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Et puisque l'acte authentique, irrégulier et nul pour l'une des trois causes indiquées dans notre article, obtient, au moyen de la signature des parties, la même valeur qu'un écrit privé, sans devenir pour cela acte sous seing privé, et sans être soumis aux règles qui vont être tracées par le § 2 pour cette seconde espèce d'actes, il faut donc reconnaître, malgré l'opinion contraire de Delvincourt, qu'on ne peut pas plus lui appliquer la règle de l'art. 1326 que celle de l'art. 1325. — Cet art. 1326 veut que la promesse unilatérale par laquelle une personne s'oblige à payer une somme d'argent, des marchandises ou des denrées, soit écrite en entier par cette personne ou qu'elle présente, outre la signature, un bon ou approuvé écrit de la main de cette personne, et portant en toutes lettres le montant de l'argent ou la quantité de la chose. Or, puisque cette règle ne concerne que les actes sous seing privé, et que l'acte dont s'occupe notre article n'est point un acte sous seing privé, mais un acte reçu et délivré sous le seing public du notaire, cette règle ne l'atteint donc pas. Et en effet, si le législateur a craint la fraude dans un acte rédigé peut-être par le créancier lui-même, et que le débiteur a pu signer de confiance sans en vérifier suffisamment la teneur, il est clair qu'il n'avait pas le même motif de suspicion alors que l'acte a été dressé par un tiers désintéressé, fonctionnaire public, et investi de la confiance de la loi et des deux parties (1).

II. Un point plus délicat que nous n'avons vu traité nulle part et que soulèvent incidemment, mais sans le résoudre, Delvincourt et M. Dalloz (loc. cit.), est celui de savoir s'il y aurait également dispense des règles requises pour les actes sous seing privé, et notamment de la nécessité des doubles, dans le cas où l'acte authentique, nul comme tel, mais signé par les parties, aurait été reçu en brevet, c'est-à-dire sans minute, en sorte qu'il serait resté, non dans le dépôt public du notaire, mais entre les mains d'une des parties... Delvincourt se contente de dire qu'il n'est pas d'usage de faire rédiger ainsi en brevet un acte intéressant plusieurs parties; mais, bien que ce ne soit pas l'usage ordinaire, le cas peut se présenter, et s'est présenté en effet c'est une raison pour examiner la question. M. Dalloz dit que cette question a été résolue négativement par un arrêt de Paris du 14 août 1815; mais c'est une erreur : cet arrêt a déclaré l'acte complétement inefficace, non pas parce qu'il n'aurait été passé qu'en brevet, mais parce que le notaire qu'on prétendait l'avoir reçu ne l'avait pas signé, ce qui a fait dire à la Cour qu'il ne pouvait valoir ni comme acte privé, puisqu'il n'était pas fait double, ni comme acte authentique même irrégulier, puisqu'il n'était pas reçu par l'officier public. Cette décision est trèsjuste, comme nous le verrons au numéro suivant; et notre question reste dès lors entière.

:

(no 377); Rolland (Acte not., no 468); Aubry et Rau (3o édit., t. VI, p. 374); Larombière (art. 1318, no 3); Rej., 8 mai 1827; Douai, 10 fév. 1851 (D. P., 51, 2, 61). Dict. not., vo Acte authent., no 21, et Acte not., no 485.

(1) Conf. Duranton (XIII-73), et (implicitement) Bonnier (nos 877 et 378); Larombière (art. 1318, no 3).

S'il s'agissait de traiter cette question en législation, peut-être devrait-on la décider dans le sens pour lequel paraissent pencher Delvincourt et M. Dalloz, au moins quant aux conventions synallagmatiques, en disant que l'acte authentique (irrégulier) ne vaudra comme écriture privée, dans ce cas, que quand il y aura minute restant aux mains du notaire. Mais en droit, la loi étant ce qu'elle est, il nous paraît impossible d'exiger cette condition.

