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toute peine étant rigoureusement personnelle, il est clair que la conséquence de cette idée est la même pour les délits et les contraventions que pour les crimes proprement dits (1). Nous disons enfin que le droit de poursuite contre la communauté, sauf récompense pour celle-ci contre le mari, existe pour toute dette résultant du délit du mari, c'est-à-dire pour les dommages-intérêts et les dépens, aussi bien que pour l'amende. Ce dernier point est controversé, et plusieurs auteurs enseignent que, pour les dépens ou dommages-intérêts, la communauté est tenue sans récompense (2); mais cette doctrine nous paraît inexacte.

On objecte d'abord que ce n'est plus là une peine; que les dépens et les dommages-intérêts, à la différence de l'amende, ne sont que l'exécution d'une obligation civile. Mais qu'importe pour la femme? Du moment que ces dettes sont la conséquence directe et immédiate du délit et le résultat de la faute punissable du mari, aussi bien que l'amende elle-même, le principe de raison et d'équité qui affranchit la femme dans un cas doit également l'affranchir dans l'autre. On objecte encore que, si des dommages-intérêts avaient été obtenus par le mari pour le délit commis par un tiers, ces dommages-intérêts seraient entrés dans la communauté et auraient profité à la femme, d'où l'on conclut que, réciproquement, la communauté et la femme ne peuvent pas se plaindre de supporter une part de ceux que doit le mari. Mais la prétendue corrélation n'existe pas; car, si la femme profite pour sa part des indemnités payées au mari, c'est parcequ'elle a subi pour sa part le préjudice qui les fait naître, tandis qu'il n'y a rien à reprocher à la femme dans le délit du mari : si l'idée ubi emolumentum ibi onus se trouvait ici exacte et applicable, il faudrait donc faire payer par la communauté, sans récompense, les dommages-intérêts dus pour un délit de la femme, puisque ceux qui sont reçus pour un délit commis envers la femme entrent dans la communauté; or, loin d'être à la charge de la communauté, ces dommages-intérêts ne peuvent pas même être poursuivis contre elle. Il faut donc compléter la rédaction de l'art. 1424 par celle de l'art. 1425, et substituer dans la première, à l'expression trop restreinte d'amendes, l'expression plus large de condamnations, que présente la seconde. Tel est aussi le sentiment de la plupart des auteurs (3).

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II. Mais si la communauté ne paye que sauf récompense les obligations résultant d'un délit commis par le mari, elle doit payer sans récompense et supporter définitivement celles qui résultent de ses quasi

(1) Duranton (XIV, 298); Taulier (V, 91); Rodière et Pont (2o édit., 832); Odier (I, 244); Zachariæ (III, 441); Dalloz (975 et 976); Bordeaux, 10 mai 1871 (Dev. 71, 2, 136). (2) Toullier (XII, 224); Zachariæ (III, p. 441); Troplong (II, 918); Odier (I, 244); Glandaz (162). Voy. aussi arrêt de Douai du 30 janv. 1840 (Dev., 40, 2, 322); Boileux (t. III, p. 55).

(3) Delvincourt (t. III); Vazeille (Mar., II, 371); Duranton (XIV, 298); Bellot (II, p. 433); Battur (I, 316); Pont et Rodière (2e édit. 832); Duvergier (sur Toullier, loc. cit.); Taulier (V, 91 et 92); Dalloz (977); Colmar, 29 déc. 1849; Bordeaux, 10 mai 1871 (Dev., 71, 2, 136).

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délits; car ce ne sont plus là des faits coupables, mais des accidents dont on ne saurait punir le mari administrateur, puisqu'ils sont inséparables de toute administration (1).

