Page images
PDF
EPUB

Bénoît; ce que je possède, je le tiens à titre de vente; et je le prouve par un contrat.notarié, du 9 pluviôse an 4.

» Ses enfans ajoutaient : Nous ne possédons rien comme héritiers de Marcel Camus; ce que nous possédons, nous le tenons en vertu d'un échange passé entre notre père et un tiers acquéreur; et nous le prouvons par un acte authentique du 13 janvier 1755.

» De leur côté, les demandeurs attaquaient et le contrat d'échange du 13 janvier 1755, et le contrat de vente du 9 pluviôse an 4.

» Par un premier jugement du tribunal civil du département de l'Indre, ces deux contrats ont été déclarés nuls, et en conséquence les demandeurs ont été admis à reprendre les biens qu'ils réclamaient.

» Mais, sur l'appel, le tribunal civil du département de la Creuse a, par jugement du 16 prairial an 8, infirmé celui du tribunal de l'Indre, et débouté les demandeurs.

» Il s'agit de savoir si ce jugement a violé quelque loi, soit en validant, en faveur de la veuve de François Bénoît, le contrat de vente du 9 pluviôse an 4, soit en maintenant ses enfans dans les biens que leur père avait acquis par l'échange du 13 janvier 1755.

>> Les demandeurs prétendent d'abord qu'en validant le contrat de vente du 9 pluviôse an 4, il a violé l'art. 26 de la loi du 17 nivôse an 2.

[ocr errors]

Voyons dans quelles circonstances cet acte a été passé.

>> François Bénoít, Jeanne Catinat, son épouse, et Louis Bénoit, son frère, avaient vécu en communauté jusqu'à la mort du premier ; et cette communauté s'était continuée, après le décès de celui-ci, entre sa veuve, ses enfans et Louis-Benoît.

» Le 9 pluviôse an 4, Louis vend à sa belle-sœur le tiers qu'il avait dans la totalité des meubles et immeubles communs ; le contrat fixe le prix de cette vente à 1,700 francs, et il énonce que cette somme a été précédemment payée au vendeur.

>> Louis Bénoit meurt en l'an 7.

» La loi lui donne pour héritiers les enfans de Louis Bénoit, son frère germain, et les demandeurs qui sont ou qui représentent ses frères utérins.

» Les demandeurs viennent revendiquer leur part légale dans les meubles et immeubles qu'il a laissés.

» La veuve de François Bénoît leur oppose son contrat du 9 pluviôse an 4.

» Ils soutiennent que ce contrat est nul, 1o parcequ'il n'a pas été précédé d'un inventaire, et qu'aux termes de l'art. 20 du tit. 8 de la coutume de Berry, la communauté ne peut être dissoute que par un inventaire authentique ; 20 parcequ'il n'est qu'une donation déguisée, et que la preuve en résulte d'un testament par lequel Louis Bénoît avait, en 1783, institué la veuve de François Bénoît son héritière universelle ; 30 parceque l'art. 26 de la loi du 17 nivôse an 2 déclare nulle toute donation à charge de rente viagère et toute vente à fonds perdu, faite en ligne directe ou collatérale à l'un des héritiers présomptifs ou à ses descendans.

» Le tribunal d'appel ne s'est arrêté à aucun de ces trois moyens; et les demandeurs paraissent reconnaître eux-mêmes qu'il a bien jugé par rapport aux deux premiers, puisqu'ils ne les reproduisent plus.

» Dans le fait, rien de plus mal imaginé que celui qu'ils tiraient de l'art. 20 du tit. 8 de la coutume de Berry, puisque l'acte de vente du 9 pluviôse an 4 contenait l'inventaire général de toute la communauté, tant mobilière qu'immobilière, et que, par conséquent, cette communauté avait été dissoute par le contrat même qui avait transporté à la veuve de François Benoît le tiers qu'en possédait Louis Bénoit, son beau-frère. » Quant à la prétendue simulation de ce contrat, il ne suffisait pas de l'alléguer, il fallait

la prouver; et c'est ce que ne faisaient sûrement pas les demandeurs par la production d'un testament antérieur à la loi du 17 nivôse an 2. Car, de ce que j'ai voulu donner dans un temps où la loi me le permettait, il ne s'ensuit pas nécessairement que j'aie eu la même volonté, quand la loi a cessé de me le permettre; il ne s'ensuit pas surtout que j'aie voulu donner, quand j'ai déclaré que mon intention était de vendre.

