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Mais ro s'il n'est pas douteux que l'art. 5 du décret du 25 mars 1813 n'ait été, de la part du chef du gouvernement d'alors, un véritable empiétement sur le pouvoir législatif, il ne l'est pas non plus qu'il n'ait acquis toute la force d'une loi dérogatoire aux lois qui l'avaient précédé, par cela seul que, dans les dix jours de sa promulgation, il n'a pas été annulé, comme inconstitutionnel, par le sénat.

C'est ce qui résulte d'une foule d'arrêts de la cour de cassation, notamment

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De celui du 1er floréal an 10, qui est cité dans les conclusions des 29 pluviôse an 13 et 28 octobre 1814, rapportées dans le Répertoire de jurisprudence, aux mots Divorce, sect. 4, §. 10, et Falsification de denrées et de boissons;

De celui du 3 février 1820, qui est transcrit dans le même recueil, au mot Interprétation, n3;

Et de celui du 3 octobre 1822, qui déclare textuellement que la disposition de l'art. 10 du décret du 14 décembre 1810 a restreint celle de l'art. 295 du code d'instruction criminelle; que les décrets du chef de l'ancien gouvernement, qui ont toujours été exécutés comme lois, doivent en conserver la force jusqu'à ce qu'ils aient été abrogés ou modifiés (1).

Eh! N'avons nous pas vu exécuter comme loi, pendant plusieurs années, le décret du 18 octobre 1810, qui, en créant des tribunaux de première instance et des cours prévôtales des douanes, suspendait jusqu'à la paix générale, la juridiction que les lois des 4 germinal an 2, 14 fructidor an 3, 10 brumaire et 26 ventôse an 5, etc., et le Code d'instruction criminelle avaient attribuée respectivement aux juges de paix, aux tribunaux correctionnels, aux cours d'assises et aux cours spéciales sur les matières de douanes, ainsi que sur les délits et les crimes qui s'y rattachaient? N'avons-nous pas vu, pendant tout ce temps, la cour de cassation le prendre pour base des nombreux arrêts par lesquels elle a annulé ou confirmé ceux des cours prévôtales des douanes (2)?

N'avons-nous pas vu pendant un bien plus

grand nombre d'années, exécuter comme lois dérogatoires à la loi générale, qui assure à tout créancier, dont la dette est échue, le droit d'en poursuivre le recouvrement par les voies judiciaires, les arrêtés du gouvernement consulaire des 19 fructidor an 10 et 25 germinal

(1) Journal des audiences de la cour de cassation, année 1822, page 414.

(2) V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Douanes, §. 5.

an 11, qui suspendaient toutes poursuites contre les colons de Saint-Domingue, de la part de leurs créanciers, pour vente d'habitations situées en cette colonie? Et la cour de cassation n'a-t-elle pas maintenu, le 23 mai 1815, un arrêt de la cour d'appel d'Angers, du 12 septembre 1812, qui avait jugé confor-, mément à ces arrêtés (1) ? N'a-t-elle pas cassé le 18 novembre 1817, un arrêt de la cour royale de Paris, du 19 mai 1815, qui les avait violés (2)?

Ne voyons-nous pas encore tous les jours exécuter comme loi l'art. 30 du décret du 1er germinal an 13, qui, dérogeant à la loi générale aux termes de laquelle le délai de l'appel des jugemens rendus contradictoirement en matière correctionnelle court à compter du jour de leur prononciation, fait courir ce délai, dans les matières de droits-réunis ou contributions indirectes, à compter du jour de la signification à personne ou domicile ; et la cour de cassation n'a-t-elle pas constamment annulé les arrêts qui s'étaient écartés de cette règle spéciale (3)?

exécuter comme loi l'art. 11 du décret du 9 Ne voyons-nous pas encore tous les jours juillet 1810, qui, par dérogation à l'art. 27 de la loi du 27 ventôse an 8, permet aux chambres correctionnelles des cours royales, quoique composées de six conseillers seulement, de juger les causes sommaires qui leur sont renvoyées en matière civile; et telle n'est-elle pas, comme le dit un arrêt de la cour de cassation, du 18 janvier 1821, la jurisprudence constante et uniforme de cette cour (4)?

