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pourquoi refuseriez-vous d'en délibérer? L'honorable M. Rivet disait : « Le conseil d'Etat doit avoir l'un ou l'autre de ces deux caractères où être un corps administratif, ou être un corps politique. Eh bien, la commission en fait un corps politique, par cela seul qu'elle attribue la nomination des conseillers à l'Assemblée souveraine. Est-ce le premier des corps politiques à constituer?»

Voilà, si je ne me trompe, messieurs, l'obection qui a réussi le plus à frapper l'Assemblée, et à laquelle je demande à répondre

Et d'abord je vous fais remarquer que dans ces grands dissentiments que l'on prétend avoir signalés entre le Gouvernement et la commission, il n'y en a qu'un qui soit sérieux et fondamental, c'est le mode de nomination des membres du conseil d'Etat : seront-ils nommés par l'Assemblée, seront-ils nommés par le pouvoir exécutif? Veuillez vous rappeler que, dans les vingt-neuf articles du projet de loi qui vous est présenté, c'est le seul dissentiment sérieux qui se soit élevé contre nous.

On ne parle que du projet de la commission, mais le Gouvernement a présenté son projet. Nous avons fait du conseil d'Etat un corps purement administratif; nous ne l'avons pas inventé, nous n'avons rien innové; nous avions devant nous deux grandes lois qui nous ont servi de modèles : la loi de 1845 faite sous la monarchie, la loi de 1849 faite sous la République, l'une et l'autre constituant un conseil administratif; car nous nous sommes arrêtés là, à l'idée d'un conseil administratif, très-bien composé, très-bien organisé, modèle d'organisation. Nous avons recueilli dans ces deux grandes lois, cet héritage que nos prédécesseurs nous avaient laissé; nous avons présenté un projet de loi qui, presque tout entier, a été adopté par la commission, excepté le point fondamental dont je parlais tout à l'heure. (Interruptions.)

Je trouve étrange, parce que, dans un projet de loi composé de vingt-neuf articles, il y a un point, un seul sur lequel...

Un membre. C'est le point fondamental !

M. le garde des sceaux. Quelque important qu'il soit, ne m'interrompez pas... un seul point sur lequel le Gouvernement et la commission ne seront pas d'accord, je trouve étrange, dis-je, que l'Assemblée se décide par cela seul et dise qu'elle ne veut pas délibérer!» Voilà pourtant ce que l'on vous demande. (C'est vrai! Très bien!)

Eh bien, messieurs, ceux qui pensent, avec le Gouvernement, qui soutient son projet, que le conseil d'Etat, quelles que soient les éventualités futures, doit être un corps administratif aujourd'hui, comme il le sera plus tard, ceux-là, et il y en a dans l'Assemblée, je l'espère, j'ose m'en flatter, ceux-là ne rencontrent aucun obstacle; il n'y a pas de raison pour qu'ils refusent de faire aujourd'hui un corps administratif.

Mais, me dit-on, la commission veut aller plus loin; elle veut en faire un corps politique, et la preuve, c'est qu'elle en attribue la nomination à l'Assemblée elle-même. Ceux qui sont pénétrés de cette idée que l'on ne peut pas, dans l'état actuel des choses, faire du conseil d'Etat un corps politique, ont un moyen bien simple de ne pas en faire un corps politi

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que; il n'y a pas besoin de longues délibérations; ils repousseront ce mode de nomination qui, à leurs yeux, donnerait un carac tère politique au conseil d'Etat, et ils en feront avec nous un corps administratif. (Trèsbien ! C'est cela! Rires)

Veuillez le remarquer, messieurs, nous vous demandons un conseil d'Etat, corps administratif, nous vous offrons les moyens, de le constituer, et vous diriez Mais, à l'avenir, si nous déclarons qu'il n'y aura qu'une Chambre dans le pays, et cela ne serait guère compa

