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coïdes avec l'Egilops speltæ formis, comme le prouve le passage suivant de cet opuscule que je cite textuellement: Ainsi donc la plante, dont M. Fabre a semé les graines, est exactement l'Ægilops triticoïdes de Requien ; il a raison sur ce point; mais celle qu'il a obtenue de ces graines et cultivée pendant douze ans, est encore exactement le même Ægilops, et il se trompe quand il croit y voir autre chose, ou même un changement notable de caractères. Nous avons comparé attentivement les échantillons cultivés et spontanés de sa plante..... et ils ne nous ont offert que des différences sans importance qui ne peuvent pas même constituer une variété (1), et sont analogues à celles que présente une plante quelconque dont on compare les individus venus dans un bon sol à ceux qui ont été pris dans un champ stérile. M. Fabre se trompe également quand il croit que son Ægilops triticoïdes sauvage est issu de l'Egilops ovata; il n'a

(1) M. Jordan pense que les erreurs sur des points de fait ont souvent pour cause les doctrines ou idées théoriques, à l'impulsion desquelles l'observateur obéit dans ses travaux et qui le conduisent, même à son insu, à atténuer la valeur des faits contraires à sa théorie ou à s'exagérer les conséquences qui la favorisent. Nous allons plus loin et nous ajoutons que l'observateur, dominé par les idées préconçues, qu'il s'efforce de faire prévaloir, constate parfois, sur les mêmes objets, après examen attentif et avec la meilleure bonne foi du monde, des faits opposés à ceux qu'il a vus précédemment. Nous trouvons ici un exemple évident de ce que nous avançons.

aucune raison pour admettre que ce soit l'Egilops ovata qui ait produit l'Ægilops triticoïdes, plutôt que ce dernier l'ovata. L'une et l'autre hypothèse est absurde sans doute, mais l'une n'est pas plus insoutenable que l'autre." Ainsi s'exprimait M. Jordan en 1853 (1). Or la plante cultivée par M. Fabre, qui, il y a trois ans, ne constituait pas même une simple variété, est aujourd'hui une espèce légitime, c'est l'Ægilops spelteformis. Cette forme, M. Fabre l'avait donc très-bien distinguée, alors que M. Jordan ne l'avait pas reconnue. Mais si cette dernière plante est pour lui actuellement une espèce, comment peut-il considérer l'Ægilops triticoïdes, beaucoup mieux caractérisé, comme une simple déformation de l'Ægilops ovata, opinion que M. Jordan lui-même, en 1853, considérait comme une énorme absurdité (2); ce sont là ses propres expressions. Il s'agit ici de plantes du même genre, dans lesquelles les caractères tirés de la glume et de ses arêtes doivent avoir dans toutes la même valeur comme caractères spécifiques. Mais si M. Jordan se refuse à admettre que les différences si tranchées, si faciles à apprécier, qui séparent ces deux Egilops, ne sont pas suffisantes pour les distinguer, que sera-ce donc d'une partie des autres espèces qu'il a établies sur des caractères appréciables

(1) De l'origine des diverses variétés ou espèces d'arbres fruitiers, etc., p. 70.

(2) Ibidem, p. 64.

pour lui, mais qui échappent à d'autres observateurs (1)? Or, puisque M. Jordan considère maintenant à peine comme variété, l'Egilops triticoïdes, reconnu, avant la découverte de M. Fabre, comme un type spécifique nettement caractérisé par les botanistes les plus scru— puleux en fait d'espèces végétales, il suit de là rigoureusement, que l'infatigable botaniste de Lyon nonseulement infirme complétement la valeur d'un grand nombre d'espèces qu'il a créées, mais encore qu'il reconnait implicitement la variabilité des espèces, même sauvages.