Ne voyons-nous pas encore tous les jours exécuter comme loi, dans les saisies immobiliaires, le décret du 2 février 1811, qui déroge d'une manière si positive et fait des additions si importantes aux art. 706, 735 et 736 du code de procédure civile (5)?

Enfin, ce qui est encore plus topique, ne voyons-nous pas exécuter paisiblement comme lois, les dispositions du décret du 28 février 1810, qui rapportent formellement plusieurs de celles des art. 26 et 30 de la loi du 18 ger

(1) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 15, page 359.

(2) Ibid., tome 17, page 161.

(3) V. l'article Appel, §. 8, art. 2, et le Répertoire de jurisprudence, aux mots Droits-Réunis, no 2. (4) Jurisprudence de la cour de cassation, tome 22, page 57.

(5) V. le Répertoire de jurisprudence, aux mots Saisie Immobiliaire, §. 6, art. 2, no 10.

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minal an 10 (1)? Et comment peut-on, en reconnaissant qu'un décret a pu déroger aux art. 26 et 27 de cette loi, soutenir sérieusement que les art. 6 et 7 n'en ont pas pu être révoqués par un autre décret?

2o Que veut-on dire en alléguant que le décret du 25 mars 1813 n'a reçu aucune exécytion? Est-ce de l'art. 5, est-ce de l'art. 6, est-ce des quatre premiers articles de ce décret que l'on entend parler?

Si c'est de l'art. 5, je conviens que, jusqu'à présent, les cours royales n'ont pas encore usé du pouvoir dans l'exercice duquel il les réintègre, et que le conseil d'état est, de fait, en possession de connaître de l'appel comme d'Abus. Mais la question est précisément de savoir si la possession du conseil d'état est légale, si elle n'est pas un empiétement sur la juridiction des cours; et assurément elle n'est pas assez ancienne pour avoir prescrit contre un décret, ayant force de loi, qui la condamne.

Si c'est l'art. 6 que l'on a en vue, lorsqu'on dit que le décret du 25 mars 1813 n'a reçu aucune exécution, c'est une objection qui rentre dans la quatrième des raisons dont s'appuie le système de la compétence administrative; et j'y reviendrai tout-à-l'heure.

Enfin, si c'est des quatre premiers articles de ce décret que l'on entend parler, l'objection se réduira à dire qu'ils se rattachaient au concordat de Fontainebleau ; qu'ils sont devenus sans objet par l'inexécution de ce concordat, et que leur caducité a entraîné celle de l'art. 5. Mais, entendue en ce sens, que signifie-t-elle? Rien.

Elle serait fondée sans doute, si l'art. 5 s'était borné à dire qu'en cas d'infraction du concordat de Fontainebleau, il y aurait lieu à l'appel comme d'Abus, et que cet appel serait porté devant les cours judiciaires. Il est sensible, en effet, que, dans cette hypothèse, la résiliation du concordat de Fontainebleau aurait rendu l'art. 5 sans objet, et par conséquent comme non avenu.

Mais l'art. 5 n'a pas seulement renvoyé aux cours judiciaires la connaissance des appels comme d'Abus auxquels donneraient lieu les contraventions qui pourraient être faites au concordat de Fontainebleau ; il leur a généralement renvoyé la connaissance de toutes les affaires connues sous le nom d'appels comme d'Abus, ainsi que de toutes celles qui résulte

(1) Bulletin des lois, 4e série, n° 268.

raient de la non exécution des lois des concordats, c'est-à-dire, des lois écrites tant dans le concordat du 26 messidor an 9, que dans celui du 25 janvier 1813; et, dès-là, il est clair que la disposition qui prononçait ce renvoi, a conservé toute sa force pour tout ce qui était étranger au second de ces concordats.

