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Il est évident que la preuve par correspondance intime des parties ne peut pas avoir plus de force contre les tiers que la preuve par acte formel; s'il en était autrement et si une pareille décision pouvait faire jurisprudence, la fraude serait désormais bien à l'aise ; il suffirait aux` parties qui voudraient faire prévaloir à quelque jour, à l'encontre des tiers, la vérité par eux cachée, sur la fiction d'un acte ostensible, de ne pas faire de contre-lettre et de la remplacer par des lettres missives expliquant leurs véritables rapports. Par ce moyen, je vendrai fictivement ma maison à Pierre; les tiers prêteront sur hypothèque au propriétaire apparent; puis je viendrai faire disparaître ces hypothèques en prouvant par notre correspondance, et par tous moyens autres qu'une contrelettre, que la vente n'était qu'une fiction et que c'est moi qui suis resté propriétaire!... Évidemment, la décision du 11 mai 1846 est dans le faux, et nous étions dans le vrai en soutenant qu'il y avait lieu de casser l'arrêt de Rennes.

IV. Au surplus, il ne faudrait pas croire que par rapport aux tiers, qui sont ici des ayants cause des parties, la contre-lettre soit pleinement non avenue. Elle n'est inefficace envers eux qu'autant qu'elle devrait leur nuire; et la raison dit assez que quand elle doit leur profiter, ces ayants cause peuvent très-bien l'invoquer... Ainsi, quand un acte déclare que Pierre a vendu sa maison à Paul moyennant 100 000 francs, et qu'une contre-lettre vient établir que le prix réel est de 125 000, il est clair que non-seulement Pierre ou ses successeurs à titre universel, mais aussi ses créanciers venant exercer ses droits pour avoir payement de leurs créances, pourront exiger de Paul une somme de 125 000 fr. : ayants cause de Pierre, ils ont autant de droits que lui; et si une contrelettre qui nuirait à leur débiteur ne peut pas leur nuire, il est bien clair que celle qui peut lui profiter leur profite également (1).

Il en serait autrement, on le conçoit, si c'était, non plus contre Paul ou ses successeurs à titre universel que les créanciers de Pierre vinssent réclamer l'effet de la contre-lettre, mais contre les créanciers ou les tiers acquéreurs de celui-ci. Ainsi, que Pierre et Paul tombent tous deux en déconfiture et que le débat existe entre les créanciers de l'un et les créanciers de l'autre, il est clair que les créanciers de Pierre ne pourront poursuivre que pour 100 000 francs, et non pour 125 000, puisque, dans cette position, les successeurs, même à titre universel, de Pierre, et Pierre lui-même, ne pourraient demander que ces 100 000 francs. Ce résultat proviendrait alors, non pas de ce que la contre-lettre serait sans effet au profit des créanciers de Pierre (car, encore une fois, la contre-lettre produit autant d'effet au profit des créanciers qu'au profit des parties elles-mêmes), mais de ce qu'elle est sans effet contre les créanciers de Paul (2).

V. Nous venons de supposer qu'une contre-lettre, augmentant le

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(1) Bonnier (no 445); Larombière (art. 1321, no 11). Conf. Paris, 2 germ. an 13. Dict. not., v° Contre-lettre, no 5.

(2) Voy. Cass., 15 juin 1843 (Dev., 43, 1, 467), 10 mars 1847 (Dev., 47, 1, 616); Dijon, 13 juin 1864 (Dev., 64, 2, 244). Dict. not. (I. c., no 10 et 13).

prix de vente indiqué à l'acte ostensible, produit le même effet que toute autre. Il en est ainsi d'après notre article, qui met indistinctement toutes les contre-lettres sur la même ligne; mais il en était autrement lors de la promulgation du Code, d'après la loi du 22 frimaire an 7.

L'art. 40 de cette loi, tout en soumettant par son second paragraphe à une amende triple de la somme qui aurait été due pour droit d'enregistrement, le cas de contre-lettre portant augmentation d'un prix de vente, édictait en outre, par son paragraphe premier, la nullité entière et absolue d'une telle contre-lettre. Mais, quoi qu'en ait dit Merlin (Quest., v° Contre-lettre, § 3), il est certain que cette disposition exorbitante et inique a été abrogée par notre article. La discussion au conseil d'État ne laisse pas de doute à cet égard.