» Mais, d'après cela même, que devient le deuxième moyen des demandeurs contre l'acte du 9 pluviôse an 4?

>> Cet acte est-il une donation à rente viagère? Il n'en a ni le nom, ni la forme, ni la substance.

» Est-il une vente à fonds perdu ? Pas davantage. Il énonce un prix payé d'avance; et un prix dont l'acquéreur s'est dessaisi, même avant de signer ce contrat, n'est assurément pas un prix qui reste entre ses mains à la charge d'une rente viagère.

» Mais quand on pousserait la complaisance

jusqu'à supposer à l'acte du 9 pluviôse an 4, le caractère d'une vente à fonds perdu, quelle application recevrait ici l'art. 26 de la loi du 17 nivôse an 2? Aucune. Ce n'est pas à l'un de ses héritiers présomptifs ni à ses descendans que Louis Benoît vend sa part dans la communauté; c'est à sa belle-sœur.

Sans doute sa belle-sœur est mère de plusieurs de ses héritiers présomptifs; mais l'art. 26 de la loi du 17 nivôse an 2 ne comprend pas dans sa prohibition les ascendans des successibles; il la limite aux successibles eux-mêmes et à leurs descendans, et c'est ici le cas de dire avec le §. 55 du décret du 22 ventôse an 2, interprétatif de cet article même, que la loi valide ce qu'elle n'annulle pas (1).

» Le jugement du tribunal de la Creuse est donc inattaquable en ce qui concerne les biens vendus par Louis Bénoît à sa belle-sœur, le 9 pluviôse an 4.

» Examinons-le maintenant dans ses dispositions relatives aux biens que François Bénoît avait acquis par échange en 1755.

Ces biens, les demandeurs les avaient, dans le principe, réclamés comme héritiers d'Alexandre Camus et de Catherine Valladoux, père et mère de l'un d'eux, et aïeux des autres,

» Mais on leur a prouvé que Marie Camus, l'une d'eux, et Gabriel Camus, père des autres, avaient renoncé, par acte du 15 avril 1763, aux successions d'Alexandre Camus et de Catherine Valladoux.

» Dès-lors, il leur a fallu changer de système; et ils se sont présentés comme héritiers de Marcel Camus, frère de Marie Camus, l'un d'eux, et oncle des autres.

» Voici comment ils ont raisonné à cet égard. » Alexandre Camus et Catherine Valladoux avaient eu trois enfans de leur mariage : Marie Camus, née en 1733, et encore vivante; Gabriel Camus, né en 1735, et mort en 1781; Marcel Camus, né en 1739, et Absent depuis plus de quarante ans sans que depuis on en ait reçu aucune nouvelle.

> Alexandre Camus et Catherine Valladoux sont morts; le premier, on ignore à quelle époque précise, la deuxième, après son mari et en 1751.

>> Par leur mort et par la renonciation de Marie et Gabriel Camus à leur succession, Marcel Camus, celui de leurs enfans qui est encore Absent, s'est trouvé leur seul héritier.

» Et comme il n'a point donné de nouvelles de son existence depuis son départ, on doit

(1) V. l'article Avantages aux héritiers présomptifs, J., n® 4.

[ocr errors]

présumer qu'il est mort à l'instant même de sa disparition.

» Il a donc transmis à Marie Camus, sa sœur, et à Gabriel Camus, son frère, tous les droits qu'il avait dans les biens de leur père et mère communs.

» Il leur a par conséquent transmis le droit d'attaquer l'aliénation qui avait été faite de ces mêmes biens par leurs tuteurs communs en 1754, et par suite, l'échange que l'acquéreur en avait fait en 1755, avec François Bénoit. » Or (continuent les demandeurs), c'est ce droit que nous exerçons aujourd'hui, et nous y sommes aussi recevables que fondés.