Pour qu'il en fût autrement, il faudrait que l'art. 5 du décret fût, au concordat de Fontainebleau, ce qu'est l'accessoire au principal, et que l'on se trouvât en conséquence dans le cas de la règle de droit, cùm principalis causa non substitit, nec ea quæ sequuntur locum habere debent. Mais le moyen de considérer l'art. 5 du décret comme uniquement accessoire au concordat de Fontainebleau, alors qu'il porte sur tous les cas d'Abus énumérés dans la loi du 18 germinal an 10, alors, par conséquent, qu'il dispose sur des objets dont le concordat de Fontainebleau ne s'était pas occupé? C'est bien à l'occasion du concordat de Fontainebleau qu'il a été fait ; mais de ce qu'une chose se fait à l'occasion d'une autre, il ne s'en suit pas qu'elle n'en soit que l'accessoire, ni, par conséquent, que l'anéantissement de celle-ci emporte de plein droit l'anéantissement de celle-là.

Que serait-il arrivé si, le lendemain de l'insertion du décret du 25 mars 1813 au bulletin des lois, le chef du gouvernement, informé de la protestation du pape Pie VII contre le concordat de Fontainebleau, avait rapporté les quatre premiers articles de ce décret, sans s'expliquer sur le cinquième? Qui est-ce qui aurait osé dire que le cinquième était compris dans le rapport des quatre premiers? Qui est-ce quiaurait osé invoquer, à l'appui d'une assertion aussi étrange, la maxime qui fait suivre à l'accessoire le sort du principal ? Pcrsonne assurément. Tout le monde aurait senti que plusieurs dispositions législatives ne sont pas accessoires les unes des autres, par cela seul qu'elles sont rangées dans le même écrit; que l'identité de l'écrit qui les contient, n'en forme pas un tout indivisible; que celles qui, par elles-mêmes, sont indépendantes des dispositions rapportées, survivent à leur rapport ni plus ni moins que si elles se trouvaient dans un écrit séparé; qu'il en est d'un acte législatif contenant plusieurs dispositions, comme d'un jugement qui contient plusieurs chefs; et

que

de même que l'infirmation d'un chef de jugement laisse subsister les chefs qui en sont distincts, de même aussi le rapport d'une disposition législative qui se refère à un objet, n'entraine pas le rapport des autres dispositions du même acte qui se refèrent à un objet

différent ou plus étendu; et qu'enfin s'il en était autrement, il faudrait rayer de tous nos livres la grande maxime que l'abrogation partielle d'une loi n'emporte pas celle de la loi entière.

Quelle différence y a-t-il donc entre cette hypothèse et la position dans laquelle les choses ont été placées par la résiliation du concordat de Fontainebleau? Aucune, absolument aucune. Qu'importe, en effet, que les quatre premiers articles du décret du 25 mars la par 1813 aient été anéantis de plein droit, résiliation du concordat de Fontainebleau, ou qu'en conséquence de la résiliation du concordat de Fontainebleau, le législateur les ait rapportés expressément? En les rapportant expressément, il n'aurait fait qu'une chose surérogatoire, et de ce qu'il n'a pas fait une chose surérogatoire, il ne peut pas résulter un effet qui n'aurait pas lieu s'il l'eût omise.

Deuxième raison. « L'ordonnance du roi » du 23 août 1815 n'enlève pas au conseil » d'état la connaissance des appels comme » d'Abus, par cela seul qu'elle garde le si» lence sur l'attribution que lui en faisait celle » du 29 juin 1814 ».

été

Réponse. Il n'y aurait sans contredit rien à conclure du silence de l'ordonnance du roi du 23 août 1815, sur la connaissance des appels comme d'Abus, si les art. 6 et 7 de la loi du 18 germinal an 10 n'avaient pas abrogés par le décret du 25 mars 1813; car, dans cette supposition, ne pas parler de ces articles dans l'ordonnance dont il s'agit, c'était s'y référer, et, par conséquent, répéter implicitement ce que l'on avait dit en termes exprès dans l'ordonnance du 29 juin 1814, savoir, que le conseil d'état connaîtrait des appels comme d'Abus.

