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Veuillez agréer, monsieur le président, l'expression de ma considération la plus distinguée. « LEON RIANT. »

Y a-t-il opposition au renvoi demandé par M. le rapporteur? (Non! non !)

La discussion sera mise à l'ordre du jour de lundi prochain.

L'ordre du jour appelle la première délibération sur la proposition de loi de MM. Bérenger et Desbons et plusieurs de leurs collègues, relative à la création d'un jury spécial pour les jugements des délits de presse et des délits politiques.

Personne ne demande la parole?...

Je consulte l'Assemblée pour savoir si elle entend passer à la deuxième délibération.

(L'Assemblée, consultée, décide qu'elle passera à la deuxième délibération.)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de MM. fe duc d'Audiffret-Pasquier et plusieurs de ses collègues, tendant à la nomination d'une grande commission d'enquête sur la situation des classes ouvrières en France.

L'urgence a été déclarée.

Personne ne demande la parole sur l'ensemble de la proposition?...

Je consulte l'Assemblée sur la question de savoir si elle entend passer à la discussion des articles.

(L'Assemblée, consultée, décide qu'elle passe à la discussion des articles.)

M. le président. Je donne lecture des articles du projet de loi:

« Art. 1er. Il sera nommé une grande commission d'enquête parlementaire, chargée d'étudier la condition des ouvriers en France. « Cette commission sera composée de quarante-cinq membres, nommés dans les bu

reaux. >>

(L'article 1er est mis aux voix et adopté.)

⚫ Art. 2. La commission aura la faculté de s'adjoindre avec voix consultative les personnes étrangères à l'Assemblée dont elle jugera le concours utile.

«Elle pourra se subdiviser en sous-commissions, qui se transporteront partout où besoin sera.» (Adopté.)

« Art. 3. Les dépositions reçues seront sténographiées et publiées. Des rapports partiels pourront être adressés à l'Assemblée; un rapport général résumera les travaux de la commission. – (Adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l'ensemble de la proposition.

(L'ensemble de la proposition est mis aux voix et adopté.)

M. le président. L'ordre du jour appelle la première délibération sur le projet de foi ayant pour objet de rapporter les décrets du 22 janvier 1852, relatifs aux biens de la famille d'Orléans.

Personne ne demande la parole sur la discussion générale?

M. Henri Brisson. Il est entendu que la discussion générale est réservée pour la deuxième délibération.

M. le président. Je consulte l'Assemblée sur la question de savoir si elle entend passer à la deuxième délibération.

(L'Assemblée, consultée, décide qu'elle passera à la deuxième délibération.)

M. le président. L'ordre du jour appelle la première délibération sur les propositions : 1o de MM. le duc de Broglie, Wallon, Vitet et plusieurs de leurs collègues; 2o de MM. de Corcelle, Saint-Marc Girardin et plusieurs de leurs collègues, relatives aux conseils de l'enseignement.

Quelqu'un demande-t-il la parole ?...

Personne ne demandant la parole sur l'ensemble des propositions, je consulte l'Assemblée pour savoir si elle entend passer à une deuxième délibération.

(L'Assemblée, consultée, décide qu'elle passera à une deuxième délibération.)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion sur la prise en considération de la proposition de M. le baron de Janzé et plusieurs de ses collègues, relative à l'établissement à Paris d'une 5 section du conseil des prud'hommes, ayant pour mission de statuer sur les différends qui pourront s'élever entre les ouvriers employés par les compagnies de chemins de fer et les comités de direction de ces compagnies.

M. le baron de Janzé. Je demande la parole.

M. le président. La commission conclut à ce que la proposition ne soit pas prise en considération.

La parole est à M. de Janzé.

