Page images
PDF
EPUB

Comme de raison, la loi refuse au mari le droit de jamais faire preuve par ce moyen contre la femme. Et puisque ce droit ne saurait jamais appartenir au mari, il ne peut non plus, malgré la doctrine contraire de MM. Rodière et Pont (2e édit., 762), appartenir à ses héritiers, l'héritier n'étant que le représentant de son auteur et n'ayant que les droits qu'aurait ce dernier. Sans doute, il en serait autrement si ces héritiers argumentaient d'une fraude du mari, et prétendaient que c'est précisément pour leur nuire et avantager la femme à leur préjudice que le mari a omis l'inventaire : car alors ils agissent comme adversaires du mari, non plus comme ses représentants; et puisqu'il s'agit de fraude, les règles ordinaires de la preuve ne sont plus applicables, fraus omnia corrumpit. Mais hors ce cas particulier, les héritiers ne sauraient avoir le droit refusé à leur auteur, et c'est avec raison que la Cour suprême l'a ainsi jugé par son arrêt de 1842 (1).

Du reste, ce sont seulement les preuves interdites par les principes généraux qui sont défendues au mari, c'est-à-dire la preuve par témoins, et à plus forte raison celle par commune renommée; et le mari pourrait, à défaut de l'inventaire, prouver la consistance du mobilier échu, par tout autre titre propre à en justifier, comme un acte de partage, un compte de tutelle, etc. C'est ce qui résulte nettement de l'article 1504, et ce que décide l'arrêt ci-dessus cité et un arrêt précédent de la Cour de Rouen (2).

II. - Nous venons de voir que, pour ce qui concerne le passif proprement dit de la communauté, la règle des successions mixtes n'est que la combinaison des deux règles qui régissent les successions mobilières d'une part, et les successions immobilières d'autre part; en sorte que ce qui est dit par la loi, sous ce rapport, pour les deux premières classes de successions, aurait suffi pour régler, par voie de conséquence et sans texte nouveau, celle de la troisième. Mais il n'en est pas absolument de même quant au droit de poursuite des créanciers, et nos articles 1416, 1417, en réglant ce droit de poursuite pour les successions mixtes, s'écartent considérablement, dans un cas, des principes précédemment posés.

Ainsi l'art. 1416 ne fait que suivre les principes déjà développés quand il permet aux créanciers d'une succession mixte échue au mari de poursuivre (en outre des biens héréditaires et des propres du mari) les biens de la communauté : puisque la communauté, quand il s'agit ainsi du mari, peut être poursuivie, et dans le cas de succession mobilière, et dans le cas de succession immobilière, il est tout simple qu'elle puisse l'être aussi dans le cas d'une succession mobilière et immobilière tout ensemble. Il est également tout simple, quand la succession mixte est échue à la femme et n'est acceptée qu'avec l'autorisation de la jus

précises et concordantes, nées du débat, qu'il est débiteur de ladite succession. Req., 29 nov. 1853 (J. Pal., 1856, t. I, p. 98). - Voy. MM. Pont et Rodière (2o édit., 758).

(1) Conf. Troplong (817); Dalloz (948).

(2) Rouen, 29 août 1840; Rej. civ., 10 août 1842 (Dev., 41, 2, 55; 42, 1, 77).

