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tion serait trop choquante. Nous ne pouvons pas poser ce principe... (Très-bien! très-bien!); la conséquence en serait révoltante pour l'esprit aussi bien que pour les justiciables.

Messieurs,, pour résumer mes critiques sur ce second point, nous vous demanderons, après avoir fait la séparation entre les associations politiques pour lesquelles l'autorisation préalable, selon nous, devrait être maintenue, d'abolir purement et simplement, mais radicalement, l'autorisation préalable pour toutes les autres associations. Nous ne voulons pas de ce système, qu'on veut introduire dans notre organisation judiciaire, qui amène le juge, sans juger des hommes, à juger des doctrines.

Et à ce propos, voulez-vous me permettre de vous rappeler un principe de droit criminel? Une des plus grandes garanties que la liberté puisse avoir contre l'abus que la magistrature pourrait faire de ses pouvoirs, est celle-ci : La magistrature ne peut jamais frapper une doctrine abstraite; elle ne peut frapper que l'individu qui a accompli un certain fait.

Mais la magistrature qui serait armée du pouvoir de jeter l'interdiction, comme je le.disais tout à l'heure, sur une doctrine, sur une sphère d'activité, sortirait de la mission qui seule doit lui être confiée, et qui est si bien définie par la théorie de la séparation des pouvoirs. (Approbation sur plusieurs bancs à droite et au centre.)

Comment la magistrature pourrait frapper une doctrine sans atteindre un individu! mais, messieurs, c'est là une œuvre éminemment législative, qu'elle ne doit jamais avoir sous aucun prétexte.

Il y a peu de temps, vous avez frappé la société de l'Internationale, et vous ne vous êtes pas arrêtés à l'objection qui vous était faite que vous alliez commettre une usurpation sur le pouvoir judiciaire; vous avez dit avec raison qu'il s'agissait, non pas de frapper un individu, mais de déclarer qu'une sphère d'action était interdite parce qu'il était dangereux de s'y mouvoir, et vous l'avez fait dans votre puissance législative. Mais le jour où l'on viendrait vous dire qu'il faut abandonner à la magistrature le soin, non pas de frapper des individus, mais de juger les doctrines, ce jour-là vous feriez l'inverse de ce qu'on vous reprochait de faire, vous abdiqueriez le rôle législatif qui vous est propre pour le confier à ceux qui ne doivent jamais l'exercer. Et je ne pense pas que le savant professeur, l'honorable auteur du rapport, vienne se montrer ici partisan de cette participation de la magistrature à la puissance législative.

Messieurs, je passe à l'article 14, dont je pense beaucoup de bien, qui va, je dirai presque au delà de nos espérances, dont je suis très-heureux de saluer l'arrivée au milieu de la loi des associations, mais pour lequel je voudrais que M. le rapporteur nous donnât, à cette tribune, des déclarations très-précises. Ces déclarations seront, je l'espère, la matière d'un amendement qui précisera davantage la pensée qui doit nous être commune, pour laquelle nous avons pu ne pas trouver une expression qui nous satisfit complétement, mais à l'occasion de laquelle nous arriverons évidemment à une entente parfaite.

L'article 14 suppose que l'association est

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constituée, et il déclare que l'association pourra contracter. Il déclare aussi qu'après avoir contracté, l'association pourra posséder. Cela est à merveille. Mais l'article 14, tel qu'il est pré-. senté dans la loi, pourrait s'entendre sous l'empire d'une législation qui ne permettrait pas à la convention de fonder l'association. Je m'explique. L'association, en droit français, a deux faces: l'une qui regarde le code pénal, l'autre qui considère le droit civil. L'article 1er, en déclarant l'autorisation préalable abolie, va désintéresser complétement le fait d'association de ce que j'appellerai le gendarme, la répression.

L'association ne craindra plus le code pénal dans ses articles 291 et suivants, ni la loi de 1834. Cela est très-bien; mais ce n'est qu'un côté de la question. Il s'agit de savoir si, après avoir cessé d'être un délit, l'association pourra devenir un contrat, pourra entrer dans la sphère civile et s'y mouvoir à l'aise. C'est ce que vous ne déterminez pas suffisamment, permettez-moi de vous le dire; mais je suis convaincu que sur ce point nous arriverons à une entente parfaite.