M. le baron de Janzé, Messieurs, avec plusieurs de mes collègues, MM. Raoul Duval, Brame, Guinot, Tirard et Houssard, nous avons eu l'honneur de déposer la proposition de loi suivante :

« Avant le 1er mai 1872, un décret d'institution, rendu dans les formes prescrites par l'article 1er de la loi du 4 juin 1853, modifiera ainsi qu'il suit les ordonnances des 29 décembre 1844 et du 9 juin 1847:

«Il est établi à Paris, siége social de toutes les compagnies de chemins de fer, une cin

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quième section du conseil des prud'hommes. Cette section statuera sur les différends qui pourront s'élever entre les ouvriers employés par les compagnies de chemins de fer et les comités de direction des compagnies. »

Nous avons voulu assurer à cette armée d'ouvriers qu'occupent les compagnies de chemins de fer le bénéfice de la législation des prud'hommes, législation qui n'avait pas pu, lorsqu'elle a été créée, prévoir cette situation.

En effet, la création des prud'hommes remonte à 1806; cette juridiction avait d'abord été appliquée spécialement au règlement, les conditions de l'industrie de la soie à Lyon. Peu à peu elle a étendu ses attributions et sa sphère d'action, et il a été créé des conseils de prud'hommes dans presque tous les grands centres industriels. A Paris, notamment, il y a depuis 1847 quatre conseils de prud'hommes qui jugent tous les différends entre patrons et ouvriers pour toutes les industries. Et vous savez, messieurs, combien ces industries sont nombreuses. Depuis vingt ans, ces quatre conseils, dont la juridiction désorganiserait le service des chemins de fer, s'il faut en croire la commission dont nous combattons les conclusions, ces quatre conseils concilient chaque année de 18 à 20,000 différends entre patrons et ouvriers. Constitués originairement pour juger les petits différends, les prud'hommes statuent journellement sur des affaires dans lesquelles le dédit peut s'élever à 10, 15 et 20,000 francs.

Vous voyez, messieurs, que cette juridiction sommaire, conciliatrice et économique, s'est peu à peu développée, non-seulement dans ses attributions mais dans le nombre et la variété des industries qui lui sont soumises.

Nous demandons que cette juridiction naturelle des ouvriers soit étendue aujourd'hui à la population ouvrière attachée au service des chemins de fer.

Il y a d'autant plus de raison de faire cette demande que, vu les lacunes de la législation, il y a de nombreuses équivoques et contradictions dans la jurisprudence actuelle, équivoques et contradictions qu'il s'agit de faire ces

ser.

Par exemple, les compagnies de chemin de fer sont-elles incontestablement aujourd'hui justiciables des conseils de prud'hommes même pour les ouvriers des ateliers, pour lesquels la commission pense que notre proposition est sans objet?

Non, et les compagnies prétendent devant les tribunaux, et je les ai entendues moi-même faire plaider que, ne fabriquant pas pour leur compte, elles n'étaient pas des fabricantes; qu'en outre les compagnies anonymes n'avaient pas de patrons; que, en conséquence, elles n'étaient pas justiciables des conseils de prud'hommes, pas plus pour les mécaniciens et chauffeurs que pour les ouvriers des ateliers. pour lesquels la commission prétend à tort que notre proposition est sans objet.

D'un autre côté, le conseil des prud'hommes, lorsqu'il a eu à se prononcer sur ce principe, s'est déclaré compétent, parce qu'il a vu que les compagnies de chemins de fer aujourd'hui fabriquaient des locomotives, et les vendaient à ceux qui en demandaient; qu'en outre elles fabriquaient des wagons, et qu'elles les louent moyennant rétribution à d'autres compagnies:

que, en conséquence, elles faisaient le com merce et étaient fabricantes, et, comme telles, justiciables des prud'hommes.

Enfin vous voyez que la question n'est pas jugée, et que les compagnies ont beau déclarer à la commission qu'elles se reconnaissent justiciables des prud'hommes pour leurs ouvriers d'ateliers, ce n'est pas une question jugée même sur ce point capital.

Maintenant il y a aussi divergence dans la jurisprudence sur le point de savoir quelle est la situation des membres de cette armée ouvrière; si ce sont des employés ou des ouvriers.

Ainsi la question qui a donné lieu à notre proposition était celle de savoir si, lorsque les mécaniciens, les chauffeurs des ateliers sont incontestablement des ouvriers dans le sens que la loi attache à ce mot, les mécaniciens, les chauffeursde locomotives sont aussi des-ouvriers. Il nous semblait, à nous, qu'ils étaient des ouvriers, car ils doivent être pris parmi les ajusteurs des ateliers; ils font continuellement des œuvres manuelles à leurs machines, et dans certaines compagnies, quand il y a chòmage sur une ligne, ils sont obligés de rentrer dans les ateliers et de reprendre leurs travaux. De plus, ils dépendent, dans toutes ces compagnies, des ateliers qu'on appelle les dépôts.

