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DU CODE CIVIL

LIVRE TROISIÈME

1.

TITRE III

DES CONTRATS ou des obliGATIONS CONVENTIONNELLES EN GÉNÉRAL.

CHAPITRE VI

DE LA PREUVE DES OBLIGATIONS ET DE CELLE DU PAYEMENT.

Le Code, dans ce sixième et dernier chapitre du titre Des Obligations conventionnelles, traite des moyens par lesquels on peut établir, soit l'existence d'une obligation, soit son extinction.

Nous disons qu'il s'agit de la preuve, soit de l'obligation, soit de l'extinction de cette obligation, et non pas seulement de celle du payement, comme le dit notre rubrique et comme le disait aussi Pothier (part. 4). Il est évident, en effet, qu'il importe peu par quelle cause le débiteur s'est trouvé libéré, et que ce débiteur devra tout aussi bien être renvoyé de la demande quand il établira que sa dette s'est éteinte par novation, par compensation ou autrement, que lorsqu'il fera preuve d'un payement: aussi l'art. 1315 nous dit-il que le débiteur doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction... On pourrait dire, au surplus, que le mot payement est employé par notre rubrique dans son sens générique et pour signifier toute rupture du lien (solutio), tandis que l'art. 1315 l'emploie dans son acception spéciale.

II. Ce chapitre, après avoir d'abord déclaré (art. 1315) par qui la preuve doit être faite, en posant sur ce point une règle que la raison fait assez comprendre à priori, va nous indiquer (art. 1316) cinq classes de preuves dont chacune sera l'objet d'une section particulière.

1315. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation, doit la

prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

T. V.

1

SOMMAIRE.

I.

La preuve de toute prétention incombe à celui qui la soulève et qui veut renverser l'état des choses préétabli.

II. Suite et sens des maximes Probatio incumbit actori; negat.

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Ei qui dicit, non ei qui

III. Application du principe à l'obligation dont l'acte n'énonce pas la cause : c'est au débiteur de prouver que la cause n'existe pas. Erreur de MM. Duranton, Zachariæ, etc.

I. La raison dit que c'est toujours à celui qui avance une allégation que son adversaire conteste, de la justifier. Quand vous élevez une prétention contre moi, et que je la soutiens fausse, c'est à vous d'en établir le fondement, et non pas à moi d'en prouver l'inexactitude.

C'est bien ainsi que l'entend notre article, quand il dit que celui qui se prétend créancier doit prouver sa créance, et que le débiteur qui se dit libéré doit établir sa libération. Mais la proposition n'est pas assez large, et il faut dire d'une manière plus générale, plus absolue, que c'est toujours à celui qui soulève une prétention nouvelle, quelle qu'elle soit, d'en faire la preuve.

Ainsi, et pour prendre ici un exemple que nous offre la disposition de l'art. 1302, si je prétends que vous vous êtes obligé à me livrer tel cheval, c'est à moi, en cas de dénégation de votre part, de prouver votre obligation; -Si, ma créance n'ayant jamais été niée par vous ou se trouvant prouvée contre vous, vous prétendez qu'elle s'est éteinte par la mort fortuite du cheval que vous me deviez, et que je conteste ce point, c'est à vous de prouver qu'en effet l'animal a péri par accident;

Que si, ce fait étant reconnu par moi ou établi par vous, j'allègue que cette mort par cas fortuit vous est imputable et que vous me devez une indemnité parce que, sans une faute par vous commise avant l'accident, le cheval n'aurait pas été frappé; si je dis, par exemple, que vous étiez en demeure d'exécuter quand l'événement a eu lieu, et que sans ce retard fautif le cheval eût été soustrait à l'incendie ou à l'accident quelconque qui l'a fait périr, c'est à moi de constater la faute que je vous reproche; Si vous soutenez à votre tour que l'animal, dans le cas où il m'eût été livré au temps voulu, aurait péri chez moi comme il a péri chez vous, c'est à vous d'apporter la preuve de cette nouvelle allégation (1).

-

II. Il ne faudrait donc pas s'aviser de prendre au pied de la lettre la règle actori incumbit probatio, et croire que c'est toujours à celui qui est demandeur au procès de faire preuve de toute proposition con

(1) Mais dans aucun cas le juge ne peut décider un point de fait contesté, en se fondant sur la connaissance personnelle qu'il en aurait acquise en dehors du procès. Montpellier, 23 nov. 1852 (J. Pal., 1854, t. II, p. 444); Bastia, 7 fév. 1855 (J. Pal., 1855, t. I, p. 124); MM. Toullier (t. VIII, p. 39); Duranton (t. XII, no 9); Zachariæ (8749 et note 5); Massé (Droit comm., t. VI, n° 6); Bonnier (n° 71); Larombière (art. 1316, no 9). Néanmoins, la lettre missive adressée par une partie au juge peut être assimilée à un document judiciaire, et être invoquée par un tiers à l'appui d'une action qu'il forme contre l'auteur de la lettre ou son ayant droit. - Voy. Lyon, 16 févr. 1854 (J. Pal., 1855, t. I, p. 43).

testée; c'est à celui qui élève cette proposition, qui l'invoque dans son intérêt et contre son adversaire, qu'il soit du reste demandeur ou défendeur, à en offrir la justification.