Je vous demanderai de vouloir bien décider que l'associrtion aura en quelque sorte un double degré de vie; qu'elle pourra, si elle le veut, vivre à l'état de contrat, à l'état de convention entre les associés, mais, sans que le patrimoine soit nécessairement fondé, sans que la personnalité civile apparaisse, sans que l'établissement public surgisse nécessairement comme personne morale distincte entre les associés.

Je vous demanderai aussi de conserver ce second degré de vie que vous lui accordez par votre projet, et qui consiste à faire naître, pour ainsi dire, au moyen de l'association, une personne qui se distingue de celle de chaque associé.

Oui, il est très-bon que l'association puisse se donner à elle-même le caractère de stabilité et d'immutabilité que donne la propriété et qu'elle peut seule donner. Mais si l'association ne le veut pas, si le fondateur ne veut pas se dépouiller de sa propriété, permettez-lui de vivre avec ses associés à l'état d'indivision de propriété commune, et pour cela permettez le contrat d'association. Ce contrat, tout autant que la propriété, est nécessaire à la vie de l'association.

Personne ne le conteste, dit-on; soit. Mais le code civil le défend, et c'est contre le code civil que j'établis en ce moment ma discussion.

L'article 1832 du code civil nous dit, — et il ne faut pas l'oublier, c'est le fond de l'association, -que le contrat de société, qu'il soit civil ou qu'il soit commercial, pourra bien prendre naissance, si le gain qu'on se propose d'atteindre est un gain pécuniaire, un gain matériel; mais le même article décide à l'inverse que le contrat de société ne pourra pas se former si le but qu'on poursuit est un but purement intellectuel et moral.

Contestera-t-on cette doctrine? Non. Eh bien, si vous reconnaissez ce point de droit, proclamez, en faveur de l'association, qu'elle pourra à la fois vivre de la vie du contrat entre les associés et de la vie de l'établissement public. Je le répète et j'insiste: pour qu'une société puisse se fonder, ayant pour but, non pas

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une association assez naïve pour soumettre à la justice des statuts tendant visiblement à un but illicite; on peut affirmer, au centraire, que pire sera l'association, plus détestable sera le but qu'elle poursuivra, meilleurs, dans leur libellé, seront les statuts qu'elle viendra Soumettre à la justice. (C'est évident! Trèsbien très-bien !) Il y aura des protestations de dévouement, de sincérité, de patriotisme, surtout là où il y aura un système organisé pour exploiter la misère et pour soulever les populations.

Cela est de toute évidence. (Oui! oui!)

Que devront faire les juges en présence d'un libellé vague et banal? Ils devront ne pas simplement considérer le libellé dans ses termes, mais porter leur regard sur le champ d'action que les statuts ouvrent devant l'association en instance devant eux. Les juges devront faire œuvre de prévoyance; or, c'est précisément là ce qui caractérise l'autorisation préalable.

L'autorisation préalable ne consiste pas en ce que c'est un administrateur qui la donne plutôt qu'un magistrat. Ce qui fait l'essence de l'autorisation préalable, c'est que l'examen porte non pas sur un fait consommé dans le passé, un fait précis, limité, ayant un corps bien déterminé, mais sur ce que deviendra une chose qu'on envisage à travers les incertitudes du futur, en cherchant à entrevoir, par une série de présomptions humaines, l'application qui pourra être faite des statuts. (Trèsbien très-bien!)

Voilà en quoi consiste l'autorisation préalable, et dès lors il est impossible de méconnaître que par la nature des choses et dans la pratique le système proposé est l'équivalent de l'autorisation préalable.

J'ai ajouté que cet équivalent sera sérieusement aggravé. Permettez-moi de vous citer un exemple qui, je l'espère, me dispensera d'en invoquer d'autres. Ne comprenez-vous pas que telle association religieuse, ayant un but uniquement religieux, n'ayant en aucune façon un but politique, pourra trouver des juges qui, au vu de cette affirmation: « Vous obéirez, vous serez soumis à vos supérieurs, et vous obéirez perinde ac cadaver, » diront et jugeront que c'est la négation du libre arbitre, que c'est une atteinte à l'ordre public et aux bonnes mœurs, que c'est l'abandon de la liberté individuelle que personne ne peut jamais abdiquer tout à fait?

Eh bien, oui; vous aurez dans l'autorité de la sentence judiciaire, à la suite d'une appréciation très-vague de statuts plus vagues encore, un moyen d'opprimer la liberté d'association et nous ne pouvons pas l'accepter.