Le tribunal de commerce a décidé, cependant, que ce n'étaient pas des ouvriers dans le sens que la loi attache à ce mot, mais que c'étaient des sous-ingénieurs.

Le tribunal des prud'hommes, au contraire, dans lequel on compte des hommes fort compétents, des fabricants de locomotives qui ont parmi leurs électeurs des mécaniciens, des chauffeurs, des charrons, saisi de la demande de plusieurs mécaniciens, a déclaré au contraire que les mécaniciens-conducteurs étaient des ouvriers. Et voici comment est formulé ce jugement :

Attendu que les nommés.... ont été embauchés par la compagnie du chemin de fer de Lyon comme ouvriers porteurs de livrets;

« Attendu que, quel que soit le mode de payement de leur salaire, leur emploi consiste à signaler les grosses réparations dont les locomotives peuvent avoir besoin et à exécuter manuellement toutes les petites réparations urgentes d'entretien qui surviennent journellement pendant le trajet, et qui rentrent essentiellement dans le travail du mécanicien ;

« Attenda que c'est en vain qu'on voudrait faire considérer ces ouvriers comme industriels louant leur industrie à la compagnie des chemins de fer;

Attendu que, quelle que soit l'élévation du salaire, payé au jour, au mois ou à l'année, aux conducteurs de locomotives pour leur travail manuel, la compagnie du chemin de fer ne peut avoir le droit de les distraire à la juridiction de leurs juges naturels;

Attendu que le conseil des prud'hommes a été institué pour régler les différends entre patrons et ouvriers;

Attendu que, dans l'espèce, il s'agit d'une réclamation pécuniaire à l'occasion d'un renvoi;

Par ces motifs :

« Le conseil se déclare compétent et ordonne qu'il sera plaidé au fond. »

Quoi qu'il en soit, messieurs, les prud'hommes déclarant les mécaniciens ouvriers, avaient accordé au mécanicien plaignant, M. Hulot, une indemnité de 570 fr.; et le tribunal de commerce de la Seine, le déclarant sous-ingénieur, accordait à ce même M. Hulot une indemnité de 5,000 fr.

Cependant, malgré ce résultat, les mécaniciens demandent instamment la juridiction ouvrière, la juridiction des prud'hommes; pourquoi ? Parce que cette juridiction est beaucoup plus sommaire et beaucoup plus économique.

Par exemple, dans l'affaire dont je viens de parler, les délais ont été de cinq jours devant les prud'hommes, et le coût du jugement est de 3 fr. sans autres frais. Dans cette même affaire devant le tribunal de commerce, il y a eu un délai de quatre mois, six remises différentes, et les frais se sont élevés à 220 francs, indépendamment des honoraires des avocats.

Vous voyez, messieurs, qu'il y a une importance capitale à assurer à cette nombreuse population ouvrière cette juridiction économique et d'une autorité incontestable. Qu'il y ait, soit convention, soit contrat de louage, il y a d'autant plus de nécessité d'assurer cette juridiction à la population ouvrière des chemins de fer que, pour toute personne qui veut entrer au service des chemins de fer, on peut dire que les conditions de libre discussion préalable qui doivent présider à la conclusion d'une convention sont viciées en quelque sorte par la déclaration préalable que l'on est obligé de signer. Cette déclaration est ainsi conçue :

@ Je déclare me soumettre à toutes les dispositions des règlements intervenus ou à intervenir dans les services de la compagnie, et accepter notamment les suspensions de traitement, retenues, amendes et mises en charge qui pourraient m'être appliquées à raison de mes fonctions, ainsi que les prélèvements que m'imposera la participation à la caisse des retraites. »

En vertu de cette déclaration les compagnies appliquent des pénalités, en vertu de règlements non discutés, elles les appliquent sans un jugement quelconque, constatant la réalité des contraventions aux règlements commises par les employés.