tice sur le refus du mari, que la poursuite des créanciers ne s'exerce, en cas d'insuffisance des biens de la succession, que sur la nue propriété des autres biens de la femme, s'il a été fait inventaire, et qu'elle s'exerce sur tous les biens de la communauté, si cet inventaire n'a pas été fait (1). L'art. 1417 et le second paragraphe de l'art. 1416 sont donc d'accord aussi avec les règles expliquées jusqu'ici. Mais il n'en est pas de même du dernier cas prévu par le premier paragraphe de ce même article 1416. La loi, du moment que la succession mixte échue à la femme est acceptée avec le consentement du mari, autorise ici la poursuite des créanciers sur les biens de la communauté pour la totalité des dettes, de la même manière que si la succession était échue au mari; or, c'est là une dérogation aux précédents principes. La poursuite contre la communauté pour une succession échue à la femme et acceptée du consentement du mari n'étant permise que pour les successions mobilières, non pour les successions immobilières, il fallait, pour être conséquent, ne la permettre ici que pour la portion des dettes de la succession mixte correspondant à la partie mobilière de cette succession, et non pas pour la totalité de ces dettes... La loi en a ordonné autrement, dans la crainte, sans doute, qu'il ne s'élevât trop souvent des difficultés sur la proportion dans laquelle la communauté devrait contribuer aux dettes. Et puisque les dettes de la succession mixte, au lieu de ne devenir dettes de la communauté que pour une partie proportionnelle à l'importance relative du mobilier, le deviennent ainsi pour le tout, c'est donc pour le tout aussi, et non pas pour cette partie seulement, qu'elles deviendront, quant au droit de poursuite, dettes du mari (2).

Du reste, il est bien entendu, et l'art. 1416 a soin de le dire, qu'il y aura lieu à récompense toutes les fois que les dettes de la succession mixte seront acquittées sur des biens qui ne doivent pas les supporter définitivement ou qui doivent seulement en supporter une part moindre que celle qu'ils ont payée. En d'autres termes, il y aura lieu à récompense, soit au profit de l'époux héritier contre la communauté, ou réciproquement, soit au profit de l'autre époux contre l'époux héritier ou contre la communauté, toutes les fois que les dettes auront été payées autrement que par la communauté pour la part proportionnelle à la valeur du mobilier et par l'époux héritier pour le reste.

Il va sans dire, au surplus, que les règles de notre matière ne font pas obstacle à l'application des principes posés au titre Des Successions. Ainsi, la succession pourrait toujours, qu'elle soit échue à la femme ou au mari, n'être acceptée que bénéficiairement, et alors les créanciers ne pourraient poursuivre que les biens de la succession. Réciproquement, les créanciers pourraient, s'ils n'avaient pas confiance dans la

(1) Conf. Duranton (XIV, 241); Odier (I, 189); Troplong (831); Dalloz (962).Voy. aussi Renusson (De la Comm., 1re part., chap. 12, no 19); Lebrun (id., liv. 3, chap. 3, sect. 2).

(2) Pothier (n° 262 et 263). Voy. aussi MM. Toullier (t. XIII, no 273); Rodière et Pont (2o édit., 753 et 754); Odier (t. I, no 174); Troplong (n° 790 et suiv.).

solvabilité, soit de l'époux héritier, soit de la communauté, user du bénéfice de séparation des patrimoines (art. 878).

1418. Les règles établies par les articles 1411 et suivants régissent les dettes dépendantes d'une donation, comme celles résultant d'une succession.

I. Tout ce qui a été dit sous les articles précédents pour les dettes des successions mobilières, immobilières ou mixtes, s'applique également aux dettes des donations mobilières, immobilières ou mixtes, soit qu'elles se fassent entre-vifs, ou par institution contractuelle, ou par testament. Ainsi, en cas de libéralités faites à titre universel et emportant dès lors obligation de payer tout ou portion des dettes du disposant, ou même dans le cas de dispositions à titre particulier, mais contenant la charge expresse d'acquitter des dettes, on suivra les règles ci-dessus indiquées. En conséquence, les dettes qui grèvent la disposition seront à la charge ou de la communauté, ou de l'époux bénéficiaire, ou de la communauté et de l'époux chacun pour sa part, selon que la disposition aura pour objet ou des meubles seulement, ou seulement des immeubles, ou des meubles et des immeubles tout à la fois; et quant au droit de poursuite des créanciers, on distinguera en outre de la distinction principale des dispositions mobilières, immobilières et mixtes, si la disposition s'adresse au mari ou à la femme, si celle de la femme est acceptée du consentement du mari ou seulement avec l'autorisation de la justice, et enfin, en cas de disposition mobilière en tout ou en partie, s'il a été fait ou non inventaire du mobilier donné. Toutefois, nous avons rencontré, en étudiant l'actif de la communauté, deux règles dont l'application entraînerait une exception nécessaire à ces principes. Si, comme le permet l'art. 1401, 1o, une donation mobilière était faite à la condition expresse de rester propre à l'époux donataire, il est clair que les meubles donnés restant alors à l'époux comme s'ils étaient immeubles, c'est à la charge de cet époux que seront les dettes; réciproquement, si, comme le permet l'art. 1405, une donation immobilière était faite avec déclaration que les biens tomberont en communauté, c'est la communauté qui supportera les dettes. En un mot, quand, par exception, l'actif d'une donation mobilière sera soumis au principe des donations immobilières ou réciproquement, c'est à ce même principe que sera soumis son passif.

