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formes étrangers qui encombroient la chambre, augmentoit la surprise du bon vieillard. Il me dit tout bas : « Cos'è mio caro? » Je balbutiai le nom de monsignor Odescalchi, qui m'avoit écrit que Sa Sainteté recevroit l'état-major du

Saint-Pierre et du Saint-Paul. « Ma tanti! » répliqua tout bas le Saint Père. Il étoit bien naturel que ce modeste religieux accoutumé à une vie si tranquille, à des habitudes si calmes, à des visites annoncées d'avance, éprouvât quelque trouble au premier moment d'une telle invasion. Je ne m'éloignois pas d'un tabouret que je connoissois très-bien, et sur lequel il daignoit me faire asseoir, quand j'obtenois de lui les audiences ordinaires, et je croyois qu'il alloit nous recevoir assis, mais il se leva et s'apprêta à descendre de l'estrade. Je voulus lui offrir le bras pour l'aider; il me fit signe avec un sourire angélique de passer à sa droite, il appuya sa main sur mon épaule, et m'imprimant le mouvement avec une douce pression, il s'avança en s'appuyant toujours sur moi, au milieu de nos officiers. Là, il prononça quelques paroles pour me remercier, ensuite il salua le commandant je ressentis à un certain tremblement de la main du Pontife, l'émotion qu'il éprouvoit encore. Le commandant lui adressa un compliment respectueux. Peu à peu le tremblement cessa, mais le Pape ne retiroit pas sa main. Il dit à plusieurs reprises « Bella, bella gioventù; » puis se re

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prenant il ajouta : « Mais ils auront du plaisir à recevoir des couronnes (des chapelets) pour les porter à leurs mères et à leurs sœurs. » Alors, sans retirer sa main, il me conduisit à la porte de sa chambre, où il entra seul. Après quelques minutes il en sortit, portant dans ses deux mains un papier rempli de chapelets qu'il distribua aux Français, à mesure qu'ils se présentèrent. Il remarqua le chirurgien et le commissaire de la comptabilité, parce qu'ils avoient des broderies différentes. Il parla ensuite à voix plus haute. Il loua le courage des Français dans tant de batailles; puis avec une présence d'esprit toute tendre, il vanta les voyages scientifiques des marins qui conduisent et protégent les missionnaires dans les Indes. Ensuite, m'ayant fait rapprocher, il me dit à moitié voix : « Nous ferons écrire en faveur de ce brave commandaut pour qu'il ait de l'avancement : nous vous apprendrons aussi une chose qui nous est agréable; le comte de Souza veut recevoir dans un banquet tous ces messieurs : nous en remercierons beaucoup cet ambassadeur. »

L'état-major se retira comme l'avoit prescrit l'introducteur. Sa Sainteté s'avança jusque près de la porte, me dit qu'elle désiroit que les matelots des bricks vinssent voir les fêtes de Noël; ensuite elle nous fit avec les deux mains le salut le plus obligeant. J'ai rapporté cette scène pour prouver la profonde sensibilité du Pape, sa dis

position à s'émouvoir, à s'affecter; la simplicité candide avec laquelle il laissoit faire auprès de lui-même, le service d'honneur. Nous étions arrivés là, comme à la porte de la cellule du bénédictin. Et qu'il y a de grâce, et de charme et de mansuétude dans ces deux mots : « ma tanti. » Le Pape n'adressa aucun reproche à monsignor Odescalchi qui s'étoit trompé d'heure, et qui, s'il eût été présent, auroit empêché cette confusion, parce qu'il seroit entré seul d'abord pour prévenir le Saint Père, qui alors nous auroit reçus assis, et auroit eu devant lui sur sa table, les chapelets destinés aux officiers.

Les Romains de tous les partis accueilloient en général nos Français avec affection. M. Cacault avoit la satisfaction d'écrire à Paris : « Enfin, les Romains sont rentrés dans leurs anciennes habitudes, et bientôt personne ne se souviendra qu'il y ait eu une révolution. »

Tous ces miracles étoient opérés, en ce qui concernoit la France, par l'esprit ferme, juste, conciliant d'un seul homme.

Deux cardinaux n'avoient pas encore écrit au premier consul, le cardinal Busca et le cardinal Fabrice Ruffo : mais ils remirent les lettres d'usage, comme leurs confrères.

En envoyant celle du premier de ces cardinaux, M. Cacault rappela que des dépêches interceptées de ce cardinal avoient déterminé à marcher sur Rome. « Ce cardinal a fait perdre

au Saint Siége les deux Légations et la Romagne. >> M. Cacault avoit oublié, ou ne vouloit pas dire, que sans l'interception de ces lettres, l'expédition auroit toujours eu lieu, et que Pie VI fut attaqué, non pas pour qu'il fût puni, mais parce qu'il étoit condamné. Du reste, l'intention de M. Cacault étoit de prévenir la mauvaise humeur du premier consul. En paroissant croire que, dans la circonstance, de la mauvaise humeur devenoit un sentiment naturel, il vouloit arriver à dire définitivement que c'étoient là des choses auxquelles il ne falloit plus penser.

Ce qui fut dit sur M. le cardinal Ruffo étoit plus sévère, et peut-être même injuste, car ce cardinal ne fut pas maître de faire respecter par les Anglais la capitulation de Naples.

« Je vous envoie la lettre de bonnes fètes adressée par le cardinal Fabrice Ruffo au premier consul.

» Ce cardinal est dans la disgrâce de M. Acton. Il se conduit bien à Rome; mais je sens qu'il répugnera toujours à la grande ame du premier consul de voir de bon cil le prêtre (M. le cardinal Ruffo n'a jamais été prêtre) qui a été général d'une armée abominable. Cependant notre situation et notre politique sont si élevées au-dessus du passé, qu'il convient peut-être de ne refuser la réponse d'étiquette à aucun des cardinaux qui ont écrit. Sion ne fait pas de réponse à tous, on désobligera le corps entier.

Paris envoya toutes les réponses, et M. Cacault n'a jamais su qu'un jour, ce cardinal devoit, dans les querelles du Saint Siége avec l'empereur, se montrer favorable à ce dernier.

CHAPITRE XXVII.

LE BAILLI RUSPOLI REFUSE LA GRANDE MAITRISE DE MALTE. LES

MATELOTS FRANÇAIS aux fêtes de noel. les eNTRAILLES DE PIE VI ENVOYÉES A VALENCE. PORTRAIT DU PREMIER CONSUL PAR CANOVA. LE CORPS DIPLOMATIQUE OFFRE SES RESPECTS AU PAPE A L'OCCASION DE LA NOUVELLE ANNÉE.

CEPENDANT le chevalier Bussi avoit atteint le bailli Ruspoli dans une ville de l'Écosse; il lui remettoit le bref du Pape. Le bailli, dès le premier moment, manifestoit de la répugnance. Des agens anglais s'entremêlèrent, sous prétexte d'offrir des conseils, dans les débats du bailli et du chevalier. Celui-ci employa les argumens les plus forts pour obtenir l'acceptation que Rome et tout l'Ordre désiroient. Le bailli croyant voir des obstacles à un rétablissement franc de l'Ordre tel qu'il le souhaitoit, donna son refus par écrit. Le premier consul apprenant cette nouvelle par le cardinal Caprara, fit recommander à M. Cacault de solliciter promptement une autre élection. Le Pape promit d'accorder encore ce qui seroit agréable au premier consul, surtout parce qu'on voyoit à Rome que la cour de Londres feroit des difficultés de remettre la souveraineté à l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, si l'état d'interrègne devoit continuer.

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