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au demandeur; ce n'est pas non plus de dire qu'elle incombe à celui qui affirme et non à celui qui nie. Ces deux propositions, très-exactes quand on les entend comme elles doivent être entendues, présentent un sens ambigu qui pourrait induire en erreur. Il faut dire que toute prétention nouvelle, toute allégation tendant à changer l'état actuel des choses, doit être prouvée par celui qui la met en avant, et jamais par celui contre qui elle est dirigée et qui la conteste (1).

III. Ce principe si simple donne, selon nous, la solution facile d'une question aussi importante que controversée, et sur laquelle la plupart des auteurs, notamment M. Duranton (X-355) et M. Zachariæ (II, p. 475), nous paraissent tomber dans une erreur que ne commet pas la jurisprudence.

Quand l'écrit qui constate un contrat unilatéral, une obligation prise par une personne envers moi sans obligation réciproque de ma part envers elle, n'énonce pas la cause de l'obligation; par exemple, quand Sous avez souscrit un billet portant : « Je reconnais devoir à N. une somme de 500 fr., que je lui payerai à telle époque », ou bien : « Je m'oblige à payer à N., à telle époque, une somme de 500 fr. », sans dire pourquoi la somme est due, est-ce au prétendu créancier de prouver qu'une cause licite existe, ou bien au prétendu débiteur d'établir qu'il n'en existe pas?

La réponse est à nos yeux bien simple. Puisque de deux allégations contraires, celle-là doit être prouvée qui tend à changer le statu quo, à renverser l'ensemble de faits ou d'idées actuellement acquis, soit par les preuves ou les reconnaissances antérieurement données, soit par la nature ordinaire des choses, c'est donc à celui qui apparaît ici comme débiteur, et qui prétend cependant ne pas l'être, de prouver qu'il ne l'est pas en effet... Quand je viens vous demander 500 fr. en présentant un écrit par lequel vous vous déclarez obligé à me les payer, il est clair que je ne dérange rien à l'ordre préétabli, et que ma prétention tend tout simplement à faire suivre aux choses leur cours normal et régulier : vous vous êtes proclamé mon débiteur, je demande qu'on vous traite comme tel; rien n'est plus naturel. Quand, au contraire, vous me répondez qu'à la vérité vous avez signé un écrit, mais qu'il doit être déchiré; que vous vous êtes dit mon obligé, mais que cependant vous ne l'êtes pas, c'est vous qui voulez renverser ce qui existe, qui attaquez ce que vous avez établi vous-même, qui prenez l'offensive et devenez ACTOR excipiendo. C'est donc à vous de faire la preuve de votre prétention... En vain on dira que c'est à celui qui se dit créancier de justifier de l'existence des diverses conditions auxquelles la formation de sa créance était subordonnée, et par conséquent de l'existence d'une cause de l'obligation; car cette cause (comme les autres conditions requises) est établie quant à présent, et sauf preuve contraire, par cela même que vous vous êtes proclamé débiteur. Il est évident, en effet, que, d'après la règle générale et dans l'ordre ordinaire des choses, on ne

(1) Dict. du not., 4° édit, vo Preuve, nos 5 et 6; Larombière (IV, art. 1315, no 16).

vient pas souscrire un engagement quand on ne doit pas. Sans doute, cela peut arriver (et c'est précisément parce que le fait est possible qu'on vous permettra de le prouver), mais c'est là l'exception, la dérogation à l'état normal et habituel. Or on n'a pas besoin de prouver la règle contre l'exception, mais bien l'exception contre la règle.

