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le tiers de bonne foi: car, s'il ne l'était pas, s'il n'avait fait qu'un acte d'émulation et de jalousie, son procédé ne serait qu'une entreprise, un attentat. Il ne s'agirait point de peser un droit, mais de réprimer un délit.

«Les divers jurisconsultes ne se sont point accordés, sur la question de savoir si la plantation faite dans le fonds d'autrui appartient à celui qui a planté, ou au proprétaire du fonds sur lequel la plantation a été faite. Les uns ont opiné pour le propriétaire du fonds, et les autres pour l'auteur de la plantation.

« Il en est qui ont voulu établir une sorte de société entre le planteur et le propriétaire foncier, attendu que d'une part les plantes sont alimentées par le fonds, et que d'autre part elles ont par ellesmêmes un prix, une valeur qui ont été fournis par tout autre que celui à qui le fonds appartenait. Il faut, a-t-on dit, faire un partage raisonnable entre les parties intéressées. Cette opinion est celle Grotius et de quelques autres publicistes célèbres. Grotius a été réfuté par Puffendorf. Ce dernier a fait sentir avec raison tous les inconvénients qu'il y aurait à établir une société forcée entre des hommes qui n'ont pas voulu être associés. Il a prouvé qu'il serait impossible de conserver l'égalité entre les parties intéressées, dans le partage des produits d'une telle société. Il a observé qu'il serait dangereux d'asservir ainsi une propriété foncière à l'insu et contre le gré du propriétaire, et que d'ailleurs chacun étant maître par le droit de faire cesser toute possession indivise et de séparer ses intérêts de ceux d'autrui, il n'y avait aucun motif raisonnable d'imposer au propriétaire d'un fonds une servitude insolite et aussi contraire au droit naturel qu'au droit civil.

A travers les différents systèmes des auteurs, nous sommes remontés au droit romain, qui décidé qu'en général tout doit céder au sol qui est immobile; et qu'en conséquence, dans la nécessité de prononcer entre le propriétaire du sol et l'auteur de la plantation, qui ne peuvent demeurer en communion malgré eux, pour le même objet, le propriétaire du sol doit avoir la préférence et obtenir la propriété des choses qui ont été accidentellement réunies à son fonds. La loi romaine ne balance pas entre le propriétaire foncier et le tiers imprudent qui s'est permis, avec plus ou moins de bonne foi, une sorte d'incursion dans la propriété d'autrui.

«Dans le projet de loi, nous sommes partis du principe que toutes les plantations faites dans un fonds sont censées faites par le propriétaire de ce fonds et à ses frais, si le contraire n'est prouvé.

« Nous donnons au propriétaire du sol sur lequel un tiers a fait des plantations, la faculté de les conserver, ou d'obliger ce tiers à rétablir les lieux dans leur premier état.

<«< Dans le premier cas, nous soumettons le propriétaire à payer la valeur des plantations qu'il conserve et le salaire de la main-d'œuvre, sans égard à ce que le fonds même peut avoir gagné par la plantation nouvelle.

Dans le second cas, le tiers planteur est obligé de rétablir les lieux à ses propres frais et dépens; il peut même être exposé à des dommages et intérêts; il supporte la peine de sa légéreté et de son entreprise.

« Nous avons suivi l'esprit des lois romaines. « Nous décidons par les mêmes principes les questions relatives aux constructions de bâtiments et autres ouvrages faits par un tiers sur le

sol d'autrui; nous donnons au propriétaire la même alternative. Nous avons pensé qu'on ne saurait trop avertir les citoyens des risques qu'ils courent, quand ils se permettent des entreprises contraires au droit de propriété.

« Nous avons excepté de la règle générale le cas où celui qui aurait planté ou construit dans le fonds d'autrui, serait un possesseur de bonne foi qui aurait été évincé sans être condamné à la restitution des fruits, et qui aurait planté ou construit pendant sa possession. Dans ce cas, le propriétaire est tenu, ou de payer la valeur des constructions ou plantations, ou de payer une somme égale à l'augmentation de valeur que ces plantations et constructions peuvent avoir apportée au sol.

«Nous nous sommes occupés de l'hypothèse où le propriétaire d'un fonds fait des plantations et constructions avec des matériaux qui appartiennent à un tiers.

