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ASSEMBLÉE NATIONALE

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SÉANCE DU MERCREDI 1" MAI 1872

SOMMAIRE.

Excuses et congés. = Dépôt, par M. de Clercq, d'une proposition ayant pour objet d'empêcher la simultanéité des élections des conseillers généraux et des conseillers d'arrondissement. Suite de la deuxième délibération sur le projet de loi relatif à la réorganisation du conseil d'Etat. Art. 3. Amendement de MM. Bardoux et Bertauld: MM. Alfred Giraud, Duvergier de Hauranne, Audren de Kerdrel, le garde des sceaux, Batbie, rapporteur. Rejet au scrutin de l'amendement. Présentation, par M. le ministre de l'agriculture et du commerce, de deux projets de lois :le premier portant ouverture au ministre de l'agriculture et du commerce d'un crédit de 4,250,000 francs sur le budget de l'exercice 1871 pour les dépenses résultant de la peste bovine; le second, ouvrant au même ministre un crédit extraordinaire de 1,500,000 francs sur le budget de l'exercice 1872, pour le même objet.

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Le procès-verbal est adopté.

M. le président. MM. Ancel et le général Robert s'excusent de ne pouvoir assister pendant deux jours aux séances de l'Assemblée. La commission des congés est d'avis d'accorder:

A M. Léon de Maleville, un congé de huit jours, à partir du 28 avril ;

A M. de Broglie, un congé de huit jours, à partir du 28 avril;

A M. Buée, un congé de dix jours, à partir du 6 mai;

A M. de Colombet, un congé jusqu'au 5 mai;

A M. Bouisson, un congé de quinze jours, à partir du 25 avril;

A M. Ordinaire, un congé de vingt jours, à partir du 26 avril;

A M. de Belcastel, un congé de cinq jours, à partir du 26 avril ;

A M. de Chambrun, un congé de huit jours, à partir du 26 avril;

A M. de Clercq, un congé du 4 mai au 4 juin;

A M. Savoye, un congé de quatre jours, à partir du 1er mai;

A M. Le Bourgeois, un congé du 24 avril au 4 mai;

A M. Nétien, un congé de huit jours, à partir du 1er mai;

A M. Depasse, une prorogation de congé de quinze jours;

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A M. Brice (Meurthe) un congé de huit jours, à partir du 10 mai.

Il n'y a pas d'opposition ?...
Les congés sont accordés.

M. de Clercq. J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de l'Assemblée une proposition de loi ayant pour objet d'empêcher la simultanéité des élections des conseillers généraux et des conseillers d'arrondissement.

Cette proposition est signée par MM. le marquis de Partz, Hamille, le comte Fouler de Relingue et moi.

M. le président. La proposition sera imprimée, distribuée et renvoyée à la commission d'initiative parlementaire.

L'ordre du jour appelle la suite de la deuxiè me délibération sur le projet de loi relatif à la réorganisation du conseil d'Etat.

La discussion continue sur l'amendement de MM. Bardoux et Bertauld à l'article 3, relatif au mode de nomination des conseillers d'Etat.

M. Giraud a la parole.

M. Alfred Giraud. Messieurs, je viens au nom de votre commission, vous prier de voter l'article 3 du projet de loi sur le conseil d'Etat, et de rejeter l'amendement présenté par nos honorables collègues MM. Bertauld et Bardoux.

Au commencement de son discours, l'honorable M. Bardoux a dirigé contre la commission l'accusation de manquer de principes... (Rumeurs à gauche.) et, bien qu'il ait expliqué d'une manière courtoise et bienveillante que, dans sa pensée, il n'y avait là rien de blessant pour la commission, je crois cependant devoir y répondre. (Très-bien! à droite. Parlez !)

Pour cela, je n'aurai pas besoin de suivre

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l'honorable M. Bardoux sur les hauteurs métaphysiques où il s'est élevé... (Interruptions à gauche. Parlez! parlez!) et de vous parler du contingent et du nécessaire; je n'aurai pas besoin d'entamer une longue discussion pour vous démontrer que la commission, en Vous proposant la nomination des conseillers d'Etat par l'Assemblée, sollicite de vous une décision qui est parfaitement conforme à la raison et qui s'appuie sur des précédents historiques... M. Dahirel. Et politiques!