Messieurs, je ne voudrais pas entrer dans le détail des difficultés que soulève le système nouveau. Mais je veux cependant, à titre d'exemple, et uniquement afin de vous faire entrevoir les embarras sans nombre qu'il ne manquerait pas de susoiter, attirer votre attention sur un seul point.

Le projet de loi ne s'est pas prononcé sur le point de savoir si on limitera au ressort de la cour l'exécution de la sentence des juges, ou bien si on rendra l'arrêt exécutoire dans toute l'étendue du territoire français.

Si nous nous attachions à l'idée que la cour devrait juger le caractère licite ou illicite au point

de vue purement abstrait des statuts, nous serions conduits à dire que la sentence s'exécuterait par toute la France; partout où la magistrature française a le droit d'envoyer un ordre, que la force publique est requise d'exé

cuter.

tout

Or, voyez la conséquence choquante à laquelle on arriverait fatalement. Admettriezvous qu'un tribunal, sur un point de la France, rendit, par exemple, en matière de presse, une sentence qui serait exécutoire dans le reste de la République française? Je ne veux pas anticiper sur une discussion qui viendra plus tard, à son jour et à son heure. Mais je crois pouvoir dire que cette Assemblée ne voudrait pas voir un tribunal rendre, par mesure préventive, en matière de presse, à Paris, je suppose, une sentence contre une publication qui ne pourrait plus se produire ailleurs à la suite de cette interdiction, justifiée peut-être par des considérations de temps et d'espace, mais qui, étendue ailleurs, deviendrait une oppression et une tyrannie.

Non, vous ne le voudriez pas.

Eh bien, sortant de cette comparaison pour rentrer dans la matière spéciale des associations, je dis que par le système proposé, si vous l'adoptiez, vous pourriez préparer dans l'avenir, à un gouvernement persécuteur, un moyen très-simple d'empêcher une association de se former; car ce gouvernement ne manquerait pas d'avoir sur un point de la République, dans une cour, une première chambre composée de juges à sa dévotion, et grâce à l'intervention de complices, il pourrait frapper ainsi d'interdiction une association dont il ne voudrait pas voir le développement en France.

Ne dites pas, messieurs, que ce danger est imaginaire. L'histoire, dont je ne pourrais guère parler d'après mon expérience personnelle, mais dont j'ai souvent ici entendu faire de brillantes généralisations, l'histoire nous apprend qu'il y a des combinaisons ingénieuses où le despotisme fait disparaitre tout à fait la liberté.

Non, nous ne pouvons laisser introduire dans l'économie de la loi une disposition susceptible de devenir tellement oppressive que, dans la pratique, elle pourrait être la négation de la liberté d'association.

C'est pourtant ce qui arriverait si vous décidiez que la sentence serait applicable non-seu- lement dans le ressort de la cour qui l'aurait rendue, mais encore dans tout autre ressort.

Mais à l'inverse, et se rejetant dans le système contraire, on pourrait décider que la sentence n'aurait d'application que dans le ressort de la cour qui aurait prononcé. Aurait-on alors évité tous les dangers? Non. D'abord on ne comprendrait pas qu'une sentence rendue au point de vue abstrait des statuts ne put s'appliquer que sur un point. N'y aurait-il pas là un défaut de logique? Vous arriveriez à ce singulier contraste que, dans le ressort de la cour d'Orléans, par exemple, telle association serait défendue et que, dans le ressort de la cour voisine, la même association, ayant le même point de départ, employant les mêmes moyens, animée du même esprit et tendant au même but, serait parfaitement permise. Ce serait le cas de répéter: Vérité en deçà, erreur au delà! La contradic

tion serait trop choquante. Nous ne pouvons pas poser ce principe... (Très-bien! très-bien!); la conséquence en serait révoltante pour l'esprit aussi bien que pour les justiciables.

Messieurs,, pour résumer mes critiques sur ce second point, nous vous demanderons, après avoir fait la séparation entre les associations politiques pour lesquelles l'autorisation préalable, selon nous, devrait être maintenue, d'abolir purement et simplement, mais radicalement, l'autorisation préalable pour toutes les autres associations. Nous ne voulons pas de ce système, qu'on veut introduire dans notre organisation judiciaire, qui amène le juge, sans juger des hommes, à juger des doctrines.