« Nous avons pensé, dans une telle hypothèse, que ce tiers n'a pas le droit d'enlever ses matériaux, mais que le propriétaire du fonds doit en payer la valeur, et qu'il peut même, selon les circonstances, être condamné à des dommages et intérêts. Cela est fondé sur le principe que personne ne peut s'enrichir aux dépens d'autrui.

« La projet de loi termine la grande question des alluvions. Il décide, conformemént au droit romain, que l'alluvion profite au propriétaire riverain, soit qu'il s'agisse d'un fleuve ou d'une rivière navigable, flottable ou non, à la charge, dans le premier cas, de laisser le marche-pied, ou chemin de halage, conformément aux règlements.

« L'alluvion est un atterrissement ou accroissement qui se forme insensiblement aux fonds riverains d'un fleuve ou d'une rivière.

« Les principes de la féodalité avaient obscurci cette matière; on avait été jusqu'à prétendre que les alluvions formées par les fleuves et rivières appartenaient au prince, lorsqu'il s'agissait d'une rivière ou d'un fleuve navigable, ou au seigneur haut justicier, lorsqu'il s'agissait d'une rivière ou d'un fleuve non navigable. Les propriétaires riverains étaient entièrement écartés par la plupart des coutumes.

« Dans les pays de droit écrit, ces propriétaires s'étaient pourtant maintenus dans leurs droits : mais on voulut les en dépouiller peu d'années avant la révolution, et l'on connaît à cet égard les réclamations solennelles de l'ancien parlement de Bordeaux, qui repoussa avec autant de lumières que de courage les entreprises du fisc et les intrigues ambitieuses de quelques courti sans dont le fisc n'était que le prête-nom.

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Il fut établi à cette époque que les alluvions doivent appartenir au propriétaire riverain, par cette maxime naturelle que le profit appartient à celui qui est exposé à souffrir le dommage. Des propriétés riveraines sont menacées plus qu'aucune autre. Il existe pour ainsi dire une sorte de contrat aléatoire entre le propriétaire du fonds riverain et la nature, dont la marche peut à chaque instant ravager où accroître ce fonds.

« Le système féodal a disparu; conséquemment il ne peut plus faire obstacle au droit des riverains.

Mais dira-t-on que les fleuves et rivières navigables sont des objets qui appartiennent au droit public et des gens, et qu'ainsi les alluvions produites par ces fleuves et par ces rivières ne peuvent devenir la matière d'une propriété privée ?

« Nous répondrons, avec Dumoulin, que le

propriétés privées ne peuvent certainement s'accroître des choses dont l'usage doit demeurer essentiellement public, mais que toutes celles qui sont susceptibles de possession et de domaine, quoiqu'elles soient produites par d'autres qui sont régies par le droit public, peuvent devenir des propriétés privées, et le deviennent en effet, comme les alluvions qui sont produites par les fleuves et les rivières navigables, et qui sont susceptibles parelles-mêmes d'être possédées par des particuliers, à l'instar de tous les autres héritages.

Nous avons cru devoir rétablir les propriétaires riverains dans l'exercice de leurs droits naturels. Nous les avons seulement soumis, relativement aux fleuves et rivières navigables, à laisser libre l'espace de terrain suffisant pour ne pas nuire aux usages publics.

« Ce que nous avons dit des alluvions s'applique aux relais que forme l'eau courante qui se retire insensiblement de l'une de ses rives en se portant vers l'autre. Le propriétaire de la rive découverte profite de ces relais, sans que le riverain du côté opposé puisse venir réclamer le terrain qu'il a perdu. Entre riverains, l'incertitude des accidents forme la balance des pertes et des gains, et maintient entre eux un équilibre raisonnable.

Les délaissements formés par la mer sont régis par d'autres principes, parce qu'ils tiennent à un autre ordre de choses: ils sont exceptés des Diaximes que nous avons établies.

« Si un fleuve ou une rivière opèrent une révolution subite dans la propriété d'un riverain, et emportent une partie considérable de cette propriété pour la joindre à une autre, le propriétaire évincé par le fleuve ou par la rivière peut réclamer pendant un an la portion de terrain dont il a été si brusquement dépouillé ; mais après ce temps il ne peut plus réclamer.