Ainsi, par exemple, si un employé s'est perdu dans le dédale des tarifs, on le force en recette. Si on a imposé aux mécaniciens ces excès de charge ou de vitesse, ce dont ils se sont vivement plaints dans une pétition qu'ils ont adressée à l'Assemblée nationale et que nous aurons à discuter plus tard - dans ce cas, ils sont condamnés à une amende assez considérable, quoiqu'on ait dit qu'il n'y en avait pas de fortes, parce qu'on a pris l'ensemble du service de la traction, depuis le graisseur jusqu'à l'ingénieur qui est bien payé; mais les mécaniciens subissent des retenues considérables. Et dans un procès qui s'est récemment déroulé devant le tribunal de la Seine, on a cité un mécanicien qui, ayant 160 fr. d'appointements par mois, a payé 160 fr. d'amende.

Eh bien, ces conditions, il me semble qu'elles ne sont pas acceptables, il me semble que sans jugement il est impossible que l'on puisse condamner des ouvriers à des descentes de

classe et à ces amendes, contre lesquelles il n'y a pas de réclamations possibles.

Il y a encore cette objection, c'est qu'en vertu de cette déclaration, ils sont obligés de subir sur leur salaire tant pour cent de retenue, et que les compagnies se prétendent toujours maitresses de les renvoyer le jour où il leur plait de les congédier, même sans motifs, en leur retenant le montant de leurs économies forcées.

Il ne m parait pas juste non plus qu'elles puissent ainsi leur retenir, en les renvoyant, ce qu'elles ont pris en vertu des règlements, sur les salaires qu'elles leur accordaient.

Mais toutes ces questions qui amènent chaque jour des divergences pour leur interprétation, dans la jurisprudence, ne pourront être réglées que par un règlement d'administration publique, liant à la fois les compagnies et les employés.

Je crois que la chambre sera obligée d'adopter ce règlement, et je ne doute pas que la commission nommée pour étudier le régime général des chemins de fer, ne propose cette mesure indispensable.

Mais on comprend que dans cette situation, alors que de riches négociants ne peuvent lutter contre le système des compagnies qui ont un contentieux très-fortement organisé, il soit au moins juste d'assurer aux employés cette juridiction économique et sommaire des prud'hommes.

Que la commission nous dise que notre idée, dans la forme où nous l'avons proposée, peut soulever quelques objections. je consens parfaitement à le reconnaître. Tout ce que nous demandons, c'est que l'étude de la question soit faite lorsque la commission spéciale aura été nommée, elle pourra voir si la forme que nous proposons est la meilleure, ou si, au contraire, comme je vous l'avais demandé par un amendement à la proposition première, il ne vaudrait pas mieux établir des conseils de prud'hommes dans tous les centres où se trouvent des établissements principaux de chemins de fer.

La commission verra s'il conviendrait d'insérer cette disposition : « Les sections des conseils de prud'hommes statueront sur les différends qui pourront s'élever entre les compagnies de chemins de fer et les ouvriers mécaniciens ou chauffeurs, afin de ne plus rien laisser d'équivoque à l'interprétation.

Si l'on trouve qu'il serait inutile de créer une nouvelle section de prud'hommes, nous ne contesterons pas encore; tout ce que nous voulons, c'est d'assurer à la population des chemins de fer cette juridiction économique. Si l'on pense, par exemple, que le conseil des métaux, qui, à Paris, est chargé de régler toutes les contestations des mécaniciens, chauffeurs, serruriers, des charrons, plombiers et autres, et qui a en même temps à se prononcer sur les contestations de constructeurs de locomotives, wagons et tenders, a une compétence suffisante pour décider dans la question qui nous occupe, nous ne verrions aucun inconvénient à ce que la commission modifiât dans ce sens notre proposition, et qu'elle dit : «Seront justiciables du conseil des prud'hommes tous les ouvriers travaillant habituellement pour le même patron ou la même com

pagnie anonyme, que ces ouvriers soient payés à la tâche ou à la journée. »

Vous le voyez donc, tout ce que nous vous demandons, c'est de soumettre à l'étude d'une commission spéciale une idée que nous croyons juste, une idée dont nous croyons l'heure arrivée, mais que nous n'avons pas la prétention d'avoir revêtue de sa forme la meilleure et qui donnerait satisfaction à une nombreuse population ouvrière.