Mais quelle force ne prend pas en faveur des cours royales, l'argument qui sort du rapprochement de ce qui est exprimé dans l'ordonnance du 29 juin 1814, avec ce qui est omis dans celle du 23 août 1815 (qui, d'ailleurs, l'abroge purement et simplement ), lorsque l'on se reporte à l'abrogation prononcée par l'art. 5 du décret du 25 mars 1813, des art. 6 et 7 de la loi du 18 germinal an 10? Pourquoi, en rapportant l'ordonnance du 29 juin 1814, celle du 23 août 1815, n'en a-t-elle renouvelé l'art. 8? Pourquoi n'a-t-elle pas déclaré que le conseil d'état qu'elle organisait, aurait, pour les appels comme d'Abus, la même attribution qui avait été conférée au conseil d'état organisé par l'ordonnance du

pas

29 juin 1814? On ne peut en donner qu'une raison : c'est que le rédacteur de l'ordonnance du 23 août 1815, mieux instruit et plus attentif que celui de l'ordonnance du 29 juin 1814, aura considéré que l'attribution faite au conseil d'état par les art. 6 et 7 de la loi du 18 germinal an 10, avait été révoquéc et transférée aux cours royales, par le décret du 25 mars 1813, que ce décret avait toute la force d'une loi proprement dite; et que, par conséquent, comme l'a reconnu depuis M. le gardedes-sceaux de Serres à la tribune de la chambre des députés (1), il n'y pouvait pas être dérogé par une ordonnance royale.

Troisième raison. « C'est un principe au» tant qu'un fait, que tout, dans les matières > ecclésiastiques, se traite administrative» ment d'après la loi du 18 germinal an ro».

Réponse. En principe, l'autorité administrative n'a, dans les matières contentieuses, n'importe qu'elles soient ecclésiastiques ou civiles, que les attributions qui lui sont expressément conférées par la loi; et elle ne peut les exercer qu'autant que la loi qui les lui confère, n'est pas rapportée, soit par une autre loi, soit par un acte qui en a toute la force. Or, l'attribution que la loi du 18 germinal an 10 avait faite au conseil d'état, de la connaissance des appels comme d'Abus, est révoquée par le décret du 25 mars 1813, et ce décret a toute l'autorité d'une loi proprement dite. Le conseil d'état n'est donc plus compétent pour connaître de ces appels.

En fait, le conseil d'état n'a encore prononcé que deux fois, depuis la restauration, sur des appels comme d'Abus ; et il est inutile de répéter que de là ne peut pas résulter une prescription contre les droits juridictionnels des cours royales.

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»

Quatrième raison. « Les réglemens sur la procédure et les peines applicables dans ces » matières, dont le décret du 25 mars 1813 » avait prévu la nécessité, seraient d'autant plus indispensables, que les appels comme » d'Abus ont été soumis, dans tous les temps, » à des formes particulières, et différentes, » en certains points, des affaires ordinaires. » Il fallait autrefois obtenir des lettres de >> chancellerie, et l'appel devait être préala»blement reçu, en vertu d'une requête à laquelle on joignait les lettres de chancel

D

(1) V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Interprétation, no 3.

»lerie, ainsi que le jugement ou l'acte contre » lequel on entendait se pourvoir. Il fallait en >> outre représenter une consultation de deux » avocats, dans laquelle les moyens d'Abus >> devaient être détaillés. Quelques-unes de ces >> formalités ne pourraient plus s'observer » aujourd'hui ; mais il faudrait les remplacer >> par d'autres plus analogues à nos usages >> actuels, si l'on voulait investir les tribu»naux de cette nouvelle attribution, On ne >> doit, en effet, jamais perdre de vue que les » tribunaux ne peuvent procéder que d'après » des règles fixes et déterminées à l'avance; » ɛans cela, après les bouleversemens qu'a » éprouvés la juridiction ecclésiastique, les » cours royales ne sauraient sur quelles bases >> asseoir leurs jugemens ».

Réponse. Supposons d'abord que l'art. 5 du décret du 25 mars 1815 en forme la clôture, ou, ce qui revient au même, qu'il n'est point suivi de l'art. 6 portant qu'un projet de loi sera présenté pour déterminer la procédure et les peines applicables en ces matières; et en le prenant ainsi isolément, voyons s'il y manque quelque chose pour met tre les cours royales en état d'exercer la juridiction dont il les investit sur toutes les affaires connues sous le nom d'appel comme d'Abus.

