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presque partout ailleurs, ne mérite des éloges.

» Mais leur omission emporte-t-elle nullité, et un jugement qui décide que non, peut-il pour cela être cassé? Voilà le point sur lequel il faut se fixer; et certainement les demandeurs ne parviendront jamais à le faire résoudre en leur faveur.

» Cependant supposons que la vente dont il est ici question, manque de quelques unes des formalités requises pour sa validité; au moins, la prescription, ne suffira-t-elle pas pour écarter les demandeurs?

» Non, s'écrient-ils, parcequ'on ne peut pas prescrire en vertu d'un titre vicieux.

» Mais un titre peut être vicieux de deux manières : ou parcequ'il est inhabile à rendre le possesseur propriétaire, quoiqu'il soit valable en lui-même; ou parcequ'il est nul dans l'hypothèse, quoique capable par luimême, de transférer la propriété.

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» Sans doute, dans le premier cas c'està-dire, lorsque le vice du titre provient du défaut d'habileté à transférer le domaine, le possesseur ne peut jamais prescrire, parcequ'il ne jouit pas animo domini, et que conséquemment il n'a pas cette possession civile, qui est la condition essentielle et fondamentale de la prescription.

» Mais, dans le second cas, on sous-distingue ou la nullité est absolue, c'est-à-dire, introduite uniquement pour l'intérêt général et direct de la société ; ou elle est relative, é; c'est-à-dire, établie l'intérêt des parpour ticuliers ou de certaines corporations.

» Quand le titre est frappé d'une nullité véritablement absolue, point de prescription. La loi résiste continuellement à l'exécution que ce titre pourrait avoir; elle le réduit à un pur fait, qui ne peut être ni autorisé ni confirmé, et qui ne produit aucun droit,aucune action, aucune exception.

» Mais les nullités relatives ne forment, en aucun cas, obstacle à la prescription. Comme elles ne sont introduites qu'en faveur de certains individus ou de corps particu liers, nul autre n'est recevable à les proposer; et l'action qu'elles produisent, étant de droit purement privé, rien n'empêche qu'elle ne s'éteigne par le laps de temps.

» Ainsi, nonobstant la défense d'aliénér les fonds dotaux, de vendre sans nécessité et sans décret de justice, les biens des pupilles et des mineurs, de contracter sans l'autorité du père ou du mari, la prescription couvrira les nullités de l'aliénation d'un fonds dotal,

fait par un fils de famille ou par une femme non autorisée.

» La première objection que les demandeurs opposent à la prescription réclamée par la veuve Bénoit et ses enfans, tombe done d'elle-même.

» La seconde est tirée de l'art. 2 du tit. 12 de la coutume de Berry, qui ouvre aux mi neurs la voie de la restitution en entier contre la prescription de 30 ans, à laquelle les soumet l'art. 1er du même titre.

» Les demandeurs infèrent de cet article, qu'on ne peut jamais prescrire utilement contre un mineur, parcequ'il peut toujours sè faire restituer en entier contre la prescription qui serait acquise à son désavantage; et cette induction les conduit à une autre conséquence: c'est qu'il ne peut pas y avoir de prescription, si l'on n'a possédé pendant 30 ans, contre un majeur.

Il y aurait bien quelques observations à faire sur ce principe; mais pour simplifier la discussion, admettons-le purement et sim plement; et voyons comment les demandeurs en font l'application à leur cause.

» Marcel Camus, disent-ils, est réputé mort du jour de sa disparition; et dès ce jourlà même, nous sommes devenus ses héritiers de plein droit; ainsi, ce n'est pas contre lui, c'est d'abord contre notre père, et ensuite contre nous, que François Bénoît, sa femme et ses enfans, ont possédé.

» Or, Gabriel Camus, notre père, n'est devenu majeur qu'en 1760, et il est mort en 1781. Il n'y a donc eu contre lui que 19 ans de possession utile.

» Quant à nous, nous ne sommes devenus respectivement majeurs qu'en 1787 et en 1793; ainsi, il n'y a contre l'un de nous que sept ans et demi, et contre l'autre que 17 mois de possession.

» Dès-là, point de possession trentenaire à nous opposer; par conséquent, point de prescription.