Nous ne comprendrions pas que l'Assemblée, qui tout à l'heure encore vient de donner une preuve de son intérêt pour les classes ouvrières, en prenant en considération la proposition de M. d'Audiffret-Pasquier, refusàt de prendre aussi en considération notre proposition, comme nous espérons qu'elle voudra bien le faire. (Approbation sur divers bancs.)

M. Bastid, rapporteur. M. de Janzé vient de vous expliquer le but et la portée de sa proposition. Votre commission d'initiative n'a pas cru que cette proposition pût être prise en considération. Elle s'est déterminée par deux mo. tifs principaux le premier, c'est que ce serait porter une perturbation complète dans l'ordre des juridictions; le second, c'est que ce serait porter une perturbation non moins grande dans l'organisation, dans le fonctionnement du personnel des chemins de fer.

Sans doute il peut y avoir un mal dans certaines situations plus ou moins nettement définies; il est peut-être des faits de nature à appeler une réglementation spéciale, mais ce que J'affirme, au nom de la commission, c'est que le remède ne peut se rencontrer dans la proposition qui est soumise en ce moment à vos délibérations.

En effet, de quoi se plaint on? On vous dit : En matière industrielle, la juridiction des prud'hommes est une juridiction économique, sommaire et rapide; ce bénéfice est dù à tous ceux qui travaillent. Or, le personnel des chemins de fer, comme les autres membres de la grande famille industrielle, ne peut être mis hors la loi. Telle est la formule de l'appel qu'on vous adresse en ce moment.

Voyons donc s'il existe une assimilation possible entre les situations auxquelles s'applique la législation des prud'hommes et les situations spéciales des employés de chemins de fer; je me sers à dessein de ce mot « employés, car il ne faut pas sortir du cercle qui nous est tracé par la proposition; gardons-nous de généraliser, et nous verrons qu'en réalité nos honorables collègues demandent un droit exceptionnel, et non le droit commun.

En effet, messieurs, le personnel des chemins de fer, lorsqu'il veut obtenir justice, est loin d'être désarmé. Est-il vrai, notamment, qu'il ne puisse pas recourir à cette juridiction des prud'hommes qu'on réclame pour lui?

Ce personnel a trois juridictions différentes qui s'offrent à lui, suivant les situations diverses dans lesquelles il se trouve placé.

Ainsi, toutes les fois qu'une compagnie de chemins de fer emploie un personnel d'ouvriers dans les conditions ordinaires de l'industrie, toutes les fois, par exemple, qu'à côté de la gare il y a une fabrique, un atelier d'outillage, s'il existe là un tribunal de prud'hommes, les ouvriers employés par la compagnie font vider leurs différends par ce tribunal. Lorsqu'il n'y

a pas de tribunal de prud'hommes, ils ont recours à la justice de paix, ils ont le bénéfice des dispositions de la loi de 1838, qui leur donne le conciliateur et le juge paternel. Ainsi le travailleur des chemins de fer trouve accès, soit devant le tribunal des prud'hommes, soit devant le juge de paix : ce sont là, au premier chef, les conditions les plus favorables du droit commun. Lorsque, au contraire, il s'agit de faits relatifs à l'exploitation proprement dite des chemins de fer, de ces fonctions qui forment comme une chaîne de devoirs et de responsabilités, dont chaque agent est un des anneaux, lorsqu'il y a un contrat de louage, - et je prends ce mot dans sa plus haute et plus générale acception, dans celle qui embrasse la personnalité, l'intelligence, le travail, dans ce cas, il est évident que le personnel ressort de la juridiction consulaire; il y a des engagements commerciaux qui conduisent directement le personnel et les compagnies devant la juridiction consulaire.