Suivant l'objection que j'ai ici à examiner, il y manque un réglement sur les formes à observer dans l'introduction des appels comme d'Abus devant les cours royales. Et pourquoi ce réglement y manque-t-il? Parceque quelques-unes des formes particulières auxquelles les appels comme d'Abus ont été soumis dans tous les temps, ne pourraient plus s'observer aujourd'hui, et que, par conséquent, il faudrait les remplacer par d'autres plus analogues à nos usages actuels, si l'on voulait investir les tribunaux de cette nouvelle attribution.

Ceci suppose que les formes auxquelles l'appel comme d'Abus était soumis avant que la loi du 18 germinal an 10 en eût transféré la connaissance au conseil d'état, ne sont ni abrogées par l'art. 1041 du Code de procédure civile, ni conséquemment remplacées par les formes que ce Code rend communes à toutes les affaires dont la connaissance appartient aux cours royales et je conviens de l'exactitude de cette supposition. D'une part, en effet, il est impossible d'appliquer à l'appel comme d'Abus, qui n'avait rien de judiciaire, qui était purement administratif, à l'époque où a été fait le Code de procédure civile, la

:

disposition abrogatoire qui se trouve dans l'art. 1041 de ce Code : la règle verba debent intelligi secundùm subjectam materiam, s'y oppose manifestement.

D'un autre côté, il est de principe qu'une loi générale ne déroge pas aux lois spéciales qui l'ont précédée (1); et c'est sur ce fondement que, par l'avis du conseil d'état du 12 mai 1817, approuvé le 1er juin suivant, il a été décidé que l'art. 1041 du Code de procédure civile n'avait porté aucune atteinte aux formes de procéder, soit dans les affaires de la régie de l'enregistrement et des domaines, SOIT EN Toute autre matire pour laquelle il aurait été fait par une loi spéciale une exception aux lois générales. Ainsi, nul doute que, quand même l'appel comme d'Abus eût encore été dans le domaine des tribunaux à l'époque où a paru le Code de procédure civile, les formes spéciales auxquelles il avait été soumis dans tous les temps n'eussent survécu à l'art. 1041 de ce code. Et de là il suit nécessairement que, si ces formes étaient encore praticables au moment où les cours royales ont été réintégrées par le décret du 25 mars 1813 dans la connaissance des appels comme d'Abus, ce décret a, de plein droit, fait revivre, pour ces cours, l'obligation de les observer; comme la loi du 27 ventôse an 8, en rétablissant les avoués dont la suppression avait été prononcée par la loi du 3 brumaire an 2, avait fait revivre de plein droit l'art. 34 de la loi du 27 mars 1791, qui assujélissait ces officiers à suivre exactement la procédure établie par l'ordonnance de 1667 (2).

.

Mais y avait-il, relativement à l'appel comme d'Abus, avant la loi du 18 germinal an 10, des formes spéciales qui ne puissent plus compatir avec nos usages actuels?

Oui, dit-on, il fallait autrefois obtenir des lettres de chancellerie, et l'appel devait être préalablement reçu en vertu d'une requête à laquelle on joignait ces lettres de chancellerie, ainsi que le jugement ou l'acte contre lequel on entendait se pourvoir. Il fallait en outre représenter une consultation de deux avocats dans laquelle les moyens d'Abus devaient être détaillés.

Mais, d'abord, il n'est pas vrai que le concours de toutes ces formalités fût nécessaire dans les parlemens, pour faire recevoir un

(1) V. l'article Délits ruraux, §. 1.

(2) V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Enquête, §. 6.

appel comme d'Abus. Écoutons le savant et célèbre canoniste Camus, dans le nouveau Denisart, au mot Abus, §. 8.

<«< Les appels comme d'Abus se relèvent, ou par arrêt, ou par des lettres qui s'obtiennent en chancellerie.

>> Au premier cas, il faut, pour obtenir l'arrêt qui reçoit l'appel, présenter à cet effet une requête, et y joindre la sentence ou l'acte contre lequel on entend se pourvoir.

» Au second cas, c'est-à-dire, lorsque l'on se pourvoit en chancellerie, il faut, pour obtenir des lettres de relief d'appel comme d'Abus, représenter une consultation de deux avocats dans laquelle les moyens d'Abus doivent être détaillés; cela est d'un usage immémorial, et autorisé par l'ordonnance de Charles VIII, du mois de juillet 1493.