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tible qu'avec le gouvernement républicain, nous pourrons avoir l'intention de donner au conseil d'Etat un caractère politique. Vous le ferez, messieurs; rien ne sera plus facile que de le faire alors; mais de ce que vous êtes obligés, pour le faire, d'attendre le jour où vous déclarerez que vous vous constituez définitivement en république avec une seule Chambre, à cause de cela, vous ne donneriez pas au Gouvernement le corps administratif qu'il vous demande! Vous voudriez vous en tenir à un provisoire qui, je-vous le répète avec assurance, moins par le nombre, par l'exactitude, par le zèle de ses membres, que par le caractère même dont il est revêtù, n'a pas l'autorité morale que doit avoir le conseil d'Etat.

Comment, messieurs! vous avez déjà, et sur la demande de ceux mêmes qui me combattent, donné par vos lois, au conseil d'Etat, des attributions importantes; sur la proposition des membres de la commission des finances, vous avez renvoyé au conseil d'Etat, pour les détails de vos lois d'impôts, une foule de règlements d'administration publique à faire; c'est le conseil d'Etat qui est obligé en vertu de vos lois de finances, et par des règlements d'administration publique dont une partie a été faite ; c'est le conseil d'Etat qui est obligé de faire descendre, dans la pratique, jusqu'au contribuable ce qu'il peut y avoir de douloureux dans les lois d'impôt que vous avez votées; croyezvous que pour les règlements d'administration publique ainsi que pour vos lois il ne faille pas les entourer de toute l'autorité morale dont ils peuvent être investis? (Très-bien! très-bien !)

Eh bien, permettez-nous donc d'avoir un véritable conseil d'Etat pour faire les règlements d'administration publique que vous pres crivez.

Dans la loi sur les conseils généraux, à la demande de la commission de décentralisation et à la demande de l'auteur du contre-projet actuellement en discussion, qu'avez-vous dit? Dans quatre des articles de cette loi vous avez donné au conseil d'Etat le pouvoir, en cas d'illégalité, d'excès ou d'abus de pouvoir, de casser les délibérations des conseils généraux. Comment! vous avez élevé si haut les conseils généraux, et vous voulez mettre si bas l'autorité à laquelle vous donnez le droit de casser leurs décisions? (Très-bien! très bien!)

Tenez-bien pour certain que l'autorité morale n'est pas inutile pour les corps que vous chargez de l'administration dans votre pays. Vous répétez souvent que le pouvoir lui-même est provisoire: un de nos collegues, dans une interruption, est allé tout à l'heure jusqu'à dire que l'Assemblée elle-même est provisoire, que tout est provisoire dans le pays. Eh! sans doute, ne nous dissimulons pas, messieurs,

que dans notre situation il y a quelque chose d'incertain, d'indécis, que n'est pas encore régulier; ce n'est pas notre faute à vous ni à nous, cela tient aux événements terribles que nous avons traversés, mais ne le répétons pas si souvent... (Très-bien! très-bien !), ne disons pas si souvent au pays et à l'étranger, avec lequel nous devons traiter, que nous ne sommes ici qu'une réunion de pouvoirs provisoires, passagers, précaires, qui représentons fortuitement la France, et n'affaiblissons pas l'autorité de notre grande patrie en nous affaiblissant nous-mêmes. (Très-bien! très-bien ! - Applau dissements sur un grand nombre de bancs.) M. le président. La parole est à M. Fres

neau.