Et d'abord, la décision ne saurait être douteuse pour les actes relatifs à un objet dont l'importance n'excède pas 300 fr. Car l'art. 20 de la loi de ventôse, après avoir exigé en principe que les actes soient reçus en minute, fait immédiatement exception pour les actes simples qui, d'après les lois, peuvent être délivrés en brevet; et la déclaration du 7 septembre 1723, qui détermine ces actes, met dans ce nombre toutes les conventions n'excédant pas 300 livres. L'acte notarié reçu en brevet est donc parfaitement légal et régulier, même pour un contrat synallagmatique, du moment qu'il ne s'agit pas de plus de 300 fr. Maintenant, quand l'objet du contrat présente une valeur dépassant ce chiffre, il est bien vrai que l'acte reçu en brevet sera irrégulier et qu'il n'aura pas la valeur d'un acte authentique, puisque l'art. 68 de la loi de ventôse déclare nul comme tel l'acte dans lequel on aura contrevenu à la règle de l'art. 20. Mais cet acte, dénué de la force de l'acte authentique, conservera (s'il est signé par les parties) la force probante d'un acte sous seing privé, puisque l'absence de minute est précisément l'un des vices de forme dont parlent notre article et l'art. 68 de la loi de ventôse: «Tout acte, dit ce dernier, fait en contravention aux articles... vingt (celui qui exige la minute), vaudra comme écrit privé lorsqu'il sera revêtu de la signature de toutes les parties. » — Ainsi, soit que l'acte qui devait être passé en minute, et qui l'a été en brevet, ne présente que cette irrégularité (suffisante déjà pour lui enlever sa valeur d'acte authentique), soit que l'irrégularité provienne simultanément de ce vice de forme et de l'une des autres causes indiquées par notre article et par l'art. 68 de la loi de ventôse, l'acte aura toujours, sous la condition d'être signé par les parties, la même valeur qu'un acte privé régulier, c'est-à-dire double ou triple dans les cas où l'exige l'art. 1325 (1).

On voit donc, en résumé, qu'en outre : 1° de l'acte authentique régulier pour lequel doivent être accomplies les diverses prescriptions de la loi de ventôse, et 2o de l'acte privé dont le Code va nous indiquer les règles dans le paragraphe suivant, la loi reconnaît: 3° un acte authentique irrégulier qui vaut comme s'il était acte sous seing privé; en sorte que, acte authentique valant comme tel, acte authentique ne valant que comme écrit privé, puis acte privé, telles sont les trois classes d'écrits constituant la preuve littérale.

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Le législateur, dans notre article comme dans la loi de ven

(1) M. Dalloz a adopté cet avis dans sa nouvelle édition (vo Oblig, nos 3797 et 3798). Conf. Larombière (art. 1318, no 2).

tôse, ne donne à l'acte qui a l'apparence de l'authenticité, sans en avoir rigoureusement la réalité, l'effet d'un acte privé régulier que sous la condition d'être signé par les parties. Dès lors il faut dire avec Toullier (VIII-135) qu'il ne suffirait pas qu'il fût déclaré dans l'acte que chacune ou l'une des parties a déclaré ne savoir ou ne pouvoir signer. Que la déclaration du notaire à cet égard produise son effet dans l'acte authentique régulier, c'est tout simple; mais pour l'acte qui ne vaut que par une faveur exceptionnelle, il n'en saurait être ainsi la disposition qui le fait valoir, étant une exception, doit s'appliquer avec rigueur; et puisque la loi exige la signature, il faut que cette signature existe.

Notre article demande la signature des parties sans distinction, et la loi de ventôse dit de toutes les parties. Mais il faut entendre ces expressions avec discernement... Ce n'est pas la signature de toutes les parties ayant figuré dans l'acte à quelque titre que ce soit qui est nécessaire, mais bien celle de toutes les parties contractant obligation, des parties contre lesquelles l'écrit est destiné à faire preuve. Ainsi, quand il s'agit de conventions synallagmatiques et dans lesquelles chacune des parties a contracté des engagements, la signature de toutes ces parties est indispensable; et si l'acte n'était signé que de l'une d'elles, il n'aurait aucune valeur, il ne prouverait ni contre celle dont la signature manque, ni même contre celle qui a signé, parce qu'on ne pourrait voir là qu'un projet, que l'écrit ne prouverait nullement s'être réalisé. Mais s'il s'agissait d'un contrat unilatéral, par exemple, d'un dépôt que j'ai fait chez Titius et que celui-ci est venu reconnaître devant un notaire, il est clair qu'il suffira de la signature du débiteur. C'est évident, puisque, comme le fait observer Delvincourt (ibid.), cette signature du dépositaire suffirait même pour un acte sous seing privé ordinaire. Ici donc, ma signature ne serait nullement nécessaire, quoique j'eusse figuré à l'acte. (Conf. M. Duranton, no 73; M. Bonnier, n° 376; Massé, Vergé et Zachariæ, t. III, p. 494, note 8; Larombière, 1318, n° 8; Dict. not., 4° édit., vo Acte not. nos 469 et suiv.)

