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Observez l'état des esprits: après une époque de doute, effet inévitable de causes désormais assez connues, ils se sont sentis mal à l'aise dans le vide. Il faut à l'homme quelque chose de plus que la simple science circonscrite en des bornes qu'on rencontre si vite. Une éternelle aspiration vers l'infini, c'est-à-dire vers la cause à jamais incompréhensible de tout ce qui est, constitue l'instinct religieux impérissable en lui. Cet instinct réveillé de nos jours au fond des âmes, où il s'était comme endormi passagèrement, les inquiète, les tourmente; elles éprouvent, dans ce qu'elles ont de plus intime et de plus élevé, une de ces inenarrables douleurs qui saisissent les êtres lorsqu'une des premières lois de leur nature est violée. De là ces tentatives non moins vaines qu'ardentes, ces efforts inouis pour créer une religion nouvelle, comme si l'on créait une religion, comme si la religion n'était pas tout ensemble et l'invariable loi et l'énergie vivante qui unit entre eux les êtres créés en les unissant à leur auteur. On a échoué et l'on devait échouer, parce que le Christianisme, quelles que soient les apparences contraires, n'a point cessé de dominer les peuples; qu'ils ne peuvent pas plus se séparer de lui que se séparer d'eux-mêmes; qu'il renferme et renferme seul ce qui satisfera les désirs dont ils sont travaillés; qu'en lui est le principe réel de leur développement futur, aussi bien que celui de leur développement passé; que, dans son essence, expression parfaite des lois de l'humanité, l'humanité ne l'épuisera jamais. Le monde, qui maintenant semble le méconnaître, redeviendra donc à lui, car c'est lui qui agite le monde : Mens agitat molem....

Mais si les hommes, pressés de l'impérieux besoin de renouer pour ainsi dire avec Dieu, de combler le vide immense que la religion en se retirant a laissé en eux, redeviennent chrétiens, qu'on ne s'imagine pas que le Christianisme auquel ils serattacheront puisse être jamais celui qu'on leur présente sous le nom de catholicisme. Nous avons expliqué pourquoi, en montrant dans un avenir inévitable et déjà près de nous le Christianisme conçu et l'Evangile interprété d'une manière par les

peuples, d'une autre manière par Rome; d'un côté le pontificat, de l'autre la race humaine : cela dit tout. Ce ne sera rien non plus qui ressemble au protestantisme, système bâtard, inconséquent, étroit, qui, sous une apparence trompeuse de liberté, se résout pour les nations dans le despotisme brutal de la force, et pour les individus dans l'égoïsme.

Nul ne saurait prévoir comment s'opèrera cette transformation, ou, comme on voudra l'appeler, ce mouvement nouveau du Christianisme au sein de l'humanité; mais il s'opèrera sans aucun doute, et de grandes masses d'hommes y seront entraînées : non par une impulsion soudaine, ce qui ne serait qu'un signe de perturbation passagère. Ce sera d'abord comme un point qu'à peine on apercevra, une faible agrégation dont on se rira peut-être. Peu à peu ce point s'étendra, celle agrégation se dilatera, on y affluera de toutes parts, parce qu'elle sera un refuge à tout ce qui souffre et dans l'âme et dans le corps; et l'humble plante deviendra un arbre dont les rameaux couvriront la terre, et sous le feuillage duquel viendront s'abriter les oiseaux du ciel. Voilà ce que nous n'hésitons point à annoncer avec une conviction profonde. Ceux qui se flattent de ramener le genre humain en des voies qui le détournent de son but, se trompent bien dangereusement. Mais il faut que ce qui doit arriver arrive, et que chacun aille où il doit aller. GLOIRE A DIEU DANS LES HAUTEURS DES CIEUX, ET PAIX ICI-BAS AUX HOMMES DE BONNE VOLONTÉ !

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I.

BREF DU PAPE

AUX ÉVÊQUES DE POLOGNE (1).

VÉNÉRABLES FRÈRES, SALUT ET BÉNÉDICTION APOStolique.

Nous avons été informé de la misère affreuse dans laquelle ce royaume florissant a été plongé l'année dernière; nous avons appris en même temps que cette misère a été causée uniquement par les menées des malveillans, qui, dans ces temps malheureux, se sont, sous le prétexte de l'intérêt de la religion, élevés contre la puissance des souverains légitimes, et ont précipité dans un abîme de maux leur patrie, en brisant tous les liens de la soumission légale. Prosterné devant l'autel du Tout-Puissant, nous, son indigne représentant sur la terre, avons versé des larmes abondantes sur les malheurs terribles qui sont venus fondre sur cette partie du troupeau que la Providence a confié à nos soins faibles mais dévoués. Dans l'humilité de notre cœur, nous nous sommes efforcé, par nos prières et nos soupirs, d'apaiser la colère du Père des miséricordes, en le suppliant de nous envoyer des consolations par la pacification de votre malheureux pays, déchiré par la guerre civile pour s'être révolté contre l'autorité légitime. A cette époque,

(1) Nous n'avons pu nous procurer le texte de ce Bref. La traduction qui suit est celle que les journaux ont publiée.