M. Fresneau. J'ai besoin de rippeler mes souvenirs et de me sentir appuyé de l'autor té de mon ancien collègue, l'honorable M. Rivet, pour affronter avec autant de sérénité que je le fais la menace de M. le garde des sceaux, d'abaisser le niveau moral et de la commission que vous voudriez nommer et de notre patrie. Je n'ai pas besoin de dire que, si un pareil danger nous menaçait, je serais avec M. le garde des sceaux. Mais, en 1848, une commission provisoire a fait exactement tout ce que la commission, dont M. le garde des sceaux vient de parler, a, selon lui, si bien et si complétement accompli. Elle l'a fait depuis le mois de février 1848 jusqu'au 9 mars 1849, en présence de M. le garde des sceaux d'alors, encore garde des sceaux aujourd'hui. (Sourires.) A ce moment, s'il y avait eu un si grand inconvénient à ce qu'un corps administratif n'ayant pas un caractère politique s'occupât des questions de contentieux et des questions administratives urgentes, je le demande à l'honorable garde des sceaux, aurait-il attendu si longtemps, et M. Vivien, son collègue à l'intérieur, aurait-il attendu, et M. Rivet aurait-il été du même avis, et aurions-nous vu l'administration en souffrance pendant onze, douze et treize mois de suite sans qu'aucun des ministres et des membres du Gouvernement réclamât? (Marques d'adhésion.)

Je me demande pourquoi les périls qu'on n'apercevait pas alors, on les aperçoit aujourd'hui. C'est que, messieurs, on reconnaissait alors, quoiqu'il y eut un gouvernement établi, acclamé, une forme de gouvernement défi. nitive, on reconnaissait, dis-je, qu'avant de constituer un conseil d'Etat, il fallait que les questions d'organisation gouvernementale fussent résolues, et c'est le motif qui fit que, à l'époque dont je parle, en présence, je le répète, de l'adhésion de M. le garde des sceaux lui-même et de tous ses amis, rien ne fut fait relativement au conseil d'Etat avant que la Constitution tout entière eût été promulguée.

Je crois avoir répondu ainsi au principal argument de M. le garde des sceaux: la crainte de ne pas donner à la commission administrative une autorité morale suffisante pour régler les questions contentieuses. Mais je suis tout prêt à reconnaitre que cette commission administrative a de bien autres choses à faire qu'à résoudre des questions de contentieux.

M. le garde des sceaux vous l'a rappelé, elle statue sur les questions résolues en premier ressort par les conseils généraux; elle est chargée des appels comme d'abus, si on maintient

la juridiction ancienne; elle juge les recours pour excès de pouvoir. Et vous n'appelez pas cela des matières politiques! Et vous croyez me ra-surer complétement en disant que, si la nomination des conseillers d'Etat émane d'ici ou de là, du pouvoir exécutif ou de l'Assemblée nationale, par cela seul que le mode de nomination sera différent, le caractère du conseil d'Etat se trouvera modifié! vous croyez que dans un cas vous aurez un corps politique, et dans l'autre un corps administratif !

Mais, messieurs, le caractère, soit administratif, soit politique d'un corps constitué, ne dépend pas de l'autorité qui le nomme, mais des attributions qui lui sont conférées. Par conséquent, sans danger pour la dignité de l'Assemblée, sans danger pour l'honneur de notre grande patrie, sans danger même pour l'autorité de la commission qui sera nommée et qui est parfaitement capable de répondre aux nécessités de la tâche limitée qu'on lui donne, nous pouvons attendre, et il y a un intérêt politique sérieux à attendre que la Constitution soit faite avant d'organiser le conseil d'Etat.

Je crois avoir répondu aux deux principaux arguments de M. le garde des sceaux. Quant à celui qui me touche, à celui qui détermine mon vote, il est, je dois le dire, tiré d'un ordre de considérations différent et sur lequel je demande la permission d'appeler un instant votre attention.

Si, au début, peu de temps après notre réunion, le Gouvernement nous avait dit: Nous sommes parfaitement d'accord avec vous sur toutes les questions d'administration générale; nous voulons décentraliser comme vous; nous avons les mêmes vues que vous pour la réorganisation de l'armée, nous partageons votre manière de voir pour le gouvernement de l'enseignement public en France, mais il y a des matières administratives qu'un conseil d'Etat bien constitué peut vous aider efficacement à régler, et nous vous demandons de créer ce conseil d'Etat, de faire, comme en 1848, donner leur démission à un certain nombre de membres de cette assemblée qui, comme l'honorable M. Vivien, comme l'honorable M. Rivet, allèrent dans une enceinte voisine, membres d'un corps qui venait d'être établi, préparer des lois qui étaient ensuite apportées à l'Assemblée constituante; si on nous avait dit cela, je l'aurais compris; mais je ne parle pas de l'appui que nous avons trouvé dans le Gouvernement (Mouvements divers.) pour la préparation soit de la loi sur l'armée, soit de cette loi de décentralisation que nous avons emportée, à une grande majorité, il est vrai, mais un peu par nous-mêmes, et sans que le Gouvernement se soit fatigué beaucoup à nous aider à l'obtenir.