Mais admettons, pour un moment, que l'Egilops triticoïdes ne soit qu'une déformation de l'Agilops ovata, comment M. Jordan expliquera-t-il ce fait qu'il affirme, d'une manière positive (2), que l'Ægilops triti– coïdes croît quelquefois dans des lieux où ne se trouve pas l'Egilops ovata. Cette dernière plante s'est donc déformée, même là où elle n'existe pas. C'est à lui qu'il appartient de concilier avec ses opinions nouvelles ce fait, que le premier il a signalé, et qui, à notre connaissance, n'a été revu par personne.

(1) En nous exprimant ainsi, nous n'avons pas l'intention de proscrire en bloc toutes les espèces nouvelles publiées par M. Jordan; nous reconnaissons qu'il en a créé de très-solides; mais pour d'autres nous ne sommes pas convaincu de leur légitimité. (2) De l'Origine des diverses variétés ou espèces d'arbres fruitiers, p. 71.

Cette prétendue transformation de l'Ægilops ovata en Egilops triticoïdes serait-elle le résultat de la stérilité de cette dernière plante?

Mais d'abord lÆgilops triticoïdes est-il réellement toujours stérile? Pour admettre cette stérilité absolue, M. Jordan se fonde sur des faits négatifs assez vagues. Il serait cependant important de savoir si les tentatives faites dans les jardins d'Avignon et de Montpellier, pour le reproduire de graines, ont été fréquemment renouvelées, à quelle époque de l'année ces semis ont eu lieu et dans quelles circonstances. Car on sait que les Egilops du midi de la France commencent à germer en automne. M. Jordan invoque le témoignage de M. Touchy, que je ne récuse pas, sur lequel je vais même m'appuyer. J'ai reçu de M. Touchy, en 1852, deux échantillons d'Egilops triticoïdes, et je trouve sur l'étiquette l'indication suivante: a paru dans un champ de millet en 1848 et s'est propagé dans le même champ jusqu'aujourd'hui»; c'est-à-dire, pendant quatre années. Or ces deux échantillons ont chacune des valves de la glume pourvue de deux arêtes courtes dans les épillets inférieurs, plus allongées dans les supérieures, avec une dent intermédiaire; c'est la forme submutica de l'Ægilops triticoïdes, dont nous avons parlé précédemment.

J'ai semé moi-même, en automne 1852, dans mon jardin, séparé des cultures de céréales par toute la longueur d'un faubourg de Montpellier, des graines de la même forme d'Egilops triticoïdes, recueillies par moi

aux environs de cette ville; elles ont parfaitement germé, les pieds ont fleuri, mais ne m'ont donné aucune graine. Cette plante s'est néanmoins, comme on le voit, reproduite pendant une génération (1).

Il résulte, en outre, des expériences de M. Fabre que, pendant les premières années de ses semis, il n'a obtenu qu'un petit nombre de graines et que beaucoup de pieds, bien qu'appartenant à la deuxième et à la troisième génération, n'en ont pas fourni. Il s'agissait cependant là principalement de l'Egilops triticoïdes et non pas de l'Egilops speltæformis, puisque M. Fabre a pris soin de noter que la plupart des pieds des deux premières années de culture offraient deux barbes à chaque valve de la glume (2). Parmi eux, il en existait de fertiles et les semis ont pu continuer pendant plusieurs années.

S'il est exact de dire, que les pieds sauvages d'Ægilops triticoïdes produisent rarement des graines, ce qu'il est facile de constater, même dans les herbiers, les faits précédents prouvent néanmoins que cette plante en offre quelquefois, et qu'elle peut se propager pendant un assez grand nombre de générations. L'ensemble de ces faits ne présente rien de contraire aux doctrines,

(1) J'ai déjà cité ce fait dans mes Quelques notes sur la Flore de Montpellier, p. 14 et dans mon mémoire sur la fécondation des Egilops par les Triticum (Ann. sc. nat. 4° série, t. II, p. 218).

(2) Fabre. Des Ægylops du midi de la France et de leur transformation, p. 11.

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