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SÉANCE DU MARDI 30 AVRIL 1872

SOMMAIRE.

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Excuses. Adoption du projet de loi ayant pour objet l'établissement de surtaxes sur les boissons à l'octroi de la commune d'Yvetot (Seine-Inférieure). Dépôt, par M. Blavoyer, au nom de la commission des marchés, d'un rapport sur les dépenses d'équipement pour les corps francs du département du Rhône. Suite de la 2 délibération sur le projet de loi relatif à la réorganisation du conseil d'Etat MM. Bertauld et Batbie, rapporteur. Article 1er. Amendement de M. Fresneau : MM. Fresneau, le rapporteur. Adoption de l'article 1er. Dépôt, par M. Henri Fournier, d'une demande d'interpellation au ministre de l'intérieur, sur l'agitation provoquée dans le département du Cher à l'occasion de la publication d'un document parlementaire par le préfet de ce département: MM. le comte Jaubert, Henri Fournier.-Mise à l'ordre du jour de mardi prochain de la discussion de l'interpellation. Présentation, par M. le ministre des travaux publics, d'un projet de loi ayant pour objet d'autoriser la chambre de commerce de la ville de Bordeaux à emprunter une somme de 3,500,000 fr. qu'elle doit avancer à l'Etat pour la construction d'un bassin à flot dans le port de Bordeaux. Présentation, par M. le ministre de l'intérieur, d'un projet de loi tendant à autoriser le département de la Gironde à modifier le taux de l'intérêt de deux emprunts réalisables, en vertu de lois antérieures. Reprise de la discussion du projet de loi relatif à la réorganisation du conseil d'Etat. Art. 2: MM. Raudot, le rapporteur, Gambetta, Lenoël, Saint-Marc Girardin. - Amendement de M. Raudot. Rejet de l'amendement et adoption de l'article 2. Article 3. Amendement de MM. Bardoux et Bertauld: M. Bardoux. = Question adressée par M. Scheurer-Kestner à M. le ministre des affaires étrangères MM. le ministre des affaires étrangères et Lefébure. Question adressée par M. Beaucarne-Leroux à M. le ministre de l'agriculture et du commerce: MM. le ministre de l'agriculture et du commerce, des Rotours.

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PRÉSIDENCE DE M. JULES GRÉVY.

La séance est ouverte à deux heures. M. le baron de Barante, l'un des secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

Le procès-verbal est adopté.

M. le président. M. Ferdinand Reymond, retenu chez lui par une indisposition, s'excuse de n'avoir pu jusqu'à présent assister aux séances.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi ayant pour objet l'établissement de surtaxes sur les boissons à l'octroi de la commune d'Yvetot.

«Article unique. A partir de la promulgation de la présente loi et jusqu'au 31 décembre 1877 inclusivement, il sera perçu à l'octroi de la commune d'Yvetot, département de la Seine-Inférieure, les surtaxes ci-après :

« Vins en cercles et en bouteilles, par hectolitre, deux francs quatre-vingt-cinq centimes (2 fr. 85 c. l'hectolitre.)

« Alcool pur contenu dans les eaux-de-vie et esprits en cercles, eaux-de-vie et esprits en bouteilles, liqueurs et absinthes en cercles et en bouteilles et fruits à l'eau-de-vie, par hectolitre, neuf francs cinquante-et-un centimes (9 fr. 51 e. l'hectolitre.)

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Ces surtaxes sont indépendantes des droits principaux perçus sur les mêmes boissons audit octroi. »

(L'article unique du projet de loi est mis aux voix et adopté.)

M. Blavoyer. J'ai l'honneur de déposer, au nom de la commission des marchés, un rapport sur les dépenses d'équipement des corps francs du département du Rhône.

M. le président. Le rapport sera imprimé et distribué.

L'ordre du jour appelle la suite de la deuxième délibération sur le projet de loi relatif à la réorganisation du conseil d'Etat.

La parole est à M. Bertauld.