M. Amédée-Lefèvre Pontalis. Il s'est fatigué à nous combattre, au contraire !

M. Fresneau. Maintenant que c'est fait, que c'est établi, lorsqu'il ne s'agit plus que d'appliquer les lois, je ne vois nullement la nécessité de nous donner un corps définitif qui n'appliquera peut-être pas toujours les lois dans le même esprit que la grande Assemblée qui les a votées. (Marques d'assentiment.) Dès lors, restreindre aux attributions administratives, je suis d'accord en cela avec l'honorable garde des sceaux, les fonctions de la

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commission agrandie dont on sent la nécessité, ajourner les questions politiques, écarter tout ce qui nous divise, concentrer nos efforts sur tout ce qui nous unit, sur les matières de politique générale, de réorganisation de l'armée, des finances, d'organisation de l'enseignement, sans multiplier les occasions de collision et de lutte entre les deux pouvoirs qui se trouvent constitués en face l'un de l'autre, voilà, à mon avis, ce que la sagesse, la vraie politique, et les précédents nous conseillent.

Je crois avoir répondu à toutes les objections de M. le garde des sceaux, et j'appuie de toutes mes forces l'amendement en discussion.

(Approbation sur divers bancs. Aux voix ! aux voix !)

M. Gambetta. Messieurs, le débat qui s'agite à l'heure présente devant l'Assemblée avait déjà été effleuré dans la première délibération du projet sur la réorganisation du conseil d'Etat et comme au fond, ainsi que l'a trèsbien expliqué l'honorable garde des sceaux, tout se réduit à savoir quel sera le mode de nomination des membres du conseil d'Etat, plusieurs de nos amis et moi, nous abandonnons la proposition que nous avions faite de ne pas passer outre à la délibération, estimant que l'article 3 du projet qui nous est soumis est le siége de la difficulté et que c'est là que nous pourrons produire utilement nos critiques. (Mouvements divers.)

M. le garde des sceaux. C'est juste!

M. Raudot. Je suis un des signataires du contre projet qui a été présenté par M. Target, et je vous dois, messieurs, quelques mots d'explication.

On a traité notre amendement de coalition parlementaire; c'est nn bien gros mot pour une chose toute simple et toute naturelle.

Est-ce que vous croyez qu'il faut, parce qu'on a des opinions politiques différentes, être toujours séparés les uns des autres? Est-ce qu'il n'y a pas des occasions où l'on se trouve d'accord dans l'intérêt de son pays? Eh bien alors, en rapprochant sa signature de certaines autres, on donne un exemple qui doit être suivi et qui, je l'espère, le sera souvent. (Très-bien! trèsbien!)

Vous connaissez, messieurs, le proverbe qui dit « Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. » Ce proverbe se confirme parfaitement aujourd'hui. (Rires.)

J'ai cru véritablement être rajeuni de vingtquatre ans, parce que, en 1848, nous avons entendu exactement la discussion qui vient d'avoir lieu, à l'occasion de la Constitution républicaine rien n'y manque, pas même M. le garde des sceaux ni M. Rivet. (Nouveaux rires.)

Un membre. Ni M. Raudot!
M. Raudot. Je n'y étais pas.

Il s'agissait, à ce moment-là, de faire la Constitution, et toute l'Assemblée était pénétrée de cette idée, qu'un des objets les plus importants de la Constitution, c'était la question de savoir s'il y aurait un conseil d'Etat, comment ce conseil d'Etat serait organisé et quelles seraient ses attributions.