Et comment n'a-t-on pas vu jusqu'où irait la doctrine contraire? Ce que MM. Duranton, Zachariæ, Dalloz et autres disent de la cause, il faudrait le dire aussi des autres conditions requises pour la formation ou même pour la validité de l'obligation. L'obligé dirait à son créancier: « Pour me faire condamner au payement, il faut que vous établissiez une créance efficace et valide; prouvez donc que j'étais majeur, que je n'étais pas interdit, que j'ai agi librement, etc., etc. » Car enfin, si la loi exige une cause licite, elle exige aussi la capacité de la partie qui s'oblige, elle exige un consentement exempt d'erreur, de violence et de dol; et si le créancier est tenu de prouver l'existence de la première condition, on ne voit pas pourquoi il serait dispensé de prouver l'existence des autres... La vérité est que, du moment qu'une personne s'est reconnue obligée, on doit croire qu'elle l'est en effet, jusqu'à ce qu'elle prouve le contraire; et cela est vrai de la cause aussi bien que des autres conditions, puisque la cause n'a pas plus besoin que les autres d'être exprimée dans l'acte (art. 1132).

Et qu'on ne dise pas que le débiteur se trouve ainsi soumis à la preuve absolument impossible d'une négative indéfinie, et qu'il succombera nécessairement, alors même que sa prétention sera parfaitement fondée. C'est là une erreur palpable; et la position de ce débiteur n'est jamais aussi fâcheuse qu'on veut bien le dire... Ou bien il s'agit d'une cause fausse, c'est-à-dire d'une cause qu'on croyait exister et qui n'existe pas; ou bien l'acte avait une cause réelle mais contraire à la loi; ou bien c'était une cause future qui ne s'est pas réalisée, ou une cause successive qui a cessé d'exister; ou bien enfin il y a eu absence absolue de cause, et alors celui qui a souscrit l'acte était fou (car il n'y a qu'une personne privée de sa raison qui puisse s'engager sans aucun motif). Or, dans tous les cas, la négation se transforme en l'affirmation d'un fait très-positif, dont la preuve sera facile (1); et s'il est vrai que le créancier peut toujours (hormis le cas de folie, dont la preuve une fois faite ne lui laisserait rien à répondre) échapper, en disant que, si l'adversaire rend sa prétention vraisemblable, il n'en donne cependant pas la preuve, puisque l'obligation peut avoir toute autre cause que celle dont il prouve le vice, il ne faut pas oublier que la vraisemblance que ce débiteur donne à son allégation permet au juge, en présence du mauvais vouloir du créancier (qui se contenterait de dire : « Il y a une cause valable et que je connais, mais je ne veux pas l'in

(1) M. Duranton dit que, dans le cas de cause fausse, il sera facile au débiteur de prouver la fausseté de la cause, mais qu'il lui serait absolument impossible de prouver l'absence totale de cause. C'est une erreur sensible; car le fait de s'obliger sans aucune cause ne peut être que le résultat d'un défaut de raison, et la folie est certes une chose qui tombe parfaitement en preuve.

diquer »), de s'en rapporter au serment de ce débiteur (art. 1367). C'est donc au débiteur de prouver, dans ce cas, son allégation; et ce point, déjà proclamé autrefois par le Parlement de Paris pour les pays de coutume, et par le Parlement de Toulouse pour les pays de droit écrit, est également consacré sous le Code (1) par les arrêts (quoique M. Duranton n'en cite aucun, même dans son édition augmentée de l'analyse de la jurisprudence).

Cette doctrine doit paraître d'autant moins douteuse qu'il est reconnu par d'autres arrêts plus nombreux, et même par les auteurs que nous combattons, que le défaut de cause doit être prouvé par le souscripteur lorsque l'écrit porte les mots : Je reconnais devoir; c'est seulement quand on a dit: Je payerai ou: Je m'oblige à payer, que ces auteurs veulent rejeter la preuve sur le créancier. Cette distinction, imaginée par d'anciens auteurs, reproduite au conseil d'État et soutenue aujourd'hui encore, surtout par M. Duranton, n'est-elle pas une puérilité? Comment la raison, le bon sens, permettent-ils de voir une différence entre celui qui dit : « Je reconnais devoir telle somme à N. », et celui qui dit : « Je m'oblige à payer telle somme à N.? » Est-ce que ce n'est pas se reconnaître débiteur que de se déclarer tenu de payer? Etre débiteur ou être obligé, c'est la même chose; et M. Duranton lui-même le proclame nettement ailleurs (XIII-321, al. 6).