M. Bertauld. Messieurs, vous avez décidé hier, et décidé avec beaucoup de raison, que vous feriez une loi, une vraie loi sur le conseil d'Etat. Mais il ne suffit pas de faire une loi, il faut, dans la mesure du possible, la faire bonne. Or, la première condition pour faire une bonne loi, c'est d'être, non-seulement vis à-vis de nous-mêmes, mais vis-à-vis de l'opinion publique dans des conditions de parfaite indépendance et d'absolu désintéressement. (Ah! ah! Très-bien! très-bien !)

Je suis de ceux qui croient à l'indépendance et au désintéressement de tous leurs collègues, et je veux croire que cette opinion est l'opi

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nion générale; je vous propose, et j'espère que vous voudrez bien me suivre, d'en donner un témoignage précis, éclatant.

Je vous annonce, messieurs, que j'ai déposé un article additionnel d'après lequel, quel que soit l'électeur pour le conseil d'Etat, que ce soit le pouvoir exécutif ou l'Assemblée, nous ne pourrons jamais être élus. (Très-bien ! et applaudissements.)

Dans ces termes-là, je suis bien sûr que nous ne pourrons pas nous suspecter réciproquement et être suspectés par les tiers, et chacune de nos paroles sera protégée par une présomption, une présomption surabondante sans doute de loyauté.

Ne croyez pas, je vous en prie, que cet article additionnel soit une revanche contre la proposition à laquelle l'honorable M, Princeteau a donné son nom.

L'Assemblée se rappellera que lors de la seconde lecture du projet de loi Princeteau, j'ai demandé un éclaircissement. Je fus un peu inquiet des mots vagues, équivoques qui pouvaient paraître ménager une exception pour les conseillers d'Etat, puisqu'on réservait à titre d'exception les positions qui seraient données a à l'élection. >>

Je me permis, avec de bonnes intentions, d'adresser une demande d'explications à mon Honorable collègue, le rapporteur, M. Gaslonde; mais vous savez qu'il me renvoya à la discussion de la loi du conseil d'Etat.

M. Gaslonde. Parfaitement!

M. Bertauld. Précisément l'explication que je réclamais et que je n'obtenais pas de M. Gaslonde, je suis bien sûr de l'obtenir de l'honorable M. Batbie (On rit.) J'ajoute un seul mot, c'est que, d'après la loi de M. Princeteau, nous ne pouvons plus obtenir la faveur d'être juges de paix, mais nous pouvons encore être ambassadeurs, plénipotentiaires, préfet de la Seine, et, vraiment, si l'on n'adopte pas l'exception que je propose, si nous pouvons être encore conseillers d'Etat, ne trouvez vous pas que cela serait exorbitant? (C'est vrai!— Très-bien !)

On dirait qu'à la loterie des fonctions publiques nous nous réservons le gros lot. (Trèsbien! très-bien!)

Ce n'est pas non plus une revanche contre des plaisanteries plus ou moins pleines de saveur que j'ai entendues, car j'honore beaucoup trop l'honorable M. Princeteau pour supposer qu'il préférerait au siége de député le siége de conseiller d'Etat. Ce n'est pas une garantie contre lui, mais c'est une garantie contre l'électeur. Que l'électeur soit le pouvoir exécutif ou l'Assemblée, il n'est pas d'électeur qui ne songeât à un homme de la valeur incontestée de l'honorable M. Princeteau. (Exclamations diverses.)

Un membre. Il n'est pas là pour se défendre! Quelques voix. A la question!

M. Bertauld. Je suis dans la question. Eh bien, messieurs, périsse la candidature d'office de M. Princeteau plutôt que les principes de M. Princeteau ! (Rumeurs diverses.) Sur divers bancs. A la loi! à la loi!