Et à ce propos, voulez-vous me permettre de vous rappeler un principe de droit criminel? Une des plus grandes garanties que la liberté puisse avoir contre l'abus que la magistrature pourrait faire de ses pouvoirs, est celle-ci : La magistrature ne peut jamais frapper une doctrine abstraite; elle ne peut frapper que l'individu qui a accompli un certain fait.

Mais la magistrature qui serait armée du pouvoir de jeter l'interdiction, comme je le disais tout à l'heure, sur une doctrine, sur une sphère d'activité, sortirait de la mission qui seule doit lui être confiée, et qui est si bien définie par la théorie de la séparation des pouvoirs. (Approbation sur plusieurs bancs à droite et au centre.)

Comment la magistrature pourrait frapper une doctrine sans atteindre un individu! mais, messieurs, c'est là une œuvre éminemment législative, qu'elle ne doit jamais avoir sous aucun prétexte.

Il y a peu de temps, vous avez frappé la société de l'Internationale, et vous ne vous êtes pas arrêtés à l'objection qui vous était faite que vous alliez commettre une usurpation sur le pouvoir judiciaire; vous avez dit avec raison qu'il s'agissait, non pas de frapper un individu, mais de déclarer qu'une sphère d'action était interdite parce qu'il était dangereux de s'y mouvoir, et vous l'avez fait dans votre puissance législative. Mais le jour où l'on viendrait vous dire qu'il faut abandonner à la magistrature le soin, non pas de frapper des individus, mais de juger les doctrines, ce jour-là vous feriez l'inverse de ce qu'on vous reprochait de faire, vous abdiqueriez le rôle législatif qui vous est propre pour le confier à ceux qui ne doivent jamais l'exercer. Et je ne pense pas que le savant professeur, l'honorable auteur du rapport, vienne se montrer ici partisan de cette participation de la magistrature à la puissance législative.

Messieurs, je passe à l'article 14, dont je pense beaucoup de bien, qui va, je dirai presque au delà de nos espérances, dont je suis très-heureux de saluer l'arrivée au milieu de la loi des associations, mais pour lequel je voudrais que M. le rapporteur nous donnât, à cette tribune, des déclarations très-précises. Ces déclarations seront, je l'espère, la matière d'un amendement qui précisera davantage la pensée qui doit nous être commune, pour laquelle nous avons pu ne pas trouver une expression qui nous satisfit complétement, mais à l'occasion de laquelle nous arriverons évidemment à une entente parfaite.

L'article 14 suppose que l'association est

constituée, et il déclare que l'association pourra contracter. Il déclare aussi qu'après avoir contracté, l'association pourra posséder. Cela est à merveille. Mais l'article 44, tel qu'il est présenté dans la loi, pourrait s'entendre sous l'empire d'une législation qui ne permettrait pas à la convention de fonder l'association. Je m'explique. L'association, en droit français, a deux faces: l'une qui regarde le code pénal, l'autre qui considère le droit civil. L'article 1er, en déclarant l'autorisation préalable abolie, va désintéresser complétement le fait d'association de ce que j'appellerai le gendarme, la répression.

L'association ne craindra plus le code pénal dans ses articles 291 et suivants, ni la loi de 1834. Cela est très-bien; mais ce n'est qu'un côté de la question. Il s'agit de savoir si, après avoir cessé d'être un délit, l'association pourra devenir un contrat, pourra entrer dans la sphère civile et s'y mouvoir à l'aise. C'est ce que vous ne déterminez pas suffisamment, permettez-moi de vous le dire; mais je suis convaincu que sur ce point nous arriverons à une entente parfaite.

Je vous demanderai de vouloir bien décider que l'associrtion aura en quelque sorte un double degré de vie; qu'elle pourra, si elle le veut, vivre à l'état de contrat, à l'état de convention entre les associés, mais, sans que le patrimoine soit nécessairement fondé, sans que la personnalité civile apparaisse, sans que l'établissement public surgisse nécessairement comme personne morale distincte entre les associés.

Je vous demanderai aussi de conserver ce second degré de vie que vous lui accordez par votre projet, et qui consiste à faire naître, pour ainsi dire, au moyen de l'association, une personne qui se distingue de celle de chaque associé.