Le directeur général de l'enregistrement, M. Duchâtel, sentant bien que la question de validité ou de nullité d'un acte appartient au droit civil, non aux lois fiscales qui, régulièrement, ne doivent procéder que par voie d'amendes, et que par conséquent la règle générale qui allait être posée dans le Code réagirait sur la disposition de l'art. 40 de la loi de frimaire, M. Duchâtel demanda que les contre-lettres, toujours faites en fraude du Trésor public, fussent proscrites d'une manière absolue. Mais sa proposition fut improuvée par le Conseil entier. MM. BigotPréameneu, Cambacérès, Berlier, Tronchet et Defermon, répondirent qu'on ne doit annuler les contre-lettres que quand elles sont frauduleuses; que, dans une foule de contrats, il serait injuste de rejeter les modifications contenues dans la contre-lettre; que c'est par des amendes et non par la peine de nullité que la fraude envers le Trésor public doit étre punie; que, dans aucun cas, le législateur ne peut mettre sa volonté à la place de celle des parties, en augmentant ou en diminuant les obligations qu'elles se sont imposées; que la disposition actuellement existante contre l'usage des contre-lettres ne semble pas juste; que ces actes doivent avoir tout leur effet entre les parties et être nuls seulement contre les tiers; que l'intérêt même du fisc sera mieux assuré au moyen de l'amende infligée aux parties pour n'avoir pas fait enregistrer. (Fenet, XIII, p. 112 et 113.)

Aussi, la section de législation, sur le renvoi qui lui fut fait de la proposition de M. Duchâtel, n'en tint aucun compte, et maintint entière et absolue la règle de la validité des contre-lettres entre les parties.

L'intention des rédacteurs à cet égard s'est donc clairement manifestée; l'abrogation de la première partie de l'art. 40 de la loi de frimaire serait incontestable, alors même que la loi du 30 ventôse an 12 ne serait pas venue déclarer abrogées toutes lois antérieures relatives à des matières faisant l'objet du Code civil; et la fraude aux droits du fisc n'est punie aujourd'hui que par l'amende du triple, que prononce la seconde partie du même article, et qui suffit bien en vérité (1).

N. B. On comprend assez par ce qui vient d'être dit qu'il n'y a

(1) Toullier (VIII, 186); Favard (Rép., vo Contre-lettre); Duranton (XIII, 103);

rien de commun entre les contre-lettres et les réserves qui se font quelquefois dans un acte au profit d'un tiers, telles sont notamment les déclarations de command. La déclaration de command est celle par laquelle un acheteur avertit qu'il achète pour une personne qu'il désignera ultérieurement et qui l'a chargé (qui lui a commandé), ou pour laquelle il se charge lui-même d'acquérir le bien. Il est clair qu'il n'y a là aucune modification secrète d'un acte ostensible; et on ne voit pas trop pourquoi Toullier rattache à la matière des contre-lettres de longues explications sur la déclaration du command (no 169-181) (1).

2.

De l'acte sous seing privé, et des écrits privés non signés.

Le Code place ce second paragraphe sous la rubrique « De l'Acte sous seing privé »; mais cette rubrique se trouve trop étroite. Les actes dressés sous seing privé, c'est-à-dire sous la signature de personnes privées (par opposition aux actes authentiques, qui se délivrent sous la signature d'une personne publique, et qui sont ainsi des actes sous seing public), ne sont pas les seuls dont s'occupe ce paragraphe; car, après avoir parlé, dans les art. 1322-1328, des écrits portant ainsi la signature privée des parties, il parle, dans les art. 1329-1332, d'écrits qui produisent un certain effet, sans porter aucune signature. Il fallait donc intituler ce paragraphe Des Ecrits privés, par opposition au précédent, qui s'occupe des écrits publics.

