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CHAPITRE XIII.

LE CARDINAL CONSALVI DEMANDE A PRÉSENTER LE CONCORDAT

AU PREMIER CONSUL. MADAME MURAT ET M. CACAULT VONT A VENISE. MALENTENDUS OCCASIONNÉS PAR CE VOYAGE. LE CARDINAL CONSALVI PRÉSENTE LE CONCORDAT AU PREMIER CONSUL DANS UNE AUDIENCE PUBLIQUE.

TELLES étoient les nuances d'opinion au milieu desquelles Pie VII avoit à choisir la pensée véritable qui convenoit aux intérêts du Saint Siége, ou plutôt ces débats n'étoient qu'un bruit vain et sans consistance. Le véritable négociateur se trouvoit à Paris. Il ne faisoit attention ni à ses admirateurs, ni à ses adversaires de Rome; il décidoit seul la question : néanmoins il n'avoit cessé de consulter, pour quelques déterminations ultérieures, le célèbre canoniste Caselli, et l'archevêque de Corinthe, Spina, homme fin, spirituel, patient et conciliant. Joseph Bonaparte éprouvoit une vraie satisfaction de pouvoir montrer des égards à la cour de Rome; et il le fit souvent avec des formes remplies d'aménité et de bonnes manières. M. Cretet et M. Bernier avoient secondé ce chef de la légation française. Tout ce qui devoit se faire en ce moment, étoit terminé. Le cardinal demandoit au premier consul une audience publique pour lui

remettre solennellement une copie officielle du concordat; cette demande occasionna une discussion qui dura quelques jours.

Mais après avoir déclaré ce qui se disoit à Rome, et ce que l'on continuoit de traiter à Paris, il est nécessaire d'ajouter le récit de ce qui se passoit à Florence.

M. Cacault étoit régulièrement informé de ce qui pouvoit l'intéresser à la cour du Saint Père, et il avoit ri avec moi plusieurs fois des conseils et de l'amitié de M. Alquier, qui d'ailleurs ne m'écrivoit plus. Je m'étois gardé d'envoyer au conventionnel un courrier, pour lui apprendre que Naples essayoit de faire tuer les Français à Rome, comme complices de l'assassinat de Louis XVI; mais je donnois connoissance à l'ambassadeur, des faits particuliers qu'il lui importoit d'apprendre dans sa résidence, et je rendois exactement compte à M. Cacault de ce que je pénétrois du pays où on étoit noir.

Le général Murat et son épouse, qui est d'un caractère très-doux, n'avoient jamais cessé de traiter avec bienveillance M. Cacault. Celui-ci, à qui il suffisoit qu'on n'allât pas dans sa chère ville de Rome à la tête d'une armée, répondoit avec empressement à ces marques si gracieuses de déférence. Madame Murat fit un jour la plaisanterie de dire à M. Cacault : « Vous vous ennuyez peut-être ici : vos affaires vont bien à Paris et à Rome; j'aurois envie d'aller à Ve

nise; prenez les passeports que vous voudrez, vous m'accompagnerez, je serai votre fille, et nous nous trouverons revenus en peu de jours, sans que personne en ait rien su, excepté le général qui y consent. J'ai une grande envie de voir Venise où vous n'avez pas été vous-même.» Ce bon ministre part avec sa fille. On arrive, on visite les monumens remarquables, mais deux ou trois mots dont il falloit que mademoiselle Cacault s'abstînt en cette circonstance, échappèrent à Madame Murat (1); ùn valet d'auberge qui savoit le français, recueille cette phrase inachevée et va faire un rapport à la police: elle s'informe du nom, de l'état du voyageur visitant Venise avec sa fille qui doit porter un autre nom. Enfin on découvre que voyageur est M. Cacault, ancien agent général politique en Italie, et ministre titulaire à Rome; que sa fille est la sœur du premier consul, l'épouse du général commandant trente mille hommes à Florence, et que ces deux personnages sont venus comme incognito à Venise. Rapports sur rapports à Vienne; courriers extraordinaires à Paris; le ministre Autrichien, M. de Cobenzl, demande une audience; plaintes, questions, soupçons. Est-on en guerre, est-on en paix? Le premier consul déclaré avec assu

le

(1) En faisant peigner ses beaux cheveux par sa femme de chambre, elle lui disoit : « Comme j'ai perdu mes cheveux depuis mon fils Achille ! >> Elle s'arrêta, voyant qu'on l'écoutoit.