La question, du reste, ne peut se présenter que pour le contrat unilatéral; car si l'écrit constatait un contrat synallagmatique, la cause de chaque obligation s'y trouverait nécessairement énoncée, puisqu'elle serait précisément l'objet de l'autre obligation.

1316. Les règles qui concernent la preuve littérale, la preuve testimoniale, les présomptions, l'aveu de la partie et le serment, sont expliquées dans les sections suivantes.

N. B. Nous avons déjà dit que cinq sections sont consacrées aux cinq espèces de preuves dont parle notre article.

SECTION PREMIERE

DE LA PREUVE littérale.

I. - La loi comprend ici, sous le nom de preuve littérale, non pas seulement celle qui résulte de l'écriture proprement dite, mais aussi celle qui se trouve établie par des tailles, destinées à indiquer la quantité de marchandises fournies par une partie à l'autre, et qui constituent ainsi une espèce d'écriture, un système de signes suffisant pour exprimer la pensée qu'il s'agit de manifester.

(1) Voy. Rennes, 24 août 1816; Liége, 19 fév. 1824; Bourges, 12 fév. 1825; Agen, 3 juillet 1830; Cass. (d'un arrêt de Poitiers), 16 août 1848 (Dev., 5, 2, 190; 8, 2, 27; 32, 2, 575; 49, 1, 113); Nîmes, 17 déc. 1849 (D. P., 52, 2, 69). - Dans le même sens : Maleville (art. 1131); Marbau (Trans., no 157); R. de Villargues (v° Cause des Obligat.); Bonnier (Preuves, no 557); Poujol (art. 1131, no 8); Larombière (t. I, p. 294).

II. Les écrits destinés à constater les conventions, et que l'on a appelés très-exactement instrumenta (moyens de preuve, instruments de preuve), ont fini par recevoir les noms, peu exacts mais consacrés par l'usage, de titres ou actes. A proprement parler, l'acte n'est rien autre chose que le fait même qui s'est passé entre les parties, quod actum est; mais, par une figure de langage, on a transporté à l'écrit qui rappelle l'événement le mot qui ne convenait qu'à l'événement luimême. Il en est de même du mot titre, qui exactement exprime le fondement du droit (titre d'acheteur, d'héritier, de donataire), et qu'on a appliqué à l'instrumentum qui constate ce titre. Du reste, si le substantif instrument n'est pas usité dans le sens dont il s'agit ici, le verbe instrumenter s'emploie très-bien, au contraire, et nous allons le rencontrer dans l'art. 1317.

Les titres ou actes sont authentiques ou sous seing privé, originaux ou simples copies, primordiaux ou seulement récognitifs.

III. La section que nous avons à expliquer ici est divisée en cinq paragraphes, qui s'occupent:

Le premier, du titre authentique et des contre-lettres par lesquelles on y apporte une dérogation secrète;

Le deuxième, de l'acte sous seing privé;

Le troisième, des tailles;

Le quatrième, des copies de titres;

Le cinquième et dernier, des actes récognitifs. Il parle aussi des actes confirmatifs, qui, régulièrement, ne devraient pas se trouver dans notre chapitre, mais au précédent, dans la section De l'action en nullité; car la confirmation ou ratification a pour but de faire disparaître le vice qui permet de faire annuler une convention; et quant aux moyens de se prouver, elle suit les règles ordinaires.

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1317. L'acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, et avec les solennités requises.

SOMMAIRE.

I.

Ce que c'est que l'acte authentique. Il s'agit surtout ici de l'acte notarié. II. Quatre conditions sont requises pour son efficacité.

III. Analyse et critique de la déplorable loi du 21 juin 1843.

1. On appelle en général actes authentiques, ou actes publics, ceux qui émanent régulièrement de l'autorité publique. Ainsi, les actes législatifs sont au premier chef des actes authentiques. Il en est de même des actes administratifs. Mais ce n'est pas de tous ces actes que notre article entend parler. On le voit assez quand il parle d'actes reçus par des officiers publics ayant le droit d'instrumenter. Il ne s'occupe, comme l'indiquent sa rédaction et la matière à laquelle il appartient,

que de l'acte authentique ayant pour but de faire preuve des conventions. Du reste, il eût été facile de donner une définition s'appliquant à tout acte authentique, en disant que c'est lui qui émane d'officiers publics agissant dans l'exercice régulier de leurs fonctions (1).