>> En raisonnant ainsi, les demandeurs laissent à l'écart Marie Camus, qui pourtant fait cause commune avec eux, et qui, étant née en 1733, est devenu majeure en 1758; ce qui, jusqu'au 22 pluviôse an 3, jour de la première demande, donne contre elle une possession utile de 36 ans.

>> Mais attachons-nous au raisonnement que les demandeurs font par rapport aux deux d'entre eux qui descendent de Gabriel Camort en 1781.

mus,

>> Ce raisonnement repose tout entier sur

de la vente d'un bien pupillaire, d'un contrat la supposition que Marcel Camus doit être

réputé mort du jour de sa totale disparition, et qu'à compter de ce même jour, Gabriel Camus est devenu, à titre d'héritier, propriétaire des biens dont il s'agit.

» Mais cette supposition est détruite à l'avance par les principes que nous avons toutà-l'heure développés; et il doit maintenant passer pour bien constant que, si, pour déposséder leurs adversaires des biens dont ceux-ci jouissent depuis l'an 1755, ils ont besoin de la mort de Marcel Camus, il faut qu'ils fassent preuve de cette mort; et qu'il n'y a point de fiction de droit qui, en cette matière, puisse détourner d'eux l'application de la règle qui veut que tout demandeur soit débouté, s'il ne prouve le fait qui est le fondement de sa demande.

» Ce n'est donc pas contre Gabriel Camus ni contre Marie Camus, sa sœur, c'est contre · l'Absent Marcel Camus, leur frère, que François Bénoît et ses héritiers sont censés avoir possédé ; or, Marcel Camus est devenu majeur en 1764; conséquemment il y a contre lui plus de 31 ans de possession utile ; et par une conséquence ultérieure, la prescription est complètement acquise aux héritiers Bénoît.

» Ainsi l'a jugé le tribunal civil de la Creuse; et certes, quand il n'aurait pas aussi bien jugé en cela qu'il l'a fait, du moins il n'aurait, en jugeant ainsi, violé aucune loi, ni par conséquent donné prise à la cassation de son jugement.

» Par ces considérations, nous estimons qu'il y a lieu de rejeter la requête, et de condamner les demandeurs à l'amende ».

Ces conclusions ont été adoptées par arrêt du 21 ventôse an 9, au rapport de M. Poriquet,

<< Attendu, sur les moyens de forme, etc; » Attendu que la vente faite par Louis Bénoit à la veuve Catinat, sa belle-sœur, le 9 pluviôse an 4, n'est ni une vente à rente viagère, ni une vente à fonds perdu, et que d'ailleurs la veuve Catinat n'était ni la successible, ni descendante des successibles de Louis Bénoit; d'où il résulte que le jugement qui a déclaré cette vente valable, n'a violé aucune des dispositions de la loi du 17 nivóse an 2;

>> Attendu que les demandeurs n'ont pas justifié du décès de Marcel Camus Absent, qui, jusqu'à la preuve contraire, est réputé, relativement aux tiers personnes intéressées à son existence, devoir vivre jusqu'à cent ans; et qu'ainsi, c'est contre lui seul, comme l'a décidé le jugement attaqué, que la prescription a dû courir, et a été acquise en effet par la possession plus que trentenaire que

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II. Aurait-on pu juger de même, si les héritiers provisoires avaient obtenu l'envoi en possession des biens de l'Absent à une époque assez reculée pour qu'il ne se fût plus trouvé, au profit du tiers-détenteur, trente ans de possession utile?

Non. V. ce que je dis sur l'art. 134 du Code civil, au mot Absent, dans le Répertoire de jurisprudence.

S. IV. Lorsqu'il s'agit de pourvoir, non à la conservation des droits d'un militaire Absent pour cause de service en temps de guerre, et dont on n'a point de nouvelles, sur une succession ouverte à son profit pendant son absence, et qui lui serait dévolue s'il vivait encore ; mais à la conservation des droits qui lui étaient acquis avant sa disparition, est-ce par le conseil de famille qu'il doit lui être nommé un curateur, conformément à la loi du 11 ventôse an 2; ou cette nomination appartient-elle, d'après la règle générale écrite dans l'art. 112 du Code civil, au tribunal de première instance? Je crois avoir prouvé, dans le Répertoire de jurisprudence, au mot Absent (observations sur l'art. 113 du Code civil, no 6), que la loi spéciale du 11 ventôse an 2 est inapplicable à ce cas; et qu'alors il n'appartient qu'au tribunal de première instance de nommer un curateur à l'Absent.

