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et les idées dont elles s'occupent, chacune dans sa sphère, coïncident presque toujours dans leur faveur et leur disgrâce, dans leur triomphe et leur chute, et plus d'une fois les systèmes d'Aristote, de Descartes, de Spinosa ont servi de base aux théories médicales.

A entendre le langage de quelques médecins modernes, on croirait la médecine née d'hier: ils prennent en pitié comme des aberrations de l'esprit les théories de Galien et de ses devanciers; à leurs yeux elles n'auraient pas plus de mérite que les idées des alchimistes sur la transmutation des métaux. Que l'on compare cependant ces systèmes avec les théories actuelles sur les causes des maladies et sur les méthodes curatives, et l'on se sentira pénétré de plus de respect pour nos ancêtres, car dans les vérités que nous possédons, ils en ont conquis plusieurs et entrevu un grand nombre.

Il y a trente ans à peine qu'un médecin français, esprit hardi et généralisateur partit de l'excellent principe qu'il fallait simplifier la Médecine. Son symbole était peu chargé d'articles pour lui toute maladie dépend d'une lésion d'organe; fatalement elle est engendrée par l'inflammation.

Il changea alors tous les noms désignant les maladies, et à l'exemple de Guyton de Morveau, il imagina une nomenclature nouvelle qui était l'expression d'un systè– me complet dont il voulut imposer les doctrines aux savants de tous les pays.

On s'explique alors l'abime qui sembla exister pour

les disciples de ce maître entre la science actuelle et l'ancienne Médecine.

En effet, la nouvelle théorie et les nouveaux noms rompirent les liens du passé et effacèrent l'origine de toutes les découvertes importantes, de toutes les observations faites jusqu'à Broussais. La Médecine aussi, Messieurs, venait de faire sa révolution.

Ce système fut accueilli avec enthousiasme par la jeune génération, et cela devait être, car autant il séduisait par sa simplicité et la rigueur de sa logique, autant il donnait de courage et d'espoir au médecin dans sa lutte avec la maladie où il est souvent vaincu par son terrible adversaire. Maintenant armé d'une formule qui résout tous les problèmes, l'inflammation, et d'une méthode curative qui ne connait plus l'hésitation, la saignée, il abordera son ennemi sans crainte; et au lieu de le laisser grandir et se fortifier, il l'anéantira dès son apparition; une seule condition seulement sera nécessaire, il faudra qu'il ait été appelé à temps. Alors la phthisie pulmonaire ne sera plus à redouter, puisqu'elle n'est que le produit d'une inflammation lente du poumon; en opposant promptement à un rhume les moyens les plus énergiques, on préviendra à coup sûr l'invasion du fléau le plus terrible.

Quoi de plus consolant qu'un pareil système ! mais malheureusement c'était de belles illusions qui devaient s'évanouir devant la froide expérience.

Cette doctrine, Messieurs, qui jeta un si vif éclat, avait

déjà été saluée dix-sept siècles plus tôt. En effet, à l'époque où Galien élaborait ses brillantes théories pathogéniques, on disputait comme hier, comme aujourd'hui, sur la question des maladies générales et des maladies locales. L'école d'Erasistrate était encore debout; elle refusait d'admettre comme causes des maladies, les altérations des humeurs. Elle niait qu'il y eût des cas où la fièvre fût indépendante de la lésion des solides, et cette lésion était le plus souvent un inflammation. Certes en lisant les pages que Galien consacre à cette polémique, on se croit transporté à l'époque où Broussais proclamait que toute maladie a son point de départ dans une altération particulière des solides, l'inflammation. A ceux-là donc qui montrent tant de dédain pour l'antiquité, je dirai, prenez garde, vous reniez votre berceau.

Il en est, Messieurs, du progrès des sciences naturelles comme de l'histoire des peuples, où tout événement est toujours la conséquence de circonstances ou d'événements qui l'ont précédé. De même que tout phénomène dans la nature animée ou inanimée, suppose toujours certaines conditions qui le provoquent, de même le progrès dans les sciences naturelles est déterminé par l'acquisition antérieure de certains faits, de certaines vérités ou connaissances dues à des faits déjà observés.

Un nouveau système, une nouvelle théorie est toujours le résultat d'observations plus ou moins étendues, contraires aux doctrines en vigueur.

Lorsque Broussais jeta les bases de son système, il

n'annonça aucun fait nouveau : les faits étaient pour ainsi dire tous connus, ou du moins il était difficile d'en produire qui n'aient point été relatés par quelque observateur; il comprit alors que les rapprocher était le devoir de tout médecin jaloux de s'acquitter envers l'humanité. "Si vous les disposez, d'après leur degré d'analogie, " si vous les interrogez séparément à l'imitation de l'im"mortel Morgagni, si vous les forcez de se prêter une » vive lumière, dit l'auteur des phlegmasies chroniques, » vos yeux seront bientôt frappés d'un jour inattendu, et " vous verrez s'agrandir l'horizon de la science (1). " Le mérite de ce grand homme est d'avoir rassemblé les membres épars du corps de la science; mais aveuglé par l'esprit de système, il n'a pas su se préserver des dangers de l'exclusivisme, il a poussé la généralisation jusqu'à ses dernières limites.

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Sans doute, soyons fiers des découvertes modernes, elles illustrent notre siècle, mais en revanche n'oublions pas que les idées de Galien et de Paracelse dominent encore dans l'esprit de la plupart des médecins sauf les expressions, les mêmes opinions se sont conservées. Prenons quelques exemples: En considérant la masse encéphalique, Galien se demande comment y peuvent prendre naissance les phénomènes si remarquables de l'intelligence, du mouvement et du sentiment. Il répond à sa question en supposant que, dans le cerveau, par un laborieux enfantement, il se produit un principe parti

(1) Broussais. Phlegmasies chroniques, t, I.

culier, un esprit, l'esprit animal, principe analogue à cette puissance occulte que, de nos jours, on a désignée sous le nom de fluide nerveux, principe à l'aide duquel on explique tous les faits qui se rapportent aux fonctions du grand système de la vie de relation. Esprit animal, fluide nerveux, n'est-ce pas sous des noms différents, une seule et même chose?

N'oublions jamais, Messieurs, qu'un des principaux caractères de l'école Grecque dont le médecin de Pergame a été le restaurateur et le dernier représentant, c'est d'avoir posé et débattu la plupart des questions qui depuis ont été agitées dans la science (1). Elle a ouvert les voies où les modernes se sont engagés. Cela est vrai, non-seulement pour la médecine, mais encore pour toutes les autres branches de nos connaissances. L'esprit humain semble avoir pressenti dès l'abord toutes les vérités, comme s'il les avait reçues en dépôt. En voici encore un exemple bien remarquable.

Gall qui a laissé en anatomie et en physiologie des traces profondes de son passage a cherché à établir:

Qu'il existe un rapport évident entre le développement de l'intelligence et le volume du cerveau ;

Que la masse cérébrale est composée de parties distinctes ou d'organes spéciaux, dans lesquels sont localisés chaque penchant, chaque passion, chaque faculté, et que le développement de l'organe et de la faculté sont en raison l'un de l'autre ;

(1) Tartivel. Cours d'histoire de la médecine, par M. Andral.

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