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un notaire suspendu de ses fonctions, pourvu, conformément à ce qui vient d'être dit, qu'il y ait eu signification de la suspension. Il est bien vrai que le notaire qui n'est que suspendu, à la différence de celui qui est destitué, est toujours officier public; mais il est incapable d'instrumenter pendant la durée de sa suspension. (Voy. MM. Rolland, nos 18 et 20; Aubry et Rau, 3° édit., t. VI, p. 359; Larombière, art. 1317, no 6.) — Il faut encore que le fonctionnaire soit compétent, c'est-àdire: 1° que l'acte qu'il dresse soit de la nature de ceux pour lesquels il a mission (1); 2° qu'il le reçoive dans le lieu où il a le droit d'instrumenter (2); et 3° que cet acte ne concerne pas les personnes auxquelles il lui est défendu de prêter son ministère. Ainsi, un notaire ne pourrait pas plus délivrer une citation en justice qu'un huissier ne pourrait recevoir un acte de donation; un notaire de Versailles ne pourrait pas dresser un acte à Paris; et aucun notaire ne peut (art. 8 de la loi du 25 ventôse an 11) recevoir un acte dans lequel serait partie son parent ou allié, en ligne directe à quelque degré que ce soit, ou en ligne collatérale jusqu'au troisième degré (frère, oncle ou neveu). — Il faut enfin que les solennités requises par la loi aient été accomplies; et nous devons dire ici quelques mots de celles de ces solennités qui concernent le nombre et la qualité des personnes par lesquelles l'acte doit être

reçu.

III. L'art. 9 de la loi du 25 ventôse an 11 dispose que « les actes seront reçus par deux notaires, ou par un notaire assisté de deux témoins. » Mais comme cette règle, déjà portée et renouvelée autrefois par les ordonnances de Philippe IV en 1304, de Charles VII en 1437, de Louis XII en 1498, et de François Ier en 1543 (3), n'avait jamais pu vaincre la résistance des notaires, et que deux arrêts de règlement de 1681 et 1703, et même des édits royaux d'octobre 1691, mars et septembre 1706 (4), finirent par modifier cette disposition et dirent que l'acte pourrait être reçu par un notaire seul, à la charge par lui de le faire signer en second par un confrère, chaque notaire continua, après et malgré la loi de ventôse, à recevoir les actes seul, sauf à demander après coup à un confrère une signature de pure forme. Ce qu'on faisait pour le notaire en second, on le fit tout naturellement pour les deux témoins destinés à le remplacer; et dans les localités où ne résidait qu'un notaire, ce notaire recevait les actes seul et sans témoins, sauf à faire apposer après coup la signature de deux voisins qui la donnaient habituellement à tous les actes de l'étude, sans savoir même de quoi il y était question.

C'était là, quoi qu'on ait pu dire, une violation flagrante de la loi de ventôse, puisque cette loi reproduisait nettement la règle des anciennes

(1) Merlin (Rép., t. XVI, p. 368); Rolland (no 22); Aubry et Rau (3o édit., t. Vl, p. 659); Larombière (art. 1317, no 9). Dict. not., 4o édit., vo Acte auth., n° 11. (2) Larombière (art. 1317, no 5). Dict. not., 4° édit., vo Acte auth., no 10, et Acte not., 438.

(3) Rec. de M. Isambert, t. II, p. 818; t. VIII, p. 855; t. XI, p. 352; t. XII, p. 835. (4) Journ. des aud., tit. 5, liv. 3, chap. 44; Jousse, Admin. de la just. civ., part. 5, tit. 2, no 50.