L'Assemblée nationale d'alors, qui, sans conteste, était l'Assemblée constituante, déclara qu'il y aurait un conseil d'Etat nommé par elle-même, et elle remit à une loi organique le

soin d'organiser ce conseil d'Etat. Eh bien, messieurs, le conseil d'Etat qui fut organisé à cette époque, je le vois revenir tout rajeuni... (Sourires.) C'est exactement, ou presque exactement la même chose. Et il ne peut pas en être autrement, permettez-moi de vous le dire, car la question du conseil d'Etat et de ses pouvoirs, c'est une question essentiellement constitutionnelle.

On a eu l'air de dire que sous tous les régimes il y aurait un conseil d'Etat : le mot, oui, il y a toujours été; mais la chose a grandement varié, selon le gouvernement et la constitution de l'Etat. Permettez-moi de vous le dire, il est absolument impossible de méconnaitre que le conseil d'Etat qu'on nous propose d'organiser est un conseil d'Etat constitutionnel et politique.

M. le garde des sceaux, très-habilement, je le reconnais, a dit : « Mais toute la difficulté est de savoir comment on nommera le conseil d'Etat. Selon que vous voudrez le faire nommer par l'Assemblée ou par le pouvoir, il y aura un changement considérable; mais en somme il sera toujours le conseil d'Etat. »

Messieurs, il n'y a pas seulement dans le projet qui vous est présenté la question controversée de la nomination du conseil d'Etat, et ce n'est pas uniquement pour cela que la loi sur le conseil d'Etat peut et doit être une partie de la Constitution; il y a les attributions politiques, et lorsque je vois, par exemple dans l'article 8, que le conseil d'Etat donne son avis: 1o sur les projets d'initiative parlementaire que l'Assemblée nationale juge à propos de lui renvoyer; 2o sur les projets de loi préparés par le Gouvernement, et qu'un décret spécial ordonne de soumettre au conseil d'Etat; 3° sur les projets de décret, et en général sur toutes les questions qui lui sont soumises par le Président de la République, ou par les ministres; lorsque je vois ensuite qu'il est appelé nécessairement à donner son avis sur les règlements d'administration publique et sur les décrets en forme de règlement d'administration publique, «qui sont en réalité des lois; »lorsque je vois que le président du conseil d'Etat et le rapporteur du conseil d'Etat viendront à cette tribune soutenir les projets de loi, je dis que c'est tout simplement un rouage considérable de la Constitution.

Plusieurs voix. C'est vrai! c'est vrai !

M. Raudot. Eh bien, messieurs, voulezvous faire la Constitution? Alors il faut aller au fond des choses, il ne faut pas se payer de mots. Voulez-vous faire la Constitution? Il faut examiner et décider toutes les questions constitutionnelles dans leur ensemble; sinon vous allez faire une partie de la Constitution pour ainsi dire en cachette, subrepticement. Est-ce qu'en pareille matière tout ne doit pas être fait dans un esprit unique et logique? Si vous voulez faire une Constitution, nommez une commission de Constitution qui examinera les questions dans leur grandeur; mais ne faites pas la Constitution par, bouts et par morceaux, ce serait détestable!

Le conseil d'Etat étant donc une partie de la Constitution, remettez son organisation à l'éT oque où vous saurez qu'elle sera la constitution du pays.

En 1848, est-ce qu'on a eu l'idée de faire le

conseil d'Etat séparément, et de ne pas voir les autres parties de la Constitution? Pas le moins du monde; on a fait un ensemble. De même, quand vous voudrez faire la Constitution, il vous faudra embrasser l'ensemble; sans cela vous ne ferez rien de bon.

Il y a encore une autre considération. Vous avez nommé une commission pour examiner 'ensemble des services administratifs de la France, et vous proposer les réformes à faire dans l'administration française. Cette commission a fonctionné avec un grand zèle; vous n'avez pas encore lu son rapport, et vous allez trancher toutes les questions comme si cette commission n'avait pas fait un travail considérable et parfaitement raisonné, parfaitement logique, et que vous devez connaître avant de décider ce que sera le conseil d'Etat!