M. Alfred Giraud... et politiques.

Au seuil même de ce débat, et avant d'entrer dans ma démonstration, permettez-moi, messieurs, de présenter une observation.

Vraiment, depuis quelque temps, dans cette Assemblée et au dehors de cette Assemblée, nous assistons à un étrange spectacle... (Marques d'assentiment à droite. Exclamations à gauche.) Nous voyons, en effet, presque tous ceux qui, pendant toute leur vie, ont enseigné les théories républicaines, qui ont soutenu les thèses de l'impersonnalité du pouvoir, du gouvernement du pays par le pays, du self-government, être aujourd'hui les plus ardents pour vous demander... quoi? D'augmenter les prérogatives et la personnalité de la puissance exécutrice! (Très-bien ! très-bien ! à droite.)

!

Voix à gauche. Du pouvoir choisi par le pays! M. Alfred Giraud. Cela prouve qu'il y a loin de la théorie à la pratique, et que les opinions peuvent se modifier sensiblement suivant le point de vue auquel on se place. C'est en ce sens qu'il est vrai de dire que la politique est bien, non la science de l'absolu, mais la science du relatif. (Marques d'assentiment sur plusieurs bancs.)

L'honorable M. Bertauld, dans le discours savant et éloquent qu'il a prononcé hier, a soutenu ce principe que les institutions organiques d'un pays devaient être les mêmes sous la monarchie constitutionnelle et sous la République; il a soutenu encore que les droits et les prérogatives d'un chef d'Etat sous un gouvernement qui est un gouvernement républicain de fait, devaient être les mêmes que les droits et les prérogatives d'un monarque constitutionnel.

Eh bien, malgré l'admiration que j'éprouve pour la science de l'honorable M. Bertauld... (Légères rumeurs sur quelques bancs à droite), qu'il me permette de le lui dire, il n'a fallu rien moins que tout son talent pour essayer de soutenir une pareille thèse avec quelque espérance de succès.

En effet, s'il est un principe incontestable, c'est que la politique est la science des rapports, et que les lois organiques d'un pays doivent être en relation, en harmonie avec les institutions fondamentales de ce pays lui-même.

Qu'était le conseil d'Etat sous la monarchie? Le conseil d'Etat sous la monarchie était le conseil du roi, ou le conseil de l'empereur: les membres du conseil d'Etat, même en matière contentieuse, n'avaient pas un pouvoir propre, un pouvoir indépendant: le roi ou l'empereur retenait la justice et on avait besoin de la signature et de l'assentiment du souverain pour que les avis rendus par le conseil d'Etat devinssent de véritables arrêts.

Aujourd'hui, messieurs, dans la situation actuelle, la commission vous demande avec

raison qu'au point de vue du contentieux la juridiction du conseil d'Etat ne soit pas seulement une juridiction retenue, mais que ce grand corps ait la juridiction pleine, le merum imperium, comme disaient les anciens, la plénitude de la juridiction, et que ses avis deviennent des arrêts.

Messieurs, quand on se place à ce point de vue, est-il possible de dire que la nomination du conseil d'Etat doit être faite d'après les mêmes règles que sous la monarchie? En vérité, si un pareil système était adopté, si on devait dire avec l'honorable M. Bertauld que les prérogatives d'un chef de république doivent être les mêmes que celles du chef d'une monarchie, il faudrait dire alors, que nous avons fait une douzaine de révolutions pour ne rien changer à l'ancien état des choses. (C'est vrai! Très-bien! sur plusieurs bancs.)

En effet, pourquoi aurait-on remplacé la délégation héréditaire du pouvoir par une délégation précaire et passagère, si on devait donner à ce pouvoir les mêmes droits et les mêmes prérogatives? On arriverait de cette manière à ce résultat qu'on augmenterait la personnalité du pouvoir sans lui donner la facilité qui lui manque trop souvent, dans un pareil état de choses, de former des entreprises à longterme et de contracter des alliances durables.