« L'alluvion n'a pas lieu à l'égard des lacs et étangs, dont le propriétaire conserve toujours le terrain que l'eau couvre, quand elle est à la hauteur de la décharge de l'étang, encore que le volume de l'eau vienne diminuer.

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Réciproquement, le propriétaire de l'étang n'acquiert aucun droit sur les terres riveraines que son eau vient à couvrir dans les crues extraordinaires.

La justice de cette disposition est évidente par elle-même.

"Quant aux iles, on distingue si elles se sont formées dans une rivière navigable ou flottable, ou dans une rivière qui n'a aucun de ces deux caractères. Dans le premier cas, elles appartiennent à la nation; dans le second, elles se partagent entre les riverains des deux côtés, si elles sont sur le milieu de la rivière; ou elles appartiennent au propriétaire riverain du côté où elles se sont formées.

« Si une rivière ou un fleuve, en se formant un bras nouveau, coupe et embrasse le champ d'un propriétaire riverain et en fait une île, ce propriétaire conserve la propriété de son champ, encore que l'ile se soit formée dans une rivière ou dans un fleuve navigable ou flottable.

«C'est la justice même qui commande cette exception. La cité dédaignerait un moyen d'acquérir qui aurait sa source dans la ruine et le malheur du citoyen.

« Un fleuve ou une rivière abandonne-t-elle son ancien lit pour se former un nouveau cours, les propriétaires des fonds nouvellement occupés prennent, à titre d'indemnité, l'ancien lit abandonné, chacun dans la proportion du terrain qui lui a été enlevé.

« Les animaux peuvent sans doute devenir un objet de propriété. On distingue leurs différentes espèces.

«La première est celle des animaux sauvages; la seconde, celle des animaux domestiques, et la troisième, celle des animaux qui ne sont ni entièrement domestiques, ni entièrement sauvages.

« Les animaux de la première espèce sont ceux qui ne s'habituent jamais ni au joug ni à la so- ciété de l'homme : le droit de propriété sur ces animaux ne s'acquiert que par l'occupation, et il finit avec l'occupation même.

« Les animaux domestiques ne sortent pas de la propriété du maître par la fuite celui-ci peut toujours les réclamer.

«Les animaux de la troisième espèce, qui ne sont ni entièrement domestiques ni entièrement sauvages, appartiennent par droit d'accession, au propriétaire du fonds dans lequel ils ont été se réfugier, à moins qu'ils n'y aient été attirés par artifice.

Les animaux de cette troisième espèce sont l'objet d'une disposition particulière du projet de loi.

« Nous allons examiner actuellement le droit d'accession par rapport aux choses mobilières. «Ici la matière est peu susceptible de principes absolus. L'équité seule peut nous diriger.

«La règle générale est que l'accessoire doit suivre le principal, à la charge par le propriétaire de la chose principale de payer la valeur de la chose accessoire.

« Mais, dans les choses mobilières, la difficulté est de discerner la chose qui doit être réputée principale d'avec celle qui ne doit être réputée qu'accessoire.

« On répute chose accessoire celle qui n'a été unie que pour l'usage et l'ornement d'une autre.

Néanmoins, quand la chose unie est beaucoup plus précieuse que la chose principale, et quand elle a été employée à l'insu du propriétaire, celuici peut demander que la chose unie soit séparée pour lui être rendue, même quand il pourrait en résulter quelque dégradation de la chose à laquelle elle a été jointe.

« Dans le doute, on peut regarder comme l'objet principal celui qui est le plus précieux, et regarder comme simplement accessoire celui qui est de moindre prix dans les choses d'égale valeur, c'est le volume qui détermine.

« Si un artiste a donné une nouvelle forme à une matière qui ne lui appartenait pas, le propriétaire de la matière doit obtenir la préférence en payant la main-d'œuvre.

«S'il s'agit pourtant d'une vile toile animée par le pinceau d'un habile peintre, ou d'un bloc de marbre auquel le ciseau d'un sculpteur aura donné par inspiration, le mouvement et la vie, dans ce cas et autres semblables, l'industrie l'emporte sur le droit du propriétaire de la matière première.

<<< Une personne a-t-elle employé à un ouvrage quelconque une portion de matière qui lui appartenait et une portion qui ne lui appartenait pas, la chose devient commune aux deux propriétaires dans la proportion de leur intérêt respectif.

