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pothèse, point de départ de tous les médecins de l'antiquité, venait d'être brisée, elle n'était plus admise comme base et principe du raisonnement. Alors partit le signal de l'attaque et de la ruine du grand édifice élevé par Galien quinze siècles auparavant, édifice qu'on avait cru inébranlable. Il fut cependant renversé par une réaction violente, trop violente comme toutes les réactions, car c'est la loi de l'humanité de se jeter toujours d'un extrême à l'autre, sans jamais s'arrêter dans le milieu de la modération et de la justice : étrange bizarrerie de l'esprit humain, qui aujourd'hui foule aux pieds l'idole devant laquelle il se prosternait hier. Toutes les pierres de cet édifice gigantesque furent dispersées au loin; les vérités qu'il contenait furent confondues avec les erreurs et couvertes du même dédain, de sorte qne l'on pût voir, chose inouïe, une découverte faire reculer la science. En effet, Galien avait enseigné que les veines de l'intestin transportent le chyle au foie qui le transforme en sang. La découverte d'Aselli les déposséda au profit des vaisseaux lactés (1). Pecquet annonça ensuite que le chyle était versé directement dans le sang (2); le foie n'était plus le laboratoire où se passent les phénomènes mystérieux de l'hématose, ce n'était qu'un émonctoire propre à le débarrasser de ses fuligi

(1) G. Aselli, de lactibus sive lactis venis. Milan, 1622.

(2) Pecquet. Experimenta nova unatomica, quibus ignotum hactenus chyli receptaculum, et ab eo per thoracem in ramos usque subclavios vasa lactea deteguntur, 1651.

nosités. Thomas Bartholin traita alors le foie, qu'il compare aux plus grands héros, comme on traite tous les héros, dont la cause est perdue; il l'abandonna; et après avoir écrit le chapitre de ses obsèques, il lui composa une épitaphe, dont le sens est : Que le foie, si longtemps fameux, grâce à un titre usurpé, n'est plus, ou n'est plus que le pauvre foie réduit à faire la bile (1).

Mais l'observation attentive des faits ne pouvait manquer d'amener une réaction c'est à nos jours qu'en revient l'honneur; de nouveau la faculté d'absorber fut concédée aux veines, sans cependant la retirer aux lymphatiques (2), et pour parler le langage de Bartholin, le foie fut ressuscité par M. C. Bernard (3), et notre savant confrère M. Blondlot (4): enfin, la vérité proclamée il y a dix-sept siècles par Galien, fut reconnue solennellement depuis quelques années.

Cessons donc de contempler d'un œil dédaigneux l'oeuvre Galinique qui nous a faits ce que nous sommes,

(1) Flourens. Histoire de la circulation du sang. Siste. Viator. Clauditur. Hoc. Tumulo. Qui. Tumulavit. Plurimos. Princeps. Corporis. Tui. Cocus. Et. Arbiter. Hepar. Notum. Sæculis. Sed. Ignotum. Naturæ. Quod. Nominis. Majestatem. Et. Dignitatis. Fama Firmavit. Opinione. Conservavit. Tamdiu. Coxit. Donec. Cum. Cruento. Imperio. Seipsum. Decoxerit. Abi. Sine. Jecore. Viator. Bilemque. Hepati. Concede. Ut. Sine. Bile. Bene. Tibi. Coquas. Illi. Preceris. •

(2) P. Bérard. Physilogie. T. II. 1849.

(3) C. Bernard. De l'origine du sucre dans l'économie animale (Archives générales de médecine. Octobre 1848).

(4) Essai sur les fonctions du foie et de ses annexses. 1846.

dont nous sommes les enfants et les héritiers, qui a imposé à la Médecine moderne ses grandes divisions; cette œuvre enfin, plus rapprochée de la science de nos jours que ne l'était la Médecine enseignée il y a à peine 30 ans. Ce coup d'œil rapide promené sur quelques points de l'histoire de la médecine, nous a montré non-seulement les différentes phases que la doctrine a parcourues, l'origine, les progrès et la décadence de certains systèmes; mais encore nous avons pu voir que dans ses petites révolutions intestines, dans ses querelles intérieures, si je puis m'exprimer ainsi, la Médecine a suivi les mêmes lois et les mêmes errements que des révolutions beaucoup plus grandes et qui se sont opérées sur un théâtre beaucoup plus vaste. C'est que partout les révolutions se font dans les esprits et non dans les choses. Aussi les Lettres et la Philosophie ne sont pas moins indispensables au médecin que les Sciences naturelles.

Il n'aura jamais sur l'homme que des notions fausses et incomplètes, s'il ne l'étudie au moral comme au physique. Ce sont les Lettres qui dans le silence du cabinet lui dévoileront les replis de l'âme, comme son scalpel lui découvre dans l'amphithéâtre les fibres les plus déliées du corps; ce sont les Lettres qui éclairent d'un jour plus doux les teintes sombres et tristes que revètent souvent ces études spéciales; c'est enfin par les Lettres et surtout par cette seconde éducation qu'il y puise, qu'il conserve dans le monde la belle et noble place que la science lui assigne. En sorte que l'on peut dire bien

haut, et je suis heureux de pouvoir l'exprimer ici devant une assemblée où la littérature compte des représentants si distingués, s'il est une science qui peut servir de trait d'union entre les Lettres et les Sciences proprement dites, la Médecine peut à juste titre revendiquer ce privilége.

SOUVENIRS

D'UN

VOYAGE EN ÉGYPTE,

DISCOURS DE RÉCEPTION

PAR M. L. LACROIX.

MESSIEURS,

J'ai à vous dire aujourd'hui quelque chose de plus que les remerciements habituels, car en élargissant vos rangs pour recevoir les nouveaux hôtes que la fondation des Facultés amenait dans vos murs, en nous suscitant par votre cordiale hospitalité des titres à l'honneur de siéger au milieu de vous, vous nous avez montré quelque chose de plus que de la bienveillance ordinaire. Déjà l'un de nous (1) s'est chargé de vous adresser au nom de tous, et il lui convenait particulièrement de le faire, l'expression collective de notre reconnaissance. Je sais combien du fond du cœur j'ai applaudi à son langage,

(1) M. Benoit, doyen de la Faculté des lettres, dans son discours de réception du 31 mai 1855.

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