Aux trois arrêts cités au même endroit de la cour supérieure de justice de Bruxelles, qui l'ont ainsi jugé, s'en joint encore un de la cour royale de Paris, du 9 juillet 1822, qui est rapporté dans le journal des Audiences de la cour de cassation, année 1823, supplément, page. 106.

Mais il semblerait, au premier abord, que l'on peut opposer à ces arrêts celui que la cour de cassation a rendu depuis, dans l'espèce suivante.

Le 17 décembre 1813, délibération d'un conseil de famille qui, attendu que Jacques Bréban, militaire, est Absent depuis plusieurs années, et que l'on ignore ce qu'il est devenu, nomme le sieur Damray curateur à ses biens et affaires.

Le 20 décembre 1818, le sieur Damray fait, en sa qualité, signifier au sieur Garnier un commandemnet de payer trois années de fermage d'un domaine appartenant à Jacques Bréban.

Le sieur Garnier lui oppose une fin de non-recevoir qu'il fait résulter de ce qu'aux termes de la loi du 11 ventôse an 2, le conseil de famille était incompétent pour lui conférer la qualité de curateur. Mais comment justifie-t-il cette proposition? Expose-t-il que la loi du 11 ventôse an 2 ne porte que sur le cas où il échoit une succession à un militaire Absent, et qu'elle est étrangère à celui où il s'agit de pourvoir à l'administration des biens de ce militaire? Non. Raisonnant comme si la loi du 11 ventôse an 2 assimilait ces deux cas l'un à l'autre, il se borne à soutenir, contre le texte formel de l'art. 2 de cette loi, que la disposition n'en est applicable qu'au militaire de qui l'on a des nouvelles.

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Le 21 mars 1819, jugement en dernier ressort du tribunal de première instance d'Issoudun, qui, en effet, déclare illégale la nomination faite par le conseil de famille de la personne du sieur Damray aux fonctions de curateur, « Attendu que la loi du mois de » ventôse an 2, en réglant la manière de sti❤ » puler les intérêts des militaires Absens, n'a » entendu parler que des militaires qui étaient » momentanément sous les drapeaux, à de grandes distances, et hors d'état de stipu» ler leurs intérêts; qu'il y a une grande dif» férence entre un Absent et un présumé » Absent; que l'Absent est celui qui est à un » éloignement tel que, d'après son état, on » ne peut stipuler ses intérêts; que le pré»sumé Absent, au contraire, est celui dont >> on n'a point de nouvelles, dont on ignore » le sort depuis plusieurs années, et dont on » doit craindre la mort; que Jacques Bréban » est dans cette dernière cathégorie; que ce » n'est point un militaire existant sous les » drapeaux, à une très-grande distance, mais » bien un militaire présumé Absent, puis» qu'on n'a pas reçu de ses nouvelles depuis >> plusieurs années; que, dans cette dernière hypothèse, c'est l'art. 112 du Code civil qui » doit régler les poursuites et faire la loi des >> tribunaux ».

Ce jugement n'avait d'autre défaut que celui d'être motivé d'une manière qui choquait ouvertement l'esprit et la lettre de la loi du 11 ventôse an 2. Cependant il a été attaqué par un recours en cassation: et qu'at-on dit pour le défendre? Rien de plus que le tribunal qui l'avait rendu. Au lieu d'établir que la loi du 11 ventôse an 2, par cela seul qu'elle est spéciale, doit être restreinte dans ses termes précis, et qu'on ne peut pas l'étendre à l'administration des biens personnels des militaires Absens sans nouvelles,

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on a soutenu «qu'elle suppose toujours que le >> militaire aux intérêts duquel elle pourvoit » est vivant, puisque toutes ses dispositions » ont pour but la conservation de ses biens » et de ses droits, sans que rien ait trait aux » droits de ses héritiers, et se rattache à la >> supposition de son décès; qu'il faut, dès» lors, pour le cas où un militaire est présumé » Absent, c'est-à-dire, lorsqu'il y a incerti»tude sur le fait de son existence, chercher » les règles applicables dans le Code civil, » qui dispose d'une manière générale pour le » cas où il y a plus que simple éloignement, » où il y a présomption d'absence ».

