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sur un papier commun, que des malveillans avoient fait fabriquer, et qui étoit censé renfermer des actes relatifs à l'expédition de Bonaparte en Égypte.

Je crus devoir répondre : «Votre Sainteté doitelle faire attention à ce que les ennemis recueillent d'accusations contre le gouvernement consulaire? On a dit à Paris, on a imprimé officiellement, et non pas sur une pièce fausse et fabriquée comme celle-ci, que Votre Sainteté étant évêque d'Imola, a encouragé la révolution de Lugo, qu'elle à fait une proclamation où elle a appelé les Français loups dévorans et chiens sanguinaires : ce fait est faux, absolument faux. Il est arrivé tout le contraire, il n'est sorti de la bouche de Votre Sainteté que des paroles de charité, de tendresse et de concorde. Au milieu des passions de la guerre, on se poursuit même avec les calomnies. Votre Sainteté a d'ailleurs répondu très-bien ellemême à l'accusation d'Égypte.

« Je suis intimement persuadé que le premier consul veut, de bonne foi, le rétablissement de la religion, et Votre Sainteté peut-elle avoir un autre désir? »

«< Hé bien, reprit le Pape, le passé n'est plus à nous. Gardons chacun nos fautes, si nous en avons commis, et réparons-les par une bonne foi inaltérable. >>

Je me hàtai ensuite de porter à mon tour la

conversation sur un autre sujet, et je dis à Sa Sainteté, qu'il y auroit un bien plus grave grief, si Paris vouloit se plaindre : « Le Saint Père sait que dernièrement on a exposé publiquement dans le Corso, des gravures anglaises représentant les adieux de Louis XVI à sa famille, et son supplice sur la place Louis XV. On a exposé ces gravures déchirantes, exprès pour ameuter le peuple contre les Français. Quelques-uns même ont été insultés. Le gouvernement actuel de France repousse avec horreur ce crime, et toute solidarité avec les assassins de Louis XVI. Votre Sainteté sait ce que M. Cacault lui a dit souvent de cette horrible catastrophe. Pourquoi exposer ces gravures dans un tel moment? >> Le Pape, après avoir dit comme se parlant à lui-même : Ah, Napoli! sempre Napoli! se hâta d'ajouter: «< Mais vous avez écrit au cardinal Doria, et il vous a donné satisfaction. En vérité, si on l'avoit su au governo avant vous qui avez été prévenu le premier, apparemment par des Français, on auroit fait retirer les gravures. J'ai été prévenu par des Français à qui les passans disoient: Voyez donc, messieurs, ce qu'a fait votre nation. « Le cardinal Joseph, dit le Saint Père avec vivacité, a été fort loué par nous. Il a fait atteler ses chevaux, il a été voir lui-même, et quatre minutes après, il a ordonné au marchand d'être plus circonspect. Ainsi vous voulez donc que l'on s'entende avec

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Paris? Je répliquai que le cardinal Consalvi ne devoit écrire que des dépêches consolantes : « Nous le connoissons, reprit le Saint Père, il est si délicat, si ami de notre tranquillité, il nous sauve tant de chagrins! » Le reste de l'entretien fut de la part du Pape une suite de louanges données au cardinal, et une protestation continuelle du plaisir qu'on éprouvoit à s'attacher à lui, et de la confiance que les succès de son esprit et les qualités de son cœur devoient inspirer partout. Les derniers mots du Pape furent ceux-ci: Basta che ci ritorni! « Il suffit qu'il nous revienne! >>

On ne pouvoit donc pas se dissimuler les efforts que les ennemis multiplioient à Rome pour entraver les négociations de la France.

D'autres personnes plus réservées, jugeant différemment les intérêts de la patrie et ceux de Sa Sainteté, disoient pour appuyer les projets du cardinal Consalvi: « Aujourd'hui la capitale du Saint Siége n'est plus en proportion avec les provinces qu'il possède encore. Les contributions dans l'Etat tel qu'il est (la France avoit repris et donné à la Cisalpine toutes les Légations), montent à peine à quatre millions d'écus (24,400,000 fr.), qui ne suffisent pas pour alimenter un gouvernement et une administration en correspondance avec tout l'univers. La France n'envoie plus d'argent à Rome; l'Allemagne n'a plus avec nous que des relations souvent pleines

d'animosité et de dégoût; l'Espagne commence à se montrer indépendante; le Portugal seul reste fidèle; la population de l'État romain, aujourd'hui privé de ses trois Légations, ne s'élève pas beaucoup au-delà d'un million d'hommes, et la Toscane est en ce moment au pouvoir de la France. On peut espérer, en se montrant agréable au premier consul, d'obtenir de sa bienveillance, ou la principauté de Sienne, ou la restitution des Légations, ou un agrandissement vers la Marche d'Ancône, ou encore dans le pays de Naples : c'est le premier consul qui distribue aujourd'hui les parts en Italie ».

Quelques autres observateurs, en continuant ainsi les mêmes récapitulations des rapports de Rome avec l'Europe, qui sont les prémisses favorites de toutes les discussions politiques des Romains, disoient à leur tour: « Nous avons connoissance d'un traité de partage qu'on dit fait à Naples en 1799, et dans lequel nous voyons qu'on vouloit anéantir la puissance temporelle de Rome, et diviser ses États entre Ferdinand IV et le cabinet de Vienne; pourquoi ne porterions-nous pas nos vues, ainsi que le disent plusieurs de nos hommes d'état, sur des provinces qui ont été à nous, ou sur d'autres à notre convenance, et que le premier consul pourra nous garantir, quand il le jugera convenable? Terminons le concordat qu'il désire; on

connoîtra, quand il sera ratifié, toute l'immensité de son importance religieuse, et le pouvoir qu'il donne à Rome sur l'épiscopat dans tout l'univers. Si nous ne ratifions pas le concordat, craignons que la France entière, ou, si ce n'est pas la France, quelques-unes de ses parties ne soient à jamais en discorde avec l'Église. »

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