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CHAPITRE III.

LE GÉNÉRAL BERTHIER MARCHE SUR Rome. Le dirECTOIRE EST LE MOTEUR de la conspIRATION TRAMÉE CONTRE LE PAPE. LA RÉPUBLIQUE ROMAINE PROCLAMÉE. PIE VI ENLEVÉ de ROME ET CONDUIT A SIENNE, PUIS A LA CHARTREUSE DE FLORENCE.

Au milieu de ces désastres et des récriminations du directoire, on remarqua que le général Bonaparte s'abstint de marcher à la tête de son armée le général Berthier eut ordre de s'avancer avec une division sur la ville de Rome, pour en prendre possession. La vengeance ne fut sitôt préparée, que parce que tout avoit été tenté de la part des révolutionnaires Français, pour la rendre nécessaire. Les premières instructions à Berthier concernant l'occupation de Rome, portoient qu'il expédieroit une lettre de crédit de 108,000 livres au général Bernadotte à Naples. Les paroles de ce militaire ministre devoient être des menaces, si le ministre Acton se mêloit des affaires de Rome. Quant à Berthier, on lui traçoit sa conduite en ces termes :

« Voici un horrible et inconcevable événement qui vient de se passer à Rome; mais vous êtes chargé du soin de venger cet attentat, ainsi nous sommes tranquilles France et Prudence viennent à bout de tout. »

:

D'autres ordres arrivèrent en même temps. «Le directoire exécutif, citoyen général, n'a vu qu'a

vec la plus vive indignation la conduite qu'a tenue la cour de Rome envers l'ambassadeur de la république française. Les meurtriers du brave général Duphot ne resteront pas impunis; l'intention du directoire est que vous marchiez sur-le-champ sur Rome, dans le plus grand secret. »

Ici se trouve un ordre d'étapes rédigé avec une grande clarté, et des détails militaires fort étendus.

« Vous vous trouverez ainsi avoir à Ancône plus de trente mille hommes : la célérité dans votre marche est de la plus grande importance, elle peut seule assurer le succès de l'opération. Dès l'instant que vous aurez assez de troupes à Ancône, vous les mettrez en marche. Vous ne ferez paroître votre manifeste contre le Pape, que lorsque vos troupes seront à Macérata. Vous direz en peu de mots que la seule raison qui vous fait marcher à Rome est la nécessité de punir les assassins du général Duphot, et ceux qui ont osé méconnoître le respect qu'ils doivent à l'ambassadeur de France.

» Le roi de Naples ne manquera pas de vous envoyer un de ses ministres, auquel vous direz que le directoire exécutif n'est conduit par aucune vue d'ambition; que, d'ailleurs, si la république française a été assez généreuse pour s'arrêter à Tolentino, lorsqu'elle avoit des raisons de plaintes contre Rome, il ne seroit pas impossible que, si le Pape donne la satisfaction qui contente le gouvernement, cette affaire pût s'arranger.

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Tout en tenant ces propos, vous cheminerez à marches forcées. L'art ici consiste à gagner quelques marches, de sorte que lorsque le roi de Naples s'apercevra que votre projet est d'arriver à Rome, il ne soit plus à temps de vous prévenir. Quand vous serez à deux journées de Rome, vous menacerez alors le Pape et tous les membres du gouvernement qui se sont rendus coupables du plus grand de

tous les crimes, afin de leur inspirer de l'épouvante et de les faire fuir.

» Vous aurez soin de faire arrêter tous les chefs des assassinats commis le 8 nivose, notamment le cardinal Albani, ainsi que sa famille, et vous ferez saisir leurs papiers, et séquestrer leurs biens. »

L'instruction porte aussi de chasser l'armée napolitaine, si on est le plus fort, sinon d'attendre.

que

Ensuite, par un arrêté du directoire, il fut ordonné l'on saisiroit à Gênes et qu'on porteroit dans la caisse de l'armée, des diamans que le Pape avoit donnés en nantissement à la république française, et qu'elle lui avoit rendus depuis. Ces diamans étoient encore déposés à Gênes. M. Faypoult fut chargé d'employer, pour les saisir, tous les moyens possibles, même la force.

