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civilement. Que les émigrés cependant soient employés en Russie, nous n'y avons jamais trouvé à redire, mais que Russie prétende les protéger au milieu des intrigues qu'ils trament sur nos frontières, jamais la France ne consentira à admettre des principes aussi erronés. Pour M. de Vernègues, cela est d'autant plus extraordinaire, qu'il a été constamment en Italie chargé des intrigues, comme soidisant représentant du comte de Lille; et c'est là où l'a connu le ministre Russe qui est aujourd'hui à Rome. Puisqu'ils aiment l'idéologie, il faut retourner la question sous tous les points de vue, dire que c'est une conduite imprudente qu'on ne peut définir, de vouloir inquiéter un gouvernement ami par les intrigues d'hommes qui ont leur intérêt naturel à semer la division entre les deux

États; qu'on a de la peine à reconnoître dans ce procédé, la politique et la générosité d'un grand empire. Faites une lettre au cardinal Caprara en lui envoyant une copie de cette note. Expédiez un courrier extraordinaire au cardinal Fesch, pour lui faire connoître qu'il doit absolument exiger qu'on lui livre M. de Vernègues. Ajoutez que les principes de la cour de Russie sont subversifs de nos droits et de notre indépendance, et que nous ne souffrirons jamais d'aucune puissance, qu'on se mèle de discuter nos droits intérieurs.

« Je désire que vous écriviez aussi à l'ambassadeur de la république à Rome, pour que M. l'abbé Bonnevie retourne en France à son poste.

» BONAPARTE. »

M. l'abbé de Bonnevie, attaché à M. le cardinal Fesch et prédicateur très-distingué, étoit ami de M. de Chateaubriand, ce qui explique le rappel de cet ecclésiastique.

M. de Talleyrand exécuta ces ordres. Il écrivit

au cardinal Fesch de braver la résistance de quelques familles russes qui étoient à Rome; on se servit même à ce sujet d'expressions qui pouvoient les blesser, et il envoya une note que le cardinal devoit remettre à Consalvi.

« Le ministre de Sa Majesté l'empereur de Russie avance que Vernègues étant émigré, n'est plus Français; que la France l'ayant délié de ses devoirs de Français n'a plus de droits sur lui, et que Sa Majesté l'empereur de Russie a celui de le reconnoître pour Russe. Cette théorie et les faits sur lesquels elle s'établit manquent absolument d'exactitude. Les lois de la France ont pu considérer les prévenus d'émigration comme morts civilement, mais tant que l'émigration n'a pas été constatée par une inscription définitivement maintenue, cette mort civile n'est, ellemême qu'une présomption morale, qu'une suspension de droit civil, et l'existence politique des émigrés ne peut elle-même cesser que par la perte irrévocable de toute perspective de réintégration. Les émigrés sont des hommes qui ont porté les armes contre leur patrie. Ceux qui ne sont pas soumis sont des contumaces, des exilés qui portent le poids de leur faute. S'ils en sentent le repentir, ils sont en instance de pardon. S'ils persistent dans leur conduite coupable et hostile, la France les regarde comme des Français rebelles, mais il n'est pas vrai de dire qu'elle nc les regarde pas comme des Français.

Depuis le renouvellement de la guerre, l'Angleterre a pris à son service les restes de l'émigration. Elle donne aux émigrés des agences, des uniformes, une solde. Les agens les plus capables d'intrigues, elle les envoie partout où elle peut espérer de nuire à la France: elle réunissoit les autres à Offenbourg, à Molsheim, à Fribourg. La France a obtenu leur dispersion, et l'Angleterre s'est bien gardée d'en faire un sujet de plainte auprès des princes

de l'empire germanique. Comment arrive-t-il que la Russie montre à protéger des Français révoltés plus d'ardeur que n'en a montré la cour de Londres elle-même ? Il y a une différence entre les agens anglais, et les agens émigrés. Les Anglais étrangers aux mœurs, aux habitudes françaises, sans liaisons personnelies dans l'intérieur, ne connoissant ni les lieux, ni les hommes, n'ayant pour ainsi dire que par emprunt l'esprit de faction française, et ne pouvant ressentir contre la France les passions et l'irascibilité qu'il inspire, ne sauroient être du même danger pour le repos de la France.