Hier, l'honorable M. Bertauld vous disait qu'il était tout à fait inconséquent de faire nommer les conseillers d'Etat par le pouvoir législatif. Je lui en demande pardon; mais l'honorable M. Bertauld commettait une erreur. (C'est vrai! à droite.) Oui, sans doute, l'Assemblée est bien le pouvoir législatif, mais elle est plus que le pouvoir législatif, elle est le pouvoir souverain, et elle ne pourrait, co ume le disait très-bien l'honorable M. de Kerdrel, renoncer à ce droit sans commettre une défaillance, et même une abdication. (Très-bien! très-bien à droite.)

Messieurs, le système que je viens soutenir devant vous s'appuie non-seulement sur la raison, mais aussi sur les précédents historiques. A cet égard, je tiens essentiellement à réfuter une objection qui, selon moi, résume toutes celles qui ont été faites contre le système de la commission. En effet, toutes les objections multiples qui ont été présentées peuvent se réduire à celle-ci : le système proposé par la commission est la violation du principe de la séparation des pouvoirs, une atteinte au pouvoir exécutif, un empiétement sur le domaine de l'exécutif.

Eh bien, messieurs, je vais vous démontrer, par les précédents historiques, qu'on n'a jamais considéré la nomination des conseillers d'Etat et de certains fonctionnaires de l'Etat comme appartenant essentiellement au pouvoir exécutif.

On nous parle tous les jours d'un grand peuple qui, au delà des mers. au delà de l'Atlantique, a su fonder la république et la liberté. Messieurs, je pourrais dire en passant que, s'il a fondé la république, c'est peut-être pour trois raisons (Bruit à gauche.): la première, c'est que c'était un peuple neuf qui n'avait pas d'anciennes traditions; la deuxième, c'est que les fondateurs des Etats-Unis ont su respecter l'autonomie et la souveraineté des Etats; la troisième raison, enfin, c'est que les

fondateurs de cette république, au lieu d'être des dictateurs démagogues, ont été de vrais grands hommes dont Washington est resté et restera toujours le type universellement et éter· nellement admiré. (Très-bien! très-bien !)

Qu'ont fait les fondateurs de la république américaine? Ont-ils pensé que la nomination de tous les hauts fonctionnaires de l'Etat devait appartenir exclusivement au pouvoir exécutif? Non; et ce qui le prouve, c'est qu'ils ont déclaré que le sénat des Etats-Unis nommerait les principaux fonctionnaires, les ambassadeurs, les agents diplomatiques et les juges de la cour suprême. Eh bien, quand cette république que vous nous citez pour modèle...

Un membre à gauche. Jamais!

M. Alfred Giraud. Vous dites jamais! Est-ce que vous prétendez que ce que j'avance concernant la nomination des grands fonctionnaires par le sénat n'est pas une chose exacte?

M. Gambetta. Si! si! oh! parfaitement; mais c'est la République française que nous avons à organiser.

M Alfred Giraud. La République a réussi en Amérique, et jusqu'à présent elle n'a pas parfaitement réussi en France.

Je disais donc qu'en Amérique on ne considérait pas la nomination des hauts fonctionnaires par le sénat comme une violation du principe de la séparation des pouvoirs et comme un empiétement sur le domaine de l'exécutif. Par conséquent, j'avais raison de dire que cette république, que vous citez à chaque instant pour modèle, a su attribuer la nomination des hauts fonctionnaires à l'une des deux chambres. (Très-bien! à droite.)

Maintenant, messieurs, si nous passons en France et si nous nous reportons à la République de 1848, qu'est-ce que nous voyons? Nous voyons, avant et après la Constitution de 1848, que d'abord les membres de la commission chargée de rempli les fonctions de conseil d'Etat ont été nommés par l'Assemblée constituante, et je❘ place l'opinion que je soutiens ici sous des autorités considérables, sous l'autorité du nom de M. Vivien, du nom de M. Dupin, sous l'autorité même de l'éminent jurisconsulte qui tient aujourd'hui le portefeuille de la justice et qui alors était ministre de l'intérieur.

