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CHAPITRE VIII.

M. CACAULT REÇOIT L'ORDRE DE QUITTER ROME, SI ON NE SIGNE

PAS LE CONCORDAT EN TROIS JOURS. IL SE REND A FLORENCE. LE CARDINAL CONSALVI PART POUR PARIS. LE SECRÉTAIRE DE LÉGATION RESTE A ROME.

LES affaires avoient marché d'abord avec quelque célérité. On s'occupoit aussi des intérêts de plusieurs particuliers. M. Cacault pensoit à obliger surtout le célèbre Ennius Visconti, réfugié en France, et qui avoit laissé sa famille à Rome. On liquida la partie de sa fortune qui pouvoit être transportée à Paris: le gouvernement pontifical donna les facilités nécessaires; et la France put se vanter bientôt de compter au nombre de ses enfans, un des savans les plus recommandables du temps, né loin de ses provinces, mais hautement honoré dans le pays qu'il avoit choisi pour seconde patrie.

La principale attention se portant sur les affaires religieuses, M. Cacault les vit avec douleur entravées par quelques discussions théologiques, dont les cabinets étrangers cherchèrent à profiter pour brouiller les deux cours. L'Autriche savoit que la France montroit de la considération pour le Saint Père. Elle vouloit inspirer

des craintes à la cour romaine, et M. de Ghisiliéri, son ministre, étoit chargé d'entretenir ces défiances.

Ferdinand IV, roi de Naples, qui s'étoit vu contraint à retirer ses troupes de l'État romain, avoit cherché à dissimuler son dépit, et à faire croire au Pape, que le rappel de l'armée napolitaine étoit d'accord avec les premières idées du cabinet de Naples. Mais le chevalier Acton pensoit secrètement à s'opposer à tout concordat entre Rome et la France, surtout au moindre traité qui pourroit assurer à Rome l'appui du premier consul. Singulier amour de la religion catholique !

Ces ennemis alloient triompher, et pendant quelque temps il parut que le premier consul lui-même, par ses hésitations, venoit aider leurs projets. Enfin le cabinet de Paris, plus guerrier que négociateur, craignant, disoit-il, de se laisser entraîner à des disputes de dogmes, montra de l'impatience, et il ordonna à M. Cacault, dans les termes les plus rigoureux, de quitter Rome, et de se retirer à Florence, auprès du général en chef Murat, si avant trois jours on n'avoit pas signé le concordat projeté à Paris, et dont on discutoit les articles dans les deux cours, d'après des conventions faites entre M. Cacault et le gouvernement du Saint Siége.

Ce ministre habile reconnut sur-le-champ l'inconséquence de ces ordres; il me fit prier de

passer chez lui, et après que j'eus lu la lettre, il me dit (1):

«Il faut obéir à son gouvernement; mais il faut qu'un gouvernement ait un chef qui comprenne les négociations, des ministres qui le conseillent bien et que tout cela s'entende. Il faut qu'un gouvernement ait une volonté, un plan, un but. Il faut qu'il sache nettement ce qu'il veut, et cela n'est pas aisé dans un gouvernement nouveau. Je suis en vérité maître de cette affaire, moi, en sous ordre. Si nous sommes à Rome comme on est à Paris, ce sera un double chaos. Après ce que j'ai fait pour vous, après les preuves d'affection que vous m'avez données, je n'aurai plus rien en réserve. Il est bien établi que le chef de l'état veut un concordat; il veut cela de longue époque : avant Tolentino, il se disoit le meilleur ami de Rome. Dans ce tempslà, pour faire passer cette proposition insolite, il avoit été nécessaire seulement de commencer par dire à un cardinal archevêque de Ferrare, à un des plus grands princes de l'Italie, qu'on pourroit le faire fusiller. Le premier consul veut donc un concordat; c'est pour cela qu'il m'a envoyé et qu'il m'a donné en aide celui que je désirois. Il pense, le premier consul, que moi aussi je veux un concordat : mais ses ministres

(4) ›Cette improvisation de M. Cacault est écrite depuis bien longtemps: il l'a deux fois lue et reconnue lui-même.

n'en veulent peut-être pas; ses ministres sont près de lui, et le caractère le plus facile à irriter et à tromper, c'est celui d'un homme de guerre qui ne connoît pas encore la politique, et qui en revient toujours au commandement et à l'épée, Cependant, moi aussi, je vais faire à sa manière... je vous donne deux heures pour réfléchir à ceci; Mattei ne vouloit qu'un quart d'heure pour se préparer aux gracieusetés du général. Nous retirerons-nous niaisement, comme le porte la dépêche, et alors la France est menacée pour un temps d'une sorte d'irréligiosisme, mot aussi barbare que la chose, d'un catholicisme bâtard, ou de cette doctrine métisse qui conseille de s'en tenir à un Patriarche; alors qui sait? les destinées probables du premier consul ne s'accompliroient peut-être jamais.

>> Nous ne sommes ni l'un ni l'autre de mauvais chrétiens. J'ai bien vu ce que vous avez été jusqu'ici, moi je suis révolutionnaire corrigé : voilà comme après les guerres civiles, les hommes de partis différens sont souvent à côté l'un de l'autre, désarmés et amis !

>> J'aime Bonaparte, j'aime le général; cet affublement d'un nom de premier consul est ridicule; il a pris cela de Rome, où cependant il n'a jamais été. Pour moi, il est toujours le général d'Italie. Les destinées de l'homme terrible, je les vois presque absolument dans mes mains, plus que dans les siennes ; il devient une

manière d'Henri VIII, il aime et il blesse tour à tour le Saint Siége; mais que d'autres sources de gloire peuvent se tarir pour lui, s'il fait le Henri VIII à faux! La mesure est comblée, les nations ne laisseront peut-être plus leurs maîtres disposer d'elles en fait de religion. Dans l'autre voie, avec les concordats, il y a des prodiges; il y en a surtout pour lui, et s'il n'est pas sage, il en restera pour la France. Soyez sûr, monsieur, que de hauts faits tentés à propos, et qui tournent bien, sont à tout prendre, et à quelque génie qu'on les doive, une riche dot pour un pays. Un pays, quand il lui survient des embarras, répond à bien des insolences par son histoire. La France, avec ses défauts, a besoin d'être en fonds de grandeur. Le général compromet tout avec ce coup de pistolet tiré pendant la paix, pour plaire à ses généraux qu'il aime et dont il redoute les plaisanteries de camp, parce qu'il a fait longtemps ces plaisanteries-là lui-même. Il rompt l'opération qu'il désire; il sème du grain gâté. Qu'est-ce qu'un concordat religieux, la plus solennelle entreprise dont puissent s'occuper les hommes, qu'est-ce qu'un concordat religieux signé en trois jours? Je vois les douze heures que le commandant en chef accordoit à un assiégé sans espoir de secours.

>>Vous savez que tout en l'aimant beaucoup, depuis les scènes de Tolentino et de Livourne, et les effrois de Manfredini, et Mattéi couché en joue,

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