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gues qui, dans les jours de crise, se sont montrés les dignes représentants du peuple français, l'orateur est intimidé par la rigueur du jugement proposé à la Chambre contre les députés nés Français, dont les départements d'où ils sont sortis ont été distraits de la France par le traité de paix. Il consent à ce que des hommes étrangers à la France ne puissent pas être admis à délibérer sur les intérêts de la France, à voter ses lois et ses impôts. C'est un principe conforme à la raison, exprimé dans nos lois anciennes, confirmé par une des ordonnances du 4 juin.

Mais il s'agit ici de députés nés Français; pour les exclure, il faut que les principes d'après lesquels on prononcera soient évidents, et que la lettre de la loi ne laisse aucun doute.

L'orateur pense qu'il n'en est pas ainsi des principes et des lois sur lesquels la commission a fondé le jugement qu'elle propose. Suivant le rapport de la commission, les députés dont il est question ne peuvent être admis dans la Chambre, parce que les pouvoirs de ces députés ont cessé par le seul fait que les départements qu'ils représentent ont cessé d'apartenir à la France.

L'orateur combat ce principe. Il pense que le Sénat, lorsqu'il nommait les députés, faisait les fonctions de collége électoral suprême, que lui seul conférait les pouvoirs de représenter, non pas tel département, mais la France entière; que la prérogative des colléges électoraux se bornait à présenter des listes réduites de citoyens d'un département.

À l'appui de cette opinion, il cite le sénatusconsulte qui, en détruisant le Tribunat, envoya les tribuns dans le Corps législatif, et d'autres sénatus-consultes qui nomment députés au Corps législatif des hommes qui n'avaient été présentés par aucun collége électoral, comme cela est arrivé pour les Etats-Romains, ceux de Toscane, de Parme, etc. De qui donc ces députés tenaient-ils leurs pouvoirs, si ce n'est pas de la nomination du Sénat?

De ces principes, l'orateur conclut que tous les députés au Corps législatif, sans exception, ont conservé leur caractère de représentants de la France et leurs pouvoirs, même après le traité de paix; qu'il a fallu une loi particulière pour les en dépouiller.

L'article 1er de la première ordonnance les ôte aux étrangers. Est-il une autre loi qui en prive aussi les députés nés Français?

L'orateur rapproche et confronte les articles 75 de la Charte et 1er de la 4e ordonnance du 4 juin. Chacun de ces articles, pris à part, produit, à l'égard des députés en question, l'un, un effet, l'autre, l'effet contraire : l'article 75 de la Charte les rejette, l'article 1er de l'ordonnance les admet. C'est donc en les rapprochant, en les expliquant l'un par l'autre, qu'on peut saisir le véritable sens. II pense qu'en s'y prenant ainsi, on voit que l'esprit du législateur était favorable aux députés nés Français. Il ajoute que l'intention dans le 1er article de la 4 ordonnance était manifestement, d'écarter de la Chambre les députés étrangers nommés par les départements français, et par une raison inverse, il pense que le même article veut conserver les députés nés Français, quels que soient les départements qui les ont envoyés.

Si, par hasard, ce que ne croit pas l'orateur, tout ce qu'il vient de dire n'était pas d'une exactitude rigoureuse, il regarde comme prouvé, au moins, que les principes posés dans le rapport et le sens attribué aux articles 75 de la Charte et 1er de la 4 ordonnance, ne sont pas incontestables; et

il insiste, parce que, dans le doute, le jugement doit être favorable; parce qu'on n'a pas la crainte de donner un exemple pernicieux, la circonstance présente n'étant pas de nature à se renouveler; parce qu'enfin ces députés ont partagé les périls du Corps législatif, et seront utiles à la Chambre par leurs lumières.

M. Bedoch ne voit ni doute ni incertitude dans les articles que le préopinant voudrait interpréter en faveur des députés qui réclament. Le sens de l'article 75 de la Charte constitutionnelle est positif. L'article 1er de l'ordonnance du 4 juin n'est pas nécessaire pour l'éclaircir. Il y est question des députés des départements de la France, telle qu'elle s'est trouvée réduite par le traité. Avonsnous le droit de l'expliquer autrement, poursuit Torateur? Je réponds non: nous ne devons le considérer que comme relatif au traitement et non pas à l'exercice des droits politiques.