En effet, c'est l'honorable M. Dufaure qui, dans la séance du 27 novembre 1848, est venu demander à l'Assemblée constituante, de nommer la commission chargée de remplacer provisoirement le conseil d'Etat. Par conséquent, j'avais, dans une certaine mesure, le droit de m'appuyer sur l'autorité de l'éminent M. Dufaure.

Je sais bien que, dans cette circonstance, l'honorable garde des sceaux d'aujourd'hui n'a pas soutenu cette mesure par l'autorité de sa parole; mais enfin, je suis parfaitement convaincu que s'il n'eût pas été partisan de la mesure, il ne l'eût pas présentée à ce moment en sa qualité de ministre de l'intérieur.

Je place ensuite le système que je défends sous l'autorité de M. Vivien. On nous a cité hier un passage du discours que M. Vivien a prononcé à cet époque. Je vous demande la permission de vous citer un autre fragment qui confirme absolument l'opinion que j'ai l'honneur de présenter devant vous: « Le conseil d'Etat, disait M. Vivien, doit intervenir dans la confec

tion des lois; il doit les préparer; il peut être saisi des lois qui émanent de l'initiative parlementaire, en vertu des renvois de l'Assemblée; il peut, dans certains cas, à l'égard des règlements d'administration publique, avoir à statuer, non pas seulement comme auxiliaire de l'administration, mais comme délégué du pouvoir législatif. Sous ce double rapport, il nous parait nécessaire qu'il existe entre le conseil d'Etat et l'Assemblée un lien commun qui puisse assurer que le même esprit dirigera les deux corps. »

Eh bien, nous sommes aujourd'hui dans la même situation. Le conseil d'Etat, d'après le projet qui vous est présenté, doit s'occuper non-seulement des affaires dans lesquelles il ne joue qu'un rôle consultatif, mais encore il doit préparer les lois qui lui sont envoyées soit par l'initiative parlementaire, soit par le Gouvernement. De plus, il est destiné aussi à rendre des règlements d'administration publique sur les lois que vous avez rendues vous-mê

mes.

Je vous le demande, n'est-il pas nécessaire que le conseil d'Etat soit imprégné de votre esprit, puisqu'il doit préparer les lois que vous serez appelés à voter; puisqu'il doit faire des règlements d'administration publique, pour interpréter les décrets que vous aurez rendus?

Je m'appuierai aussi sur l'opinion considérable de M. Dupin.

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On avait présenté cette objection: Le pouvoir exécutif a le droit de nommer les juges; comment se fait-il qu'il ne puisse avoir le droit de nommer le conseil d'Etat ?

On pouvait répondre d'abord que, si le pouvoir exécutif nomme les juges, c'est parce que l'Assemblée lui a délégué un pouvoir dans ce but, et qu'elle ne peut retenir ce pouvoir. En effet, il serait impossible à une Assemblée de nommer plus de 6,000 magistrats, depuis le plus humble suppléant de juge de paix jusqu'au premier président de la cour de cassation. Par conséquent, une Assemblée, même souveraine, est forcée, pour ces nominations, de s'en rapporter d'une manière complète au pouvoir exécutif qu'elle a institué.

Il y a encore une autre raison pour que la nomination des juges ne soit pas conférée à une Assemblée, c'est que les juges sont nommés à raison de leur capacité, de leurs vertus privées, et que leur nomination ne peut jamais être une nomination politique.

Au contraire, bien que la commission n'ait point l'intention de faire du conseil d'Etat un corps politique, cependant il y a certaines considérations,qui ne sont pas étrangères à l'ordre politique, qui peuvent influer sur la nomination des conseillers d'Etat. En effet, est-ce qu'il serait possible à une Assemblée d'élire des conseillers d'Etat, si distingués et si honorables qu'ils fussent, qui n'auraient pas une politique sympathique à la sienne et qui, par exemple, seraient d'avis de sa dissolution? (Très-bien !) Il est bien certain qu'une Assemblée doit être en parfaite harmonie avec les conseillers d'Etat chargés de préparer les lois qu'elle doit voter Ainsi donc, vous ne commettrez point de violation du principe de la séparation des pouvoirs et vous n'empiéterez pas non plus sur le domaine du pouvoir exécutif en votant l'article 3 de la commission.