M. Bertauld. J'y arrive, et je témoigne par là de ma déférence pour le vœu de l'Assemblée.

Il y a eu une discussion générale sur le

projet de loi relatif au conseil d'Etat. Vous vous rappelez que M. le Président de la République, tout récemment, tout en rendant hommage à l'ampleur de cette discussion, a fait remarquer qu'elle avait encore quelques lacunes et que ces lacunes devaient être comblées. Je n'ai pas la prétention de les combler toutes, mais je vous apporterai, si je ne m'abuse, si je ne me fais trop d'illusions, quelques observations qui pourront ne pas être absolument dénuées d'utilité; et soyez-en bien sûrs,

je n'aime pas les redites, je ne vais reproduire aucune des considérations qui ont été présentées le 19 février, lors de la première délibération. Seulement, permettez-moi de résumer les conclusions de cette première délibération.

Vous savez bien, messieurs, que le conseil d'Etat peut avoir trois sortes d'attributions: des attributions juridictionnelles, des attributions consultatives et des attributions législatives. L'honorable et respecté M. Raudot ne veut aucune de ces attributions; il est sur ce point-là, et sur ce point-là seulement, radical... (Sourires.) il supprimerait absolument le conseil d'Etat.

L'honorable M. Lefèvre-Pontalis, lui, veut bien du conseil d'Etat, mais à une condition, c'est que ce conseil ne soit pas juge administratif, c'est qu'il n'ait pas d'attributions juridictionnelles.

Une troisième opinion est celle de l'honorable M. Bardoux : c'est diamétralement le contre-pied de l'opinion de l'honorable M. LefèvrePontalis. Lui, mon honorable collègue M. Bardoux, veut bien que le conseil d'Etat ait des attributions juridictionnelles, qu'il soit un juge administratif, mais il ne veut pas qu'il ait des attributions législatives; et il ne s'est pas absolument prononcé sur le point de savoir s'il pourrait avoir des attributions consultatives.

Eh bien, moi, messieurs, je ne partage aucune de ces opinions. Je rends un hommage complet, sans restriction, sans limites, aux principes qui ont été déposés dans le savant rapport dû à la plume excellente de l'honorable M. Batbie.

Je ne vais pas contester un seul de ses principes, je vais m'en emparer. Mais qu'il me permette de le lui dire, je vais discuter et essayer d'ébranler ses conséquences, avec les principes qu'il proclame.

J'arrive sur les trois points à une conclusion diamétralement opposée à la sienne... (On rit.) attributions juridictionnelles, attributions consultatives, attributions législatives.

Je prends d'abord les attributions juridictionnelles. Le rapport de M. Batbie renferme ces quatre propositions :

1o Il y a un contentieux administratif. Il y a un ordre de questions qui ne comportent pas l'application des regles du droit civil, qui ne comportent pas l'application de principes aussi rigoureux : c'est une justice plus tempérée, une vraie justice cependant; une justice relevant de la raison, une justice qui n'est pas affranchie des principes. Mais elle fait une plus grande part aux considérations d'utilité publique. La première proposition, je l'admets. 2 proposition de M. Batbie: Cette justice exceptionnelle appelle un juge spécial, un juge exceptionnel lui-même. Cette justice ad

ministrative, c'est un juge administratif qui doit l'appliquer. J'admets encore cette seconde proposition.

3 proposition.Le juge administratif ne doit pas être un juge inamovible, il doit être un juge amovible, un juge mobile, en quelque sorte, comme les nécessités pratiques de l'administration et de la politique.

J'accepte encore cette troisième proposition.

Il y a une quatrième proposition sur laquelle j'ai plus de doute et sur laquelle je vous demande la permission de faire des réserves. Je ne conteste pas, mais je n'acquiesce pas. Jusqu'ici la justice administrative était une justice retenue; cette justice-là, elle était réputée rendue par le pouvoir royal qui ne s'en était pas dessaisi. L'honorable M. Batbie nous propose de déléguer la justice administrative à d'autres juges, mais au même titre que la justice civile. M. Mettetal. Et M. le garde des sceaux

aussi.