ordonnances, non la règle différente des édits plus récents; que, d'ailleurs, ces édits n'avaient aucun trait aux témoins, dont la présence avait toujours été indispensable aux yeux du législateur. C'était en outre une pratique peu morale, puisqu'on déclarait dans les actes que les parties avaient comparu et arrêté leurs conventions par-devant M. N. et son collègue, quoique ce collègue n'eût jamais vu les parties; ou que l'acte avait été reçu en présence de tel et tel témoins, alors que ces deux personnes n'avaient été témoins de rien : c'étaient le mensonge et la fausseté authentiquement établis dans tous les actes notariés.... Cependant la jurisprudence refusa souvent (malgré le texte formel de l'art. 68 de la loi de ventôse, déclarant nul tout acte fait en contravention à l'art. 9) d'annuler ces actes; et si plusieurs arrêts de Cours d'appel prononcèrent la nullité, beaucoup d'autres proclamèrent la validité, par le motif étrange que l'usage qui s'était établi avait opéré une abrogation tacite de la loi; comme si nous en étions encore à l'empire de la coutume! comme si la puissance législative, qui seule peut faire et défaire la loi, n'était pas exclusivement attachée aujourd'hui à l'expression publique et régulière de la volonté du Corps législatif et du Sénat!... (1). Cette dernière jurisprudence, qui pouvait être d'un exemple si funeste, avait quelques chances de l'emporter, lorsque la Cour suprême, par un arrêt de rejet du 7 mai 1839, et surtout par son arrêt de cassation du 25 janvier 1841 (2), se déclara nettement pour la nullité, en disant avec raison que le nombre des contraventions à une loi ne saurait les légitimer; que l'usage opposé à une disposition d'intérêt public n'est qu'un abus qui ne doit pas être consacré; et que si l'usage a pu abroger la loi alors que la coutume était loi, il n'en saurait être ainsi aujourd'hui.

Le gouvernement s'émut alors et proposa une loi.

Il semble que, tout en absolvant le passé par la toute-puissance législative, c'était le moment d'exiger pour l'avenir la sincérité des garanties à une partie desquelles nos anciens rois n'avaient renoncé que de guerre lasse après quatre cents ans de lutte (3), garanties que la conduite de quelques notaires dans ces derniers temps paraissait rendre plus nécessaires que jamais. Il n'en fut point ainsi, et la loi du 21 juin 1843 est venue sanctionner, au contraire, pour la généralité des actes, l'ancien usage du notariat, et quant au notaire en second, et même quant aux témoins... On en a donné pour raison, dans le rapport à la Chambre des députés (4), que la présence réelle des deux notaires serait impraticable sans augmenter le nombre de ces fonctionnaires. Mais quand même il en serait ainsi (ce dont il est permis de douter), la loi de ventôse ne permettait-elle pas de remplacer le second notaire

(1) De l'Assemblée nationale, actuellement.

(2) Dev., 39, 1, 353; 41, 1, 105; J. Pal., I, 1839, p. 503; I, 1841, p. 154.

(3) On a vu que l'ordonnance de Philippe V est de 1304 et que le premier édit modifiant la règle est de 1691. Le pouvoir royal ne s'est donc rendu qu'après des efforts de trois cent quatre-vingt-huit ans! On sait d'ailleurs que s'il a fini par transiger quant au second notaire, il ne l'avait jamais fait pour la présence des témoins. (4) Moniteur du 9 mars 1841.

par deux témoins?... On a ajouté que des témoins ignorants, dépenlants du notaire et souvent rétribués par lui, ne sauraient être une garantie. Mais c'est précisément pour avoir des témoins sérieux, comme dans les actes de l'état civil, comme dans les actes de notoriété délivrés par les juges de paix, comme dans les testaments, qu'il fallait exiger la présence de ces témoins. Et si la garantie de deux témoins est insignifiante, comment donc votre loi nouvelle l'exige-t-elle par exception dans les actes qui lui paraissent plus importants que les autres ?... On a encore dit que la présence des témoins gênerait les parties, qui peuvent tenir quelquefois à ne pas faire connaître le secret de leur position et de leurs affaires; et on a précisément exigé cette présence pour les reconnaissances d'enfants naturels! Il est facile à celui qui craint la divulgation d'un acte de choisir lui-même deux témoins sur la discrétion desquels il puisse compter; et il n'y avait, selon nous, aucun motif raisonnable de refuser aux parties les garanties que nos anciennes ordonnances et la loi de ventôse avaient voulu leur accorder.