Vous avez nommé, dans des circonstances qui sont présentes à vos mémoires, deux grandes commissions pour participer au droit de grâce et pour participer au travail de la vérification des grades. Eh bien, messieurs, c'est le Gouvernement lui-même qui vous a présenté des projets de loi dans ce double but; et il est parfaitement certain que, quand vous avez chargé plusieurs d'entre vous de participer au droit de grâce ou au travail de vérification des grades, vous n'avez commis aucun empiètement, aucune violation de la séparation des pouvoirs. (Très-bien ! C'est vrai!)

Je me souviens parfaitement messieurs, qu'il y a un an, à cette même tribune, l'honorable M. Bertauld soutenait cette théorie que le droit de grâce appartenait essentiellement au pouvoir exécutif. L'honorable M. Batbie, aujourd'hui rapporteur de la loi sur le conseil d'Etat, lui a répondu avec beaucoup de raison que le droit de grâce était un droit régalien, appartenant au pouvoir souverain; et le Gouvernement s'est rendu à cette raison, car quelque temps après il vous a présenté un projet afin d'associer l'Assemblée à l'exercice du droit de grâce. (Rumeurs sur quelques bancs à gauche:) Par conséquent, vous avez pu nommer des hommes chargés, dans une certaine mesure, de participer un pouvoir qui n'est pas un pouvoir législatif, et vous n'avez commis en cela aucune violation du grand principe de la séparation des pouvoirs. (Très-bien! très-bien !)

On a fait encore une autre objection, qui rentre dans la première, je le veux bien, mais qui est revêtue d'une forme spéciale. On a dit: Vous entraverez l'action du Gouvernement, car vous ferez des choix politiques, tandis que le Gouvernement n'aurait fait que des choix administratifs.

Je réponds que nous n'entraverons pas l'action du Gouvernement.

En effet, quand il s'agira de la préparation d'une loi, que demandera-t-on au conseil d'Etat? On lui demandera de la préparer au moyen d'études approfondies, d'un travail sérieux. On peut être certain qu'un conseil d'Etat nommé par cette Assemblée saura parfaitement remplir ses fonctions avec conscience, avec capacité, car évidemment vous ne choisirez que des gens capables.

Quand il s'agira d'affaires dans lesquelles le conseil d'Etat ne joue qu'un rôle consultatif, alors le Gouvernement ne sera pas obligé de suivre l'avis du conseil en ces matières, comme on le disait hier.

Par conséquent, de quoi se plaindra le Gouvernement, si le conseil d'Etat montre vis-àvis de lui une certaine indépendance? Il n'aura rien à regretter à ce sujet.

D'après le projet de la commission, le conseil d'Etat a une juridiction propre, indépendante. Le Gouvernement n'étant pas ce qu'était le roi dans l'ancienne monarchie, n'ayant pas lui-même le droit de signer les arrêts, de les rendre, il est tout naturel que le conseil d'Etat soit nommé par un autre pouvoir que le Gouvernement.

On vous a dit, messieurs, que vous feriez des choix politiques. Mais est-il possible de nommer un membre du conseil d'Etat qui ne se

soit pas occupé de politique et qui ne soit pas, jusqu'à un certain point, un homme politique? L'administration touche de très-près à la politique, et le Gouvernement lui-même, le pouvoir exécutif ne ferait-il pas aussi des choix politiques aussi bien que vous pourriez en faire?

Qu'elle soit faite par le Gouvernement ou par l'Assemblée, l'élection des conseillers d'Etat, sans être exclusivement politique, aura toujours un certain caractère politique. (Bruit.)

On dit Vous entravez l'action du Gouvernement.

Je réponds ceci : Comment peut-on penser qu'un conseil d'Etat élu par la majorité de cette Assemblée ne puisse pas vivre en bonne harmonie avec le Gouvernement, issu luimême de la majorité. Il n'est pas possible que le Gouvernement et le conseil d'Etat, procédant de la même origine, ne puissent pas s'entendre et ne représentent pas exactement les mêmes idées.