» Nous y sommes recevables, car on ne peut pas nous opposer de prescription.

» Nous y sommes fondés, car l'aliénation faite, en 1754, des biens de Marcel Camus, est évidemment nulle, à défaut des formalités requises pour l'expropriation légale des mi

neurs.

» Voilà tout le système des demandeurs, et comme vous le voyez, il se réduit à quatre propositions.

» Marcel Camus, Absent, est devenu seul héritier de son père et de sa mère, par la renonciation de Marie et de Gabriel Camus, son frère et sa sœur ; c'est la première.

» Marcel Camus est présumé mort du jour. de sa disparition, et par conséquent il a transmis, dès ce même jour, à son frère Gabriel et à sa sœur Marie Camus, le droit qu'il avait d'attaquer la vente de ses biens faite en 1754; c'est la seconde.

» La vente faite en 1754, est nulle; c'est la troisième.

» La nullité de cette vente n'a pas été couverte par la prescription; c'est la quatrième.

» Si ces quatre propositions sont vraies, nul doute que le tribunal civil de la Creuse n'ait mal jugé.

>> Mais s'il y en a une seule de fausse, le jugement du tribunal de la Creuse est à l'abri de toute censure.

» Or, 10 peut-on dire que Marcel Camus ait succédé à son père et à sa mère ?

» Cette question en renferme deux : l'une de fait, l'autre de droit.

» Dans le fait, y a-t-il preuve que Marcel Camus ait survécu à son père et à sa mère? Ou, en d'autres termes, y a-t-il preuve qu'il ne s'est absenté et n'a disparu qu'après que son père et sa mère eurent cessé d'exister? Non, les demandeurs n'ont rien prouvé, ils n'ont même rien articulé à cet égard; ils se sont bornés à dire qu'il y avait plus de 40 ans que Marcel Camus était Absent et n'avait point

donné de ses nouvelles, sans préciser, sans vérifier l'époque de sa disparition; et cependant la veuve de François Bénoît avait soutenu formellement, dans le procès-verbal de non conciliation du 26 frimaire an 7, que Marcel Camus était parti avant d'avoir rien eu en sa possession; ce qui signifiait bien clairement que son départ avait précédé l'ouverture des successions paternelle et maternelle; ce qui, par conséquent, imposait aux demandeurs l'obligation de prouver, au contraire, que les successions paternelle et maternelle étaient ouvertes avant son départ.

» Et au surplus, il est bien évident que le système des demandeurs reposant en entier sur la dévolution prétendue de tous les biens du père et de la mère de Marcel Camus, comme à leur héritier unique, c'était à eux à justifier le fait qui pouvait seul fournir une base plausible à ce système ; et que n'en ayant rapporté aucune preuve, surtout après la dénégation qu'en avait faite la veuve Bénoit, on doit regarder comme non constant que Marcel Camus ait recueilli la succession de ses père et mère avant de s'absenter; et que, par une conséquence ultérieure, il doit être permis aux adversaires des demandeurs de supposer que Marcel Camus était déjà disparu, lorsque ses père et mère sont décédés.

» Cela posé, une question de droit se présente : c'est de savoir si Marcel Camus peut être réputé avoir été saisi, malgré son absence et sa disparition, des deux successions ouvertes depuis qu'il s'est absenté et qu'il a disparu; et si par suite il les a transmises aux demandeurs, qui provisoirement se trouvent ses héritiers personnels.

>> Cette question tient à des principes sur lesquels les auteurs ne sont pas d'accord.

» Les uns prétendent que les héritiers provisoires, et généralement les ayant-cause d'un Absent, peuvent profiter de toutes les successions qui lui échoient pendant cent ans, parcequ'il est présumé vivre un siècle. C'est ce qu'enseigne Dunod, en son Traité des prescriptions, et c'est ce qu'ont jugé les arrêts de Tillement, en 1629, et de Lenglet en 1672. >> Les autres prennent un tempérament : ils font passer aux Absens les successions qui s'ouvrent dans les 7, 10, 15, 20, ou 40 années de leur absence suivant les termes que fixent les coutumes, pour autoriser leurs héritiers apparens à se mettre provisoirement en possession de leurs biens. C'est l'avis de Lebrun, et il paraît avoir été adopté par deux arrêts rapportés par Louis, sur l'art. 287 de la coutume du Maine.