«Si une chose a été formée par un mélange de plusieurs matières appartenant à divers propriétaires, le propriétaire de la matière la plus considérable et la plus précieuse peut demander à garder le tout, en remboursant le prix des matières qui ne lui appartenaient pas.

«Si on ne peut distinguer quelle est la plus précieuse des matières mélangées, la chose pro

venue du mélange demeurera commune à tous les divers propriétaires.

« La communauté donne ouverture à la licitation.

«Dans tous les cas où le propriétaire de la matière employée à un ouvrage sans son aveu peut réclamer l'entière propriété du tout, il lui est libre de demander le remplacement de sa matière en même nature, quantité, poids, mesure et bonté, ou d'exiger qu'on lui en paye la valeur.

« Au reste, suivant les circonstances, le propriétaire a l'action en dommages et intérêts, et même l'action criminelle contre celui qui a employé à son insu une matière qui ne lui appartenait pas.

« Les règles qui viennent d'être tracées ne sauraient convenir à toutes les hypothèses. Tout ce que peut le législateur en pareille occurence, c'est de diriger le juge. C'est à la sagesse du juge dans une matière aussi arbitraire, à résoudre les différents cas qui peuvent se présenter, et qui n'ont pu être l'objet d'une prévoyance particulière.

«Tel est citoyens législateurs, dans son ensemble et dans ses détails, le projet de loi sur la propriété.

Vous ne serez point surpris que ce projet se réduise à quelques définitions, à quelques règles générales car le corps entier du Code civil est consacré à définir tout ce qui peut tenir à l'exercice du droit de propriété; droit fondamental sur lequel toutes les institutions sociales reposent, et qui, pour chaque individu, est aussi précieux que la vie même, puisqu'il lui assure les moyens de la conserver.

« La cité n'existe, disait l'orateur romain, que pour que chacun conserve ce qui lui appartient. Avec le secours de cette grande vérité, cet orateur philosophe arrêtait, de son temps, tous les mouvements des factions occupées à désorganiser l'empire.

«C'est à leur respect pour la propriété que les nations modernes sont redevables de cet esprit de justice et de liberté, qui, dans les temps même de barbarie, sut les défendre contre les violences et les entreprises du plus fort. C'est la propriété qui posa, dans les forêts de la germanie, les premières bases du Gouvernement représentatif. C'est elle qui a donné naissance à la constitution politique de nos anciens pays d'état, et qui, dans ces dernierstemps, nous a inspiré, le courage de secouer le joug et de nous délivrer de toutes les entraves de la féodalité.

« Citoyens législateurs, la loi reconnaît que la propriété est le droit de jouir et de disposer de son bien de la manière la plus absolue, et que ce droit est sacré dans la personne du moindre particulier. Quel principe plus fécond en conséquences utiles!

« Ce principe est comme l'âme universelle de toute la législation; il rappelle aux citoyens ce qu'ils se doivent entre eux, et à l'Etat ce qu'il doit aux citoyens; il modère les impôts, il fixe le règne heureux de la justice; il arrête, dans les actes de la puissance publique, les grâces qui seraient préjudiciables aux tiers; il éclaire la vertu et la bienfaisance même; il devient la règle et la mesure de la sage composition de tous les intérêts particuliers avec l'intérêt commun; il communique ainsi un caractère de majesté et de grandeur aux plus petitsdétails de l'administration publique.

« Aussi vous avez vu le génie qui gouverne la France établir sur la propriété les fondements inébranlables de la République.

« Les hommes dont les possessions garantissent

la fidélité sont appelés désormais à choisir ceux dont les lumières, la sagesse et le zèle doivent garantir les délibérations.

<< En sanctionnant le nouveau Code, civil vous aurez affermi, citoyens législateurs, toutes nos institutions nationales.

« Déjà vous avez pourvu à tout ce qui concerne l'état des personnes aujourd'hui vous commencez à régler ce qui regarde les biens. Il s'agit pour ainsi dire de lier la stabilité de la patrie à la stabilité même du territoire. On ne peut aimer sa propriété sans aimer les lois qui la protégent. En consacrant des maximes favorables à la propriété, vous aurez inspiré l'amour des lois; vous n'aurez pas travaillé seulement au bonheur des individus, à celui des familles particulières; vous aurez créé un esprit public, vous aurez ouvert les véritables sources de la prospérité générale, vous aurez préparé le bonheur de tous. » LIVRE III. TITRE III.