En effet, qu'est-ce que le pouvoir exécutif? C'est l'émanation de l'Assemblée ; il représente nécessairement et naturellement les idées de la majorité de cette Assemblée. Par conséquent, il devra vivre en parfait accord avec le conseil d'Etat nommé par cette Assemblée elle même. (Approbation sur plusieurs bancs.)

Je ne concevrais pas qu'il en pût être autrement. On comprendrait encore, messieurs, que la nomination du conseil d'Etat par l'Assemblée pût présenter des inconvénients, si le chef du pouvoir exécutif avait une autre origine que l'Assemblée. En 1848, par exemple, on pouvait comprendre que le président de la République, étant un élu direct du suffrage universel, ne pût pas s'entendre avec un conseil d'Etat élu par l'Assemblée, parce qu'ils ne provenaient pas tous les deux exactement de la même source. Le conseil d'Etat n'était, en effet, que le produit indirect du suffrage universel. Et cependant on n'a pas hésité, alors que le président de la République, d'après la Constitution de 1848, avait des pouvoirs bien plus étendus que le chef du pouvoir exécutif actuel, le pouvoir constituant de l'Assemblée étant toujours réservé.

Je crois donc. messieurs, que le système proposé par la commission n'offre aucun inconvénient et ne peut présenter que des avantages; et je dis, pour terminer, qu'il est indispensable, alors qu'une minorité turbulente promène partout une agitation factice, espérant suppléer par le bruit ce qui lui manque du côté du nombre et de l'autorité (Très-bien! à droite), alors qu'elle met en doute votre souveraineté et votre droit souverain, et cherche à provoquer votre dissolution, il est indispensable, dis-je, que l'Assemblée prouve son droit en l'exerçant et sa force en la manifestant, et qu'elle poursuive, sans se préoccuper de vaines et impuissantes clameurs, l'œuvre de sa reconstitution et de sa réorganisation. (Oui! oui! - Très-bien! très-bien !)

Avant de descendre de la tribune, je dois avertir l'Assemblée que la commission a examiné un amendement présenté par M. Cyprien Girerd et plusieurs de ses collègues, amendement qui est ainsi conçu :

A l'article 3, après le paragraphe 1er, intercaler la disposition suivante :

Ils sont renouvelés par tiers tous les trois

ans; les membres sortants sont désignés par le sort et indéfiniment rééligibles. »

La commission adhère à cet amendement. Ainsi on ne pourra dire que les conseillers d'Etat sont nommés à vie par l'Assemblée. (Marques d'approbation sur divers bancs).

M. le président. La parole est à M. Duvergier de Hauranne.

M. Duvergier de Hauranne monte à la tribune.

Quelques voix à droite. Aux voix ! aux voix ! A gauche et sur divers bancs dans les autres parties de la salle. Parlez! parlez !

M. Duvergier de Hauranne. Messieurs, l'honorable orateur qui descend de cette tribune a opposé l'une à l'autre deux théories politiques suivant lui absolument différentes.

Il a essayé de vous démontrer qu'il y avait une logique monarchique et une logique républicaine, deux systèmes d'institutions absolument opposés, qui jamais ne pouvaient se confondre, que jamais on ne pouvait mêler sans illogisme. Je crois que cette distinction est arbitraire, et qu'en politique la raison est la même sous tous les régimes.

Lorsqu'on examine quels sont les meilleurs moyens de fonder une institution bonne, et, par cela même, une institution définitive, je crois que ce qu'on doit considérer avant tout, c'est l'adaptation des moyens au but.

Ainsi, lorsque nous cherchons un mode de nomination pour le conseil d'Etat que nous voulons fonder, ce que nous devons considérer avant tout, ce sont les attributions que nous voulons conférer à ce conseil d'Etat. Telles seront les attributions, tel doit être le mode de nomination. Si le conseil d'Etat doit avoir des attributions politiques, oh! alors, il faut qu'il soit nommé par l'Assemblée, dans le système d'une Assemblée unique. Si, au contraire, le conseil d'Etat, comme je le pense, ne doit point avoir d'attributions politiques, s'il doit être simplement une justice administrative et contentieuse, un conseil placé aux côtés du Gouvernement pour aider l'administration, oh! alors je ne comprends pas que l'Assemblée se réserve la nomination du conseil d'Etat. (Approbation à gauche.)