Mais que faudrait-il décider s'il s'agissait d'une convention présentant d'un côté une partie qui a signé, et de l'autre plusieurs parties cointéressées dont une ou quelques-unes seulement auraient donné leurs signatures? Ainsi, quand on représente un acte notarié (nul comme tel) dans lequel on lit que Pierre s'oblige envers Jacques et Jean, soit à leur livrer sa ferme, soit à leur construire une maison, soit à faire ou donner quoi que ce soit, et que ceux-ci s'obligent solidairement à lui payer une somme de 60 000 fr., quelle sera la valeur de cet acte, s'il est signé par Pierre et par Jacques, mais non par Jean?... Il serait nul et sans valeur aucune, aussi bien vis-à-vis des signataires qu'à l'égard de l'autre; et la doctrine contraire de Toullier et de M. Duranton nous paraît une erreur évidente.

IV. - Toullier (VIII, 135 à 137) fait à la question une réponse contradictoire dans ses diverses parties, mais qui revient à dire que l'acte est valable entre les parties qui ont signé, sauf le droit, pour chacune de ces parties, de s'en départir et de se dégager, tant que l'autre partie

T. V.

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n'aura pas exprimé la volonté de maintenir le contrat (1). M. Duranton, qui a du moins le mérite de s'exprimer nettement et sans contradiction, enseigne aussi (t. III, n° 72) que le contrat se trouve suffisamment formé et prouvé entre les signataires, et il n'accorde point à ces signataires, comme le fait à tort Toullier, la faculté de se soustraire à leur engagement, qui ne pourrait se rompre, en effet (si l'on admet qu'il existe), que par le commun accord des contractants. Au contraire, Delvincourt (loc. cit.) enseigne, au moins comme principe général, et M. Bonnier (no 376) pense aussi que l'acte dont il s'agit est nul par cela seul que toutes les parties contractantes ne l'ont pas signé (2).

Nous n'hésitons pas à dire que cette dernière doctrine est seule vraie, et que celle de Toullier et de M. Duranton est une grave erreur.

En effet, lorsque plusieurs personnes voulaient, par exemple, faire un achat en commun, en s'obligeant conjointement et solidairement à en payer le prix, et que l'une ou quelques-unes seulement d'entre elles sont venues donner leur signature à la convention projetée, en même temps que le vendeur le faisait aussi de son côté, il est clair que les consentements donnés de part et d'autre ne l'étaient que sous la condition que les autres parties viendraient s'obliger à leur tour; et dès lors, la signature de celle-ci manquant, la convention se trouve n'avoir jamais existé qu'en projet. Sans doute il y a eu quelque chose de fait, mais ce quelque chose était conditionnel, et la condition ne se réalisant pas, tout est resté dans le néant; le projet a été en voie de réalisation, mais il ne s'est pas réalisé, il n'y a jamais eu de vente... En vain Toullier et M. Duranton nous disent que le vendeur ne peut se refuser à exécuter sur la demande des acheteurs signataires, parce qu'il n'a aucun intérêt à ce refus, puisque les deux ou trois signataires offrent de lui payer la somme qui lui aurait été donnée par les cinq personnes qui projetaient d'acheter. C'est là un argument étrange, et qu'on s'étonne de trouver dans la bouche de jurisconsultes... Depuis quand faut-il, pour pouvoir se refuser à l'exécution d'une convention qui n'existe pas, avoir intérêt à ce qu'elle n'existe pas? J'ai consenti à vendre ma ferme pour 60 000 fr. à cinq personnes désignées. Trois de ces personnes ont accepté, deux ont refusé. De quel droit ces trois personnes me forceraient-elles à leur livrer mon immeuble pour ce même prix de 60 000 fr. ou même pour un prix plus élevé?... J'ai proposé un marché; on ne l'a pas accepté tel que je le proposais; donc je ne suis tenu à rien; et si je livre ma ferme pour le même prix aux trois signataires, ce sera parce