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La mort du duc d'Enghien avoit effrayé plus que jamais le Saint Siege. L'extradition de M. de Vernègues fut permise. Mais à Paris, sur cette dernière question, on ne vouloit que ne pas céder des ordres étoient donnés pour que les moyens de s'échapper fussent fournis au captif. Ils arrivèrent trop tard; il fut consigné entre les mains du commandant de Rimini, et ensuite il obtint sa liberté (1).

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(1) Ce fut à l'époque de l'assassinat de M. le duc d'Enghien que M. de Chateaubriand donna sa démission de l'emploi de chargé d'affaires à Sion. Nous étions alors tous les deux à Paris. Il me fit l'amitié de venir me voir pour me communiquer cette démarche qui étoit encore secrète, en ajoutant que puisque j'avois perdu ma place à l'occasion de sa nomination à Rome, il avertissoit, pour que mes amis me fissent nommer à Sion; on répondit à mes amis que si j'étois employé, je serois envoyé dans une grande cour. La communication de M. de Chateaubriand n'en fut pas moins aussi noble que délicate. Cette courageuse démis-sion devant un tel chef de gouvernement, a été le seul acte public de résistance et de protestation que la France ait pu alors admirer.

CHAPITRE XXXV.

LE PREMIER CONSUL SE FAIT DÉCLARER EMPEREUR. IL INVITE

LE PAPE A VENIR LE SACRER ET LE COURONNER. LETTRE DU CARDINAL FESCH A L'EMPEREur sur les nÉGOCIATIONS A CE SUJET. CONDITIONS EXIGÉES PAR LE PAPE AVANT DE CONSENTIR A VENIR EN FRANCE.

UN immense projet, une pensée gigantesque, et un mouvement d'ambition colossale, fortifiés par toutes les complaisances de l'Europe, par les habitudes du généralat et de la souveraineté, par la proposition de l'Angleterre elle-même, qui avoit parlé de reconnoître dans Bonaparte le titre de roi, pendant les négociations d'Amiens, s'il souscrivoit à des conditions du reste assez humiliantes; ces différentes circonstances avoient fait naître dans le premier consul l'idée de fonder un trône impérial en France. Le 18 mai, les Sénateurs déclaroient Bonaparte Empereur. Huit jours auparavant il avoit fait écrire au cardinal Caprara pour inviter Sa Sainteté à venir le sacrer et le couronner. Il étoit reconnu que le cardinal Fesch n'avoit été envoyé à Rome que pour y être établi le confident de ce projet (on craignoit que ce qu'il y avoit de hardi et d'indisciplinable dans M. Cacault,

ne se prêtât pas facilement à une telle négociation); le cardinal Fesch se disposoit à porter des paroles décisives, après n'avoir agi que confidentiellement. Le Pontife, à cette nouvelle, tomba dans un grand abattement, et il se résolut à demander conseil aux cardinaux.

Consalvi comprit bien vite qu'il étoit dès ce moment entraîné par un torrent impétueux; qu'il ne s'agissoit plus de l'intérêt de la religion; qu'il ne suffisoit plus d'abonder dans les demimots du cardinal Fesch; qu'il falloit épouser la cause d'un guerrier livré aux illusions de la gloire; qu'il n'étoit plus permis de regretter les anciens souverains de la France, et que la barque de saint Pierre, jetée dans la haute mer, pouvoit être menacée d'un prochain naufrage. Cette affaire ne fut confiée par le cardinal Fesch à aucun subalterne; on cacha même une partie de la négociation à M. de Talleyrand, et le cardinal oncle, ne mettant aucun intermédiaire entre lui et son neveu, lui adressa la lettre suivante, le 10 juin. Son Éminence l'écrivit de sa propre main.

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SIRE,

Votre Majesté Impériale connoît les premières démarches que je fis pour persuader à Sa Sainteté de se décider promptement à donner une réponse favorable au cardinal légat sur le voyage à Paris : depuis cette époque, je n'ai cessé d'agir confidentiellement avec le secrétaire d'Etat, de répondre, et d'aplanir les difficultés qu'on se faisoit, et

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