient excédé le taux fixé par le projet de loi.

Mais la majorité de votre commission, considerant la position géographique de ces départements, a pensé que la guerre et l'interruption des rapports maritimes était la seule cause de l'énorme différence du prix du blé entre ces départements et ceux du centre et du nord. En effet, il est constaté que, lorsque, dans les Hautes-Alpes, dans les Basses-Alpes, dans le Var, les Bouches-du-Rhône, le prix moyen du blé s'est élevé à 30, 31, 32, 33 francs l'hectolitre; il n'était, dans la Vendée, le Morbihan, la Meuse et la Moselle, qu'à 15 et 16 francs.

Votre commission n'a pas douté que les prix,

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