M. Bedoch termine son opinion en combattant celle du préopinant, pour ce qui concerne la représentation; elle lui paraît émaner essentiellement des colléges électoraux.

M. Chabaud de la Tour. Messieurs, je ne me dissimule point, en montant à cette tribune, qu'il y a une sorte de témérité à attaquer un rapport médité pendant plusieurs jours, fait au nom d'une commission nombreuse et éclairée, rapport qui, par la séparation de la Chambre én bureaux, par le mode actuel de nos discussions, a l'air d'offrir le vœu de la majorité de l'assemblée. A cette position commune à tous les orateurs qui attaquent le rapport s'en joint une qui m'est particulière je combats l'opinion d'un collègue dont je m'honore d'avoir partagé dans nos assemblées délibérantes les opinions; d'un collègue dont la voix toujours courageuse et si souvent éloquente a combaitu les désorganisateurs dans des temps désastreux, et a toujours plaidé la cause de la vérité et de la justice. Mais votre commission vous l'a dit, Messieurs, toutes les considérations particulières doivent disparaître et je dois exposer ici ce que je crois la vérité.

Lorsque, pour la première fois, il nous est permis de veiller à la conservation du plus beau de nos droits, de celui qui garantit notre indépendance, chacun de nous doit apporter à la discussion des pouvoirs contestés de nos collègues ce respect pour la Chambre, qui ménage ses instants, cet esprit de convenance qui sait allier la stabilité des principes avec les égards que l'on doit à des citoyens dont on attaque le droit le plus précieux.

Le rapporteur de la commission a oublié, ce me semble, la situation actuelle de la Chambre; il a oublié que le temps, cet élément que rien ne remplace dans les choses humaines, n'avait pas encore sanctionné notre existence législative, et que nous sommes tous encore sous l'empire des circonstances; une extrème sévérité serait donc, selon moi, une grande injustice.

La commission a judicieusement divisé en quatre classes les réclamations; je tâcherai de la suivre dans son travail, et je commence par examiner la classe composée des députés qui, nés dans l'ancienne France, ont été nommés au Corps législatif par des départements dont la totalité a été distraite du royaume par le traité du 30 mai.

Votre commission pense que les députés compris dans cette classe ne peuvent être admis à continuer de siéger parmi vous, et son motif est que leurs pouvoirs ont cessé par le seul fait de la séparation de leurs départements d'avec le royaume; point de pouvoirs sans commettants, point de re

présentation sans représentés. Mais cette idée, qui parait si simple, si evidente au premier coup d'œil, a pourtant trouvé de nombreux contradicteurs, volre rapporteur l'avoue.

Cet énoncé, vrai au fond, n'est point applicable à l'espèce.

Les députés nommés par tel ou tel département ne lui appartiennent particulièrement que jusqu'au moment où leurs pouvoirs individuels ont été vérifiés; alors ils ne sont plus les députés de tel ou tel département, ils sont les députés, les représentants du royaume; chacun d'eux a pour commettant tous les Français, pour représentés 24 millions d'hommes. Ce principe, comme tous les principes vrais, a de fécondes et d'immenses conséquences; l'attaquer, c'est attaquer la représentation nationale, substituer aux grandes vues d'intérêt public qui vous animent, Messieurs, le misérable esprit des intérêts locaux et des convenances particulières. C'est ce principe qui fait qu'il n'y a point de députés suppléants dans votre organisation actuelle, parce qu'on a considéré que les départements, privés momentanément de leurs députés, étaient représentés par ceux des autres parties de la France; ainsi, mes collègues, les députés manquant à une portion de territoire, elle n'est pas moins représentée; le territoire particulier manquant aux députés, ils n'en restent pas moins représentants du reste de la France. En un mot, c'est l'intégralité du royaume plus ou moins étendu que nous représentons ici tous en masse, et non tel ou telle partie. Or, ce principe que les motifs les plus puissants, les considérations les plus fortes doivent faire maintenir, est tout entier en faveur de nos collègues. Ils sont nés Français. Ils étaient députés de France au Corps législatif, lors de l'ajournement, donc ils doivent être maintenus dans leurs fonctions.