Sans doute, on peut dire que la règle actori est vraie absolument et toujours; mais c'est en l'entendant avec discernement et en désignant par le mot actor, non pas celui qui introduit l'action en justice, mais la partie (demanderesse ou défenderesse, peu importe) qui introduit contre l'autre un nouvel élément de décision, qui agit et va en avant en alléguant quelque chose de nouveau, qui prétend changer et renverser, au moins sur quelque point, le statu quo, l'état où en sont les choses, l'ensemble de faits ou d'idées qui se trouve actuellement établi, soit par les preuves déjà faites ou les reconnaissances données, soit par la nature ordinaire des choses. En un mot, la règle actori n'est vraie absolument que quand on l'applique aussi bien au défendeur, marchant (agens) à la justification de sa défense, qu'au demandeur chargé de justifier sa demande, et quand on a soin de placer, à côté de la règle ACTORI incumbit probatio, cette autre règle : reus excipiendo fit ACTOR. -C'est ce qu'a très-bien compris un arrêt de Grenoble du 14 juillet 1832. Le tribunal de première instance avait imposé aux époux Argoud, parce qu'ils étaient demandeurs au procès, la charge de prouver qu'une servitude réclamée sur leur prairie n'existait pas ; mais la Cour, se fondant sur ce principe de toute évidence que la liberté des héritages est l'état naturel et normal, réforma cette décision et mit la preuve à la charge de ceux qui prétendaient avoir le droit de servitude, bien qu'ils fussent défendeurs (Dev., 33, 2, 11).

Il faut également entendre avec prudence cette autre maxime, si fréquemment employée, et qui a quelquefois été mal comprise, que la preuve tombe sur celui qui affirme et non sur celui qui nie; ei qui dicit, non ei qui negat. Si l'on veut que cette règle soit vraie, il faut entendre is qui dicit de celui qui soulève une prétention, qui jette dans le débat une allégation nouvelle, aussi bien en niant ce qui semblait être, qu'en affirmant ce qui semblait ne pas être : réciproquement, is qui negat sera celui qui, soit par une négation, soit par une affirmation, contredira, repoussera l'allégation nouvelle pour rester dans le statu quo.

D'anciens glossateurs entendaient autrement cette règle, en s'appuyant sur un passage mal interprété du Code de Justinien. La loi 23 de ce Code, liv. 3, tit. 19, déclare qu'un demandeur ne peut pas, en se reconnaissant dans l'impossibilité de prouver sa prétention, forcer le défendeur à prouver le contraire; car, disait-elle, celui qui nie le fait n'a, par la nature même des choses, aucune preuve à faire: Actor, quod asseverat, probare se non posse profitendo, reum necessitate monstrandi contrarium non astringit; cum, per rerum naturam, factum negantis probatio nulla sit. Les derniers mots factum negantis probatio nulla avaient, comme on le voit, un sens purement relatif que fait bien com▲ prendre l'ensemble de la phrase: ils signifiaient que le défendeur, niant le fait allégué contre lui, n'a rien à prouver; que l'on n'a pas de

preuve à faire quand on se tient sur la défensive, quand on se renferme dans une dénégation. Les glossateurs, isolant ces mots du reste de la phrase, les prirent dans un sens absolu et en firent cette maxime générale Il n'y a jamais de preuve à faire pour celui qui nie; toute preuve d'une négation est impossible par la nature même des choses. Toutefois, comme ils rencontraient plusieurs textes supposant la nécessité de prouver des propositions négatives et démentant dès lors leur prétendu principe, ils le restreignirent singulièrement, en imaginant quatre classes de négatives, dont trois, disaient-ils, pouvaient et devaient se prouver, et la dernière seule ne le pouvait pas : la négative d'un droit, la négative d'une qualité, la négative d'un fait défini (c'està-dire précisé dans ses circonstances), et la négative d'un fait indéfini.

Mais ces subtilités, imaginées à l'appui d'un principe erroné et que l'on voit parfois encore invoquer aujourd'hui, devraient bien être enfin abandonnées avec le principe lui-même. Toutes ces idées, qui seraient assurément mortes depuis longtemps si la routine n'était pas la plus grande puissance du monde, ont été victorieusement réfutées, au dixseptième siècle, par le jurisconsulte allemand Cocceius; et bien longtemps avant, Barthole et Marcardus avaient nettement enseigné que « toutes les fois qu'une négation est le fondement de la prétention d'une partie, demanderesse ou défenderesse, peu importe, c'est à cette partie de faire preuve, sans qu'on doive distinguer, si la négative est de droit, de fait ou de qualité. » Ubicumque negatio est causa intentionis alicujus, sive agentis, sive excipientis, EI QUI NEGAT INCUMBIT ONUS PROBANDI... sive sit negativa juris, sive facti, sive qualitatis.

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Et en effet, outre qu'il n'est guère de négation qui ne puisse se transformer en une affirmation contraire et devenir ainsi susceptible d'être prouvée, il est clair que, dans les cas assez rares où la preuve de la négation se trouverait impossible, c'est un malheur pour celui qui soulève la prétention basée sur cette négation; mais ce n'est pas une raison pour imposer des preuves à faire à celui qui ne demande rien, qui ne prétend à rien et se contente d'attendre la justification des attaques dirigées contre lui. Dans ces cas mêmes, au surplus, la position de la partie qui soulève la prétention nouvelle ne sera pas aussi fâcheuse qu'elle peut le paraître au premier abord; car si cette partie ne peut pas prouver complétement son allégation, elle pourra du moins prouver certains faits, certaines circonstances, qui donneront à cette allégation quelque vraisemblance et un certain degré de probabilité. Or ce commencement de preuve autorise le juge, aux termes de l'art. 1367, à se décider au moyen du serment qu'il déférera, soit à l'adversaire, soit même à la partie qui soulève la prétention; et le refus du défendeur (défendeur à l'action ou à l'exception, peu importe) de donner luimême une preuve contraire qu'il lui serait facile de procurer, ce qu'il a dès lors mauvaise grâce à ne pas faire, suffira pour l'exposer à se voir condamner sur le simple serment de son adversaire.

Ainsi, la meilleure manière de répondre à la question de savoir par qui doit se faire la preuve, ce n'est pas de dire que la preuve incombe

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