Art. 1er. Dettes contractées pendant le mariage.

Dans le cours de la société conjugale, les époux peuvent, dans une mesure et d'après des règles qui diffèrent du mari à la femme, contracter des dettes que la communauté doit tantôt supporter définitivement, et tantôt acquitter, sauf récompense. Le principe posé à cet égard par l'art. 1409, 2o, n'est développé qu'incomplétement par les art. 1419 et 1420, terminant notre paragraphe, et nous devrons, ici

encore, nous écarter de l'ordre des articles et prendre dans la section suivante plusieurs textes qui complètent notre matière.

Nous traiterons séparément des dettes contractées par la femme et de celles que contracte le mari.

Dettes contractées par la femme.

1419. Les créanciers peuvent poursuivre le payement des dettes que la femme a contractées avec le consentement du mari, tant sur tous les biens de la communauté que sur ceux du mari ou de la femme; sauf la récompense due à la communauté, ou l'indemnité due au mari.

SOMMAIRE.

I. La règle de cet article, qui est une dérogation au droit commun, reçoit exception dans deux cas. Motifs de la règle et des exceptions. Rejet d'une doctrine de M. Bellot.

II. Quand y a-t-il lieu à récompense? Le consentement du mari peut être tacite.

I. Le mari étant le chef de la communauté, les actes de la femme ne peuvent, en général, obliger la communauté, s'ils ne sont faits avec le consentement de celui-ci, ainsi que le déclare positivement la première partie de l'art. 1426. Avec ce consentement du mari, les actes de la femme, en général aussi, obligent la communauté et par suite le mari lui-même (1).

Mais ce double principe reçoit exception dans les deux sens, et de même que les actes de la femme obligent la communauté sans le consentement du mari dans quelques cas qui nous seront indiqués par l'art. 1427, de même et réciproquement, les art. 1413 et 1432 présentent deux cas dans lesquels l'acte de la femme, quoique fait avec le consentement du mari, n'oblige pas la communauté. Le premier de ces deux cas, déjà expliqué plus haut, est celui d'une succession immobilière acceptée par la femme avec l'autorisation du mari, et dont les dettes, malgré cette autorisation du mari, ne peuvent pas se poursuivre sur les biens communs; le second est celui d'une vente d'immeubles propres faite par la femme avec le consentement du mari, vente qui ne fait naître les obligations de vendeur que contre la femme, sans les étendre au mari et à sa communauté. Ce second cas d'exception, sans être indiqué formellement par l'art. 1432, en découle d'une manière évidente, puisque cet article ne suppose possible la poursuite de l'acheteur contre le mari qu'autant que celui-ci, au lieu d'autoriser simplement la vente, se serait porté formellement garant de sa femme.

Ces deux cas de dérogation à la règle de notre art. 1419, d'après

(1) Mais une jurisprudence récente a décidé que les créanciers envers lesquels la femme commune s'est obligée solidairement avec son mari ne peuvent poursuivre l'exécution de cet engagement sur les biens de la communauté que du chef du mari, et non de celui de la femme, et qu'à ce cas ne s'applique pas l'art. 1419. Paris, 18 oct. 1854, 24 janv. 1855, 21 juin 1855 (Dev., 55, 2, 81 et 394; Dalloz, 56, 2, 109). — Voy.. en ce sens, une consultation de M. Coin-Delisle, dans la Gazette des Tribunaux du 15 nov. 1854; Lyon, 23 juill. 1858 (Dev., 59, 2, 615).