On nous dit: il faut que l'on expédie les affaires!

Nous sommes parfaitement de cet avis-là, et c'est pourquoi nous vous proposons de doubler le nombre des membres de la commission provisoire remplaçant le conseil d'Etat qui, dans ce moment-ci, expédient les affaires.

Vous nous dites encore : Mais elle n'aura pas d'autorité morale, votre commission telle qu'elle sera organisée !

Lorsque le Gouvernement a présenté son projet, il a déclaré de la manière la plus formelle, dans son exposé des motifs, que le conseil qu'il proposait ne serait qu'un conseil provisoire. Par conséquent, la commission faisant fonctions de conseil d'Etat, si elle était complétée par une décision de l'Assemblée, aurait toute l'autorité que pourrait avoir le conseil d'Etat institué sur les bases indiquées par M. le garde des sceaux.

Il semblerait, au dire de certains orateurs, que le public se préoccupe beaucoup de la composition du conseil d'Etat, que les justiciables ou les administrés veulent absolument avoir un plus grand nombre de juges ou de donneurs d'avis.

Je ne sais où l'on a vu cet empressement du public, des justiciables, des administrés. Je n'ai pas lu une seule pétition sur ce point-là, pas une seule.

Et qui donc est si pressé en ce qui touche cette question du conseil d'Etat? J'ai bien peur que les plus pressés ne soient ceux qui sont disposés à se dévouer à être conseillers d'Etat. (Rires d'approbation et applaudissements sur divers bancs. Réclamations sur d'autres.)

M. Audren de Kerdrel. Votre amendement ouvre la porte aux dévouements dont vous parlez !

M. Raudot. Heureusement que vous avez voté, il y a peu de jours, sur la proposition de l'honorable M. Princeteau, une loi qui refroidira peut-être beaucoup de zèles... (Mouvements divers.)

Dans tous les cas, ce que je viens de dire je l'ai vu il y a vingt-quatre ans. Il y avait un grand empressement alors à se faire nommer conseiller d'Etat ou maître des requêtes. J'espère qu'il n'en serait plus de même aujourd'hui, car nos mœurs ont bien changé il y a beaucoup plus de désintéressement, de dévouement; il n'y a plus d'égoïsme en France. (On rit.)

:

Enfin il a été présenté un argument qui a

ANNALES. = T. XI

frappé un certain nombre de personnes. Il consiste à dire que si nous ne votons pas la loi actuelle, nous serons taxés de défaillance.

Un m1mbre. D'impuissance!

M. Raudot... D'impuissance et de défaillance.

You

A cet égard, permettez-moi de dire que le pays n'est nullement impatient de voir augmenter le nombre des fonctionnaires publics que le pays ne nous regardera pas comme des défaillants, parce que nous aurons lu examiner, dans toute sa grandeur, cette question si importante du contentieux administratif, cette question si importante de savoir si désormais nous aurons le self-government ou si nous aurons la continuation de la paperasserie, de la bureaucratie, de la réglementation comme nous l'avons aujourd'hui. (Très-bien très-bien!)

Ce que vous allez voter, messieurs, c'est une nouvelle charge d'un million qui sera mise sur le pays, et le pays n'est nullement impatient de voir augmenter ses charges; il est impatient, au contraire, de les voir diminuer. (Oui! oui ! Très-bien! très-bien !)

M. Hervé de Saisy. Il a soif de réformes et d'économies!

M. Raudot. Nous vous demandons, messieurs, de ne pas trancher aujourd'hui une question qui doit être tranchée avec toutes les grandes questions constitutionnelles; nous vous demandons de réserver l'avenir et, en même temps nous vous donnons le moyen d'expédier toutes les affaires parfaitement bien, et peut-être avec plus de rapidité que s'il y avait un conseil d'Etat et un plus grand nombre de fonctionnaires. (Marques d'approbation sur divers bancs.)