Quoi qu'il en soit de cette opinion, il est un point qui ne nous paraît pas contestable : c'est, disons-le franchement, l'immoralité de cette loi, qui érige en règle de droit le mensonge qui n'avait été précédemment qu'un fait illicite et toléré. En effet, ces art. 1 et 3 reviennent à dire que l'art. 9 de la loi de ventôse (dont les prescriptions sont exigées à peine de nullité par l'art. 68) est toujours en vigueur; que dès lors il faut toujours, et à peine de nullité, que l'acte soit reçu par deux notaires ou par un notaire avec deux témoins; mais que cette règle doit être entendue comme la pratique du notariat l'avait appliquée jusqu'alors. Ces deux articles signifient donc ceci : Les actes pourront être reçus PAR UN NOTAIRE SEUL ET SANS TÉMOINS, mais à la condition, exigée à peine de nullité, de dire dans l'acte qu'il est reçu PAR DEUX NOTAIRES OU PAR UN NOTAIRE ASSISTÉ DE DEUX TÉMOINS, et de faire apposer après coup les signatures nécessaires pour donner à cette fausse déclaration l'apparence de la vérité.

Ainsi nos législateurs font ici de la fourberie un principe légal et imposent officiellement aux notaires le jeu d'une misérable comédie. On n'y a sans doute pas songé; mais il est assurément difficile d'imaginer quelque chose de plus démoralisant qu'une telle loi (1).

Au surplus, si vicieuse que cette loi puisse être, elle n'en est pas moins obligatoire; et nous devons résumer ici les règles qui résultent

(1) Du moment qu'on admettait, à tort ou à raison, la suffisance d'un notaire seul et sans témoins, il fallait dire franchement que les actes pourraient être reçus par un notaire. Il semble que, non-seulement les principes de la morale, mais aussi les règles du bon sens, l'exigeaient ainsi... Quand on voit une telle loi proposée par le ministère, adoptée par la Chambre des députés (sur le rapport de M. Philippe Dupin), adoptée par la Chambre des pairs (sur le rapport de M. Frank-Carré), on cherche où s'est refugié chez nous le respect de la sainte majesté des lois et le sentiment de la morale publique, on se demande avec effroi où nous allons depuis quelques années et à quels destins est réservée la France.

N. B. Nous écrivions ceci pour notre troisième édition en 1847. Les événements ont bientôt justifié notre prévision, en rappelant une fois de plus à ceux qu'on décore du nom d'hommes politiques que Dieu et sa morale sont pour quelque chose dans les affaires d'ici-bas.» (Voy. nos Études de science religieuse, p. 611 et 612).

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de ses quatre articles pour les trois classes d'actes notariés qu'elle a créées 1° les testaments publics doivent toujours être reçus par deux notaires en présence de deux témoins ou par un notaire en présence de quatre témoins (art. 4; et Code civil, art. 971); 2° les donations entre-vifs, même entre époux, les révocations de donation ou de testament, les reconnaissances d'enfants naturels et les contrats de mariage, puis les procurations données pour consentir ces divers actes, doivent être reçus par deux notaires ou par un notaire en présence de deux témoins (art. 2); - 3° tous les autres actes peuvent être reçus par un notaire seul et sans témoins, pourvu que l'acte porte la mention mensongère de l'assistance d'un second notaire ou de deux témoins, et la signature de ces mêmes personnes (art. 1 et 3).

Nous ne nous étendrons pas davantage sur les règles à suivre pour les actes notariés; car ce serait faire, non plus le commentaire du Code civil, mais le commentaire de la loi de ventôse an 11. Il faut se reporter, sur ce point, aux ouvrages spéciaux (1).

1318. -L'acte qui n'est point authentique par l'incompétence ou l'incapacité de l'officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écriture privée, s'il a été signé des parties.

SOMMAIRE.

I. L'acte authentique, nul comme tel, peut valoir comme s'il était acte privé, et forme ainsi une classe intermédiaire qui n'est pas soumise aux règles spéciales de l'acte privé. Erreur de Delvincourt.

II. Il est dispensé de ces règles, et vaut notamment sans être fait double ou triple, alors même qu'il est reçu en brevet.

III. Mais il n'a cette valeur d'acte privé que quand il est signé de toutes les parties contractant obligation.

IV. Réfutation d'une erreur contraire de Toullier et de M. Duranton.

V. Il faut, en outre, que l'acte ait vraiment l'apparence de l'authenticité et que les parties aient dû le croire authentique. Développement sur cette règle inexactement formulée par le texte.