Telle est donc, messieurs, la situation du personnel des chemins de fer dans les contestations qui s'élèvent avec les grandes compagnies. Vous le voyez, le droit commun, c'est la. juridiction des prud'hommes pour l'ouvrier proprement dit; à défaut de prud'hommes, c'est le juge de paix. Par conséquent, la justice est accessible à tous; seulement, dans le personnel, se trouvent placés de véritables fonctionnaires, les mécaniciens conducteurs de trains, et l'honorable baron de Janzé en convenait tout à l'heure, c'est à eux que s'applique sa proposition. Elle est sans objet en ce qui touche les ouvriers proprement dits: leur situation est réglée, je le répète, par la législation actuelle; on ne peut pas demander autre chose. Il s'agit uniquement d'employés qu'on ne saurait appeler des ouvriers dans l'acception juridique du mot. C'est donc sur ce terrain que doit se limiter le débat.

Les éléments sur lesquels reposent l'organisation des prud'hommes et l'organisation du personnel des chemins de fer se dérobent pratiquement à la solution proposée. Les prud'hommes, - Vous savez que c'est là l'originalité de cette institution, ne sont pas des tribunaux permanents, créés directement par la loi, comme les tribunaux ordinaires. Le décret de 1806, la loi de 1810, et les lois postérieures, confèrent au Gouvernement le droit de créer des tribunaux ou des sections de prud'hommes partout où se révèle leur utilité. La loi organique règle les conditions dans lesquelles ont lieu ces créations. Le plus souvent, ce sont les chambres de commerce, les chambres consultatives des arts et métiers qui les provoquent. Cette initiative est prévue par la loi ; la loi ne s'inspire que des besoins que constatent ces grands corps en pleine connaissance de cause.

Je n'ai pas besoin de vous dire, messieurs, comment sont composés les tribunaux. Sans entrer dans des détails inutiles, il me suffit de rappeler la loi de 1853, qui détermine les conditions d'électorat et d'éligibilité.

Le collége électoral se forme des fabricants, patrons, contre-maitres et ouvriers. Cette composition répond au caractère spécial de la juridiction des prud'hommes; il faut | qu'il y ait des fabricants, des patrons et, en

même temps, il faut qu'il y ait des ouvriers. Les justiciables sont jugés par leurs pairs.

La loi va plus loin; elle n'autorise la création que pour les fabriques et les villes de fabrique. L'institution des prud'hommes a pour but de mettre fin à ces contestations de tous les jours qui se produisent en quelque sorte sous les yeux de ceux qui sont appelés à en devenir les juges, contestations qui se rattachent à certains usages, à certaines conditions particulières de la fabrique, à des différends de peu d'importance sur des questions de salaire ou de travail, sous la condition que les prud'hommes ne jugent que jusqu'à concurrence d'une somme de 200 fr.

M. Tirard. Sans appel!

M. le rapporteur. Oui, jusqu'à 200 r. en dernier ressort; par conséquent au-dessus, il y a la voie de l'appel.

Je le répète, c'est là une juridiction spéciale. Quel est surtout l'objet, le but de cette juridiction spéciale? C'est de mettre le juge à côté du justiciable, c'est de placer à côté de la fabrique où nait le différend les membres d'un tribunal qui auront pu saisir au vol, pour ainsi dire, la nature et la valeur de la contestation, parce que les causes de cette contestation se seront produites sous leurs yeux. Voilà l'utilité de cette juridiction spéciale.

Or, ici, on vous propose d'avoir, en France, un tribunal unique, composé de membres élus par les comités de direction de chemins de fer et par les délégués des ouvriers mécaniciens.

Ainsi il y aurait un tribunal unique pour la France entière, siégeant à Paris. Ce ne serait même pas un tribunal nouveau qui serait créé ce serait une cinquième section qui serait ajoutée au tribunal des prud'hommes de Paris, el le même personnel viderait toutes les contestations qui s'élèveraient, dans la France entière, entre les compagnies de chemins de fer et le personnel employé par elles.

Qui est ce qui procèderait à la nomination des membres de ce tribunal ou de cette section nouvelle ? Où serait le personnel électoral chargé de ce soin? Evidemment, on ne pourrait pas faire venir de toutes les parties de la France les ouvriers mécaniciens et tous les employés de chemins de fer.