M. Bertauld. Mon Dieu, messieurs, c'est là une proposition trop républicaine pour que je la combatte avec énergie.... (Ah! ah! - Rires à droite), et si je ne lui donne pas mon acquiescement, c'est que, dans ma pensée, pour que la République s'acclimate en France et s'y fonde, il faut qu'elle ressemble beaucoup à la monarchie constitutionnelle. (Exclamations.)

Je réserve donc le point qui est peut-être étranger à l'ordre de questions que je vais examiner, le point de savoir si la justice administrative ne doit pas être une justice retenue au profit du chef quel qu'il soit, du pouvoir exécutif.

Messieurs, j'éprouve le besoin, au point de départ, de faire une citation empruntée au rapport de M. Batbie, et je vais céder à ce besoin, bien sûr que vous verrez qu'il est utile de remettre sous vos yeux un extrait de l'excellent travail dont je discute les conclusions.

C'est à la page 7: M. le rapporteur explique que le juge administratif ne doit pas être inamovible.

« L'amovibilité des juges administratifs a donc été établie, non comme un moyen d'échapper à l'exécution des lois, mais pour détruire ou prévenir la résistance, qui, sans cette précaution, aurait pu être érigée en système contre l'administration. »

Ainsi, d'après l'honorable M. Batbie luimême, le juge administratif ne doit pas être doté de l'inamovibilité, il doit être un juge amovible, parce que, sans cela, cejuge pourrait organiser un système de résistance contre l'administration. Si l'expression est heureuse et nouvelle, elle ne fait que rappeler la pensée de Portalis, qui avait dit : « Si le juge administratif était indépendant de l'administration, l'administration serait dans sa dépendance. »

Ce que l'honorable M. Batbie a dit, à la page 7, il le dit encore plus explicitement à la page 6, et comme ce sont ces appréciations, ces déclarations si autorisées, si importantes de l'honorable M. Batbie qui vont faire ma règle, mon principe et mon inspiration, je tiens à ce que vous les connaissiez bien pour que vous soyez bien certains qu'il n'y a qu'usage légitime, qu'il n'y a pas abus:

Il est vrai que ni le conseil d'Etat, ni les autres juridictions administratives ne sont ina

movibles. Est-ce une raison pour refuser aux conseillers d'Etat la qualité de juges? Si l'inamovibilité est un principe dont le maintien est désirable, parce qu'elle assure la dignité et l'indépendance des magistrats, elle n'est point essentielle, et nous démontrerons qu'en matière administrative elle aurait des inconvénients graves. >>

Et plus loin « Pour assurer l'indépendance de l'administration, il suffit de fixer les limites entre les agents et les juges, de manière que les premiers ne soient pas exposés aux empiétements des seconds. Si cet antagonisme venait à s'établir, le Gouvernement deviendrait difficile, parce qu'à tout instant sa marche serait entravée. »

Suit un développement que je ne remets pas sous les yeux de l'Assemblée.

Voilà ce qui est acquis nécessité d'un juge spécial, d'un juge amovible, d'un juge qui ne domine pas l'administration, et qui, pour cela, ne soit pas absolument indépendant de l'administration.

Eh bien, que fait la commission, contre le travail de laquelle je fais des objections, ou, du moins, contre lequel j'exprime des scrupules? La commission vous demande de décider que les conseillers d'Etat seront nommés à l'élection par l'Assemblée, c'est-à-dire que ce sera le pouvoir législatif qui conférera l'investiture de ce pouvoir juridictionnel.

M. le comte de Rességuier. Le pouvoir souverain.

M. Bertauld.... le pouvoir souverain, si vous Voulez.

Souverain! ce mot là est bien vague, messieurs... (Exclamations à droite); oui, ce mot là est très-vague.

M Johnston. Il embrasse tout!