» Enfin, il y a une troisième opinion adoptée par Dumoulin, sur les conseils d'Alexandre (tome 5, cons. 1, no 42); par Pothier, sur la coutume d'Orléans, et qui n'a presque plus aujourd'hui de contradicteurs : c'est que l'Absent est toujours censé mort, lorsqu'il s'agit de lui faire recueillir une succession qui serait ouverte à son profit, s'il paraissait. Le Journal des audiences nous fournit un arrêt du parlement de Paris, du 11 août 1719, qui l'a ainsi jugé Quand il s'agit d'acquérir (dit le rédacteur de ce recueil, en le rapportant), il faut se présenter et se montrer, soit par soi, soit par procureur, en vertu d'une procuration qui atteste l'existence; sinon, ceux qui sont présens, recueillent, sauf, au cas que l'Absent se représente, à lui accorder restitution, telle que de droit.

» Védel, en ses Observations sur Catellan, liv. 2, chap. 58, rapporte un arrêt du parlement de Toulouse, du 23 juillet 1723, qui a adopté le même principe.

» C'est ce qu'a pareillement jugé un arrêt du parlement de Bordeaux, du 13 mai 1771, rapporté dans le recueil de Salviat, question 23 (1).

» Ainsi, déjà se trouve fausse la première proposition, la proposition fondamentale des demandeurs; déjà il est démontré que Marcel Camus ne peut pas être censé n'avoir disparu qu'après la mort de ses père et mère, ni par conséquent leur avoir succédé.

» Mais, admettons pour un moment que sa disparition soit effectivement postérieure au décès de ses père et mère, et qu'il ait été réellement saisi de leurs successions, en conclura-t-on que, par sa disparition seule, les demandeurs ont acquis le droit d'attaquer, comme ses héritiers provisoires, la vente faite de ses biens en 1754?

>> Les demandeurs n'y trouvent aucune difficulté, et ils se fondent sur la règle que tout Absent est réputé mort du jour où il a cessé de donner de ses nouvelles.

» Mais cette règle, toute générale qu'elle est, a besoin d'explications; vraie sous un rapport, elle est erronée sous d'autres.

>> Dans l'exactitude des principes, l'Absent n'est présumé ni vivant, ni mort; c'est à celui qui a intérêt qu'il soit vivant, à prouver sa vie, comme c'est à celui qui a intérêt qu'il soit mort, à prouver son décès.

» Seulement après cent années écoulées

(1) Cette opinion est érigée en loi par les art. 135 et 156 du Code civil.

depuis sa naissance, toute espérance de retour est perdue, et sa mort est regardée comme constante, parceque, comme l'établit la loi 8, D. de usu et usufructu, l'âge de cent ans accomplis est le plus long terme de la vie ordinaire de l'homme.

» Mais une fois sa centième année révolue, il faut, en le regardant comme bien constam. ment décédé, déterminer à qui doit appartenir sa succession; et comme à compter du jour où l'on a cessé de recevoir de ses nouvelles, on n'a aucune preuve qu'il ait continué d'exister; nul ne peut dire que son hérédité se soit ouverte à une époque postérieure à celle de sa disparition : car pour soutenir le contraire, il faudrait prouver qu'il a vécu audelà de cette époque, et une pareille preuve est impossible. C'est donc aux parens qui auraient été appelés à lui succéder au moment où il a cessé de donner de ses nouvelles, s'il était décédé dès-lors, que la jurisprudence défère sa succession; et elle la leur défère, en établissant une fiction qui le répute mort à dater de ce moment.

» Cette fiction ne produit son entier effet qu'à l'époque à laquelle il ne peut plus y avoir de doute sur la mort de l'Absent, c'est-à-dire, quand il s'est écoulé cent ans depuis sa nais

sance.