Je serai très bref; je ne veux point faire de philosophie politique; je ne voudrais point déplaire à mes honorables collègues de la commission; c'est une démonstration très-pratique et très-positive que je vais essayer de vous faire.

Il y a donc deux systèmes d'abord celui où le conseil d'Etat n'est qu'un justice administrative. Eh bien, dans ce cas, je n'hésiterai pas à le dire, le conseil d'Etat doit être nommé, comme la justice ordinaire, par le pouvoir exécutif.

L'honorable M. Giraud nous disait tout à l'heure que ce n'était point en vertu d'un principe politique que la nomination des juges ordinaires avait été confiée au pouvoir exécutif, que c'était simplement par suite d'une impossibilité pratique.

Non, messieurs, il y a des motifs plus élevés que ceux-là, et sans répéter ce que mon hono rable et excellent collègue M. Bardoux vous a dit hier si éloquemment sur la séparation des pouvoirs, je crois que je serai compris à demimot en disant que ce serait une confusion re

doutable que celle qui mettrait entre les mains d'une Assemblée législative la nomination des juges. (Mouvements divers.)

Quelle est la différence entre la justice ordinaire et la justice administrative? Elle est tout entière en faveur de la justice administrative. Mais doit-il y avoir une justice administrative? Cela peut être jusqu'à un certain point contestable. Peut-être vaut-il autant que les procès administratifs soient soumis comme tous les autres à la juridiction ordi- · naire du pays et que l'Etat et les citoyens comparaissent devant les mêmes juges, puisqu'ils sont chargés d'interpréter les mêmes lois. Mais cette question n'est point soulevée en ce moment. Personne n'est plus disposé que l'honorable rapporteur de la commission à défendre les prérogatives administratives du conseil d'Etat. Or, il me parait singulier que, lorsqu'on reconnait la nécessité de la juridiction administrative, on ne veuille pas que cette juridiction soit nommée par l'administration.

Quoi! voici un corps qui, dites-vous, devra être imbu des traditions administratives, devra représenter l'administration elle-même, devra, jusqu'à un certain point, s'inspirer de la raison d'Etat, des nécessités du Gouvernement. Ce corps a pour mission de juger les procès qui touchent aux intérêts de l'Etat, et cette justice sera instituée par le pouvoir législatif! et cette justice ne sera pas instituée par l'administration elle-même ! Nous sommes là en présence d'une contradiction. (Rumeurs.)

Ou bien il ne faut pas de justice administrative, ou bien cette justice administrative doit être nommée par l'administration elle-même.

Je sais quelle est l'objection qu'on va me faire. On va me dire, comme l'honorable M. Giraud le disait tout à l'heure, que la nomination du conseil d'Etat est une attribution du souverain, qu'elle est une attribution régalienne. Je ne veux pas m'arrêter à ce qu'il y aurait peut-être d'un peu singulier à invoquer, en faveur de cette grande Assemblée qui représente la souveraineté nationale, les droits et les principes d'un autre temps. Mais, croyez-vous que dans la monarchie constitutionnelle, ce soit le prince qui soit le souverain? Non, c'est là une vaine confusion de mots qu'il est essentiel de faire disparaitre.

Dans la monarchie constitutionnelle, qui est un grand système de gouvernement, que je respecte profondément, que j'admire, que je regarderais peut-être comme le meilleur, si je le croyais applicable à mon pays. (Exclamations et rires à droite.) Je ne voudrais pas faire une digression et me laisser entraîner sur le terrain des disputes constitutionnelles. Un autre jour peut-être, dans une autre occasion, vous me permettrez de vous dire tout ce que je pense à ce sujet. Et j'espère que vous m'accorderez encore votre attention bienveillante. (Bruit à droite.)

Oui, dans le système de la monarchie constitutionnelle, le prince n'est pas le souverain; le prince est un magistrat héréditaire, mais délégué; le souverain, c'est encore la nation tout entière, représentée par ses députés; le souverain, c'est le parlement. (Interruption à droite.)

Ce sont des règles que j'invoque et que je voudrais appliquer à la République, que, pour

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