DE L'USUFRUIT, DE L'USAGE ET DE L'HABITATION. Exposé des motifs.

Le citoyen Galli, nommé par le Premier Consul, avec les citoyens Treilhard et Bérenger, pour présenter au Corps législatif, dans sa séance de ce jour, le titre Ill du livre Il du projet de Code civil: De l'usufruit, de l'usage et de l'habitation, et pour en soutenir la discussion dans sa séance du 9 pluviôse, dépose sur le bureau l'exposé des motifs de ce titre.

Cet exposé est ainsi conçu :

« CITOYENS LÉGISLATEURS,

« Nous venons vous présenter, au nom du Gouvernement, le titre de l'usufruit, de l'usage et de l'habitation, qui est le IIIe du livre II du projet de Code civil.

« Ce titre est divisé en deux chapitres : « Le premier concerne l'usufruit;

« Le deuxième l'usage et l'habitation.

« On commence, dans le 1er, par définir ce que c'est que l'usufruit. C'est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la sub

stance.

« Quelque difficile que puisse être toute définition (1), et quoiqu'il soit très-dangereux d'en insérer dans un corps de lois,

Code civil ne contient pas seulent comme le

des règles

pour les juges, mais aussi des instruction pour chaque citoyen, il est bon d'en trouver quelques unes brièves et précises, qui, éclairant les juges et les parties en même temps, dissipent toute incertitude et ne laissent aucune ressource à la chicane.

« Aussi ne définit-on pas l'usufruit, comme d'autres l'ont défini (2), le droit de jouir d'une chose dont on n'est pas le propriétaire, la conservant entière et sans la détériorer ni la diminuer. Ces dernières paroles auraient emporté l'exclusion des choses qui se consomment par l'usage ou qui se détériorent, et desquelles cependant on peut avoir l'usufruit, sous le nom d'usufruit impropre, comme s'expriment les praticiens, ou de quasi usufructus, comme le dit formellement le texte dans les Institutes (3); et ce, par suite de la règle générale, que l'usufruit peut s'établir sur toutes

(1) L. 202 ff de Regulis juris.

(2) Domat, liv. I, lit. II, de l'usufruit, § I. (3) § II. De Usufr.

les choses qui sont en notre patrimoine (1), soit qu'elles se conservent, soit qu'elles se détériorent, soit qu'elles se consomment.

« Voilà pourquoi, dans ce Code, on a préféré l'expression de la loi romaine (2), salva rerum

substantia.

«Et c'est pour la même raison qu'on déclare, article 574, que l'usufruit peut être établi sur toute espèce de biens meubles où immeubles, et par conséquent sur ces choses aussi qui se consomment par l'usage ou qui se détériorent.

« L'article 572 décide que l'usufruit est établi par la loi ou par la volonté de l'homme.

« Par la loi, tel que l'usufruit légal, appartenant aux père et mère sur le bien de leurs enfants, dont il est parlé à l'article 594;

«Par la volonté de l'homme, tel que celui qui est porté par un testament, par un contrat. C'est cet usufruit qui nous procure, qui nous facilite des libératités, des actes de bienfaisance et de gratitude. C'est par le moyen de cet usufruit que les transactions les plus épineuses quelquefois se combinent, que les acquisitions les plus importantes et les plus difficiles se font; c'est par lui que les époux se rendent mutuellement les derniers témoignages de leur tendresse.

« Les fruits civils sont réputés, dit l'article 579, s'acquérir jour par jour, et appartiennent à l'usufruitier, à proportion de la durée de son fruit.

usu

L'article applique ensuite cette règle au prix des baux à ferme, comme au loyer des maisons et aux autres fruits civils, dans la classe desquels l'article 577 range le prix des baux à ferme.

« Cette application fait cesser toutes les questions qui s'agitaient autrefois entre le propriétaire et l'héritier de l'usufruitier, sur le mode de répartir un prix qui, représentant des fruits naturels, paraissait devoir suivre la nature de ceuxci et non celle des autres.

« A l'égard des arbres qu'on peut tirer d'une pépinière, il est dit, article 583, que l'on se conformera aux usages des lieux pour leur rempla

cement.

