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CHAPITRE IV.

TROUBLES ET CONFUSION A IMOLA. LE CARDINAL PUBLIE UNE HOMÉLIE. ANALYSE DE CETTE HOMÉLIE. CONSTITUTION ROMAINE. PIE VI TRANSFÉRÉ A VALENCE. SA MORT.

CEPENDANT la terreur s'étoit emparée de tout l'État Pontifical. Elle s'étoit répandue même dans les Légations, quoiqu'une partie des révolutions qu'elles avoient à craindre eût déjà été consommée. Un des sujets de Pie VI, qui avoit appris avec le plus de saisissement les événemens de Rome, étoit le cardinal Chiaramonti. Il voyoit, de plus près qu'un autre, le système de spoliation qu'on alloit organiser. Villetard avoit fait séquestrer les objets laissés à Lorette par le général Colli, et qui se montoient à une valeur de 800,000 fr. Le cardinal savoit avec quel mépris on parloit ensuite de la statue en bois, de trois soucoupes de faïence, et d'un morceau d'étoffe rouge, qui faisoient, selon Villetard, la partie la plus précieuse de la Sainte Chapelle (1).

Toute la ville d'Imola, dans la confusion, demandoit une règle de conduite au cardinal. Ce fut à cette époque qu'il publia l'homélie qu'on lui a tant reprochée, et qui porte la date du jour de Noël, parce qu'elle fut antidatée de

(1) Lettre de Villetard. Lorette, 28 pluviose.

dix jours. Il est évident que le cardinal Chiara-monti en a composé une grande partie; il est sûr aussi que des passages tout-à-fait inutiles, mais attestant l'effroi de ceux qui entouroient Son Éminence, y furent ajoutés : ce sont ces passages qui depuis ont été le texte de toutes sortes d'accusations contre le cardinal. On observera encore que personne ne parla de cette homélie jusqu'à l'époque du conclave, en 1800. En effet elle devenoit une pièce plus importante après l'avènement du signataire au trône pontifical.

Si les coopérateurs du cardinal-évêque, si beaucoup d'habitans paisibles éprouvoient un sentiment de frayeur hors de toute mesure, le fidèle peuple des campagnes de l'évêché d'Imola, se souvenant des scènes de Lugo, vouloit les recommencer. L'autorité ecclésiastique pensa qu'il falloit empêcher une émeute, et que, Rome elle-même et le chef de l'Église allant être attaqués par un ennemi qui n'avoit plus de rivaux en Italie, il convenoit de ne pas encourager une insurrection qui n'amèneroit, sans aider l'infortuné Pontife, que des maux, des pillages, et des dévastations, cortége impitoyable de la guerre. L'homélie fut donc dictée à Imola par la peur des uns, contre le courage des autres.

Le motif étoit raisonnable; mais il est possible apparemment de faire mal une bonne

chose. Quoi qu'il en soit, un avertissement religieux qui renfermeroit d'abord des preuves d'un amour ardent et sans réserve du catholicisme, et ensuite des principes d'obéissance ponctuelle jusqu'à la plus entière soumission, au pouvoir établi, au pouvoir de la république cisalpine reconnue depuis plus de deux mois par le traité de Campo Formio, conclu entre l'empereur d'Allemagne et la république française, un tel avertissement sembla être dans la circonstance actuelle une pensée salutaire. Le pieux Chiaramonti se chargea de la première partie de la tâche; ses alentours dominés par la crainte se présentèrent pour remplir le second rôle, et là, en manquant à la fois à la sagesse du raisonnement et aux leçons de l'histoire, ils prouvèrent qu'ils ne savoient juger ni leur situation ni le caractère de ceux qui les avoient vaincus. Hélas! Chiaramonti devoit apposer sa signature aux deux rédactions qui, réunies, alloient former l'homélie publiée par le cardinal-évêque à l'occasion des fêtes de Noël.

La louange en général n'a de vérité, de sens et de portée, que lorsqu'on la voit accompagnée quelquefois de reproches mérités qui la suspendent et qui rendent son retour plus efficace et plus éclatant.

Examinons donc avec une entière liberté, l'homélie du clergé d'Imola. Dans cette pièce, la partie qui concerne le dogme est tour à tour

affectueuse, consolante et intrépide; cette portion de l'écrit, comme on l'a dit, appartient au cardinal. Toute la partie politique est maladroite, absurde même par l'imprudence et l'étrangeté des expressions; elle va au-delà de toutes les bornes, et se perd dans des considérations souvent exagérées avec le langage charlatan de l'époque.

Indépendamment de la nécessité où je suis de parler avec détails de cette publication, qui est le seul ouvrage imprimé attribué au personnage auguste dont j'écris l'histoire, il faut dire encore que des ennemis mal informés ont répandu que dans cette pièce les Français étoient nommés loups dévorans et chiens sanguinaires : rien n'est plus contraire à la vérité. Il n'est pas question des Français, il ne pouvoit pas être question d'eux dans de tels termes, puisque l'on écrivoit sous l'impression immédiate de la crainte inspirée par le succès de la conjuration du directoire, puisqu'on écrivoit dans l'attente de nouveaux avantages pour ses armées et des plus terribles adversités pour le Saint Siége. Mais il sera plus aisé de convaincre le lecteur, quand il aura lui-même pris connois sance de cette publication mémorable dont on parle beaucoup et qui est peu connue.

Voici le début de l'homélie :

« La voix éternelle, toute-puissante en elle-même, a déployé dans le temps sa vertu au dehors, et en un instant

sont sorties les choses créées. Elle s'est promenée terrible sur les ondes orgueilleuses qui inondent la terre, et les a contraintes à se renfermer dans les confins qu'elles avoient outrepassés. Sur le Sinaï, à travers les éclairs et les tonnerres, précurseurs de la majesté divine, cette voix se fit entendre au conducteur du peuple d'Israël, et le doigt de Dieu écrivit sur deux tables de pierre les lois qui enseignèrent à l'homme ses devoirs envers la divinité, envers lui-même, envers ses semblables, devoirs primitivement gravés dans son esprit pour diriger droitement sa conduite et ses mœurs conformément à l'humaine nature.

» La divine sapience crut faire trop peu, parlerai-je ainsi, en répandant sur l'homme de tels dons. Malgré l'ingratitude et l'égarement de tant de mauvais fils, un autre ordre de choses étoit arrêté dans les divins conseils; des bienfaits nouveaux et plus éclatans se détachoient d'en haut, pour apporter d'autres preuves de la clémence céleste à l'égard des hommes, pour les encourager à glorifier leur être suprême, leur Dieu.

» Heureuse cabane de Bethléem (on se souvient que l'homélie étoit publiée à l'occasion de la fête de Noël), c'est toi qui dispensas tant de merveilles ! Et toi, Bethleem terre de Juda, non tu n'es pas un recoin infime de la contrée des Hébreux, puisque de toi sortit ce chef prévu par les patriarches, figuré par les rits et les sacrifices, qui devoit tenir en main le sceptre du royaume d'Israël. Tu fus le berceau d'Emmanuel, ce héraut de la paix, l'hommeDieu, né d'une Vierge, devant qui les cieux et la terre rendirent témoignage de sa divinité, de sa mission.

» Cabane fortunée, et toi, terre glorieuse de Juda, tu me présentes un souvenir de joie; je voudrois que mes larmes d'allégresse excitassent celles de mes frères chéris, et que tout l'univers retentît de tes louanges et de tes honneurs !

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