Il en est de même des délits d'un enfant commun, puisque ces délits ne sont pas plus imputables au mari qu'à la femme. Mais il en serait autrement s'il s'agissait d'un enfant d'un lit précédent, et nous pensons que la communauté ne payerait les dettes résultant d'un tel délit que sauf recours contre l'auteur de l'enfant. En vain on ferait remarquer, comme M. Bellot (I, p. 459), que la communauté est tenue de l'entretien de cet enfant aussi bien que de celui du mariage : c'est très-vrai, mais ce n'est pas une raison pour qu'elle doive aussi supporter les conséquences de ses délits. C'est bien évident, puisque c'est la communauté qui doit également subvenir à l'entretien des époux, et qu'elle ne supporte pas cependant les dettes résultant de leurs délits (2).

Quant aux délits de la femme, il est clair, et la seconde partie de l'art. 1424 le déclare expressément, qu'ils ne sauraient engager la communauté puisqu'un tel effet est refusé aux actes licites de la femme, à plus forte raison doit-il l'être à ses actes illicites. Les obligations résultant de ses quasi-délits, aussi bien que celles provenant de ses délits, ne peuvent donc être poursuivies que sur la nue propriété des biens de la femme (3).

III. La règle que les obligations résultant d'un délit du mari peuvent se poursuivre, sauf récompense, sur les biens de la communauté, souffre exception quand il s'agit d'une condamnation emportant mort civile (4): la dette, dans ce cas, ne peut pas plus se poursuivre contre la communauté quand elle provient du mari que quand elle provient de la femme, et le créancier n'a d'action, d'après l'article 1425, que contre l'époux auteur du crime (5). Cette disposition, reproduite de l'ancien droit, est motivée par cette circonstance, que la mort civile dissout précisément la communauté (art. 1441), et qu'il est dès lors naturel de n'autoriser la poursuite du créancier que sur les biens de l'époux coupable, c'est-à-dire sur les propres qu'il reprend et sur la part de communauté qui lui échoit.

Cette disposition s'expliquait très-bien autrefois. Quand la mort civile était encourue par l'effet direct et dès le jour de la condamnation,

(1) Conf. Rodière et Pont (2o édit., 839); Taulier (V, 92); Dalloz (978). (2) Conf. Rodière et Pont (2o édit., 889).

(3) Voy. Cass., 13 mai 1813, 18 nov. 1824, 6 juin 1811, 20 janv. 1825, 27 fév. 1827. Il y a des exceptions créées par certaines lois spéciales, notamment pour les contraventions de police rurale. Loi 28 sept.-6 oct. 1791, art. 7; Toullier (XII, 231); Rodière et Pont (I, 587). - Cass., 23 déc. 1818, 14 nov. 1840. Ou en matière de contributions indirectes. Décret du 1er germ. an 13, art. 35. Cass.,15 janv. 1820.

(4) On sait que la mort civile a été abolie par la loi du 31 mai 1864.- La disposi tion de l'art. 1425 est donc abrogée. Cass., 2 mai 1864 (Dev., 64, 2, 321).

(5) La disposition s'applique non-seulement aux amendes, mais encore aux répara tions civiles qui seraient prononcées contre l'époux; si donc la condamnation a été prononcée contre le mari, elle ne peut atteindre la communauté, même pour ce qui regarde les réparations civiles. Colmar, 29 déc. 1849 (Dev., 52, 2, 193).-Sic M. Pont (Revue critique, t. II, p. 523.)

il était tout simple que des poursuites qui ne pouvaient ainsi se faire qu'après la communauté dissoute ne fussent pas dirigées contre la partie de cette communauté qui était devenue propriété particulière de la femme, par la dissolution de la société. Il est bien vrai que les dommages-intérêts, à la différence de l'amende et des dépens, étaient dus dès le jour même du tort causé, c'est-à-dire dès le jour du crime commis, et que la condamnation ne faisait à cet égard que constater et liquider la dette, déjà née antérieurement et pendant que la communauté existait encore; en sorte qu'on aurait pu prétendre que les poursuites ne devaient être réduites à la part de communauté échue au mari que pour l'amende et les dépens, et non pour le montant des réparations civiles. Mais comme cette partie de la dette, quoique née sous la communauté, ne pouvait jamais se poursuivre qu'après la dissolution aussi bien que le reste, il avait paru naturel de mettre le tout sur la même ligne, et de ne jamais soumettre aux conséquences du crime du mari des biens que ce même crime faisait devenir biens de la femme.