En conséquence, par arrêt du 9 mars 1824, au rapport de M. Gandon, et sur les conclusions de M. l'avocat général Jourde,

« Vu la loi duiventôse an 2 (1 mars 1794)...; » Attendu qu'il est constaté par le jugement attaqué lui-même, que, par délibération du conseil de famille du 17 décembre 1813, le demandeur a été nommé curateur à l'absence de Jacques Bréban, militaire, et ce en conformité de la loi du 11 ventôse an 2; que l'unique motif donné par le tribunal d'Issoudun, pour annuler cette nomination, est que la loi de l'an 2 n'a entendu parler que des militaires qui se trouvent momentanément à de grandes distances sous leurs drapeaux, et non des militaires présumés Absens dont on n'a pas reçu de nouvelles ;

» Attendu que le texte de la loi du 11 ventôse an 2 n'autorise point une pareille distinction; qu'il parle généralement des militaires Absens ; que c'est dans ce sens que la loi a toujours été entendue et appliquée; et qu'on en trouve la preuve dans la circulaire du 16 décembre 1807, où le grand-juge applique précisément cette loi à des militaires dont on voulait faire déclarer l'absence; que c'est aussi dans ce sens que les arrêts des cours royales en ont fait l'application; que cette classe d'Absens, aux intérêts de laquelle on a pourvu par une législation spéciale, ne commence à être soumise aux effets ordinaires de l'absence, tels qu'ils sont déterminés par le Code civil, que lorsque, d'après la loi du 13 janvier 1817, leur famille ou les autres parties intéressées ont fait déclarer l'absence par un jugement;

>> Que le tribunal, dont la décision est attaquée, a donc créé une distinction arbitraire; qu'il a, par suite, dans l'espèce, fait une fausse application de l'art. 112 du Code civil, et commis une contravention expresse à la loi du 11 ventôse an 2;

» La Cour casse et annulle.... (1) ».

Rien de plus contraire en apparence que cet arrêt à ceux des Cours de Paris et de Bruxelles, qui ont adopté l'opinion à laquelle je crois devoir me ranger. Cependant, bien examiné, , que juge-t-il? Rien autre chose, si ce n'est que la loi du 11 vontôse an 2 comprend dans sa disposition les militaires qui sont Absens, tout aussi bien que ceux sur l'existence desquels il n'y a pas de contes- . tation, quoiqu'on n'ait pas d'eux de nouvelles directes. Il ne juge donc pas que l'on doit étendre cette loi hors du cas précis qu'elle a pour objet, et que la disposition en est applicable à celui où il s'agit de pourvoir à l'administration des biens personnels des militaires Absens, sans nouvelles. A la vérité, il le suppose, parceque les deux parties étaient

erronément d'accord là-dessus. Mais on ne peut pas conclure de là qu'il l'eût jugé formellement, si cela eût été mis en question.

§. V. Les héritiers présomptifs qui ont fait déclarer l'absence, et obtenu l'envoi en possession provisoire des biens d'un homme engagé dans les liens du mariage, peuvent-ils, comme s'ils lui avaient succédé par suite de son décès légalement justifié, contester la légitimité des enfans auxquels son épouse a donné le jour depuis qu'il a disparu et cessé de donner

de ses nouvelles?

V. l'article Légitimité, §. 8.

ABSOLUTION. V. les articles Délit et Non bis in idem.

ABUS (APPEL COMME D' ). A quelle autorité appartient aujourd'hui la connaissance des ap. pels comme d'Abus? Est-ce au conseil d'état, conformément aux art. 6 et 7 de la loi du 18 germinal an 10? Est-ce aux cours royales, conformément à l'art. 5 du décret du 25 mars 1813?