Il fut prescrit en même temps d'écrire à Rastadt, où un congrès étoit alors rassemblé, que des troupes françaises alloient marcher sur Rome, que cette expédition n'avoit pour objet que de tirer vengeance des attentats récemment commis contre la république ; qu'elle n'entendoit conserver Rome ni pour elle, ni pour la Cisalpine; que si le gouvernement napolitain envoyoit des soldats sur le territoire. du Pape, les troupes françaises s'opposeroient à cette invasion, et que Naples seroit attaquée tant par terre que par mer.

La dépêche portoit en P. S.

«Ma lettre a pour objet que vous soyez avertis et ne puissiez être pris au dépourvu : mais vous devez sentir que l'explication ne doit pas venir de notre côté, et que les mesures prises par le directoire doivent être gardées dans le plus profond secret. »

Dans les lettres écrites alors au nom du directoire, l'émeute du 28 décembre étoit toujours appelée l'événement horrible qui s'est passé à Rome le 8 nivose.

Le directoire n'ignoroit pas qu'en demandant réparation d'un attentat qui avoit été commis contre la dignité de son ambassadeur, il ne faisoit que suivre les premiers succès d'une conspiration flagrante dont il étoit le moteur direct. Il n'ignoroit pas qu'il avoit envoyé à Rome les sieurs Communeau et Jorry, hautement protégés, parce qu'ils s'étoient montrés ses partisans ardens dans la journée du 18 fructidor. Il n'étoit pas besoin pour éclairer le directoire, de mettre sous ses yeux le mémoire que M. Ennius Visconti adressa de Rome le 10 pluviose (29 janvier 1798). Dans ce mémoire (1), conçu d'ailleurs avec un grand talent, et contenant des

(1) Cette sorte d'intervention politique de M. Visconti dans les affaires de Rome, rapprochée de la conduite pleine de mesure et de réserve qu'il a tenue pendant tout son séjour en France, prouve qu'il y a des circonstances qui détournent de leurs études, les écrivains qu'on devroit le moins voir sacrifier à une fausse vanité, leurs nobles et utiles méditations. La nécessité de rentrer dans la position calme qu'on a abandonnée pour des illusions, arrêtera-t-elle désormais ces esprits

*

aperçus statistiques remplis de sagesse et de vérité, on lit ce passage :

་་

Le peu de réussite des insurrections romaines a pu faire regarder ce peuple comme absolument éloigné de la démocratie, mais il n'est pas tel. L'incertitude où l'on est si on sera soutenu, la crainte d'une invasion napolitaine, l'exemple de Venise, voilà les obstacles qui l'empêchent de se déclarer pour la causé de la liberté.

M. Visconti va plus loin :

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« Si la tentative du 27 et du 28 décembre ( nous apprenons ici qu'il y eut un essai d'émeute le 27), si cette tentative, quoique l'organisation en fût très-mauvaise, et la direction pire (tentativo pessimamente organizzato, e peggio diretto), eût été faite un mois auparavant, c'est-à-dire avant que l'édit du 28 novembre, en démonétisant beaucoup de papier, eût diminué la disette de numéraire, je suis sûr que cette tentative auroit été appuyée par une innombrable quantité de personnes de tout rang; mais elle eut lieu dans un temps où le peuple avoit vu s'améliorer sa situation en un instant, ce qui étoit dû à une seule opération du gouvernement; or, le peuple espéroit que ses calamités alloient être adoucies.

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Le gouvernement pontifical s'occupoit donc du soin de ses états, il amélioroit donc la si

d'ordre, de paix et de méthode, ces hommes de pensée qui sont si dignement placés dans leur cabinet et dans leur bibliothèque ? Les mécomptes d'un savant renommé sont déplorables: ceux de M. Visconti ne durèrent pas long-temps, et le plus judicieux archéologue de nos jours se háta de revenir sur ses pas, pour assurer puissamment la gloire immortelle qu'il devoit mériter.

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