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CHAPITRE XXIV.

MORT DU CARDINAL LUCHI, BÉNÉDICTIN. LA FRANCE APPROUVE L'ÉLECTION DU BAILLI RUSPOLI. DÉPÊCHES DE M. CACAULT SUR LES LETTRES DES CARDINAUX AUX SOUVERAINS, ET SUR LES DIFFICULTÉS QUI ENTRAVENT LES AFFAIRES DE LA LÉGATION A ROME. LE PAPE A CINQ CENT MILLE HOMMES A SES ORDRES. LES ANGLAIS ET LES FRANÇAIS.

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LE 2 octobre, le Pape éprouva un chagrin; on lui apprit la mort du cardinal Luchi, bénédictin, son ancien ami, qu'il chérissoit tendrement. Il lui avoit donné la pourpre en récompense de sa science extraordinaire. Le cardinal Luchi, de Brescia, étoit alors un des hommes les plus instruits de l'Italie dans la langue grecque. On lui devoit plus de deux cents publications diverses sur plusieurs questions d'érudition hellénique.

Cette préoccupation douloureuse dut bientôt, au moins pendant le jour, céder au torrent des affaires, qui amenoit sans cesse auprès de son maître, Consalvi toujours empressé à l'entretenir des intérêts de l'Europe. Presque toutes les puissances avoient à peu près applaudi au choix fait par le Pape, dans la personne du bailli Ruspoli; cependant on s'aperçut à quelques réflexions de M. le comte de Souza, ambassadeur de Portugal, récemment arrivé à Rome, que

cette élection n'étoit pas agréable au cabinet de Lisbonne. Comme ce n'étoit pas là que se trouvoit la force, ce n'étoit pas là non plus qu'on pouvoit redouter de sérieuses contradictions. Un autre diplomate, M. de Lisakewitz, ministre de Saint-Pétersbourg auprès du roi de Sardaigne réfugié à Rome, et accrédité indirectement auprès du Saint Siége, qui ne recevoit pas encore un ministre patent du Czar dans cette résidence, parut oublier à l'improviste que les prieurés russes avoient accédé au choix du bailli Ruspoli, et l'on sembloit en Russie peu disposé à soutenir efficacement ce choix.

La question des chapeaux français étoit toujours agitée à Rome et à Paris. Il n'y avoit que huit chapeaux vacans; la France en demandoit quatre extraordinaires; il en falloit quatre autres pour les cours jouissant du droit positif de nomination, la France, l'Espagne, le Portugal et l'Autriche. Il en falloit un pour le roi de Sardaigne, que le caractère noble et généreux du Pape et le bon sens intrépide de Consalvi ne vouloient pas humilier : enfin, il en falloit un autre encore pour le fils de Saint-Marc, que l'on étoit dans l'usage de préconiser en même temps que l'on procédoit à la promotion des couronnes. Il y avoit ensuite des nominations romaines in petto, qu'il convenoit de publier. Toutes ces considérations jetoient naturellement quelque incertitude et de l'embarras dans l'es

prit du Pape, qui se voyoit forcé d'obéir à la fois à des ordres, à des droits et à des devoirs, sans avoir de quoi contenter toutes ces exigences.

M. de Talleyrand ne pouvoit pas méconnoître l'habileté de M. Cacault. Il lui écrivoit le 16 octobre :

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« J'ai reçu vos différentes dépêches, depuis le 1er jusqu'au 11 vendémiaire (du 23 septembre au 3 octobre); elles continuent à me fournir des preuves de votre zèle éclairé, et de votre attention à me faire part de tous les renseignemens qui sont de nature à m'intéresser. Ces détails sont d'autant plus utiles à connoître, que Rome sera toujours un centre d'affaires très-important.

» Le premier consul a été très-satisfait des procédés du Saint Siége dans tout ce qui est relatif à la nomination du grand-maître, et il est persuadé que Sa Sainteté fera usage de l'influence qu'elle doit naturellement conserver sur un prince nommé par elle et choisi dans ses états, pour le maintenir dans les sentimens d'amitié et de déférence qu'il doit aussi avoir pour le gouvernement français.