(1) Toullier, en effet, après avoir déclaré positivement au no 135 que l'acte est nul, dit au no 136 que celui à qui la somme est promise peut en exiger l'exécution contre celui des promettants qui a signé, si, avant les poursuites, celui-ci n'a pas déclaré se dégager; et après avoir ainsi contredit pour l'une des parties sa proposition première de nullité de l'acte, il la contredit également pour l'autre, au no 137, en disant que celui des codébiteurs qui a signé peut de même, si la partie adverse ne lui a pas fait signifier qu'elle se dégageait, la contraindre à exécuter, pourvu, bien entendu, qu'il offre lui-même de remplir en entier l'obligation corrélative. Ainsi, les deux nos 130 et 137 viennent renverser, chacun pour moitié, ce que le no 135 avait établi. (2) Conf. Aubry et Rau (3o édit., t. V, p. 375 et 376); Larombière, art. 1318, n° 10).

que je le voudrai bien, et qu'une volonté nouvelle formera un contrat

nouveau.

L'erreur de Toullier et de M. Duranton est plus étrange encore en ce qui concerne les acheteurs; car, outre qu'il s'agit, non d'une question d'intérêt, mais d'une question de volonté, et que, de ce que ces personnes voulaient bien acheter à cinq, on ne peut pas conclure qu'elles voulaient aussi acheter à trois, il est palpable que la considération même de l'intérêt se joindra souvent ici à la considération de la volonté, puisque l'acquisition de l'immeuble pourrait être avantageuse en tant que faite par les cinq parties, et devenir au contraire très-gênante en restant à la charge des trois signataires... Du reste, cette question de l'intérêt doit, nous le répétons, rester en dehors du débat; et tout se réduit à dire que l'acte qui n'est pas signé par tous ceux qui devaient s'obliger prouve bien un projet, mais ne prouve pas une convention réalisée.

C'est, au surplus, ce que reconnaît la jurisprudence de la Cour suprême. Un arrêt de rejet, du 27 mars 1812, rendu sur les conclusions conformes de Merlin, proclame qu'un acte nul comme authentique « n'a pu également valoir comme sous seing privé, puisqu'il ne portait pas la signature de toutes les parties contractantes, et que le défaut d'engagement de la part de l'une des parties mettait obstacle à la perfection du contrat. » Un autre arrêt beaucoup plus récent (26 juillet 1832), sur une décision conforme de la Cour de Metz, déclare que ceux des cinq acheteurs qui avaient signé « ont entendu, en s'engageant solidairement, n'acheter que chacun pour un cinquième du prix, avec un droit de recours à chacun contre les autres; qu'ainsi la Cour d'appel a fait une juste application des règles du droit en ne substituant pas une convention à une autre, et en ne forçant pas les signataires à l'exécution d'un contrat autre que celui qu'ils avaient voulu faire ; que le refus de deux des cinq acquéreurs de signer le contrat ayant rompu pour les vendeurs, comme pour les acquéreurs signataires, le contrat tel qu'il avait été entendu par toutes les parties, il n'y avait plus de vente, et qu'un nouvel accord devenait nécessaire, etc... » On s'étonne que M. Duranton, même dans son édition augmentée de l'analyse de la jurisprudence, ne parle pas de ces arrêts, si nettement contraires à sa doctrine (1)... La jurisprudence et la raison sont ici d'accord avec le texte de la loi, qui exige, comme on l'a vu, la signature de toutes les parties contractant des engagements dans l'acte (2).

Nous ferons, en terminant cette partie de nos explications, une remarque dont l'objet se pressent facilement. C'est que la décision que nous venons de donner ne s'appliquera pas seulement au cas particu

(1) Dev., 32, I, 492; J. Pal., t. XXIV, p. 1333. — Le second de ces arrêts, auquel nous reviendrons plus loin (art. 1347), décide aussi, et avec beaucoup de raison, que l'acte dont il s'agit ne serait pas même un commencement de preuve par écrit. Voy. Cass., 1er déc. 1819, et, sur renvoi, Paris, 24 juill. 1820; Bourges, 22 déc. 1840.

(2) Un acte notarié de vente, nul comme acte authentique, en ce que, par exemple, le notaire qui l'a reçu était parent au degré prohibé de l'un des contractants, vaut

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