Que les art. 6 et 7 de la loi du 18 germinal an 10 aient introduit en France une grande innovation, lorsqu'ils ont dit, l'un, qu'il y aurait recours au conseil d'état, dans tous les cas d'Abus de la part des supérieurs et autres personnes ecclésiastiques; l'autre, qu'il y aurait pareillement recours au conseil d'état, s'il était porté atteinte à l'exercice public du culte, et à la liberté que les lois et les réglemens garantissent à ses ministres : c'est une vérité qu'il est impossible de méconnaitre.

(1) Bulletin civil de la Cour de cassation, tome 24, page 87.

Jusqu'alors, l'appel comme d'Abus avait été universellement considéré comme une voie de droit purement judiciaire; et le pouvoir exclusif des tribunaux souverains d'en connaître, établi d'abord comme de lui-même et par la seule force d'une jurisprudence dont les monumens remontaient à plus de quatre siècles, avait été reconnu et consacré par une foule de lois qui en avaient réglé l'exercice, notamment par les art. 6 et 7 de l'ordonnance de 1539; par l'art. 5 de l'édit du 16 avril 1571; par l'art. 59 de l'ordonnance de Blois de 1579; par l'art. 1 de l'édit de Melun, de 1580; par les art. 2 et 6 de l'édit du mois de décembre 1606; par un édit du mois de décembre 1610; par l'édit du mois de décembre 1633, portant création du par lement de Metz; par l'art. 7 de l'édit du mois de février 1694, portant réglement pour la discipline du parlement de Besançon; par les art. 11, 18, 20, 29, 35, 36 et 37 de l'édit de 1695, concernant la juridiction ecclésiastique; par la déclaration du 22 août 1702; concernant la juridiction primatiale de l'archevêque de Lyon; par les lettres-patentes du 6 octobre 1722, qui dispensaient l'archevêque de Besançon d'établir un official forain en Alsace; par celles du 15 avril 1744, qui dispensaient l'archevêque de Lyon d'établir un official forain en Franche-Comté, pour le jugement des appellations des sentences rendues l'official de l'évêché de Saint-Claude, etc.

par

Il s'était néanmoins écoulé, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV, un espace de temps assez considérable pendant lequel le pouvoir judiciaire avait été réduit, dans une très-petite portion de la Belgique française, au simple rôle de dénonciateur des entreprises de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction séculière et forcé d'en laisser le jugement définitif au conseil d'état. Mais comment cette anomalie s'était-elle introduite, et comment avait-elle cessé? C'est ce qu'il ne sera pas inutile d'expliquer le plus succinctement possible.

Avant la cession faite par le roi François Ier à l'empereur Charles-Quint, de la souveraineté des provinces de Flandre et d'Artois, le grand conseil de Malines, juge supérieur de ces pays, était, comme toutes les cours souveraines de l'intérieur de la France, en possession de recevoir et de juger définitivement les appels comme d'Abus ; et il y avait ensuite été d'Espagne, de 1559, connue sous le nom de maintenu par l'ordonnance de Philippe II, roi Style du grand conseil de Malines, titre des requêtes et provisions de justice, art. 14.

Mais insensiblement on s'était habitué, dans le ressort de ce tribunal, à substituer aux mots

appel comme d'Abus, les termes de recours au prince, qui étaient plus usités dans les conseils souverains de Brabant et de Hainaut, et exprimaient absolument la même idée, comme on peut s'en convaincre par les longs développemens dans lesquels entre là-dessus Van Espen, dans son savant traité de recursu ad principem.