Votre commission, Messieurs, a trouvé ce raisonnement spécieux; je le trouve vrai et parfaitement applicable à nos collègues.

L'article transitoire et additionnel de la Charte qu'on leur oppose ne me paraît applicable qu'à ceux qui, n'étant pas Français, ne peuvent représenter la France. Il déclare que les députés des départements qui siégeaient lors du dernier ajournement continueront à siéger, etc. Ici, je dois insister, Messieurs, et vous rappeler que les collègues qui ont siégé pendant plusieurs années parmi vous, qui ont partagé vos travaux, et dernièrement vos dangers et vos espérances, doivent partager aujourd'ui votre félicité qu'il serait cruel pour eux, lorsque les Français renaissent au bonheur, retrouvent leur souverain et rentrent dans leurs droits, qu'ils perdissent les leurs.

Je crois donc que MM. de Septenville, né à Amiens; Brumault-Beauregard, né à Poitiers; Petitot de Montlouis, né à Lyon; Herwin, né à Honstock, et Bavous, né à Chambéry, doivent siéger dans la Chambre et y continuer leurs fonctions.

M. Laborde. Votre commission a présenté la véritable opinion à laquelle nous devons nous rattacher; aux termes de l'article 75 de l'acte constitutionnel, il est impossible qu'aucun des membres dont il s'agit puisse siéger dans cette enceinte. Ils vous disent qu'ils font partie de la représentation collective de tout le royaume ; il est aisé de réfuter cette opinion. Ils ont été candidats désignés par leurs colléges électoraux respectifs, le Sénat les a considérés comme appartenant aux départements dont ils avaient obtenu la confiance; dès que ces départements ne font plus partie du territoire français, on ne peut les

admettre ici comme députés. Ils n'ont plus rien à représenter. A quelle localité les appliqueriez

vous?

D'après ces considérations, l'orateur croit devoir voter contre l'admission de MM. Septenville, Herwin, Brumault-Beauregard, Petitot de Montlouis et Bavous.

M. le Président. Je ne vois plus de membres inscrits pour la parole; croyez-vous que je doive faire épreuve sur la clôture de la discussion?

Plusieurs voix. Oui, oui, fermez la discussion. La discussion est fermée.

M. le Président met aux voix la question de savoir si les députés désignés dans la première partie du rapport de la commission seront continués dans leurs fonctions.

M. Pervinquière demande à établir la manière de poser la question. Si la Chambre, dit-il, déclarait que ces députés ne seront pas continués dans leurs fonctions, il y aurait contradiction dans la décision même entre le fait et le point légal; car elle reconnaîtrait qu'ils ont déjà siégé. Je propose que l'on mette aux voix si ces députés seront admis à siéger.

La question est mise aux voix sous cette forme. La Chambre prononce la non-admission à une très-forte majorité.

La discussion s'ouvre ensuite sur la seconde partie du rapport relative à la réclamation de M. Riquet de Caraman.

On demande à aller aux voix.

La Chambre, consultée sur l'admission de M. de Caraman, décide à la presque unanimité que ce membre est admis à siéger avec les députés des départements.

La troisième question est celle qui concerne M. Pictet-Deodati.

M. Dalmassy. Messieurs, permettez-moi d'avoir l'honneur de mettre sommairement sous les yeux de la Chambre les réflexions que m'ont suggérées la discussion qui s'est élevée sur la réclamation de M. Pictet-Deodati, l'examen de ses pièces justificatives, et la partie du rapport de la commission des pétitions qui concerne cet estimable collègue.

La portion du département du Léman, restante à la France par le traité du 30 mai, doit nécessairement être représentée.

Pourquoi, Messieurs, ne le serait-elle pas par un député qu'elle a déjà nommé?

M. Pictet, dit-on, est né à Genève.

Ni lui ni les pièces qu'il a produites ne le dissimulent.

