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tous les confessionnaux ; on fit des missions pour prêcher la légitimité; on la chanta au pied des autels, on profana de ses emblèmes l'auguste simplicité de la croix. Les jésuites intriguèrent pour elle, croyant ainsi intriguer pour eux. Leurs écoles, misérables pour l'instruction et loin d'être parfaites pour la discipline, devinrent des écoles de parti. Tendant, comme toujours, à la domination, non par l'ascendant des lumières, mais par cette sorte de ruse moitié dévote, moitié mondaine, qui les caractérise; par des moyens détournés, obscurs, par mille voies secrètes et mystérieuses, ils se glissèrent partout, formèrent partout des affiliations. On sentait leur influence sans la voir, à la cour, chez les ministres, au sein des familles; et cette espèce d'ombre invisible qui vous poursuivait inexorablement excita une telle irritation et si générale, que toutes les haines se confondirent dans la haine des jésuites, et que leur nom même devint une injure populaire.

Une fois engagé dans un faux système, une conséquence en attire une autre, les fautes naissent des fautes; nulle folie, nul danger n'arrête: on va jusqu'où l'on peut aller. Ainsi en fut-il en France à l'époque de délire dont nous parlons. On établit une véritable inquisition sur les consciences. Voulait-on obtenir un emploi public, une place quelconque, soit à Paris, soit dans les provinces, non-seulement la vie privée du solliciteur était soumise à des enquêtes secrètes, qui ouvraient la porte aux plus viles délations, aux basses intrigues de l'intérêt, à d'odieuses vengeances personnelles; mais il lui fallait encore rendre compte directement de ses croyances religieuses, et même de sa pratique à l'égard des actes du culte que l'Eglise commande. Alors les ambitieux se mirent en règle; on fit à l'envi du christianisme, comme on aurait fait de l'athéisme sous la Convention: l'hypocrisie deborda de toutes parts. Jamais on ne vit rien de plus hideux, rien de plus humiliant pour la nature humaine, de plus triste pour les âmes sincèrement croyantes. La manifestation de la foi était devenue, en certaines positions sociales, presque incompatible avec l'honneur. La piété se cachait pour

entrer dans le lieu saint, tandis que le sacrilege cherchait le grand jour, l'œil de l'espion, ou l'œil du prince. On en était là.

Qui s'étonnerait de la réaction que produisirent tant de causes irritantes? On repoussa avec colère une religion qui, s'identifiant avec le despotisme, se présentait aux défenseurs de la cause nationale comme une ennemie dans la vie publique, en même temps qu'elle opprimait la vie privée. On rouvrit les arsenaux philosophiques du dix-huitième siècle. Paris et les provinces furent inondés d'éditions nouvelles de livres presque oubliés, et qui, redevenus tout à coup des ouvrages de parti, se trouvèrent dans toutes les mains et dans celles même du peuple. Aux congrégations secrètes ou patentes formées par le clergé et les hommes du pouvoir, on opposa d'autres associations plus nombreuses et plus actives. La guerre était partout dans les sallons et dans les échoppes, dans les Chambres et dans les colléges. Les journaux les plus répandus attaquaient sans relâche le catholicisme et surtout le clergé, qui chaque jour perdait quelque chose dans l'opinion. Les évêques publiaient des mandemens contre les journaux, tâchant d'étayer l'un par l'autre le trône et l'autel pour eux inséparables. Et cependant jamais ce trône auquel ils s'appuyaient n'avait été au fond plus hostile à l'Eglise, comme nous le verrons dans un moment après avoir jeté un coup d'œil rapide sur l'état politique de la France.

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ÉPILOGUE.

Des siècles et des siècles avaient passé; c'était sur le soir d'un de ces longs jours qui sont les jours de Dieu (1); le soleil, enveloppé d'un linceul de nuages blafards, était descendu sous l'horizon, la nuit se faisait, une atmosphère lourde, étouffante, pesait sur la terre; troupeaux fatigués, les peuples gisaient dans ces vastes parcs qu'on appelle empires, royaumes, et de temps en temps soulevaient avec effort leur col meurtri du joug, pour trouver un peu d'air et rafraîchir leur poitrine brûlante et ces parcs étaient gardés par des gens armés; et toutes les fois qu'il s'y faisait le moindre mouvement, on entendait un cliquetis de

chaînes.

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Et je regardais cela, et mon âme absorbée dans une profonde stupeur se troublait en elle-même, lorsqu'une voix Fils d'Adam, que vois-tu? et comme je ne répondais point: Tu vois, dit-elle, les nations rachetées par le Christ!