Traitons successivement, et dans l'ordre des articles: 1o des actes sous signature privée; 2o des écrits valables sans signature.

1322.

1o Des actes sous signature privée.

L'acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l'oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l'ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l'acte authentique.

Dalloz (5, no 3); Bonnier (no 403); Aubry et Rau (3o édit., t. VI, p. 373, note 55); Larombière (art. 1321, no 7). Dict. not., vo Contre-lettre, no 19. Contrà: Merlin (Rep., vo Contre-lettre, no 3). Voy. Rej., 10 janv. 1819; Dijon, 9 juill. 1828; Aix, 21 fév. 1832 (Dev., 32, 2, 263); Douai, 10 juill. 1844. Il en est autrement en matière d'office.

Depuis la loi du 23 août 1871, sont réprimées plus sévèrement les dissimulations dans les prix de vente et dans les soultes d'échange ou de partage. « Art. 12 (de cette loi). Toute dissimulation dans le prix d'une vente et dans la soulte d'un échange ou d'un partage, sera punie d'une amende égale au quart de la somme dissimulée, et payée solidairement par les parties, sauf à la répartir entre elles par égale part. Art. 13. La dissimulation peut être établie par les genres de preuves admises par le droit commun. Toutefois l'administration ne peut déférer le serment décisoire et elle ne peut user de la preuve testimoniale que pendant dix ans, à partir de l'enregistrement de l'acte... Le notaire qui reçoit un acte de vente, d'échange ou de partage, est tenu de donner lecture aux parties des dispositions du présent article et de celles de l'article 12 ci-dessus. Mention expresse de cette lecture sera faite dans l'acte, à peine d'une amende de 10 francs. >>

(1) Rolland de Villargues (vo Contre-lettre, no 2); Bonnier (no 449); Larombière (sur l'article 1321, no 15).

I. L'acte sous seing privé, que l'on se contente souvent, dans la pratique, d'appeler acte sous seing (ce qui est peu exact, puisque l'acte notarié est aussi sous seing), fait la même foi que l'acte authentique, c'est-à-dire produit le même effet, eodem modo præjudicat (art. 1319, n° II), quand il est reconnu ou réputé reconnu par celui à qui on l'oppose.

Nous disons que, sous cette condition, à laquelle se réfèrent les deux articles suivants, il a le même effet, idem præjudicium, que l'acte authentique, c'est-à-dire qu'il crée des droits ou obligations entre les parties, leurs héritiers ou ayants cause, tout comme le ferait un acte public: aussi notre article, en outre de ce qu'il déclare formellement que l'effet de l'acte privé est le même que celui de l'acte authentique (ce qui suffirait déjà pour faire comprendre qu'il s'applique aux mêmes personnes), nous dit d'ailleurs, dans les mêmes termes précisément que l'art. 1319, que cet effet a lieu entre les parties, leurs héritiers et leurs ayants cause.

C'est donc à tort que M. Duranton (XIII, 135 et 136) et M. Ducaurroy (Thémis, III, p. 46) ont enseigné, pour relever une erreur de Toullier, dont nous parlerons sous l'art. 1828, que notre article n'entend par ayants cause que les héritiers imparfaits et les donataires ou légataires universels, ou à titre universel, à l'exclusion des acheteurs, échangistes, donataires ou légataires particuliers, etc... Notre article, évidemment, comprend, tout aussi bien que l'art. 1319, les ayants cause à titre particulier, en même temps que les ayants cause à titre universel. C'est par une autre idée qu'il fallait, comme nous le verrons à l'art. 1328, réfuter Toullier et résoudre la difficulté que présente la combinaison de cet art. 1328 avec le nôtre.

II. Et si, entre les parties, leurs héritiers et ayants cause, l'acte privé, légalement reconnu, produit le même effet qu'un acte authentique (idem præjudicium, quoad jus et effectum), il a aussi vis-à-vis des tiers la même foi (quoad probationem seu veritatem), excepté en ce qui concerne la date, pour laquelle une règle spéciale est posée par l'art. 1328 (1).