Ce n'est pas sur la concession faite à cette ville en 1606, par Henri le Grand, que M. Pictet appuie sa défense. C'est principalement sur les lettres patentes accordées à sa famille par Louis XVI, le 26 septembre 1777.

Or, Messieurs, ces lettres patentes ne l'ont-elles pas naturalisé Français, puisqu'elles ont ordonné l'inscription de son père et de tous ses descendants légitimes sur la liste de la noblesse du royaume, et par conséquent sur celle des citoyens français puisqu'elles lui ont donné le droit de séance aux Etats de Bourgogne et de concours à la rédaction des cahiers, ainsi qu'à l'élection des députés aux Etats généraux?

D'après cela, Messieurs, ne paraîtrait-il pas extraordinaire qu'un homme qui a pu siéger aux Etats d'une province française ne pût plus siéger dans la Chambre des députés de la France? Le laps de temps qui se trouve entre ces deux époques ne peut rien changer à ses droits.

M. Pictet, d'ailleurs n'a jamais rempli de fonc

tions publiques à Genève. Son père était au service de France, et plusieurs personnes de sa famille ont péri glorieusement à ce service.

On sait encore que, d'après l'ancienne position relative des deux Etats, nombre de Suisses ont joui en France des droits de citoyen, et que notamment parmi les exemples cités, un Genevois, M. Chevalier, seigneur de Fernex, fut nommé député du bailliage de Gex aux Etats généraux de 1614. Ce fait est positivement rappelé dans la discussion qui eut lieu au même bailliage en 1789, et il l'est implicitement dans l'arrêt du conseil du 25 mars de cette année, qui déclare vouloir assurer à M. Pictet et à ceux qui se trouvent dant la même position, la jouissance des droits qui leur ont été précédemment et anciennement accordés.

On ne voit donc pas, Messieurs, ce qui pourrait empêcher M. Pictet de rester membre de la Chambre.

Il n'aurait même pas besoin de réclamer la loi française qui attache le droit de citoyen à un domicile de dix ans, puisque indépendamment des autres motifs de considération qui militent en sa faveur, les lettres patentes dont on vient de parJer établissent suffisamment la naturalisation exigée par l'ordonnance royale du 4 juin, et ne permettent plus de le considérer comme étranger. Vainement on objecterait que l'effet de pareilles lettres patentés peut n'être relatif qu'aux propriétés de ceux qui les ont obtenues, car nonseulement elles ne contiennent aucune restriction, mais elles sont encore ratifiées par l'arrêt du conseil du 25 mars 1789 (rendu dans une circonstance qu'on pourrait en quelque sorte assimiler à celle qui nous occupe), lequel, en improuvant les entraves qu'on voudrait apporter à leur exécution, confirme l'agrégation aux citoyens français, qui en résulte, ainsi que l'aptitude à être électeur et éligible aux Etats généraux.

Tout ce que rigoureusement il serait peut-être possible d'exiger de M. Pictet, ce serait la vérification, par les deux Chambres, des lettres patentes qui ont naturalisé son père et sa descendance directe; mais il ne doit pas même y être soumis, puisque l'ordonnance du 4 juin n'établit cette nécessité que pour l'avenir, et que M. Pictet n'est plus étranger à la France depuis 1777.

Vous voyez, Messieurs, combien notre collègue, si distingué par son caractère et ses talents, a de raisons sous les rapports politiques, pour se reposer sur la justice autant que sur la bienveillance de la Chambre.

M. Janod (du Jura.) Messieurs, je ne viens pas prolonger la discussion sur les titres de M. Pictet. Le rapport de votre commission et le discours du préopinant me paraissent suffire pour éclairer et fixer nos opinions.

Malheureusement, les questions de cette espèce sont indépendantes de tout sentiment personnel; et si nous sommes forcés de reconnaître que rien n'a essentiellement changé, dans M. Pictet, sa qualité de citoyen de Genève; si, d'autre part, les principes fondamentaux des associations politiques et ceux de notre Charte en particulier, s'opposent à ce qu'un citoyen puisse facultativement, sans acte de naturalisation positif, sans option préalable, participer à la puissance législative dans deux Etats différents par leurs intérêts et par leur gouvernement, alors, quels que soient nos regrets, ils ne pourront pas influer sur notre détermination.