« Quant aux échalas pour les vignes, qu'on peut prendre dans les bois, et quant aux produits annuels ou périodiques qu'on peut prendre sur les arbres, l'article 586 statue que l'on doit suivre l'usage du pays ou la coutume du propriétaire.

« Ainsi sont respectées et maintenues partout où il le faut, les coutumes, les habitudes des citoyens.

Cette excellente partie de la législation est également due aux sages réflexions des rédacteurs du projet de Code civil, puisqu'ils avaient, dans leur discours préliminaire, manifesté le désir qu'il y eût une tradition suivie d'usages, de maximes et de règles, afin que l'on fút en quelque sorte nécessité à juger aujourd'hui comme on a déjà jugé hier (3).

«L'article 595 porte : Si l'usufruitier ne trouve pas de caution, les immeubles sont donnés à ferme ou mis en séquestre;

« Les sommes comprises dans l'usufruit sont placées;

Les denrées sont vendues, et le prix en provenant est pareillement placé ;

« Les intérêts de ces sommes et les prix des

(1) L. I. De Usufr. juncto. & II. Inst., de Usufr. (2) In lege prima ff, de Usufr.

(3) Projet de Code civ., t. VI. p. 195 (Discours préliminaire).

fermes appartiennent, dans ce cas, à l'usufruitier. « Gette jurisprudence est bien plus judicieuse, bien plus mûrie que celle de ces pays où l'usufruitier pauvre, isolé ou étranger, ne trouvant point de caution, l'on doit s'en tenir à la caution juratoire. Mais cette caution juratoire serait-elle aussi satisfaisante pour le propriétaire? cette caution, qui n'est que de paroles, pourrait-elle valoir au propriétaire autant que lui valent les moyens prescrits par l'article précité?

« Néanmoins, s'il est juste de n'admettre aucune caution juratoire dans le cas énoncé, il est également conforme à la justice et aux principes d'une équitable commisération,de l'avoir adoptée dans le cas de l'article 596, où il est précisément dit que l'usufruitier peut demander et les juge peuvent accorder, suivant les circonstances, qu'une partie des meubles nécessaires pour son usage lui soit délaissée sous sa simple caution juratoire.

L'article 612 établit que l'usufruit qui n'est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans. « On n'a pas adopté ici l'opinion du texte romain (1) Placuit centum annis tuendos esse municipes. A la vérité, on ne pourrait trouver bien solide la raison qui y est alléguée, quia is finis vitæ longævi hominis est. Comment! parce qu'un homme peut vivre cent ans, il faudra décerner l'usufruit aussi pour cent ans à une ville ou autre communauté! Je ne comprends pas la conséquence de ce principe mais je comprends bien la doctrine de l'immortel Domat, quí, devançant l'opinion de notre Code, pensait qu'il y aurait eu bien plus de raison de fixer cet usufruit à trente années seulement (2).

Après avoir donné avec beaucoup de précision la définition de l'usufruit, après en avoir expliqué la nature, après avoir dit comment et sur quelle chose il peut s'établir, on est passé de suite, articles 575 et suivants, aux droits de l'usufruitier, sans s'occuper des autres distinctions que des interprètes des siècles passés avaient inventées en les exprimant par des locutions étrangères au texte et vraiment barbares, telle que celle-ci : inter usumfructum casualem et usumfructum formalem, sous le prétexte qu'elles étaient plus propres à l'intelligence des anciens jurisconsultes, tandis qu'au contraire d'interminables disputes et d'innombrables procès ont été les seuls fruits de ces subtilités.

<< Citoyens législateurs, je vous ai peut-être entretenus plus qu'il ne fallait du droit romain; mais je suis né en Italie, d'où il tire son origine, où les Pandectes ont été retrouvées, où ses maximes triomphent, et où il faisait notre droit

commun.

En sollicitant votre indulgence j'emprunterai la voix d'un Français, du célèbre Dumoulin. Il s'exprime ainsi dans sa préface de la coutume de Paris, n° 110. E jure scripto mutuamur quod æquitati consonum invenitur, non quod fuerimus subdili Justiniano aut successoribus ejus, sed quia jus illo auctore a sapientissimis viris ordinatum, tam est æquum, rationabile, et undequaque absolutum, ut omnium fere christianarum gentium usu et approbatione commune sit effectum.