La disposition se comprenait donc autrefois. Mais aujourd'hui que la mort civile n'est encourue, et la communauté dissoute, que par l'exécution de l'arrêt, ou même, si la condamnation est par coutumace, après cinq ans à partir de cette exécution (art. 26 et 27), l'amende et les dépens, aussi bien que les dommages-intérêts, constituent toutes des dettes nées pendant la communauté, et notre art. 1425, dont la rédaction absolue a été écrite avec trop peu de réflexion par le législateur, ne paraît pas susceptible de s'appliquer sans distinction. Quand la mort civile, comme il arrive le plus souvent, suivra de près la condamnation et que la communauté sera dissoute au moment de la poursuite des créanciers, notre article s'appliquera et viendra ainsi faire exception à la règle que toute dette née pendant la communauté, du fait du mari peut se poursuivre sur la totalité des biens communs. Mais si la mort civile ne se réalisait que longtemps après la condamnation et que la poursuite des créanciers eût lieu dans l'intervalle, par conséquent avant la dissolution de la communauté, il est clair qu'on ne pourrait pas réduire cette poursuite à telle part d'une communauté qui n'est pas partagée et qui forme encore une unité indivise. Les créances pourraient se poursuivre alors, d'après la règle ordinaire de l'art. 1424, sur tous les biens de la communauté, sauf récompense; et quand l'article 1425 fait exception à cette règle, en restreignant la poursuite à la part du mari quant aux condamnations prononcées pour crimes emportant mort civile, il faut entendre ces derniers mots de condamnations qui ont produit la mort civile, c'est-à-dire de condamnations dont le payement est poursuivi alors que déjà la mort civile est encourue et la communauté dissoute.

SECTION II

DE L'ADMINISTRATION DE LA COMmunauté, et de l'effet des actes de l'un ou de L'AUTRE ÉPOUX relativement a la SOCIÉTÉ CONJUGALE.

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Le Code, qui, dans les six sections qu'il consacre à la communauté légale et dont nous allons étudier ici la seconde, présente des divisions peu précises et rentrant souvent les unes dans les autres, le Code, disons-nous, sous la rubrique assez vague que nous reproduisons ici, s'occupe successivement : 1o de l'administration de la communauté (art. 1421-1423); -2° de l'effet des actes illicites de l'un ou de l'autre époux relativement aux biens communs (1424-1425), et ensuite de l'effet des actes licites de la femme sur ces mêmes biens (1426-1427), matières qui se rattachaient naturellement au passif de la communauté et que nous avons dû dès lors expliquer dans la section précédente;3o de l'administration des propres des époux et notamment de ceux de la femme (1428-1430); -4° des indemnités ou récompenses dues, soit à un époux par la communauté ou par l'autre époux (1431-1436), soit à la communauté par un époux (1437); et à ce sujet le Code pose incidemment les règles sur le remploi, que nous avons expliquées plus haut; -5° enfin, des constitutions de dot faites par l'un ou l'autre époux pendant la communauté (1438-1440).

On voit que, des cinq objets de cette section, le second (art. 14241427) et la partie du quatrième relative au remploi (art. 1434-1435) se trouvent précédemment traités. Nous avons donc à nous occuper: 1° de l'administration de la communauté; 2° de l'administration des propres; 3o des récompenses; et 4° des constitutions de dot.

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1421. Le mari administre seul les biens de la communauté. Il peut les vendre, aliéner et hypothéquer sans le concours de la femme.

1422. Il ne peut disposer entre-vifs à titre gratuit des immeubles de la communauté, ni de l'universalité ou d'une quotité du mobilier, si ce n'est pour l'établissement des enfants communs.

Il peut néanmoins disposer des effets mobiliers à titre gratuit et particulier, au profit de toutes personnes, pourvu qu'il ne s'en réserve pas l'usufruit.