-

M. Bertauld. Le souverain, dans l'ampleur de l'expression, j'ai déjà eu occasion de le dire à cette tribune, c'est celui qui cumule tous les pouvoirs pouvoir législatif, pouvoir exécutif, pouvoir judiciaire. Or, le grand principe de toutes nos constitutions depuis 1789, c'est précisément la séparation de ces trois pouvoirs.

Eh bien, la question résolue par la commission, c'est que ce n'est pas le pouvoir exécutif, mais le pouvoir législatif... (Rumeurs.) le pouvoir souverain, si vous le voulez, de l'Assemblée, qui nommera les conseillers d'Etat.

Permettez-moi de me demander, messieurs, s'il n'y a pas là une bien grande contradiction. La justice civile, la justice ordinaire, la justice de droit commun, la justice inamovible, celle sur laquelle l'administration doit conserver, non pas de l'influence, mais à peine un droit de regard, cette justice-là est recrutée au moyen d'hommes choisis et nommés par le pouvoir éxécutif. Et voilà qu'une justice exceptionnelle, qui se rattache par beaucoup plus de liens à l'administration, qui n'est en quelque sorte que l'administration délibérante, - ce n'est pas sans doute l'administration agissante, sans quoi l'administration serait juge et partie, c'est l'ad-. ministration délibérante; et, quand la justice administrative était retenue, ce n'était pas l'administration jugeant; - cette justice-là, quand la justice ordinaire est recrutée par le pouvoir exécutif, elle sera, elle, justice exceptionnelle,

justice administrative, justice obéissant à des

principes d'un droit plus temp'ré, moins ab d'autant plus fâcheuse que pour une question

solu, moins rigoureux, elle sera nommée par le pouvoir législatif!

A mon sens, il y a là une grave anomalie et une contradiciton avec les principes qui ont été si bien formulés dans le rapport dont j'ai remis quelques extraits sous vos yeux. (Trèsbien! sur plusieurs bancs.)

J'ajoute qu'il y a une seconde contradiction dans les dispositions qui sont soumises à votre

sanction.

Vous le savez, l'honorable_rapporteur l'a

dit avec précision, avec netteté, avec énergie, il ne l'a pas dit une fois, il l'a dit trois fois, la justice administrative doit être représentée par des juges amovibles.

Eh bien, je soutiens que, d'après le projet de la commission, les conseillers d'Etat qui seraient nommés par vous seraient dotés, non pas seulement d'une inamovibilité contre le pouvoir exécutif, mais aussi d'une véritable inamovibilité contre l'Assemblée. Ils auraient des titres supérieurs à la souveraineté qui les aurait créés! Je le dis et je le prouve tout à l'heure, d'abord en analysant et en résumant l'article 3 et le rapport, puis en mettant sous vos yeux un extrait de ce rapport.

A quelles conditions, d'après le rapport, les conseillers d'Etat seraient-ils nommés par l'Assemblée? D'abord ils seraient des conseillers d'Etat viagers, sauf révocation, c'est-à-dire sauf destitution, c'est-à-dire sauf le cas d'indignité ou de forfaiture. Ils ne seraint pas nommés comme on les nommait sous l'empire de la constitution de 1848, pour six ans, avec possibilité et obligation de renouvellement par moitié dans les deux premiers mois de chaque législature ils seraient nommés pour toujours, sauf un droit de révocation subordonné..... à quelle condition? A la condition seulement qu'ils déplaisent à la nouvelle Assemblée, à l'Assemblée qui nous succédera? Non pas, il faudra deux choses pour qu'un conseiller d'Etat, qu'on dit amovible, perde le bénéfice, la protection de son titre. Il faudra qu'il soit suspendu par le pouvoir exécutif, et cette suspension, l'Assemblée pourra la sanctionner ou la faire cesser, mais elle n'aura même pas l'initiative de la révocation: l'initiative appartiendra au pouvoir exécutif, qui n'en usera pas directement, franchement, ouvertement; non, il n'en usera qu'à l'aide d'un biais, qu'à l'aide d'une suspension dont l'effet sera de deux mois, si je ne me trompe; il appellera la vérification, le contrôle, la sanction pour ou contre de l'Assemblée législative.