Mais il sera toujours précieux pour M. Pictet d'avoir assez bien mérité de ses collègues et de

T. XII.

la France, pour que son éloignement soit considéré comme une véritable perte.

En rentrant dans sa patrie, il y portera les sentiments qui l'attachent à la nôtre; il y accroîtra ces dispositions bienveillantes qui ont constamment uni la France à Genève.

Député d'un département voisin de cette intéressante république, il m'appartient, Messieurs, de faire valoir, par une mention publique, les vertus généreuses de son gouvernement et de ses citoyens. En révélant à cette tribune les faits qui me commandent cette mention, je satisfais à la reconnaissance de mon pays.

En 1791, le Jura éprouva les calamités d'une disette. L'administration départementale dont j'étais membre, après avoir épuisé les ressources qui dépendaient d'elle, s'adressa à la république de Genève. A peine nos besoins furent-ils connus, que son gouvernement ouvrit ses greniers, et ne voulut d'autres conditions pour un si généreux secours, sinon que pareille quantité de grains serait rendue après nos récoltes.

Ces mêmes sentiments se renouvelèrent lorsque la ville de Saint-Claude, anéantie par un incendie général, devint pour toutes les contrées voisines un objet de pitié publique.

Tous les habitants de Genève furent de véritables frères pour ces malheureux; leur bienfaisance, marquée par d'abondants secours, apparut comme une sorte de Providence qui arracha au désespoir une population qui n'avait plus sous ses yeux que les ruines de ses maisons et la cendre de ses manufactures.

C'est par de tels exemples, dignes d'être imités dans de grands Etats, que la république de Genève a entretenu ses relations avec ses voisins.

Puissent ces relations reprendre de nouvelles forces! et puisse notre collègue, s'il doit se séparer de nos assemblées politiques, retrouver dans sa patrie la récompense d'une conduite qui fut toujours honorable, et d'une sage énergie que ces derniers temps ont éprouvée!

La Chambre a ordonné l'impression de ce dis

Cours.

M. Delaborde ne croit pas qu'il soit possible de réfuter avec quelque avantage la doctrine exposée dans le rapport de la commission; mais, la Chambre, après avoir, en se référant à l'ordonnance du 4 juin, déclaré qu'elle ne peut admettre M. Pictet-Deodati à siéger dans son sein, peut concilier un principe irrécusable et les intérêts de la partie de l'ancien département du Léman enclavée dans le territoire de la France, en déclarant que l'éloignement de ce député ne sera que provisoire, et pourra cesser s'il veut demander des lettres de naturalisation. L'orateur ne doute pas qu'il obtienne de Sa Majesté cette faveur que la Chambre s'empresserait de sanctionner.

M. Chantereyne pense aussi que M. Pictet, né Genevois, se trouve réellement aujourd'hui, par rapport à nous, dans la classe des étrangers. Cependant l'opinion qu'il émet tend à obtenir de la Chambre un amendement en faveur de cet ancien député. Il ne partage point celle de ses collègues qui l'ont représenté comme apte, même en le considérant comme étranger, à l'exercice des droits politiques aptitude en ce cas dangereuse et inconcevable, si l'on fait attention avec quel scrupule la législation française a consacré le principe contraire. L'orateur ne croit pas que M. Pictet puisse, dans l'état actuel des choses, être admis à siéger parmi les députés de la France.

Mais cet état peut changer. M. Pictet a donné 7

des preuves honorables de dévouement dans des temps difficiles. Il a partagé les dangers du Corps législatif, comme il l'avait éclairé de ses lumières. Une voie lui est ouverte pour parvenir à être naturalisé Français dans l'esprit et les formes de la Charte constitutionnelle.

Il n'appartient pas à la Chambre, continue l'orateur, de tracer à M. Pictet la marche qu'il doit suivre; mais vous ne devez pas abandonner un collègue qui pourrait être exposé à la double chance de se voir repoussé même dans sa patrie naturelle après avoir été frappé dans cette chambre d'une exclusion absolue.

