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Si les œuvres d'Huel étaient réunies, elles pourraient s'intituler, comme celles de l'abbé de Saint-Pierre, son ami: Rêves d'un homme de bien.

Huel mourut dans sa cure, à Rouceux, le 3 septembre 1769 (1).

(1) C'est à tort que le Diction. de Feller le fait mourir en 1776.

HERMIAS,

PAR M. STIÉVENART.

La puissance de la raillerie était grande sur l'esprit des Grecs. L'un d'eux, dont on ignore la ville natale, philosophe et chrétien zélé du second siècle, Hermias, lançait avec dextérité ces flèches légères, tandis qu'entre les mains des autres Pères orientaux le glaive de la parole sainte, toujours arme défensive, frappait des coups plus salutaires encore. L'opuscule d'Hermias, peu connu, et, en maint endroit, fort obscur, a pour titre les Philosophes païens raillés (1). Dans un cadre ingénieux et sous une forme vive et piquante, l'auteur, doué d'un vaste savoir, passe en revue tous les rêveurs célèbres du paganisme. Une épithète, un trait, lui suffisent pour caractériser, avec une justesse enjouée, l'homme et le système. Chacun vient exposer rapidement son opinion sur la Divinité, sur l'âme humaine, sur les principes des choses. C'est un petit drame, un deu bouffon vers la fin, qui rappelle, moins le cynisme,

(4) Διασυρμὸς τῶν ἔξω Φιλοσόφων. Voyez Hermias, à la suite des OEuvres de saint Justin, pages 402 à 407, édition des Bénédictins 1742.

la causticité de Lucien vendant, vers la même époque, les philosophes à l'encan, et crayonnant ce Menippe qui, rebuté de leurs interminables disputes, prend le parti d'imiter Icare, et d'aller voir par lui-même ce qui se passe aux cieux (1). Mais la plaisanterie du sophiste de Samosate n'aboutit qu'au scepticisme universel, tandis que celle d'Hermias conduit à la foi. Ici les acteurs se succèdent sur la scène, de manière que le second détruit toujours ce qu'avance le premier. Joignez à cela une heureuse flexibilité, qui prévient la monotonie, écueil du sujet, et sait trouver autant de tours nouveaux que l'auteur évoque de personnages. Faiblesse de notre raison abandonnée à elle-même, besoin qu'elle a de la lumière d'en haut, grandeur du bienfait de la révélation: telles sont les conclusions implicites et graves de ce pieux pamphlet, que l'auteur du Voyage d'Anacharsis avait lu sans doute, lorsqu'il fait parler le grand-prêtre de Cérès sur les causes premières (2). Et même, pour se convaincre de l'exactitude des assertions 'd'Hermias sur la doctrine sommaire de chaque philosophe ancien, on ne consulterait pas sans fruit les sources diverses où Barthélemy a puisé.

Nous traduisons le Apμó;, en déclarant bien haut qu'aujourd'hui on en sait plus long, on s'exprime plus clairement, on s'accorde infiniment mieux qu'autrefois.

(1) Βίων πρᾶσις. Ικαρομένιππος ἢ Ὑπερνέφελος.

(2) Voyage d'Anacharsis, chap. XXX.

Paul, le bienheureux Apôtre, mes bien-aimés, écrivait aux Corinthiens, voisins de la Laconie: La sagesse de ce monde est folie devant Dieu. Et ce n'était point parler à l'aventure. Cette sagesse, en effet, m'a bien l'air de remonter à la rébellion des anges (1): de là, le perpétuel antagonisme des philosophes dans l'exposition de leurs systèmes.

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Qu'est-ce que l'âme? Démocrite répondra C'est un feu; le Stoïcien, une substance aérienne; d'autres, une intelligence; Héraclite, le mouvement. - C'est une une émanation des astres. vapeur; Pythagore la définira un nombre moteur, une monade; Hippon, une eau génératrice (2); Dinarque, une harmonie; Critias, du sang! - Ceux-ci l'appellent un souffle; ceux-là, une quintessence des éléments (3).

Voilà donc la guerre entre tous ces anciens. Et, par suite, quelle logomachie sur ce seul point! Quelle fureur d'argumentation entre sophistes plus ardents à se quereller qu'à chercher la vérité!

Passe encore qu'ils ne s'accordent point sur la naturę de l'âme mais, sur le reste, leurs oracles seront-ils unanimes? Voyons.

(1) Première Epitre aux Corinthiens, chap. 1, v. 20. La version reproduite par Genoude (les Pères de l'Église traduits) présente ici un lourd contre-sens, que M. Guillon, d'ordinaire aussi peu fidèle, avait évité dans sa Bibliothèque des Pères.

(2) Αριθμὸν κινητικόν. ... ύδωρ γονοποιόν.

(3) Στοιχεῖον ἀπὸ στοιχείων.

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L'un place le bonheur de cette âme dans le bien ; l'autre, dans le mal; un troisième, entre les deux. - Elle est immortelle. Elle paie tribut à la mort. - Elle dure

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peu. la résout en atomes (1). — On lui assigne ici trois trans

Tel la fait passer dans le corps de la brute; tel

migrations diverses; là, une période de trois mille ans (2). — Trois mille ans, philosophe! toi, qui les garantis, es-tu sûr de vivre un siècle?

Comment caractériser toutes ces opinions? Est-ce jonglerie, démence, absurdité, ou rage de contredire? Ne serait-ce pas plutôt tout cela à la fois? S'ils ont trouvé la vérité, qu'ils aient tous même langage; que l'un, dumoins, approuve ce qu'un autre avance: alors, ô sages! je serai volontiers de votre avis. Mais, quand vous déchirez ainsi cette pauvre âme et la mettez en pièces, quand celui-ci change sa nature, celui-là son essence, quand vous la faites voyager d'une matière en une autre, mon esprit se révolte contre ces transformations sans fin. Tantôt je suis immortel : quel bonheur! tantôt destiné à mourir quel sujet d'affliction! L'instant

(1) Οἱ δὲ ἀποθηριοῦσιν αὐτήν, οἱ δὲ εἰς ἀτόμους διαλύουσιν.

(2)

Has omnes, ubi mille rotam volvere per annos,
Lethæum ad fluvium deus evocat agmine magno,

Scilicet immemores supera ut convexa revisant,
Rursus et incipiant in corpora velle reverti.

(Enéide, I. VI, v. 748.)

Les trois transmigrations et la période de trois mille ans sont réservées par Platon, dans le Phèdre, à l'âme du philosophe qui a cherché la vérité avec un cœur simple.

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