VI. Observations.

I. — Pour qu'un acte soit vraiment authentique, il faut, ainsi qu'on l'a vu au no II de l'article précédent : 1° qu'il soit reçu par un fonctionnaire public, 2o que ce fonctionnaire soit compétent, 3° qu'il soit capable, et 4° qu'il reçoive l'acte en suivant les formes voulues par la loi. Quand c'est la première de ces quatre conditions qui manque, quand

(1) Bien que la loi du 21 juin 1843 exige que la présence du notaire en second à la lecture et à la signature des actes qu'elle énumère soit l'objet d'une mention spéciale, l'absence de cette mention n'entraînerait pas nullité, s'il résultait d'une manière suffisamment précise des autres énonciations de l'acte que le notaire en second a assisté à la rédaction même de l'acte.

Mais on ne saurait voir une preuve suffisante de la présence du notaire en second à la lecture et à la signature dans un acte dont le préambule porte: «Par-devant M... et son collègue, notaires à..., furent présents, etc. », ces mots ne certifiant que le concours juridique et non la présence effective du notaire en second, qui n'y est même pas nommé, alors que la formule qui termine l'acte porte seulement : « Fait et lu aux parties comparantes soussignées avec les notaires.» Une telle formule se conciliant avec la possibilité que l'acte ait été la successivement et signé séparément par les deux notaires. Toulouse, 1er avril 1868 (Dev., 68, 2, 205).

celui qui a reçu l'acte n'était pas officier public, l'acte reste sans valeur aucune, la loi le laisse frappé d'une complète nullité. Au contraire, quand l'acte émane bien du fonctionnaire, et qu'il y a eu seulement incompétence, incapacité ou absence de formes voulues, la loi, dans notre art. 1318, qui ne fait que reproduire la disposition de l'art. 68 de la loi de ventôse, vient au secours des parties et accorde à l'acte la valeur des écrits sous seing privé, pourvu, bien entendu, que cet acte présente la signature des parties.

Nous disons que notre article apporte aux parties un secours spécial. Sa disposition, en effet, n'est pas une simple application des principes généraux; et on n'aurait pas pu suivre sa règle dans tous les cas, si elle n'avait pas été formellement écrite... Nous allons voir, par l'art. 1325, que quand il s'agit de contrats synallagmatiques, on ne peut se procurer une preuve écrite, même par une simple écriture privée, qu'en rédigeant autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct. Il faut donc, en principe, que l'acte sous seing privé soit fait double, triple, quadruple, etc., lorsque deux, trois, quatre parties ou davantage, se trouvent avoir dans la convention des intérêts opposés. Or, notre article fait exception à ce principe pour l'acte que les parties ont voulu et cru faire authentique, et qui ne l'est pas. Cet acte, qui a l'apparence de l'authenticité, qui réunit même très-réellement la plu- · part des conditions de l'acte public régulier, qui a été reçu par un notaire, qui est mis en dépôt dans ses minutes, etc., cet acte est dispensé, et avec raison, par la loi, de la formalité des doubles; et du moment qu'il porte la signature des parties, il vaut comme s'il était acte sous seing privé régulier. Ainsi, notre article ne signifie pas, comme on l'a cru quelquefois, que par l'incompétence ou l'incapacité de l'officier, ou par le défaut de forme, l'acte devient un acte sous seing privé. Tel n'est pas le sens de notre disposition : l'écrit dont il s'agit est un acte authentique: seulement, cet acte authentique, irrégulier et nul en cette qualité, vaut comme si c'était un acte privé rédigé avec toutes les conditions voulues.

La discussion au conseil d'État prouve que ces idées ont bien été celles du législateur... M. Jollivet commença par y reconnaître que l'art. 1325 (celui qui impose la formalité des doubles, et qui portait alors le n° 214) ne s'applique point au cas de notre art. 1318 (alors 208); et il fit observer que si l'on voulait étendre à ce cas la règle des doubles, il faudrait élargir la rédaction de l'art. 1325, qui ne parlait que des actes sous seing privé, et le rédiger ainsi : « Les actes sous seing privé ET CEUX qui sont l'objet de l'art. 1318, etc. » M. Regnauld s'opposa à cette addition, en faisant remarquer que la question était déjà décidée par l'art. 68 de la loi de ventôse; et M. Tronchet ajouta qu'en effet, lorsque l'acte est retenu dans un dépôt public, il n'y a plus de raison pour exiger qu'il soit double.» (Fenet., t. XIII, p. 113.) (1)

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(1) Conf. Delvincourt (t. II); Duranton (XIII-71); Dalloz ( 3, no 5); Bonnier

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