Les greffiers, les avoués, les huissiers, etc., confèrent aussi l'authenticité aux actes de leur compétence (2); mais les actes authentiques dont il est question dans notre article, ceux qui sont destinés par excellence à constater authentiquement les conventions, ce sont les actes notariés, puisque le notaire a précisément pour mission de donner l'authenticité aux déclarations de volonté des citoyens (3).

II. Pour que l'acte soit vraiment authentique et produise l'effet attaché à ce caractère, il faut qu'il soit reçu par un fonctionnaire capable, compétent, et agissant avec les formes requises.

Et d'abord, il faut que celui qui reçoit l'acte soit officier public. Si donc il s'agissait d'un individu qui s'est fait passer pour notaire et qui ne l'était pas, il est clair que l'acte dressé par lui ne saurait valoir jusqu'à inscription de faux, quelle que fùt la bonne foi des parties trompées. Il en serait de même d'un notaire destitué; car par sa destitution, il a cessé d'être notaire; il n'est plus officier public, ce qui n'a lieu, bien entendu, que du jour où la destitution est notifiée, et non pas du jour où elle est prononcée (4). Mais nous pensons qu'il en serait autrement, et que l'acte aurait sa pleine authenticité, si la personne dont il émane s'était fait nommer notaire sans réunir les conditions voulues; par exemple, si un étranger avait obtenu une commission, en se faisant passer pour Français, ou en se croyant Français lui-même; ou si, par erreur, un Français avait été institué notaire avant l'âge voulu : car s'il est vrai qu'il y a alors violation de la loi, il n'est pas moins vrai que l'individu est notaire, et qu'il restera tel tant que sa commission ne lui sera pas retirée. (Conf. M. Duranton, XIII-77; M. Bonnier, no 354; Rolland de Villargues, n° 16; Aubry et Rau (3o édit., t. VI, p. 359; Larombière, art. 1317, n° 7; Dict. not., v° Acte auth., no 6, et Acte not., no 441. Voy. Alger, 22 fév. 1856, D. P. 59, 2, 143.) — II faut, en second lieu, que l'officier public soit capable d'instrumenter; et, par conséquent, l'acte n'aurait pas son efficacité s'il était reçu par

(1) Ainsi, nul doute que le procès-verbal de conciliation dressé par le juge de paix ne soit un acte authentique, qui ne pourrait être démenti que par la voie difficile de l'inscription de faux. Il est bien clair, en effet, que le magistrat conciliateur n'est pas une personne privée. Lors donc que l'art. 54 du Code de procédure nous dit que cet acte n'a que force d'obligation privée, il n'entend pas parler de la force probante, de la foi due à l'acte, mais de la force exécutoire seulement. Voy. art. 1319, no IIi. (2) Les procès-verbaux des commissaires-priseurs n'ont le caractère d'authenticité qu'en ce qui concerne les ventes au comptant et les déclarations qui s'y rattachent. Quant aux ventes à terme, la preuve des obligations prétendues prises par l'acheteur ne résulte pas irrefragablement, en l'absence de toute approbation émanée de ce dernier, du procès-verbal du commissaire-priseur, et les juges peuvent dès lors, sur ce point, déférer le serment à l'acheteur. Cass., 13 mars 1867 (Dev., 67, 1, 98).

(3) Les actes authentiques passés en pays étranger conservent leur caractère en France, et y jouissent, dès lors, quant à la preuve des faits qu'ils sont destinés à constater, de la même force probante que les actes reçus par un notaire français. Dijon, 3 avril 1868 (Dev., 69, 2, 46).

(4) Arg. de Cass., 25 nov. 1813. Dict. not., 4o édit., vo Acte authent., no 7.

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