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Et sur une colline escarpée j'aperçus un immense édifice étincelant de mille feux, et je montai, et mes yeux éblouis de la lumière des candelabres réfléchie par l'or, le cristal et les pierres précieuses, découvrirent, sur de hauts siéges couverts de pourpre, des hommes dont le front have était ceint de diadèmes; et regardant la plaine, ils disaient : Tout ce qui dor là est à nous ! Et à leurs pieds étaient d'autres hommes dans une posture courbée, et des femmes à demi nues; et tous, l'œil fixé sur les hommes à diadème, semblaient épier un geste, un regard, et, mettant un ge

(1) Mille anni antè oculos tuos, tanquam dies hesterna quæ præteriit, Ps. LXXXIX, 4.

nou en terre, ils disaient : Tout ce qui dort là est à vous !

Et l'on dressa des tables somptueuses chargées des mets les plus délicieux, des vins les plus exquis, et les hommes à diadème, et les hommes courbés, et les femmes à demi nues, s'assirent autour de ces tables, et le parfum des fleurs, et une mélodie suave enivraient leur sens, et ils flottaient mollement dans un nuage de volupté. De fois à autre, on entendait du dehors comme le son aigre de fers qui se choquent, et ils riaient; comme le sifflement du fouet qui pince la peau et enlève un lambeau de chair sanglante, et ils riaient; comme les sourds gémissemens qui sortent d'un cachot, et ils riaient; comme les sanglots de l'angoisse, comme le hoquet de la faim, comme le râle d'un homme qu'on étouffe, et ils riaient !

Puis les hommes à diadème s'étant retirés dans un autre lieu, leurs visages s'obscurcirent, et ils commen-cèrent à se parler en secret. La défiance, la colère, la haine étaient dans leurs yeux, et leurs lèvres souriaient, et ils s'embrassèrent. Alors il se fit un mouvement parmi les gens armés qui gardaient les parcs, et la multitude qui gisait là jeta un cri affreux, et la flamme de l'incendie rougit l'horizon, et des ruisseaux de sang sillonnèrent la plaine; et les femmes, tenant sur leur sein leurs petits enfans, fuyaient échevelées, et leur pied à chaque pas heurtait contre les cadavres. Alors je me retournai vers les hommes qui avaient souri et s'étaient embrassés : le diadème était tombé du front de plusieurs d'entre eux; les autres s'écrièrent C'est bien, notre nom sera glorieux à jamais! et ils se partagèrent ce qui avait échappé au feu et au glaive.

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Et je regardais cela, et mon âme absorbée dans une profonde stupeur se troublait en elle-même, lorsqu'une voix Fils d'Adam, que vois-tu? et comme je ne répondais point: Tu vois, dit-elle, les oints du Seigneur, les vicaires temporels du Christ!

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Et ma poitrine gonflée palpitait, et je redescendis dans la plaine, et je cherchais un refuge contre la vi

sion qui me poursuivait, et je rencontrai des vieillards revêtus d'habits sacerdotaux ; d'une main ils tenaient une bourse d'or, et de l'autre le livre mystérieux de la doctrine et de la prière, et chaque page du livre était marquée du sceau des hommes à diadème; et les vieillards disaient : «< Peuples, obéissez aux hommes » à diadème; vos biens, vos vies, tout leur appartient : quoi qu'ils fassent, vous devez tout souffrir sans résister, sans murmurer; leur pouvoir est indéfectible, » ils sont ici-bas les images de Dieu : » et inclinant la tête, ils se prosternaient.

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Et je regardais cela, et mon âme absorbée dans une profonde stupeur se troublait en elle-même, lorsqu'une voix Fils d'Adam, que vois-tu? et comme je ne répondais point: Tu vois, dit-elle, les pontifes du Christ!

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Et je pénétrai plus avant dans le temple, je parcourus de longues nefs désertes; les voûtes se perdaient dans l'obscurité; une horreur silencieuse m'environnait et le frisson courait dans mes veines. Au fond du sanctuaire, sur un autel éclairé d'une lampe mourante, j'aperçus comme une grande ombre, je ne sais quoi d'inexprimable, une forme divine qui semblait plier sous des chaînes.

Et je regardais cela, et ma chair tremblait, et mon front se mouillait d'une sueur froide, lorsqu'une voix : Fils d'Adam, que vois-tu? et comme je ne répondais point: Tu vois, dit-elle, le Christ, rédempteur du monde !

Alors je tombai la face contre terre; ma vie du temps fut comme suspendue, et ce qui se passa en moi n'a point de nom dans les langues humaines.

Revenu à moi-même, je me trouvai au milieu de la foule, et c'était un mélange inoui de pleurs et de joies insensées, de prières et de blasphèmes, des danses dans un tombeau, une orgie dans un lieu saint.

Tout à coup une sorte de tonnerre lointain, une rumeur sourde, confuse, horrible, ébranla les airs : d'instant en instant elle croissait les peuples effrayés demandèrent: Qu'est-ce que ce bruit? Et il leur fut dit C'est le vent du Seigneur qui passe! Et les forêts

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