M. Audren de Kerdrel. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à M. de Kerdrel.

M. Audren de Kerdrel, Messieurs, je ne veux soumettre à l'Assemblée que de trèscourtes observations.

Je fais assez bon marché de la question de savoir si nous aurons un conseil d'Etat dans l'acception reçue de ce mot, ou si nous aurons une commission remplaçant le conseil d'Etat. Mais ce à quoi je tiens, c'est aux prérogatives de l'Assemblée, (Très-bien!) c'est au mode de nomination du conseil ou de la commission; de cela, je ne fais pas bon marché du tout. (Trèsbien très-bien!)

Cette séance, messieurs, est un peu la séance des surprises. Ainsi, je vois mon honorable ami M. Raudot, plus décentralisateur que qui que ce soit, vouloir donner au pouvoir central la nomination des membres du conseil d'Etat, nomination qui, par la commission, est attribuée à l'Assemblée. Et puis, je vois l'honorable M. Rivet, avoir grand'peur de faire un article de Constitution. (Rires et applaudissements.) M. Rivet. J'ai dit le contraire.

M. le marquis de La Rochejaquelein. M. Rivet avait soutenu dans son bureau la nécessité de réorganiser un conseil d'Etat.

M. Audren de Kerdrel. Franchement, j'aurais cru M. Rivet moins timide à cet égard.

M. Rivet. J'ai dit le contraire!

M, Audren de Kerdrel. Il a fait une 15

Constitution entière; elle est courte, mais enfin c'est une Constitution. (Nouveaux rires. Réclamations de la part de M. Rivet).

Cette plaisanterie assurément, si c'en est une, est bien innocente. (Oui! oui!)

Cela posé, j'entre en très-peu de mots dans le vif de la question.

L'honorable M. Rivet a fait une objection qui est grave. Avec sa grande expérience du conseil d'Etat, il a dit : « Il faut que le conseil d'Etat soit un corps administratif et la commission veut en faire un corps politique. » M. Rivet craint qu'un corps nommé par une assemblée politique, devienne exclusivement un corps politique. Je dis que c'est une erreur ou au moins une exagération.

D'abord il a invoqué l'exemple de 1849. Eh bien, l'exemple se retourne contre l'opinion de l'honorable M. Rivet.

Si l'Assemblée de 1849 avait cru former un conseil d'Etat à son image, M. Rivet devrait reconnaître que ce conseil s'est émancipé au delà de la mesure. Eh bien, non, la législative n'avait pas essayé de faire un conseil d'Etat à son image; elle a prouvé qu'elle était une Assemblée impartiale et sage que nous saurons imiter dans cette circonstance. Les hommes de différentes opinions s'étaient rapprochés et s'étaient éclairés les uns les autres; on s'était donné des indications mutuelles, on s'était fait des concessions réciproques, et c'est ce que nous faisons ici tous les jours. Il n'y a pas ici d parti qui veuille dominer, il y a des partis qui veulent s'unir pour sauver la société et le pays. (Approbation sur divers bancs. Rumeurs sur d'autres.)

Vous aurez, en effet, une nomination faite par l'Assemblée qui représentera, je le dis hautement, l'esprit conservateur, mais l'esprit conservateur dans l'acception la plus multiple, la plus large du mot et non dans la signification exclusive que l'on semblait redouter tout à l'heure. D'ailleurs, messieurs, si nous faisons de la politique, il le faut bien dans une Assemblée politique? Estce qu'il n'y a que nous à en faire? Est-ce que le pouvoir n'en fait pas, lui aussi? Ce n'est pas aujourd'hui que je le lui reprocherais, après les belles et grandes paroles que vient de prononcer M. le garde des sceaux à cette tribune. Mais le pouvoir fait de la politique. Eh bien, messieurs, êtes-vous bien sûrs, je puis poser cette question sans blesser le Gouvernement, que si la nomination du conseil d'Etat était laissée au pouvoir, elle ne serait pas aussi plus ou moins entachée d'esprit politique? Je ne vois pas que le pouvoir soit nécessairement plus infaillible que nous, plus inaccessible que nous à l'esprit de parti. Par conséquent, j'ai répondu à la grosse objection de M. Rivet.