Ce serait donc à Paris que la désignation des membres aurait lieu, par un personnel spécial, par une minorité chargée de composer le tribunal des prud'hommes. Car, je le répète, il s'agit de créer une 5 section du tribunal des prud'hommes fonctionnant à Paris. C'est donc le personnel de Paris qui composera ce tribunal, et ce tribunal aura ensuite une juridiction véritablement sans exemple, une juridiction égale à celle de la cour de cassation; il statuera sur toutes les contestations qui se produiront dans la France entière. Tel serait, qu'on me pardonne le mot, le résultat exorbitant de la proposition.

Et maintenant, quel serait l'avantage pour les justiciables? Le sort de tous les employés de chemins de fer serait remis entre les mains d'un tribunal qu'ils n'auraient pas élu, qu'ils ne connaitraient pas, devant lequel les distances ne leur permettraient pas de se présenter, devant lequel ils ne pourraient se concilier et ne comparaitraient qu'à grands frais et par de dangereux intermédiaires. Cela n'est pas admissible. D'ailleurs, est

ce que nous retrouvons là le but poursuivi par le législateur lorsqu'il créa des tribunaux de prud'hommes? Est-ce que nous localisons la juridiction? Est-ce que nous facilitons l'accès du prétoire aux justiciables? C'est à quelques centaines de lieues que le justiciable ira chercher son juge! Et cependant que veut-on? Au nom de quel intérêt a-t-on déposé la proposition? C'est au nom de ceux qui se disent écrasés par la puissance contentieuse des compagnies de chemins de fer; c'est un secours que Yous leur offrez, et en réalité c'est à l'impuissance que vous les condamnez!

Mais ce n'est pas tout si l'on pénètre dans le grand rouage de l'exploitation des chemins de fer, on reconnaît qu'il est impossible de soumettre à la juridiction des prud'hommes des différends qui s'élèvent entre les compagnies de chemins de fer et le personnel qu'elles emploient.

Je le répète, peut-on dire que les mécaniciens conducteurs de trains soient des ouvriers dans l'acception ordinaire du mot, assimilables aux ouvriers travaillant dans une tabrique, sous la direction d'un patron, travaillant à la journée, à la tâche? Evidemment non. Le mécanicien conducteur de chemin de fer est un véritable fonctionnaire.

Les compagnies de chemins de fer que sontelles? Elles sont la représentation de l'Etat en ce qui concerne les transports. (C'est cela! Très-bien !) Ces compagnies de chemins de fer, c'est l'Etat répondant à ce grand besoin public des transports et de la circulation. Les agents employés à cette œuvre sont de véritables fonctionnaires. Il ya là une hiérarchie, non pas une hiérarchie capricieuse, mais une hiérarchie subordonnée en même temps que solidaire, réglée par les nécessités du service, inspirée par des considérations d'un ordre supérieur, le besoin d'assurer la vie et la sécurité de tous.

Tout ici est de rigueur. Il est certain que les plus léger manquement à la discipline peut mettre en péril la vie de tous les voyageurs.

Le personnel des chemins de fer forme pour ainsi dire une armée avec ses véritables conditions de rigoureuse exécution des ordres reçus d'obéissance passive au signal, car désobéir au signal c'est courir à la catastrophe, au désastre. (Vous avez raison ! Très-bien!

très-bien!) D'autre part, il ne faut pas que l'employé soit victime de la compagnie; il ne. faut pas que cette grande puissance lui rive des chaines trop lourdes. S'il est opprimé, il faut qu'il puisse obtenir justice. La législation. actuelle est-elle impuissante à le protéger? Vous allez voir que non, et que, encore une fois, s'il existe un mal, c'est ailleurs qu'il faut chercher le remède.

Messieurs, quel est le fait qui a donné lieu au dépôt de la proposition? Je n'y aurais pas fait allusion, si l'honorable M. de Janzé luimême n'était entré dans quelques détails à cet égard.

Il a parlé d'un mécanicien auquel je me plais à rendre un hommage mérité par vingtdeux ans de loyaux services. Il a été révoqué de ses fonctions pour de récents agissements qu'à tort ou à raison lui reproche la compagnie et qu'il ne nous est pas permis d'apprécier. Tout ici nous commande la réserve comme

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