On ne doit point 'alléguer que la naturalisation de M. Pictet ne pourrait avoir d'effet rétroactif, parce qu'ayant longtemps siégé parmi nous, il ne ferait alors que rentrer dans un droit acquis. Enfin, ne serait-il pas trop rigoureux d'élever une barrière insurmontable devant un collègue que tous nous avons de si justes raisons d'estimer?

L'orateur fait valoir ensuite l'intérêt de soixante mille habitants privés de représentation. S'il est vrai que, par la mort de plusieurs députés, des départements entiers se trouvent sans représentation immédiate, c'est un malheur, et non pas une raison de priver par une décision volontaire cette portion de Français d'une représentation légale dans son principe, et dont le vice actuel peut être effacé.

L'opinion de M. Chantereyne est appuyée.

M. Chabaud-Latour. Messieurs, d'après la décision que vous venez de prendre sur notre collègue Riquet de Caraman, la question serait décidée en faveur de M. Pictet, s'il était né Français. Mais, dit-on, M. Pictet n'est pas Français; voilà donc la question, l'unique question à examiner.

Or, je demande à ceux qui prétendent que M. Pictet de Sergy n'est pas Français, en vertu de quelle législation ils le jugent? Si c'est par la Constitution de l'an VIII et les principes qui en découlent, on ne peut le déclarer étranger, puisqu'au lieu de dix années de domicile en France exigées, outre les conditions de propriété qu'il remplit, il a plus de seize ans de domicile, pendant lesquels il a exercé des fonctions publiques, et incontestablement avec l'intention d'y vivre comme citoyen français, sa ville natale faisant alors partie de la France, en vertu d'un traité qui en déclarait tous les habitants Français-nés.

Sous cette jurisprudence donc et sans autre titre, sa qualité serait incontestable.

Si, au contraire, on attaque M. Pictet avec les principes actuels et l'ordonnance royale du 4 juin, sa position, ses droits doivent être jugés par l'ancienne législation française. Et ici, représentants de la France, je m'élèverai contre le rapporteur qui vous a dit que le passé n'était rien. Le passé est tout, au contraire; nous ne sortons pas des forêts de la Germanie, nous sommes constitués en nation depuis quatorze siècles; la monarchie française existe depuis ce temps, le Roi ne meurt jamais en France. Si des orages politiques, des tempêtes nées de la folie des temps et du délire des passions, ont pu suspendre momentanément l'exercice de l'autorité royale, elle a repris tout son empire; et forte des siècles écoulés, elle s'avance vers les siècles à venir. Non, nous ne sommes point une nation nouvelle, j'en atteste le sang français qui coule dans vos veines, notre gloire passée, notre gloire actuelle, notre amour pour nos rois, notre dévouement pour eux; nous sortons des troubles comme du temps de la Ligue,

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La naturalisation est l'acte par lequel un étran ger obtient les mêmes droits et priviléges que s'il était né en France; j'espère qu'on m'accordera ces deux définitions tirées du Répertoire général de jurisprudence.

Or, d'après elles, M. Pictet ne peut être considéré comme étranger; parce que, s'il n'est pas né en France, il doit cependant jouir des droits des Français.

Pour le prouver, je suis forcé de rappeler les anciens rapports de Genève avec la France. Ils furent fixés en divers temps par les lettres de naturalité accordées aux membres de la Confédération helvétique, et nominativement aux Gene-| vois en 1596 par Henri-le-Grand, confirmées par lui en 1608, et enregistrées en parlement de la même année; elles reconnaissaient ceux-ci pour Français naturels, et leur communiquaient ainsi les droits civils; cette disposition du Roi est motivée sur les bons services et constante affection et fidélité de ses bons et loyaux amis de Genève.

La qualité de régnicole a été également assurée aux Suisses par l'article 24 de l'alliance renouvelée en 1715 par Louis XIV.

L'orateur, appliquant ces détails historiques à M. Pictet, rappelle à l'égard de ce député des eirconstances que l'on a déjà fait connaître. Si les titres qui l'attachent à la France n'ont pas tous aujourd'hui la même force, ils conservent du moins, continue l'orateur, toutes les conséquences compatibles avec les principes actuels.