rance que son ministre de Rome est à Florence pour des raisons qu'il sait; que sa sœur est aussi à Florence, près de son époux ; que la police de Venise, comme toutes les polices, a des imaginations de poètes.— Non, répond-on au premier consul, c'est bien le ministre Cacault, petit, brusque dans ses mouvemens, des yeux malins; il regarde tout avec attention, il parle peu. La personne qui l'accompagne est bien madame Murat, pas grande aussi, mais belle, toute gracieuse, la mise la plus élégante; elle se plaint d'avoir perdu de ses beaux cheveux; elle aime beaucoup Venise.- L'Autriche avoit pleinement raison pour ces détails et pour l'identité. Le ministre et l'épouse du général reparoissent à Florence, comme s'ils n'en étoient pas sortis, et ce grand bruit qui nécessita l'envoi de plusieurs courriers, qui fit croire qu'on vouloit rompre le concordat, qui inquiéta Vienne, Rome (1), Naples, et déplut singulièrement à Paris, ce grand bruit s'apaisa peu à peu. Le premier consul traitoit avec plusieurs puissances. Ce contretemps avoit jeté quelques in

(1) Un soir le cardinal Doria vint chez moi tout inquiet : « Le Pape veut vous voir demain, il vous parlera de Cacault qui est parti de Florence. » Le saint Père me dit, dans l'audience qu'il m'accorda : « Notre Cacault a donc quitté la Toscane? et vous, restez-vous ici? On prétend qu'il s'absente pour une partie de plaisir. Monsignor Caleppi nous l'écrit de Florence. » — Je répondis: « Cela n'est pas possible, M. Cacault est un homme qui ne se divertit pas, qui ne s'amuse jamais. Il m'a laissé ici : c'est un ministre plein d'honneur; il m'auroit prévenu.>> Je disois comme on avoit dit à Paris, et j'avois tort.

certitudes dans les négociations (1). Elles furent renouées après qu'un courrier expédié de Florence, eut apporté les explications nécessaires.

Les affaires reprirent leur cours ordinaire à Paris. Le jour fixé pour l'audience du cardinal Consalvi, il se rend aux Tuileries, portant à la main la copie du traité : Son Éminence revêtue de sa pourpre s'avançoit avec dignité, tenant les yeux fixés modestement sur le premier consul. Je crois au fait que je vais consigner ici, parce que M. le cardinal m'en a fait le récit luimême. Tout à coup, la physionomie du premier consul, de grave et d'austère qu'elle étoit d'abord, se déride et s'affecte d'une convulsion de rire que remarque le cardinal.— Qu'est-ce, monsieur, dit-il à la personne qui étoit le plus près de lui, dois-je avancer? — Allez, allez, répondit cette personne, ce n'est pas pour vous... -Ah, puisque ce n'est pas pour moi, répondit le cardinal, je continue... Il avança seul; la physionomie du premier consul reprit sa solennité imposante: ses yeux brillèrent ensuite de cette grâce qu'il savoit donner quelquefois à ses regards, et il reçut des mains du cardinal cet immortel traité, l'une des plus éclatantes et des plus solides gloires du consulat.

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(1) Quand madame Murat revint à Paris, son frère avec un air d'abord faché, puis riant, lui avoit frappé légèrement la joue, en lui disant : « C'est donc vous, madame, qui faites faire des sottises à des gens qui n'en font jamais? >>

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