A

vénérables Frères, nous vous envoyâmes un Bref pour vous faire savoir que vos malheurs avaient gravement affecté notre cœur : nous voulions ainsi vous consoler et vous raffermir dans vos devoirs, afin que vous défendissiez avec un zèle infatigable la vraie doctrine, et exhortassiez le clergé et les fidèles à la soutenir.

Nous avons appris que des obstacles résultant des circonstances avaient empêché que ce Bref ne vous parvînt. Maintenant, qu'avec la grâce de Dieu, la tranquillité et l'ordre sont rétablis, nous vous ouvrons de nouveau notre cœur, et nous vous exhortons encore plus vivement à faire tous vos efforts pour détourner du troupeau qui vous est confié les causes des malheurs passés. Le devoir vous oblige à veiller avec le plus grand soin à ce que des hommes nialintentionnés, des propagateurs de fausses doctrines ne répandent pas parmi vos troupeaux le germe de théories corruptrices et mensongères. Ces hommes, prétextant leur zèle pour le bien public, abusent de la crédulité des gens de bonne fui, qui, dans leur aveuglement, leur servent d'instrumens pour troubler la paix du royaume, et y renverser l'ordre établi. Il convient que, pour l'avantage et l'honneur des disciples de Jésus-Christ, la perfidie et la méchanceté de pareils prophètes de mensonge soient mises dans leur jour. Il convient de réfuter leurs principes trompeurs par la parole immuable de l'Écriture, et par les monumens authentiques de la tradition de l'Église. Ces sources pures, auxquelles le clergé catholique doit puiser les principes de ses actions et de l'enseignement qu'il doit aux fidèles, font voir clairement que la soumission au pouvoir institué par Dieu, est un principe immuable, et que l'on ne peut s'y soustraire qu'autant que ce pouvoir violerait les lois divines et de l'Église.

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Que tout homme, dit l'apôtre, soit soumis à la puissance éta» blie; car il n'y a point de puissance qui ne vienne de Dieu. Or, >> les puissances existantes sont instituées par Dieu. Ainsi, quiconque » leur résiste, résiste à Dieu. Ainsi, il faut se soumettre, non seu»lement pour éviter la colère de Dieu, mais aussi à cause de la » conscience» (Ép. de S. Paul aux Romains, XIII). L'apôtre saint Pierre dit aussi : Soyez soumis à tout pouvoir humain, pour >> l'amour de Dieu, au prince comme chef suprême, aux chefs » comme étant ses délégués. Tel est l'ordre que Dieu donne, pour » rendre muette l'ignorance des hommes imprudens » (Épitre. 1. 15-15). Les chretiens de la primitive Église étaient tellement fidèles

à ces principes, qu'ils obéissaient aux empereurs romains, même au milicu des terreurs de la persécution, et travaillaient ainsi à la gloire de l'empire. Comme J.-C. ils ne reconnaissaient d'autre souverain que celui du ciel; ils ne confondaient point le Souverain éternel avec le souverain temporel, et obéissaient au dernier par amour du premier. Les saints Pères ont toujours enseigné cette doctrine, et c'est aussi celle de l'Église catholique. Ces princes ont guidé les premiers chrétiens; et leurs légions ne se souillaient jamais par la trahison, qui était si commune parmi les troupes païennes. Écoutons ce que dit Tertullien : « On nous calomnie auprès de l'em» pereur; cependant les chrétiens n'ont jamais été les partisans » d'Albin, de Niger ou de Cassius. Il n'y a eu d'infidèles que ceux » qui, la veille, avaient juré fidélité devant les dieux du paganisme, >> et leur avaient offert des sacrifices au lieu de prières pour le sa» lut de l'empereur. Le chrétien ne peut jamais être ennemi. Non >> seulement nous ne sommes pas les ennemis de l'empereur, mais » nous savons en outre qu'il est établi par Dieu, et que nous sommes obligés de le chérir, de l'honorer et de désirer son bien-être. »> En rappelant ces principes, vénérables Frères, nous ne supposons pas qu'ils vous soient inconnus, et nous sommes convaincus que vous les propagerez avec zèle; mais nous désirons que ce Bref vous serve de preuve de nos intentions à votre égard, et de notre ardent désir que le clergé de votre royaume se distingue autant par la pureté de sa doctrine que par une conduite exemplaire, afin que vous soyez exempts de blâme à tous les yeux. Votre magnanime empereur vous accueillera avec bonté, et entendra nos représentations et nos prières dans l'intérêt de la religion catholique qu'il a toujours promis de protéger dans ce royaume. Certainement les gens raisonnables vous loueront, et vos ennemis seront forcés à garder le silence.

Dans cette attente, et levant les mains au ciel, nous prions le Dieu tout-puissant de vous enrichir de ses bienfaits célestes, et nous vous exhortons à faire notre joie en vous pénétrant d'un seul sentiment, d'un seul esprit et d'une même concorde. Propagez les bonnes doctrines, veillez au dépôt qui vous est confié, et priez Dieu! Pour gage de notre sollicitude, nous vous donnons notre bénédic tion, ainsi qu'au troupeau confié à vos soins.

Donné à Rome, près l'église de Saint-Pierre, le.. juillet 1852, la seconde année de notre pontificat.

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