laquelle les actes de la femme obligent le mari et sa communauté quand ils ont été autorisés par celui-ci, ne sont, ainsi qu'on l'a expliqué déjà, qu'un retour au droit commun, auquel cet art. 1419 fait exception. On sait, en effet, que, d'après le droit commun, celui qui ne fait qu'autoriser l'obligation d'un incapable ne s'oblige pas lui-même, qui auctor est non se obligat; en sorte que, d'après les principes, les actes de la femme autorisés par le mari n'auraient dû obliger que la femme. Il est, du reste, facile de s'expliquer la dérogation que notre art. 1419 apporte aux principes et le retour que les art. 1413 et 1432 font à ces principes. La loi a craint que le mari ne se servît de son influence sur sa femme pour lui faire contracter, au lieu de les contracter lui-même, des actes faits pourtant dans l'intérêt de sa communauté ou dans son intérêt personnel, et, d'après cette idée, elle a porté comme règle générale pour notre matière la disposition de l'art. 1419; mais comme, dans les deux cas des art. 1413 et 1432, la réalisation de cette crainte se trouvait être d'une impossibilité matériellement évidente, puisque l'acceptation d'une succession immobilière échue à la femme et la vente d'un immeuble à elle appartenant ne concernent évidemment que cette femme, la loi s'est, avec raison, départie de sa règle pour revenir aux principes ordinaires (1).

D'après cela, il eût été logique de généraliser l'idée des art. 1413 et 1432, et de faire suivre notre art. 1419 d'une disposition déclarant que le mari et sa communauté cesseraient d'être obligés toutes les fois que l'acte autorisé par le mari ne concernerait évidemment que la femme; mais cette règle n'existe pas, et prétendre, comme M. Bellot des Minières (I, p. 477), qu'on doit néanmoins l'appliquer, ce serait évidemment corriger et refaire la loi, au lieu de l'expliquer (2).

II. Quoique la règle de notre art. 1419 soit fondée sur la crainte que l'acte qui est fait par la femme ne le soit pour le mari ou sa communauté, il se peut fort bien, et il arrivera souvent, qu'il soit réellement fait pour cette femme. Dans ce cas, il est clair que la femme seule doit supporter la dette, et que, si cette dette est payée par les biens de la communauté ou par ceux du mari, il y aura lieu à récompense. C'est ce que dit la dernière partie de notre texte.

Du reste, le consentement exigé du mari pour que les créanciers

(1) La condamnation aux dépens prononcée contre la femme dans un procès concernant l'un de ses propres et pour lequel le mari l'aurait autorisée est-elle exécutoire sur les biens personnels du mari et de la communauté? Oui, selon Pigeau (liv. 2, part. 3, chap 5, 1); Toullier (II, 658); Chauveau (Quest., 548); Demolombe (IV, 311); Rodière et Pont (2e édit., 786); Cass., 24 vend. an 7, 21 fév. 1832. — Non, si le mari n'a pas conclu. Bellot (I, 477); Carré (Quest., 1, 548); Montpellier, 10 floréal an 13. (2) L'opinion de M. Bellot des Minières est soutenue encore par MM. Delvincourt (t. III, p. 258); Duranton (t. XIV, no 248 et 308); Demante (Thémis, t. VIII, p. 166); Battur (t. I, no 332); Troplong (no 846). Mais elle a été rejetée par la Cour de Rouen, qui a jugé que, sous le régime de la communauté, le mari est tenu sur ses biens, sauf récompense, des dettes que la femme a contractées avec son autorisation, alors même qu'il ne doit retirer aucun avantage de l'obligation contractée par la femme. Rouen, 27 mai 1854 (Dev., 55, 2, 17); et c'est l'avis de MM. Zachariæ (t. III, 2 500), Pont et Rodière (2o édit., 786); Odier (t. I, nos 192 et 247), Demolombe (t. IV, no 310); Rouen, 27 mai 1854.

« PreviousContinue »