Ainsi, les lettres de chancellerie et la consultation de deux avocats étaient inutiles, quand l'appel comme d'Abus s'interjetait par une requête; et il n'y avait alors d'autre formalité à remplir que de joindre à la requête d'appel le jugement ou l'acte qui en était l'objet; formalité qui bien évidemment peut encore être observée aujourd'hui sans nouvelle loi qui l'autorise.

Mais admettons que, dans l'ancien ordre judiciaire, il fallût tout à la fois lettres de chancellerie, consultation de deux avocats, requête d'appel et jonction à cette requête de l'acte ou du jugement attaqué; qu'y aurait-il à remplacer, dans tout cela, par d'autres formalités plus analogues à nos usages actuels? J'ai déjà dit, et il est d'une vérité sensible, que ce ne serait ni la requête d'appel ni l'obligation d'y joindre le jugement ou l'acte contre lequel l'appel serait dirigé. Ce ne serait pas non plus la consultation de deux avocats: cette formalité est si peu incompatible avec nos usages actuels, que l'art. 495 du Code de procédure civile en prescrit une semblable pour la requête civile. Il n'y aurait donc que les lettres de chancellerie dont l'usage est supprimé par l'art. 20 de la loi du 7-12 septembre 1790; mais il y a déjà bien du temps que le remplacement en est fait législativement; l'art. 21 de la loi que je viens de citer, porte qu'en conséquence de la suppression prononcée par l'article précédent, il suffira, dans tous les cas où lesdites lettres étaient ci-devant nécessaires, de se pourvoir devant les juges compétens pour la connaissance immédiate du fond.

Donc, dans tous les cas, il n'y a aucune des anciennes formes (non abrogées législa

tivement) de l'appel comme d'Abus, qui ne puisse très-bien s'amalgamer avec nos usages actuels, et ne soit, sans loi nouvelle, susceptible d'une exécution aussi simple que facile.

Donc l'art. 5 du décret du 25 mars 1813 suffit par lui-même, en le supposant isolé, pour mettre les cours royales en état d'exercer, sur les appels comme d'Abus, la juridiction dans laquelle il les réintègre.

Et cela est si vrai que, pour subroger les tribunaux de district aux parlemens, pour la connaissance de l'appel comme d'Abus, la loi du 15-24 novembre 1790 s'est contentée de dire que l'appel comme d'Abus serait porté devant eux, considérés comme juges en dernier ressort. Assurément son intention était bien qu'ils entrassent sur-le-champ en exercice de cette partie de leurs attributions; pourquoi donc ne leur a-t-elle tracé aucune règle pour la manière dont ils devaient procéder? Parcequ'elle s'en est référée, à cet égard, à celles des anciennes formes qui n'étaient pas abrogées.

C'est dans le même esprit et par la même raison que l'art. 8 du projet de loi du 22 novembre 1817 s'était borné à dire que les appels comme d'Abus seraient portés directement aux cours royales, première chambre. En quoi ce projet d'article différait-il de l'art. 5 du décret du 25 mars 1813, pris isolément? En rien, si ce n'est qu'il désignait la première chambre de chacune des cours royales, comme seule compétente pour recevoir les appels comme d'Abus. Mais si cette disposition n'est pas exprimée textuellement dans l'art. 5 du décret du 25 mars 1813, elle y est du moins sous-entendue; elle l'est même nécessairement par la force du principe que des formes une fois établies pour une espèce particulière de procédure, continuent d'être obligatoires tant qu'elles ne sont pas abolies ou remplacées par d'autres. En effet, c'était une règle aussi ancienne que les appels comme d'Abus, que la grand chambre de chaque parlement était seule compétente pour connaître des affaires de ce genre. Mais il y avait des parlemens où il n'existait pas de grand'chambre. Était-ce à dire pour cela que toutes les chambres de ces cours fussent compétentes pour statuer sur ces sortes d'affaires? Non, la première chambre y était, à cet égard, considérée comme grand'chambre, et en exerçait toutes les attributions: c'est ainsi que je l'ai vu constamment pratiquer au parlement de Douai, qui ne faisait, en

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