Oui, il est très-bon que l'association puisse se donner à elle-même le caractère de stabilité et d'immutabilité que donne la propriété et qu'elle peut seule fonner. Mais si l'association ne le veut pas, si le fondateur ne veut pas se dépouiller de sa propriété, permettez-lui de vivre avec ses associés à l'état d'indivision de propriété commune, et pour cela permettez le contrat d'association. Ce contrat, tout autant que la propriété, est nécessaire à la vie de l'association.

Personne ne le conteste, dit-on; soit. Mais le code civil le défend, et c'est contre le code civil que j'établis en ce moment ma discussion.

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un gain à réaliser, non pas une affaire, mais une œuvre de sentiment, d'idée, d'apostolat, il faut élargir les limites étroites du code civil et il faut dire qu'à côté du contrat de société viendra prendre place dans la loi le contrat qui n'a pas un nom particulier, auquel nous pourrons donner, si vous le voulez, le nom de contrat d'association. Il le faut à tout prix, car, sans ce'a, vous découragerez l'association, si vous la forcez à être de prime abord un établissement public qui aura un patrimoine distinct. Ne demandez pas trop à l'association qui veut naître. Permettez-lui, au degré humble du contrat, d'essayer ses forces, d'appeler à elle les dévouements, de voir si le but qu'elle veut atteindre est accessible. Si, après un certain nombre d'années d'efforts, de tâtonnements, elle atteint ce but, vous lui permettrez de monter plus haut et de s'ériger elle-même, abolument à son gré ou sous certaines conditions, en établissement d'utilité publique, en devenant une personnalité juridique.

Voilà la troisième critique que je voulais vous soumettre, relativement à l'article 14. Je la résume d'un seul mot: l'article 14 suppose que l'association sera toujours un être séparé et distinct des associés. Eh bien, il faut permettre qu'elle ne soit pas un être séparé des associés; il faut qu'elle puisse se confondre, quand les associés le voudront, avec la personne des associés eux-mêmes.

Il me reste à toucher à un autre ordre d'intérêts plus graves encore. Je viens, en quelque sorte, de parcourir les objections juridiques que peut comporter le projet de loi. En finissant, j'ai à m'arrêter à l'article 18, qui touche à un intérêt d'un ordre beaucoup plus relevé, à la liberté de conscience, aux communautés religieuses.

Vous me permettrez de vous rappeler, et je m'engage à le faire très-sommairement, quel est l'état légal de ces communautés en France. Cette question est une de celles dont tout le monde parle, et que cependant tout le monde ne connait pas.

Il faut que vous m'autorisiez, en protestant contré certains doutes soulevés dans le rapport, à dire avec précision comment se présente la question aujourd'hui. Je suis persuadé qu'après des explications très-loyales de part et d'autre, nous nous trouverons d'accord. Mais il ne faut pas qu'un malentendu se glisse dans cette discussion.

-Quel est donc l'état des communautés religieuses en France?

On distingue les communautés d'hommes et les communautés de femmes; mais cette distinction ne doit pas nous préoccuper pour la discussion de la loi en question.

On distingue aussi et c'est le seul point de vue auquel je veuille me placer - les communautés, soit d'hommes, soit de femmes, légalement autorisées, et les communautés qui n'ont aucun titre légal de reconnaissance.

Les communautés légalement autorisées, je n'aurai pas à m'en occuper, parce qu'elles ont leur situation juridique précisée par le texte législatif qui les a fondées, par l'ordonnance ou le décret qui leur a donné naissance, et puis par la loi du 2 janvier 1817, par l'ordonnance du 2 avril 1817, par la loi du 24 mai 1825, par l'ordonnance du 14 janvier 1831, et

par le décret du 31 janvier 1852. C'est en ce qui concerne les communautés non autorisées que je veux qu'il n'y ait aucun malentendu entre nous, et je suis persuadé qu'il ne pourra pas y en avoir, quand on se sera nettement exprimé de part et d'autre.

On entend dire qu'il existe encore des lois qui peuvent atteindre la simple existence de fait des communautés religieuses en France. C'est une thèse que j'ai souvent entendu discuter dans des réunions de jeunes gens, et là, je la comprends, car il faut s'exercer l'esprit. C'est une chèse que j'ai entendu discuter à l'école, et à je la comprends encore; car il faut combattre l'erreur, et pour la combattre, il faut quelquefois avoir l'air de la soutenir, en lui donnant un corps et une expression. (Exclarations et interruptions diverses.)