Mais on ne peut, dit-on, avoir deux patries, ou plutôt, on ne peut acquérir les droits politiques dans un Etat avant d'avoir abjuré ceux qu'on pouvait avoir dans un autre.

Mais en admettant cette incompatibilité quant à l'exercice des droits politiques, il en est autrement quant à la pure faculté, la possession virtuelle, pour employer le terme propre, de ces droits; et les rapports tout particuliers existant entre la France et la Suisse, rendent encore plus naturelle en théorie une pareille réunion, comme ils l'ont rendue plus fréquente en pratique. On conçoit même aisément comment ils ont pu la rendre utile à la France, et comment ils ont fait et feraient qu'elle fut tout à fait dans l'intérêt politique futur des souverains de la France, comme ils l'ont jugé dans leur intérêt passé; et cela, soit comme moyen de récompense à accorder pour des services rendus, soit comme moyen de lier à la France les familles notables de ces petites republiques.

Entre les exemples qu'offre l'arrêt du 25 mars 1789, on en trouverait dans beaucoup d'individus d'une nation moins liée à la France que ne l'était déjà la petite république de Genève, et qui ont été admis à la qualité de Français, soit par la volonté des rois de France, soit par celle des assemblées législatives, sans avoir pour cela renonce préalablement à leur droit de cité dans le pays de leur naissance, et sans que l'exercice en France de leur droit de citoyen français eût fait plus que suspendre ceux qu'ils tenaient de leur naissance. Dans ceux devenus citoyens français par une loi, on peut citer Washington, Madisson,

Pestalozzi, etc., qui, certes, s'il cussent habité la France, y eussent joui de leurs droits, et n'eussent pas imaginé renoncer, en retournant dans leur pays natal, à ceux qu'ils y tenaient de la na

ture.

Telle était également la position des Diesbach en Artois, Udings en Alsace, Tschoudy en Lorraine, etc., celle des Suisses nés ou naturalisés en Angleterre, etc. Désire-t-on les considérations morales et les garanties d'affection présumée que recherche l'ordonnance royale? Ne les trouverat-on pas chez le fils et petit-fils d'anciens officiers au service de France, et propriétaire dès sa naissance dans l'ancienne France?

Dans cette position M. Pictet ne doit-il donc pas être reconnu par la Chambre comme n'étant nullement étranger, et en conséquence être admis par elle à continuer dans son sein l'exercice d'un droit acquis, dont la conservation intéresse soixante mille Français qu'il représente aujourd'hui, sauf tout au plus à déclarer par la Chambre qu'il serait censé renoncer à exercer en France les droits politiques, du moment où il en aurait exercé de ce genre dans un autre Etat?

Mais avant de terminer cette opinion, je vous prie, mes collègues, de me permettre d'attirer un instant votre attention sur cette cité, dont le nom n'eût dû retentir à cette tribune qu'avec éloge; de cet Etat de Genève qui, sans territoire et avec vingtquatre mille habitants, s'est pourtant fait une existence en Europe, a été cité avec éloge par tous les hommes éclairés du dernier siècle, et a montré qu'il était possible de réunir une extrême civilisation, de grandes richesses et des mœurs pures et sévères. C'est dans cette ville que les proscrits de toutes les opinions, de toutes les sèctes out trouvé asile et protection; c'est dans son sein que l'enfant trouve une éducation paternelle et libérale, la vieillesse des respects, et toutes les misères humaines des consolations et des secours.

Henri IV appelait les Genevois ses bons, ses loyaux amis; ah! LOUIS LE DESIRE les nommera de même, car aucune des cités de l'ancienne France n'a moins courbé la tête sous le joug de l'étranger, aucune n'a fait plus de vœux et ne s'est plus félicitée du retour des Bourbons.

Je vote pour la conservation dans cette Chambre de notre collègue M. Pictet.

