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et d'instruire le gouvernement français, qui véritablement montroit quelquefois une docilité singulière :

« Il me semble, écrivoit M. Cacault le 5 brumaire (27 octobre 1802), il me semble que nous pouvons regarder le Saint Père et son secrétaire d'État comme bien liés et attachés à la France.

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Oui, comme vous le dites, citoyen ministre, Rome sera toujours un centre d'affaires très-important.............. Il y a ici un écho qui répète les' secrets du monde entier, et cette capitale des arts et de l'univers a des rapports qui sont à l'infini. Je souhaite qu'il y naisse beaucoup de belles affaires comme plusieurs de celles que nous avons eues à traiter : cela occupe et intéresse d'une manière noble qui fait plaisir. Mais combien de petits procès, combien de prétentions de toute espèce m'ont fatigué ici du matin au soir! Il y a tant d'intéressés à perpétuer le sac de Rome! et l'on est persuadé que le royaume des prêtres est toujours celui de l'Abondance, où il ne faut que demander et vouloir pour obtenir; la plus grande peine que j'aie eue ici a été d'établir, suivant la volonté du premier consul, que le Pape doit être respecté et obéi comme un souverain qui auroit cinq cent mille hommes à ses ordres. Tout marche bien; les Français se conduisent à merveille; leur impétuosité est aisée à contenir par la raison. Les uns vouloient être exempts de toutes formalités relativement aux douanes, et passer partout comme ayant dans leurs personnes les priviléges d'un ambassadeur. Les acquéreurs de biens nationaux, les faiseurs d'affaires à l'époque de la république romaine voudroient être payés en entier. Les curieux riches, qui ont pris le goût des tableaux, des antiques, exigent qu'on leur livre sans difficulté tout ce qu'ils achètent d'objets d'art, malgré les lois positives du pays qui restreignent la spéculation sur ces ob

jets, et malgré la loi des substitutions qui est en vigueur dans cet État. Je vous assure que les tracasseries qui naissent de ces sortes de prétentions m'ont donné le travail le plus pénible qu'il y ait eu à soutenir dans ce ministèreci. Mais tout sera bientôt déblayé entièrement. »

A propos des cinq cent mille hommes qui viennent de défiler ici devant nous, je me permis de dire à mon chef que les états de revues étoient un peu exagérés. Il me répondit : «< Mais le premier consul m'a dit, quand je suis parti, m'a ordonné de traiter le Pape comme s'il avoit deux cent mille hommes. C'est avec ces motslà que j'ai dépêché Consalvi à Paris. Alors Rome n'avoit pas un soldat de plus; mais la signature du concordat, la ratification, cette manière vive ou polie de demander des cardinaux français, la paix conclue avec presque toute l'Europe, l'attribution de l'élection d'un grandmaître, la restitution de Bénévent, une sorte de médiation que je vois arriver pour la cour de Rome, qui va être chargée de trouver un moyen d'arranger les affaires de la Sardaigne avec la France; Pie VII et sa vertu, Consalvi et son talent, moi à Rome, tout cela a plus que doublé l'armée du Saint Père; et si le ministre lit ma dépêche au premier consul qui a inventé ce mode d'instructions et ce genre d'évaluation d'une puissance, il ne chicanera pas son ambassadeur pour cinq au lieu de deux. Il n'y a pas de mal non plus que M. de Talleyrand nous

croie ici une telle force, dont nous n'abuserous

pas, à moins que par quelque sottise nous ne gardions mal les rangs, et que nous ne perdions une bataille. >>

Il falloit toujours, avec M. Cacault, qu'au milieu des plus graves affaires, une nuance de plaisanterie piquante, ingénieuse, et comme poétique, vînt fortifier la justesse du raisonnement et assurer le succès de ses négociations; il parloit du reste, comme je l'ai dit, le même langage à Rome et à Paris, et dans les deux capitales il étoit écouté avec respect.

Les Anglais qui voyageoient à Rome ou qui arrivoient d'Egypte, s'empressoient de montrer à M. Cacault une déférence toute respectueuse; ils le choisissoient pour arbitre dans leurs différends avec les Romains, et ils ne cessoient de dire : « Il n'y a que deux nations, l'Angleterre » et la France, ou bien (et c'étoit ainsi que s'exprimoient les plus enthousiastes d'entre eux) » la France et l'Angleterre.

CHAPITRE XXV.

DEMANDES D'INFORMATIONS SUR LA FAMILLE DE LA PRINCESSE DE LAMBALLE. M. DUVEYRIER. LE GRENADIER DE LA GARDE CONSULAIRE. LE CONCORDAT AVEC LA RÉPUBLIQUE ITALIENNE. LA RÉPUBLIQUE DE LUCQUES. LA RÉPUBLIQUE LIGURIENNE.

VERS ce temps-là on fut singulièrement préoccupé à Paris du sort de la famille de la princesse de Lamballe, dont nous avons déjà parlé. On croit que sur le récit qui fut fait de ce qui s'étoit passé au dîner donné par le prince Borghèse au général Murat, l'épouse du premier consul, Joséphine, manifesta des opinions d'intérêt touchant, qui émurent son époux. On proposoit à Rome d'envoyer comme ablégat à Paris un neveu de l'infortunée victime de septembre. Joséphine avoit accueilli cette ouverture avec sensibilité, toutefois le gouvernement voulut en savoir plus que n'avoit dit le général Murat. Quelques personnes craignant peut-être que les paroles de M. Cacault ne fussent à l'ordinaire trop favorables, engagèrent à écrire plutôt à M. Alquier, résidant à Naples. Mais celui-ci ne pouvant obtenir des informations complètes, ou ne voulant pas se mêler de cette affaire, la renvoya à M. Cacault, qui ne

fit pas attendre les informations que l'on désiroit de lui.

« J'ai reçu une lettre de l'ambassadeur Alquier, par laquelle il me mande, citoyen ministre, que vous l'avez chargé, il y a déjà quelque temps, de prendre des informations sur l'existence des deux dames de Carignan, et il me prie de vous informer de ce que je puis savoir à ce sujet.

» Les deux dames de Carignan, sœurs de la princesse Lamballe, ont été mariées à Rome, l'une il y a plus de trente ans, et l'autre il y a environ vingt ans. La plus âgée a épousé M. le prince Doria Pamphili, frère du cardinal Doria, qui a été autrefois nonce à Paris. Cette dame, mère d'un grand nombre d'enfans, se porte à merveille, et tient à Rome l'un des premiers rangs.

» L'autre princesse de Carignan est mariée à M. le prince connétable Colonne. Elle est aussi mère de plusieurs enfans, et jouit d'une parfaite santé : c'est la première dame de Rome.

» Ces deux dames ont toujours montré beaucoup de considération pour le ministre de France. Elles ont dîné plusieurs fois chez moi avec leur famille; elles se sont rendues avec empressement et beaucoup de politesse à mes invitations, toutes les fois que j'ai eu occasion de réunir la noblesse de Rome, et particulièrement pendant que le général Murat étoit ici. »

Il arriva à la fois à M. Cacault deux sortes d'instructions: l'ordre de solliciter en faveur du citoyen Duveyrier, tribun, et acquéreur de biens nationaux à Rome, et l'ordre de faire réussir les projets d'organisation ecclésiastique pour la république italienne.

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