Ce changement de dénomination en amena bientôt un dans les choses. Le roi Philippe II, ne voyant, dans la connaissance que prenaient les cours souveraines des Pays-Bas, de ce qu'on appelait le recours au prince, que l'exercice d'un pouvoir qu'il leur déléguait, et qu'il lui était libre de ne pas leur déléguer, prit le parti de le réserver à son conseil, non pas, à la vérité, pour le cas où il s'agirait d'entreprises de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction séculière, mais pour le cas où il s'agirait d'entreprises de la juridiction séculière sur la juridiction ecclésiastique; et c'est ce qu'il fit en ces termes, par l'art. 16 de son placard du 1er juin 1587, confirmatif des décrets du concile provincial de Cambrai, de 1586: « Veuillant >> mettre ordre à ce que la juridiction ecclésias» tique soit maintenue et conservée si avant » que de raison, nous défendons à tous nos con»saux et siéges provinciaux, et toutes autres » justices séculières, de n'entreprendre sur la » dite juridiction ecclésiastique, ni prendre » connaissance des causes criminelles ou civiles » sur les personnes desdits ecclésiastiques, >> chapitres ou monastères, ni permettre iceux » être attirés par les juges subalternes de leur >> ressort, sauf ès cas auxquels ils sont de temps » immémorial accoutumés de ce faire ; et où à » cette occasion lesdits archevêques et évêques » prétendaient y avoir emprinse, auront leur

» recours vers nous ou vers nos très-chers et

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féaux les chefs président et gens de notre con»seil privé, pour y ordonner ce que de raison ». Remarquons bien qu'il n'est question dans

cet article que des entreprises de la juridiction

séculière sur la juridiction ecclésiastique, et que, dans l'article suivant, le même prince, s'occupant des entreprises de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction séculière, s'exprima tout autrement; voici ses propres termes:

«Quand les dits juges ecclésiastiques auront » cité quelques personnes qui se prétendent » exemptes de leur juridiction, nous ordon» nons à nos consaux et siéges provinciaux, » que leur en étant fait plainte, auparavant » décerner quelque provision de saisissement » ou cassation (1), ils aient à écrire audit juge

(1) C'est-à-dire, avant de prononcer, soit la maintenue en possession du réclamant dans l'exemption

› ecclésiastique, afin d'avertir que c'est du procès, de quelle matière il y a question, sur » quoi le demandeur fonde la connaissance du » juge ecclésiastique, et si lui semble la matière » disposée pour soumettre ledit lay à sa juridic » tion, et par quelle raison: pour, la rescrip>>tion vue et examinée en conseil, si les raisons » sont trouvées insuffisantes, requérir ledit » juge ecclésiastique itérativement de se dé» porter de ladite connaissance, à peine d'y » pourvoir par les remèdes accoutumés, comme » en cas de défaut ils feront, tenant, pendant » cette communication, toutes procédures en >surséance »>..

Il est clair qu'en s'expliquant ainsi sur le cas où il y aurait réclamation contre une entreprise de la juridiction ecclésiastique sur la juridiction séculière, Philippe II n'entendait pas en réserver la connaissance définitive à son conseil, et que, bien loin de là,il voulait que les tribunaux prononçassent définitivement, après avoir mis la juridiction ecclésiastique en demeure de justifier les actes attaqués. Aussi trouve-t-on, dans l'ouvrage déjà cité de Van Espen, une foule d'arrêts du grand conseil de Malines et des conseils souverains de Brabant et de Hainaut, qui, statuant sur les réclamations portées devant ces cours, par des particuliers, annulent, comme contraires aux lois de l'État, soit des ordonnances d'évêques, soit des sentences d'officiaux, soit des actes de simples ecclésiastiques,

Ce fut cependant cet article qui, dans le siècle suivant, servit de prétexte au conseil d'état de Louis XIV pour s'attribuer, dans le diocèse de Tournai, la connaissance des réclamations élevées, soit par le ministère public, soit par les parties intéressées, contre les entreprises de la juridiction ecclésiastique..

Le conseil souverain établi à Tournai par l'édit de Louis XIV du mois d'avril 1668 (de

puis érigé en parlement par des lettres-pa

tentes du mois de février 1686, et transféré à Douai par un édit du mois de décembre 1713), avait été saisi d'appels comme d'Abus interje tés d'actes émanés de l'évêque de Tournai et de son official. Au lieu de défendre à ces ap

pels, l'évêque se pourvut au conseil ; et là, après une instruction contradictoire, il inte.

de la juridiction ecclésiastique, soit la nullité de la citation décernée contre lui; et il est à remarquer à ce sujet que les mots voie de cassation étaient alors, dans la Belgique, synonymes d'appel coume d'Abus Témoins les passages de Chrystin et de Zypœus, cités par Van Espen, de recursa ad principen, chap. 5, § 1.

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