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1423. La donation testamentaire faite par le mari ne peut excéder sa part dans la communauté.

S'il a donné en cette forme un effet de la communauté, le donataire ne peut le réclamer en nature, qu'autant que l'effet, par l'événement du partage, tombe au lot des héritiers du mari si l'effet ne tombe point au lot de ces héritiers, le légataire a la récompense de la valeur

:

totale de l'effet donné, sur la part des héritiers du mari dans la communauté et sur les biens personnels de ce dernier.

SOMMAIRE.

I.

Le mari est l'administrateur des biens communs, et non pas dans le sens ordinaire de ce mot, mais avec des pouvoirs presque illimités : il est administrateur cum liberâ.

II. Toutefois le pouvoir du mari s'arrête aujourd'hui, en principe, devant l'aliénation gratuite entre-vifs; et la donation qu'il ferait, même avec le concours de la femme, serait nulle: controverse.

III. Il y a une première exception pour l'établissement d'un enfant commun. Le mari peut alors donner même la totalité des biens communs : erreur de M. Duranton. Mais il ne le peut par institution contractuelle.

IV. Une seconde exception permet au mari de donner à qui il veut des biens meubles et particuliers, à la condition de ne pas s'en réserver l'usufruit.

V. Les donations faites en dehors de ces deux exceptions ne sont nulles que par rapport à la femme; elles restent valables entre le donataire et le mari donateur, et peuvent s'exécuter par équivalent sur les propres de celui-ci.

VI. Le legs de biens communs fait par le mari s'exécute également sur ses propres pour ce qui excède sa part de communauté (distraction de M. Troplong). Secus du legs fait par la femine, qui reste sans effet pour tout ce qui ne tombe pas au lot de cette femme: controverse. La règle est la même pour l'institution contractuelle.

I. La nature même commandait de remettre au mari la gestion de la société conjugale, l'administration absolue de la communauté; et lui seul, en effet, d'après l'art. 1421, est chargé de cette administration. Lui seul, par conséquent, peut, en ce qui concerne les biens communs, intenter les actions ou y répondre, recevoir des sommations ou significations; et c'est avec raison qu'un arrêt de Bourges (du 18 juin 1839) a déclaré nulle la notification que l'acquéreur d'une créance dont la femme était débitrice avant le mariage, mais qui était entrée dans la communauté par l'effet de ce mariage, avait faite à la femme au lieu de la faire au mari (1).

Et non-seulement le mari seul est ici administrateur, mais il n'est pas, et à beaucoup près, un administrateur ordinaire. L'autorité naturelle et légale dont sa qualité même l'investit et la confiance que cette qualité inspire, lui ont fait attribuer, tant dans l'intérêt de la femme et des enfants que par considération pour lui-même, des pouvoirs presque illimités, presque identiques à ceux d'un propriétaire exclusif des biens; et non-seulement il peut faire, sans conditions ni formalités aucunes, les compromis, les transactions, ou tous autres actes pour lesquels la loi prend ordinairement certaines précautions, mais il peut, par sa seule volonté et sans le concours de sa copropriétaire, hypothéquer les biens communs, les grever de servitudes, les vendre ou aliéner autrement, pourvu que ce soit à titre onéreux (2). La femme, malgré sa copropriété, ne peut exercer aucun droit d'opposition ni de contrôle;

(1) Il suffit d'une seule copie pour les époux. Cass., 4 août 1817, 20 avr. 1818, 8 avr. 1829, 17 mars 1838, 29 janv. 1840, 21 déc. 1840, 23 fév. 1842.

(2) L'aliénation moyennant une rente viagère présente beaucoup de difficultés au sujet de la réversibilité de cette rente sur la tête de la femme et des effets qui en résultent. Voy. Lebrun (De la Comm., liv. 1, tit. 5, dist. 2, n° 17); Troplong (t. II, no 868, et Rente viag., 254); Rodière et Pont (2o édit., 870); Pont (Rente viag.); Dalloz

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