« Je ne ferai pas une analyse plus étendue desdispositions du titre. Elles ne sont susceptibles d'aucune objection, et n'ont par conséquent pas besoin d'être développées : il suffira donc de vous en faire lecture pour que votre sagesse les apprécie.

(1) L. 8 ff, de Usuf. et Usuf. legato. L. An. Usuf. 56 ff de usuf.

(2) Titre X1, de l'Usufruit, in fine.

LIVRE III.

TITRE XII.

DE L'ÉCHANGE.

Rédaction communiquée au Tribunat.

Le citoyen Galli présente une nouvelle rédaction du titre XII du livre III du projet de Code civil.

Le Conseil l'adopte en ces termes :

De l'échange.

Art. 1er L'échange est un contrat par lequel « les parties donnent respectivement une chose « pour une autre. »

Art. 2. « L'échange s'opère par le seul consen«tement, de la même manière que la vente.

Art. 3. « Si l'un des échangeurs a déjà reçu la <«< chose à lui donnée en échange, et qu'il prouve << ensuite que l'autre contractant n'est pas pro« priétaire de cette chose, il ne peut pas être forcé livrer celle qu'il a promise en contre-échange, « mais seulement à rendre celle qu'il a reçue. » Art. 4. « Le copermutant, qui est évincé de la « chose qu'il a reçue en échange, a le choix de « conclure à des dommages et intérêts, ou de ré"péter sa chose. »>

Art. 5. « La rescision pour cause de lésion n'a « pas lieu dans le contrat d'échange.

Art. 6. « Toutes les autres règles prescrites pour «le contrat de vente s'appliquent d'ailleurs à «< l'échange.

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Le Consul ordonne que le titre ci-dessus sera communiqué officieusement, par le secrétaire général du Conseil d'Etat, à la section de législation du Tribunat, conformément à l'arrêté du 18 germinal an X.

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SECTION II.

Du dépôt volontaire.

Art. 7. « Le dépôt volontaire se forme par le consentement réciproque de la personne qui « fait le dépôt et de celle qui le reçoit.

Art. 8. « Le dépôt volontaire ne peut régulière«ment être fait que par le propriétaire de la «< chose déposée, où de son consentement exprès « ou tacite »>

Art. 9. « Le dépôt volontaire doit être prouvé « par écrit. La preuve testimoniale n'en est point « reçue pour valeur excédant 150 francs. >>

Art. 10. Lorsque le dépôt n'est point prouvé « par écrit, celui qui est attaqué comme déposi« taire en est cru sur sa déclaration, soit pour « le fait même du dépôt, soit pour la chose qui « en faisait l'objet, soit pour le fait de sa resti

<< tution. >>

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Art. 14. « La disposition de l'article précédent « doit être appliquée avec plus de rigueur : 1o si « le dépositaire s'est offert lui-même pour rece« voir le dépôt; 2° s'il a stipulé un salaire pour « la garde du dépôt; 3° si le dépôt a été fait uni« quement pour l'intérêt du dépositaire; 4° s'il a « été convenu expressément que le dépositaire répondrait de toute espèce de fautes. »

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Art. 15. « Le dépositaire n'est tenu, en aucun « cas, des accidents de force majeure, à moins qu'il n'ait été mis en demeure de restituer la « chose déposée.

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Art. 16. « Il ne peut se servir de la chose déposée, sans la permission expresse ou présu«mée du déposant »

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Art. 17. « Il ne doit point chercher à connaître quelles sont les choses qui lui ont été déposées, « si elles lui ont été confiées dans un coffre fermé

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<«< ou sous une enveloppe cachetée. »

Art. 18. « Le dépositaire doit rendre identi

<< quement la chose même qu'il a reçue.

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Ainsi, le dépôt des sommes monnayées doit

« être rendu dans les mêmes espèces dans les<< quelles il a été fait, soit dans le cas d'augmen«tation, soit dans le cas de diminution de leur « valeur. >>

Art. 19. « Le dépositaire n'est tenu de rendre « la chose déposée que dans l'état où elle se « trouve au moment de la restitution. Les dété«riorations qui ne sont pas survenues par son « fait sont pour le compte du déposant.

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Art. 20. « Le dépositaire auquel la chose a été « enlevée par une force majeure, et qui a reçu

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