M. Edouard Charton. Nous avons lu cela dans les Provinciales!

M. Paul Besson. Mais je ne comprendrais en aucune façon que des doutes de cette nature pussent figurer comme base d'une transaction dans la loi des associations. Il faut le dire, afin que ce soit une chose définitivement conclue: il n'y a aucune loi, il n'y a que des souvenirs de loi qui prohibent en France l'existence de fait des communautés religieuses.

Voudrait-on chercher une loi prohibitive des communautés religieuses dans les articles 291 et suivants du code pénal? Il est facile de faire justice de cet argument.

L'article 291 suppose que les personnes qui seront poursuivies comme faisant partie d'une association n'habitent pas sous le même toit, ne sont pas au même foyer; il suppose qu'elles viennent de plusieurs points pour se réunir, pour se trouver à un rendez-vous, à un jour déterminé.

Voilà le fait qui est condamné par le code pénal de 1810, et l'on prétendrait que cet article est applicable aux communautés religieuses! Mais il faudrait dire alors que le pauvre ne peut pas s'unir au pauvre pour trouver en commun un toit qui lui coûte moins cher! (Très-bien! à droite.) Non, vingt-cinq ouvriers peuvent se réunir sous le même toit, au même foyer, et vingt-cinq religieux peuvent s'y réunir aussi pour vaquer aux exercices de la prière et de la mortification chrétienne. (Très bien! très-bien! à droite.)

La loi du 10 avril 1834 aurait-elle rendu plus dangereux, pour les communautés religieuses, l'article 291? En aucune façon. M. Guizot l'a souvent répété à la tribune, et personne, parmi les crimina istes, n'a osé soutenir le contraire. La loi de 1834 n'a eu qu'un but: rendre efficaces les dispositions de l'article 291. Elle n'a entendu en aucune façon créer des difficultés nouvelles pour les communautés religieuses. Si vous en vouliez la preuve, je vous la donnerais dans une citation de M. de Vatiménil, qui s'exprimait ainsi dans une consultation qu'il a donnée en juin 1845:

« Le code pénal et la loi de 1834 n'ont vu de danger que dans les réunions composées d'individus appartenant à des situations sociales diverses, qui se réunissent dans un but commun et qui vont ensuite porter, dans les relations ordinaires de la vie, l'esprit qu'ils ont puisé ou les projets qu'ils ont formés dans ces

conciliabules. Il n'en a pas vu dans les agrégations de personnes qui s'associent pour habiter sous le même toit. »

Ainsi la loi de 1834 et le code pénal de 1810 ont un caractère parfaitement précis; ils ne peuvent s'appliquer, en aucune façon, aux communautés religieuses.

Vous en trouverez la preuve dans la jurisprudence, car la question a été portée devant les tribunaux, et il y a telle cour qui, en 1826, malgré son désir manifeste d'arriver à frapper une communauté religieuse, a dů déclarer son incompetence, en déclarant que le code pénal déjà en vigueur au moment où elle rendait son arrêt, ne pouvait pas fournir une arme à l'aide de laquelle fût possible d'atteindre la communauté des jésuites.

Si vous me le permettez, messieurs, je vous lirai les considérants très courts de cet arrêt de 1826. Cet arrêt tire son importance de ce qu'il désarme le pouvoir judiciaire du code pénal et par conséquent aussi de la loi de 1834, en déclarant que la loi pénale de ce siècle n'est pas applicable aux communautés religieuses. Nous aurons à examiner si la loi du siècle dernier, c'est-à-dire la loi de l'ancien régime, peut mieux les atteindre.

Voici les considérants de l'arrêt de 1826, rendu par la cour de Paris, après la célèbre dénonciation à laquelle M. de Montlosier avait attaché son nom :

« Vu les arrêts du parlement de Paris du 9 mai 1760; les arrêts conformes des autres parlements du royaume, l'edit de Louis XV de novembre 1764; l'édit de Louis XVI du mois de mai 1777; la loi du 18 août 1792; le décret du 3 messidor an XII;

« Attendu qu'il résulte desdits arrêts et édits que l'état de la législation s'oppose formellement au rétablissement de la compagnie de Jésus, sous quelque dénomination qu'elle puisse se présenter; que ces édits et arrêts sont fondés sur l'incompatibilité reconnue entre les principes professés par ladite compagnie et l'indépendance de tous les gouvernements, principes bien plus incompatibles encore avec la charte constitutionnelle, qui fait aujourd'hui le droit public des Français;

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Mais attendu qu'il résulte de cette même législation qu'il n'appartient qu'à la haute police du royaume de supprimer et de dissoudre les congrégations, associations ou autres établissements de ce genre, qui sont ou se seraient formés au mépris des arrêts, édits, lois et décrets susénoncés ;

«La cour se déclare incompétente.