Je le répète, messieurs, ceci n'est pas le résultat d'une inadvertance, cela est écrit tout au long dans le rapport de l'honorable M. Batbie, à la page 17.

Je vous supplie de me permettre encore une fois une assez courte lecture: elle est non-seulement de toute utilité, mais elle a un vrai caractère de nécessité.

« La commission s'était arrêtée d'abord à l'idée de faire révoquer les conseillers d'Etat par l'Assemblée, sur la proposition du Gouvernement. Cette combinaison aurait le danger de mettre en présence les deux grands pouvoirs de l'Etat, et la contrariété de vues, si elle venait à se manifester, pourrait créer une lutte

de personnes, dont l'importance est secondaire, elle aboutirait à compromettre la dignité de l'un ou de l'autre pouvoir. Pour éviter ces périls, nous vous proposons de donner au Prési– dent de la République la faculté de suspendre les conseillers d'Etat pour deux mois. À l'expiration de ce délai, le conseiller suspendů reprendra de droit ses fonctions, à moins que l'Assemblée ne prononce sa révocation. Par cela seul qu'il y aura suspension, l'Assemblée pourra d'office se saisir de l'affaire, et en régler les suites suivant les conseils de sa propre sagesse. »>

« Ainsi... écoutez bien la conclusion ! « ainsi chaque pouvoir agira dans sa sphère et il n'y aura pas de choc entre l'Assemblée et le Président de la République. Le décret de suspension sera, par sa propre force, exécuté pendant deux mofs, et ne sera, pour la Chambre, qu'une occasion de décider s'il ne faudrait pas pousser la rigueur jusqu'à la destitution. »

Je vous demande d'abord si une amovibilité ainsi constituée n'est pas une véritable inamovibilité?

Quelques voix. C'est vrai !

M. Bertauld. Est-ce que cette inamovibilité-là - permettez-moi de l'appeler par son vrai nom, est une inamovibilité plus fragile que l'inamovibilité qui protége les représentants de la justice ordinaire? Mais les représentants de la justice ordinaire eux-mêmes sont révocables, sont destituables pour forfaiture et pour indignité; et puis, voyez cette économie de dispositions!

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Supposez le défaut d'harmonie entre l'Assemblée nouvelle, je ne parle pas de la nôtre, si nous nommions... Ah! nous ne nommerions pas nos ennemis, je crains même que nous ne cédions à des inspirations qui nous feraient adopter trop d'amis. Mais supposez le défaut d'harmonie entre une Assemblée nouvelle et nos élus, quelle sera la ressource? quel sera le remède ? quelle sera permettezmoi de dire le mot propre, l'arme de l'Assemblée nouvelle? Cette Assemblée sera en présence d'hommes hono: ables, parfaitement dignes, qui n'auront pas compromis leur situation, qui auront obéi à des convictions parfaitement légitimes, quoique peut-être erro nées. Ces conseillers d'Etat seront peut-être en parfaite sympathie avec le pouvoir exécutif, et le pouvoir exécutif se gardera bien de les suspendre. Et alors, je vous le demande, quelle sera la ressource de l'Assemblée qui nous succédera? Elle sera condamnée à l'impuissance, c'est-à-dire qu'elle sera prise dans un piége que nous aurons tendu nous-mêmes au pouvoir parlementaire; elle sera en face d'une autorité supérieure à son pouvoir souverain.

Messieurs, je n'ai rien inventé, et je suis heureux de placer cette idée sous la protection et le jugement d'un homme qui, quelles que puissent être nos dissidences d'opinions, a droit au respect universel, unanime, de tous les membres de l'Assemblée, c'est l'honorable M. Raudot.

M. Raudot a fait l'objection le 19 février, je l'ai un peu plus développée que lui; mais vous allez voir qu'elle n'est pas seulement en germe, qu'elle est formulée dans son discours. Voici ses paroles :

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