» Alors, ceux de ses parens qui, à l'instant de sa disparition, étaient désignés par la loi pour lui succéder, sont définitivement saisis, à compter de sa disparition elle-même, de tous les biens qu'il a laissés. Jusqu'alors, ils n'en ont que la garde, l'administration, la jouissance provisoire.

» Tel est le but, tel est le résultat de la fiction dont il s'agit.

» Elle n'a été introduite que par la nécessité de déterminer avec précision quelles sont les personnes qui doivent succéder à l'Absent, lorsque la succession est ouverte par la révolution de sa centième année; et comme toute fiction de droit est essentiellement limitée aux cas pour lesquels elle a été admise, celle dont il est question ne peut pas empêcher que, pour tout autre objet, l'on ne tienne invariablement au principe que l'Absent, jusqu'à sa centième année, ne doit pas plutôt être présumé mort que vivant, et que son décès doit être prouvé par tous ceux qui forment des demandes dont la certitude de son décès est le fondement.

>> Et qu'on ne vienne pas dire qu'il y a de l'inconséquence, de la contradiction, à ne pas réputer l'Absent mort à tous égards, tandis

[blocks in formation]

» Ainsi, un Absent jouissait-il, à l'époque de sa disparition, de quelques immeubles à titre d'usufruit, sa jouissance doit continuer à son profit, ou, si l'on veut, au profit du gardien légal de sa succession, au profit de son héritier provisoire, jusqu'à ce qu'il se soit écoulé cent ans depuis sa naissance.

>> En vain le propriétaire viendra-t-il, avant cela, demander que l'usufruit soit réuni à la nue propriété, sous prétexte que l'usufruitier est réputé mort du jour qu'on a cessé d'avoir de ses nouvelles; on lui répondra avec succès, que c'est à celui qui se constitue demandeur sur le fondement de la mort d'un autre, à la prouver.

» Et c'est ainsi que le décide expressément Dumoulin, sur la coutume de Paris, titre des fiefs, §. 1, gl. 2, no 4.

» Un Absent a-t-il, avant son départ, fait un testament? Il faut que les légataires, appelés par cet acte, justifient de sa mort pour obtenir la délivrance de leurs legs; et il ne leur servira de rien d'invoquer la fiction qui le fait réputer mort du jour de sa disparition absolue : il suffira de leur répondre qu'ils sont demandeurs, que leur demande ne peut être accueillie qu'autant que la mort du testateur se trouve certaine, et que ce n'est point par une fiction, mais par une preuve directe, que cette mort doit être constatée.

» Ainsi l'a jugé un arrêt du parlement de Toulouse, du 2 juin 1650, rapporté par Catellan, liv. 2, chap. 67.

» L'Absent a-t-il, par des donations entrevifs, entamé les réserves légales ou coutumières de ses héritiers? Ceux-ci ne pourront faire réduire les donations au taux de la loi ou de la coutume, qu'à l'expiration du délai de cent années. Avant ce temps, les donataires seront fondés à leur dire : Nous jouissons en vertu d'un titre de propriété qui ne peut pas être attaqué par le donateur luiméme, ses héritiers seuls ont ce droit, mais ils ne l'ont qu'à sa mort. Ainsi, ou prouvez qu'il est décédé, ou laissez-nous jouir, jus

qu'à ce que le laps de cent ans ait fait cesser tous les doutes sur sa mort,

» Et il a été ainsi jugé par arrêt du parlement de Paris, du 13 juillet 1654, rapporté dans le recueil de Henrys, tome 2, livre 6, question 36 (1).

» Enfin les biens de l'Absent se trouventils, comme dans notre espèce, entre les mains d'un tiers acquéreur, qui les possède depuis plus de 40 ans, et que l'héritier provisoire de l'Absent veut évincer par des moyens qui ne peuvent réussir qu'en supposant celui-ci mort à l'époque de sa disparition totale? C'est toujours le même principe qui prédomine : l'héritier provisoire est demandeur, il s'est constitué tel sur le fondement de la mort de l'Absent; il faut donc qu'il la prouve; et s'il ne la prouve pas, sa demande doit être rejetée (2).