M. Clausel-Coussergues. Peut-on exercer à la fois ses droits politiques en deux pays différents? Pourrait-on être à la fois syndic de Genève et membre de la législature française? Personne ne peut le penser, quoiqu'un exemple récent donné par les Anglais nous montre le lord Wellington tout à la fois grand d'Espagne et pair d'Angleterre. Il serait donc vrai que l'on peut avoir deux patries aux yeux de la loi (des murmures s'élèvent.) Mais M. Pictet n'a pas de fonctions à Genève; il a siégé au Corps législatif de France, et il n'a jamais prêté qu'un seul serment, celui d'obéissance aux lois de la France. Donc, bien loin d'avoir perdu son titre de citoyen français que lui avait transmis son père, il l'a confirmé par tout le cours de sa vie politique.

Et qui sait mieux que vous, Messieurs, combien M. Pictet a honoré ce titre? Lorsqu'en des temps difficiles, et encore si présents à notre mémoire, nous voulûmes confier l'examen du projet de loi sur les finances à une commission d'hommes éclairés et inaccessibles aux menaces de la tyrannie, nous jetâmes les yeux sur notre collègue M. Pictet, et ce fut presque à l'unanimité que le Corps législatif lui donna cette marque de confiance.

La France, qui n'a connu le Corps législatif qu'à cette époque où il a pu rompre ce long silence auquel sa constitution même l'avait condamné, la France a conservé le nom de ceux de nos collègues que nous plaçames alors au poste d'honneur; elle a applaudi au choix qu'a fait Sa Majesté de l'orateur de la commission pour présider cette Chambre; elle ne pourra qu'applaudir à votre décision qui lui conservera un digne et courageux représentant dans la personne de M. Pictet.

Je viens d'exprimer vos sentiments à l'égard de M. Pictet. J'attends de votre indulgence, mes collègues, que vous me permettrez aussi d'être l'organe d'un grand nombre de nos compatriotes qui, dans les temps de nos plus grands malheurs, ont trouvé une seconde patrie dans cette ville de Genève, dont on a parlé comme d'une ennemie naturelle de la France. A cette époque désastreuse, dans aucune ville, dans aucun pays, les Français de toutes les opinions qui furent successivement obligés de quitter leur patrie, ne furent reçus avec un plus noble et plus touchant intérêt que dans la ville de Genève; et si plusieurs de ces Français siégeaient parmi vous, vous trouveriez, mes collègues, qu'après avoir rempli dans cette discussion leur devoir de représentants du peuple français, ils seraient fidèles aussi au caractère que leur impose un tel titre, en donnant à la ville de Genève un témoignage public de leur reconnaissance.

Mais ce sentiment n'altérera pas notre respect pour les principes du droit public. Je conclus à l'admission de M. Pictet dans la Chambre des putés, sous la condition qu'il renoncera à l'exercice des droits politiques dans la république de Genève.

M. le Président consulte la savoir si elle veut aller aux voix. est continuée.

Chambre pour

La discussion

M. Clauzel. Notre collègue Chantereyne a fait un amendement. Peut-être le but de la Chambre et celui de l'orateur seront-ils remplis si l'on pose ainsi la question à délibérer :

« Que ceux qui sont d'avis que M. Pictet soit admis quant à présent. »

M. Bouvier. Je demande à parler contre l'amendement. Nous aimons et chérissons tous notre collègue Pictet; il nous sera extrêmement pénible de nous séparer de lui; mais il me semble qu'étant formellement exclu, c'est sur cette question pure et simple que la Chambre doit d'abord être consultée.

On demande la mise aux voix de l'amendement.

M. Godailh désire que la Chambre prononce si la question sera mise aux voix avec ou sans amendement.

MM. Chantereyne, Chabaud-Latour et Duhamel demandent qu'aux termes du règlement, l'amendement soit d'abord mis aux voix. M. Bedoch veut au contraire que la question principale passe la première comme la plus essentielle.

Plusieurs voix. Appuyé.

M. Pervinquière. C'est un véritable ajourne

ment.

M. Le Hir. Je demande la question préalable. La question préalable est mise aux voix et adoptée.

M. le Président. Que ceux qui sont d'avis que M. Pictet-Deodati soit admis à siéger dans la Chambre des députés des départements veuillent bien se lever.

Un certain nombre de membres se lèvent.

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