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Vous rechercherez, si vous le voulez, quelle pourrait être cette haute police du royaume qui pourrait, en dehors de la magistrature, prononcer sur le sort des citoyens. Pour nous, nous croyons cette haute police du royaume disparue avec le siècle qui. la connut et avec 'ancien régime.

Mais revenons au droit nouveau, au code pénal et à la loi de 1834.

Vous voyez que, m'appuyant sur le texte du code pénal, sur le texte de la loi de 1834, sur une solennelle déclaration de la cour de Paris, j'avais raison de dire qu'il n'y avait rien dans les lois pénales de notre siècle qui puisse atteindre directement ou indirectement les com

ANNALES. T. II.

munautés religieuses; les communautés religieuses dont je parle, sont celles qui n'ont aucun titre légal de reconnaissance, qui ne peuvent avoir de patrimoine, qui ne peuvent faire d'acquisitions; leur existence, au po nt de vue de la lui pénale, ne constitue pas un fait que l'on puisse qualifier de délictueux. (Très-bien! très-bien!)

Il s'agit donc de savoir, maintenant qu'il est établi que ce siècle n'a vu naître en France aucune loi pénale à l'aide de laquelle on puisse attendre la simple existence de fait d'une communauté religieuse, s'il y aurait eu, dans le siècle précédent des textes sur lesquels on pourrait se fonder encore pour la poursuivre.

Messieurs, ne croyez pas que je me livre à une simple dissertation, non! Les temps ne sont pas loin où on voulait poursuivre, à Marseille, plusieurs communautés sous prétexte que la loi de mess dor, dont je vais parler, se dressait contre elles pour les frapper; le temps n'est pas loin où, dans la ville de Lyon, on proscrivait encore tous les ordres religieux sous prétexte que le décret du 3 messidor an XII pouvait les atteindre.

Voyons donc si le texte de ce décret peut les atteindre.

Je ne parle pas d'un décret du 13 février 1790, ni de la loi du 18 août 1792.

Le décret de 1790 prohibait la pérennité des vœux, et il ouvrait la porte aux religieux qui voulaient sortir du monastère; il n'a que faire dans le débat, car personne ne demande d'emprisonner les religieux dans le cloitre. La porte de sortie est ouverte plus grande et plus large que la porte d'entrée

La loi de 1792 prohibait l'existence de fait des communautés religieuses; mais elle est antérieure au Concordat, et depuis le Concordat on ne pourrait soutenir le maintien de cette loi, car le Concordat est venu poser ce large principe, qui ne trouvera aucun adversaire dans cette Assemblée, à savoir que le culte catholique a le droit de se produire en toute liberté et franchise, pourvu que les membres qui le professent ne se rendent coupables d'aucun délit de droit commun. (Très-bien ! très bien !)

Eh bien, il reste à examiner si le décret du 3 messidor an XII, postérieur de deux ans au Concordat, est encore une loi qu'on puisse opposer à ceux qui veulent aller vivre au cloitre et exercer une liberté que personne ne devrait avoir le courage de leur refuser. (Très-bien! tuès-bien !)

Le décret de messidor an XII a six articles, et, dans ces articles, il atteint l'existence de fait des communautés religieuses. Sur ce point, on a voulu élever des doutes; je n'en élèverai aucun. Oui! c'est une arme offens ve. Mais il faut se rappeler que c'est un texte fait au lenden ain d'une bataille, en dehors de toute observation des règles constitutionnelles. Or je me demande si quelqu'un aurait le courage de venir dire, parce que le décret a été inséré au Bulletin des lois, qu'il a d'autre valeur que la force brutale dont savait user celui qui l'a rendu. Non, le décret de messidor an XII a disparu devant les lois politiques modernes; et savez-vous lesquelles? C'est la Charte de 1814, c'est la Charte de 1830, qui sont ve nues poser ce large principe que les catholiques, comme d'autres qui adhèrent à d'autres

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