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Maintenant, laissez-moi, en terminant, invoquer un principe.

On s'est placé dans les deux hypothèses, ou de la République ou de la monarchie.

L'honorable M. Gambetta, il y a peu de temps, à propos d'une loi organique, posait ainsi lui-même la question. Vous savez quelle est mon hypothèse favorite, à moi, quel est mon désir, c'est chose connue; mais, enfin, j'envisage aussi très sérieusement la double hypothèse de la République ou de la monarchie.

Eh bien, que ce soit l'une ou que ce soit l'autre qui se réalise, il y a un principe que . vous devrez respecter quand vous constituerez le conseil d'Etat, c'est que le conseil d'Etat doit, par essence, émaner du souverain. Et maintenant, je vous demande : Où est-il, le souverain?

M. Hervé de Saisy. Il est ici! c'est la nation !

M. Audren de Kerdrel. Si vous répondez comme semble l'impliquer l'amendement de l'honorable M. Target: « Il n'est point ici! ce n'est pas simplement une défaillance de votre part, c'est une abdication. (Très-bien! et applaudissements à droite.)

M. le président. La parole est à M. de Ventavon. (Aux voix ! Parlez! parlez !)

M. de Ventavon. Messieurs, je ne veux pas rentrer dans une discussion qui semble épuisée, je veux simplement poser la question que Vous avez à résoudre.

Suivant moi la loi tout entière est dans l'amendement que propose M. Target.

S'il y a dans la proposition de la commission trente-neuf articles, permettez-moi de vous dire qu'il n'y en a dans la réalité qu'un seul qui ait de l'importance, c'est l'article 3. Le projet de loi comprend trois parties distinctes, dont l'une est relative à la façon de procéder devant le conseil d'Etat; or cette partie du projet ne mérite pas une discussion sérieuse. Il importe peu, en effet, que les sections du conseil d'Etat soient composées d'un nombre plus ou moins considérable de membres, et que la discussion y soit orale ou qu'elle y soit écrite.

La seconde partie du projet de loi touche aux attributions du conseil d'Etat.

A ce mot, vous croyez sans doute que la commission a pris soin d'enfermer dans des limites précises la compétence du conseil d'Etat. Mais elle s'en réfère, purement et simplement, ce qui existe aujourd'hui et elle a si peu la prétention de faire une loi nouvelle pour le conseil d'Etat, que je lis dans l'article 8 du projet ces mots : « Le conseil d'Etat exerce en outre toutes les attributions qui étaient conférées à l'ancien conseil d'Etat. »

Mais la troisième partie du projet de loi renferme une disposition d'une haute importance: c'est celle qui a trait à la nomination des conseillers d'Etat. Le conseil sera-t-il élu par l'Assemblée? Sera-t-il, au contraire, nommé par le pouvoir ?

Si le conseil d'Etat est élu par l'Assemblée, le choix sera définitif; une sorte d'inamovibilité sera même conférée à ses membres, car, nommés par l'Assemblée, ils ne pourront être révoqués que par l'Assemblée elle-même, par conséquent, après une discussion publique, à l'instar de celles qui ont lieu dans les actions disciplinaires. D'autre part, si les nominations sont confiées au pouvoir, elles seront encore définitives, c'est-à-dire qu'au pouvoir seul appartiendra le droit de révocation, en sorte que l'Assemblée et le pays devront se soumettre au conseil d'Etat tel qu'il aura été choisi par le Gouvernement.

A côté de ces deux opinions, qui toutes deux constituent un conseil d'Etat définitif, s'est fait jour une troisième opinion, celle de M. Target, c'est-à-dire la proposition de confier, soit au pouvoir, soit à l'Assemblée, le choix

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