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CHAPITRE XXXIV.

LE PREMIER CONSUL DEMANDE L'ARRESTATION et l'extraDITION DE M. DE VERNÈGUES FRANÇAIS, NATURALISÉ Russe, et atTACHÉ AUX LÉGATIONS DE RUSSIE EN ITALIE. M. DE CHATEAUBRIAND NOMMÉ chargé d'affairES PRÈS LA RÉPUBLIQUE DU VALAIS. LETTRE DU PREMIER CONSUL SUR M. DE VERNÈGUES. CE FRANÇAIS EST ARRÊTÉ, CONDUIT a Rimini, PUIS MIS EN LIBERTÉ.

Il a déjà été question de M. de Vernègues qui accompagnoit M. d'Avaray. Il paroît que ce Français, qui passoit pour attaché aux missions de Russie en Italie, encouragé par le nouvel esprit public de Rome, qui s'exprimoit avec défaveur sur la conduite politique du cardinal Fesch, avoit manifesté dans des paroles hardies et au moins inutiles, quelques sentimens marqués d'opposition. M. Alquier dénonçoit cette conduite dans une dépêche qu'il n'avoit pas communiquée au cardinal Fesch, son voisin, ce qu'il eût pu faire, parce que M. de Vernègues venoit de quitter Naples pour se rendre à Rome. Plusieurs légations étrangères près le Saint Siége accueillirent M. de Vernègues et un autre de ses amis, M. de La Maisonfort, que nous avions connu auparavant sous le nom de Descours, et

qui, il faut le dire, se comportoit alors dans toutes ses relations avec une grande réserve. Mais la société étoit déchaînée contre une partie de la mission de France. Le cardinal Fesch ne trouvoit qu'une froideur respectueuse auprès de quelques-unes des personnes qui l'accompagnoient et qui se déclaroient amies de M. de Chateaubriand, personnellement et on ne savoit pourquoi mal vu du cardinal. On devoit excepter de cette sorte de brouillerie, plus ou moins raisonnable, entre les personnes formant la suite du cardinal, M. l'abbé Lucotte, son secrétaire, véritable ange de paix, de bonté, à manières serviables et officieuses, affligé peut-être, mais constamment dévoué. Le reste des alentours du cardinal demeuroit neutre. M. de Talleyrand n'eut pas le temps de faire entrer dans cette affaire de M. de Vernègues, les calculs ordinaires de sa prudence et de sa connoissance du monde. Le premier consul lui commanda de faire demander par le cardinal Fesch que le Pape ordonnât immédiatement l'arrestation et l'extradition de M. de Vernègues et de M. de La Maisonfort, malgré leur cocarde russe.

Le corps diplomatique redoubla d'attention pour observer le conflit qui alloit s'élever à Rome, devant un Pontife si bon, si ami de la tranquillité, entre une puissance telle que la France, et la Russie encore enorgueillie des victoires de Souvarow sur le sol italique, il est vrai,

remportées dans un autre temps et contre d'autres généraux que Bonaparte.

Lorsque le cardinal Fesch exécuta l'ordre qu'il avoit reçu à cet égard, le Pape et le cardinal Consalvi résistèrent. Quelques amis sages conseilloient à M. de Vernègues de se retirer, comme venoit de faire M. de La Maisonfort. Cet avis ne fut pas suivi, et une nouvelle polémique très-animée commença entre la légation de France et la secrétairerie d'État, qui alors ne demandoit plus de conseils à cette légation. Les paroles portées au nom du premier consul furent si violentes, que le gouvernement pontifical consentit à faire arrêter M. de Vernègues, mais en déclarant, que le Saint Père borneroit sa condescendance à cet acte, déjà si douloureux pour lui, et qu'il avoit promis à la Russie de ne pas autoriser l'extradition du prisonnier. Il ne se trouva dans les papiers du détenu aucune pièce qui le compromît. Les plaintes du cardinal Fesch adressées à Paris, avoient porté aussi sur des personnes attachées à sa mission: ces plaintes auroient pu signaler une sorte de désapprobation silencieuse sur un système de vivacité si déplacée, mais aucune raison ne pouvoit motiver des accusations capables de faire sortir le premier consul des bornes de la raison, au point de l'entraîner à dire à M. de Fontanes: « Votre protégé, je le ferai amener ici, pieds et poings liés, sur une charrette. » Le crime du

secrétaire de légation étoit d'avoir cru que l'on traiteroit les affaires sur ce ton de politesse, d'égards et de convenances, qu'il avoit trouvé reconstruit à Rome par M. Cacault, et qu'il étoit lui-même si propre à maintenir pour l'avantage de la France, et la gloire même du cardinal Fesch. M. de Talleyrand, cependant, apaisa la colère d'Achille, et M. de Chateaubriand, au lieu d'être ramené à Paris, fut nommé chargé d'affaires près la république du Valais, et invité à venir prendre ses instructions en France. On le remplaça par M. Gandolphe, alors chargé d'affaires en Suisse. L'extradition de M. de Vernègues étoit vivement sollicitée. Consalvi répondit :

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Le Saint Père en se rendant, par sa faute, l'auteur des conséquences qui pourroient résulter, dans le vaste empire de Russie, pour l'Église, la religion et les catholiques, de cette juste indignation occasionnée par une violation de promesses qui ajouteroit aussi l'insulte à la faute, éprouveroit le déchirant remords d'avoir trahi les devoirs essentiels de son ministère apostolique, qui l'obligent avant tout de consacrer ses soins et ses opérations à conserver la tranquillité de l'Église dans tous les lieux, et à éviter ce qui pourroit troubler cette tranquillité. »

Nouvelles insistances de la part du cardinal Fesch; nouveaux refus de Consalvi. Il objecte que M. de Vernègues est porteur d'une déclaration du chargé d'affaires de Russie, qui le déclare sujet participant à tous les droits, immu

nités et prérogatives dont jouissent les sujets de Sa Majesté l'empereur des Russies.

De part et d'autre, l'affaire fut renvoyée à la décision des cabinets de Saint-Pétersbourg et de Paris.

Ce dernier poursuivoit la conclusion du concordat italien. M. Portalis adressoit des demandes au cardinal Fesch. Cette Éminence fit, dans cette circonstance, la réponse suivante :

« Une loi réglémentaire sur le concordat de la république italienne, a produit à Rome et dans toute l'Italie une rumeur générale. La France avoit des libertés, et elle a dû y tenir en ce qui ne concerneroit pas le concordat, et par conséquent le rappeler par une loi organique : mais ni l'Italie, ni le Milanais ne peuvent appeler des siècles en preuve des libertés qu'ils n'ont jamais eues, et que l'on qualifiera d'usurpation. »

La Russie communiquoit ses plaintes. Bonaparte écrit à M. de Talleyrand :

Malmaison, 10 germinal an xi (31 mars.)

Voici des lettres de Russie, citoyen ministre, je vous prie de faire une réponse à la note du chargé d'affaires de Russie à Rome, laquelle sera transmise au Pape par le cardinal Fesch.

» Cette note portera que l'indépendance des puissances de l'Europe est évidemment attaquée, puisque la Russie veut se donner une juridiction sur des sujets qui ne sont point nés Russes; que c'est bouleverser le droit public du monde aussi bien que celui de la nature; que les émigrés sont des hommes condamnés à la mort par les lois de leur pays et considérés dans tous les pays comme des individus morts

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