Du reste, si l'acte privé, une fois qu'il est légalement reconnu, a la même foi (sauf pour sa date) et produit le même effet que l'acte authentique lui-même, il est clair qu'il ne peut pas avoir plus d'énergie que celui-ci, et qu'il peut être attaqué comme lui par une inscription de faux (art. 214, Code de procédure; M. Duranton, XIII, 123 et suiv.).

1323.- Celui auquel on oppose un acte sous seing privé, est obligé d'avouer ou de désavouer formellement son écriture ou sa signature.

Ses héritiers ou ayants cause peuvent se contenter de déclarer qu'ils ne connaissent point l'écriture ou la signature de leur auteur.

(1) Toullier (t. VII, noo 239 et 240); Solon (no 86); Larombière (art. 1328, no 11).

1324.

Dans le cas où la partie désavoue son écriture ou sa signature, et dans le cas où ses héritiers ou ayants cause déclarent ne les point connaître, la vérification en est ordonnée en justice.

I. L'acte sous seing privé n'a sa valeur que quand il est reconnu émaner de celui auquel on l'attribue.

Quand celui à qui l'acte est opposé en est lui-même l'auteur prétendu, il ne peut suspendre l'effet de l'acte qu'en déclarant nettement que la signature ou l'écriture n'est pas la sienne; quand c'est seulement un héritier ou autre ayant cause, il lui suffit pour cela de dire qu'il ne sait pas si cette écriture ou cette signature est celle de son auteur. La loi admet bien que mes successeurs ignorent si tel acte émane ou non de moi; mais elle n'admet pas que je puisse être moi-même dans une semblable ignorance. On parle de la signature ou de l'écriture, quoique nos articles paraissent n'avoir trait qu'aux actes privés faits sous seing. C'est qu'en effet, même pour l'acte sous seing, il est des cas où, tout en reconnaissant la signature, on pourrait encore arrêter l'effet de l'acte en désavouant l'écriture (si c'est le signataire lui-même), ou en déclarant ne pas le connaître (si c'est seulement son successeur). Ces cas sont ceux de l'art. 1326, qui exige pour la validité de l'écrit que l'acte, s'il n'est pas tout entier de la main du signataire, présente du moins un bon ou approuvé, portant en toutes lettres la somme ou la quantité, écrit de cette main.

Du reste, il est évident que ce qui est dit par nos articles pour les actes sous seing privé doit aussi, au moins par analogie, s'appliquer, quant à l'écriture, aux écrits qui n'ont pas besoin de signature.

II.

Il n'est nullement nécessaire que celui qui veut se servir d'un acte privé assigne préalablement son adversaire en reconnaissance d'écriture, et il n'est pas besoin non plus qu'il conclue simultanément dans son exploit à la reconnaissance, ou à la vérification en cas de méconnaissance, puis à l'exécution après reconnaissance ou vérification. C'était indispensable autrefois en matière civile: un édit de 1684, qu'une déclaration du 15 mai 1703 vint dire inapplicable aux affaires commerciales, l'exigeait ainsi (1); mais aucune règle de ce genre n'étant imposée aujourd'hui ni par le Code civil, ni par le Code de procédure, le demandeur, qui peut sans doute, s'il le juge à propos, appeler d'abord en reconnaissance ou vérification, peut fort bien aussi assigner directement, en exécution de l'acte, sauf au défendeur à répondre à sa demande par une méconnaissance. M. Duranton, qui avait d'abord enseigné le contraire dans son Traité des Contrats (IV, 1282), a rétracté cette erreur dans son Cours de Droit (XIII, 114), et dans un article inséré au Répertoire de M. Favard, vo Acte privé (2).

Lorsque le défendeur, assigné de plano en exécution de l'acte, ré

(1) Voy. au Code Tripier, sous l'art. 193 du Code de procédure.

(2) Carré (Procéd., art. 193); Toullier (n° 229 et 230); Aubry et Rau (3o édit., t. VI, p. 396); Larombière (art. 1323, no 7). Cass., 24 juin 1806, 10 août 1814, 7 fév. 1814, 27 août 1835; Dict. not. (vo Vérif. d'écrit., no 6).

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