» La deuxième proposition des demandeurs p'est donc pas plus vraie que la première; ils sont bien héritiers provisoires de Marcel Camus; ils le sont bien à compter du jour où il a disparu tout-à-fait ; mais cela n'empêche pas que, vis-à-vis d'un tiers, ils ne soient tenus de prouver sa mort, s'ils sont demandeurs contre ce tiers, et si leur demande est d'une telle nature, qu'elle ne puisse pas être accueillie sans la certitude que Marcel Camus a cessé d'exister à l'époque où il a cessé de donner de ses nouvelles.

» Or, nous verrons bientôt que c'est précisément dans cette position que les demandeurs se trouvent.

» Examinons maintenant leur troisième proposition, et voyons si, comme ils le soutiennent, la vente faite en 1754, des biens des mineurs Camus, est nulle.

» Elle l'est, suivant les demandeurs, parce qu'elle n'a été précédée, ni d'une vente légale du mobilier, ni d'une évaluation d'experts, ni de publications et d'affiches; enfin, parcequ'elle n'a pas été faite en justice, à la chaleur des enchères.

>> Toutes ces formalités sont, sans contredit, très utiles pour prévenir tout abus dans la

(r) On ne doit pas perdre de vue que ceci a été écrit avant l'art. 123 du Code civil. Aujourd'hui, tous les tiers qui ont, sur les biens de l'Absent, des droits subordonnés à son décès, ne sont plus assujétis à la preuve de son décès, même vis-à-vis de l'héritier qui, après avoir fait déclarer l'absence, a obtenu l'envoi en possession provisoire. V. le Répertoire de jurisprudence, au mot Absent, observations sur les art. 115 et 123 du Code civil.

(2) V. encore, sur cette matière, l'article Vie, §. 2.

vente des biens des mineurs ; mais sont-elles ; rigoureusement nécessaires?

»Elles le sont dans la coutume de Paris, d'après la disposition expresse de deux arrêts de réglement, des 9 avril 1630 et 28 février 1722.

» Le sont-elles également dans la coutume de Berry? Les deux arrêts que nous venons de citer, n'ont été publiés dans aucun des tribunaux de cette contrée : ils ne l'ont été et n'ont dû l'être qu'au Châtelet, parcequ'ils n'ont été faits que pour le ressort de ce tribunal. Nous ne pouvons donc nous déterminer ici, ni par l'un ni par l'autre arrêt ; et à défaut absolu de loi générale sur cette matière, nous ne pouvons interroger que le texte de la coutume de Berry elle-même.

» Or, la coutume de Berry, tit. 1, art. 4, n'exige que deux choses pour la validité de l'aliénation des biens d'un mineur: autorité de curateur et décret de juge.

Ici il y a eu, non seulement autorité de tuteur et décret de juge, mais encore avis de parens ; car le juge n'a rendu son ordonnance, portant autorisation de vendre, qu'après avoir entendu les parens des mineurs Camus, et leur consentement.

» On a donc fait, dans cette vente, tout ce qui était rigoureusement nécessaire pour la rendre légale, on a même fait quelque chose de plus; et dès-là, point de moyen pour la faire déclarer nulle, faute de formalités.

» Dira-t-on qu'au défaut du texte de la coutume, ou doit recourir au droit romain?

» Supposons-le : que trouvera-t-on dans le droit romain sur cette matière? Rien de plus que dans la coutume de Berry, si ce n'est qu'il défend au juge d'accorder son autorisation pour vendre avant d'avoir entendu les parens, formalité qui, dans notre espèce, a été remplie.

» Du reste, le droit romain n'exige aucune des autres formalités dont les demandeurs font ici valoir l'omission; il se contente de l'autorisation du tuteur ou curateur, et du décret de justice. C'est ce qu'établit Simoncellus, dans son Traité de decretis, liv. 1, tit. 2, no 64; et sa doctrine a été confirmée solennellement par un arrêt de révision du grand conseil de Malines, du 5 septembre 1643, rapporté dans le recueil de Dulaury S. 102.

» Encore une fois, nous ne prétendons pas que les autres formalités dont il s'agit, n'aient été sagement ordonnées dans la coutume de Paris, et que l'usage qui les a fait adopter

« PreviousContinue »