» Le courrier envoyé en Angleterre au nouveau grandmaître n'est pas encore de retour à Paris; mais rien ne fait présumer que le prince Ruspoli n'accepte pas sa nouvelle dignité.

>> Ce n'est qu'après son installation à Malte, qu'il sera possible de songer au sort de M. Hompesch. J'aurai soin de remettre alors la position de cet ancien grand-maître sous les yeux du premier consul. »

En lisant cette lettre, M. Cacault s'interrompit et me dit : « Si vous étiez un des employés inférieurs de M. de Talleyrand, de ceux qui rédigent ses lettres, je vous ferois observer que

dans un pareil cas, il y a mauvaise grâce à dire, M. Hompesch c'est bien mal connoître le premier consul que d'imaginer avec naïveté, qu'on puisse prétendre à mettre sous ses yeux la position de cet ancien grand-maître. Le vainqueur des remparts de l'ordre de Saint-Jean-deJérusalem, qui, parce qu'il a pris Malte si facilement, a conquis l'Égypte, et qui pour avoir conquis l'Égypte, et ensuite soutenu seul la gloire et l'éclat des armes françaises dans cette partie de l'Afrique, s'est frayé une voie de retour en Europe, pour la gouverner presque entière ainsi que la France; le premier consul sait tout ce qu'il doit au grand-maître de Hompesch, et il ne l'oubliera pas, parce que, dans cette affaire, quelque peu de superstition joint à l'impulsion d'un cœur bien placé et à une sorte de générosité propre au général, suffit pour lui rappeler souvent que M. de Hompesch a droit d'attendre à son tour, du pain, du repos, et même quelque considération : car le général Bonaparte peut-il jamais laisser soupçonner que son prisonnier a été un lâche! Mais ce n'est pas vous qui avez écrit la lettre; ainsi je n'ai rien à vous dire. En attendant, il faut que le vieillard radote, et fasse la leçon même à celui qui ne la mérite pas. >>

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M. Cacault continua la lecture de la dépêche :

Il est nécessaire pour les intérêts du roi de l'île de

TOM. I.

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[1802] Sardaigne, que ce prince prenne enfin le parti de passer dans ses Etats. »

Le ministre répondit, en termes convenables, à cette dépêche. Il annonça en même temps que le sacré collége étoit dans l'usage d'écrire à tous les souverains à l'occasion du jour de l'an et des fêtes de Noël.

« L'empereur d'Allemagne a exempté de cette cérémonie; mais la France a reçu de semblables lettres jusqu'à l'avant-dernière année de Louis XVI, qui fit connoître que, vu la situation des choses et de la révolution, il valoit mieux s'en abstenir.

>> Tous les cardinaux sont disposés cette année à écrire au premier consul le compliment d'usage. On m'a demandé si je le trouvois à propos, et si je n'y voyois rien de contraire; j'ai déclaré qu'on devoit rendre au premier consul ce qui s'adressoit autrefois aux rois; qu'on avoit pu voir avec quelle intention le premier consul répondoit toujours, et combien il étoit rempli d'égards pour les anciens usages honnêtes et raisonnables, surtout envers la cour de Rome. Il ne m'appartenoit pas de renoncer et de dispenser à cette occasion comme a fait l'empereur pour son compte. Je devrois au contraire avertir de rendre au premier consul ce qui lui appartient, si l'on n'étoit pas porté à le faire ici avec plaisir. Le premier consul recevra donc les lettres à l'occasion des fêtes de Noël, et l'on fera à son secrétariat autant d'expéditions de la réponse circulaire. »

Le ministre ne demandoit plus une réponse, il expliquoit seulement ce qui arriveroit de Rome, et ce qu'il y auroit à faire à Paris. Il ne se lassoit pas d'écrire dans les mêmes sentimens,

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