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Parlons maintenant de la clause d'apport.

1501. Cette clause rend l'époux débiteur envers la communauté, de la somme qu'il a promis d'y mettre, et l'oblige à justifier de cet apport.

1502. L'apport est suffisamment justifié, quant au mari, par la déclaration portée au contrat de mariage que son mobilier est de telle valeur.

Il est suffisamment justifié, à l'égard de la femme, par la quittance que le mari lui donne, ou à ceux qui l'ont dotée.

1503. Chaque époux a le droit de reprendre et de prélever, lors de la dissolution de la communauté, la valeur de ce dont le mobilier qu'il a apporté lors du mariage, ou qui lui est échu depuis, excédait sa mise en communauté.

I.

SOMMAIRE.

Clause d'apport. Elle ne produit pas toujours la réalisation, et celle qu'elle peut produire n'est qu'imparfaite. Conséquence.

II. Elle rend l'époux débiteur de la somme, et cet époux doit justifier de sa libération. Comment se fait la preuve, soit pour le mobilier du jour du mariage, soit pour celui qui échoit ensuite.

III. L'époux est garant du mobilier venant de son chef; et s'il s'agit de créances, il faut de plus qu'elles aient été acquittées : différence pour la preuve entre le mari et la femme. L'époux ne peut imputer son mobilier que sous déduction de ses dettes.

I. - La clause d'apport, à la différence de celles dont nous venons de parler sous l'art. 1500, ne produit pas toujours de réalisation, et quand elle en produit une, ce n'est qu'une réalisation imparfaite et improprement dite. Elle ne produit pas toujours de réalisation, puisqu'il n'y a d'exclu de la communauté que ce dont le mobilier de l'époux dépasse la somme par lui promise, et qu'il peut très-bien arriver que tout ce mobilier, présent et futur, n'excède pas cette somme, ou quelquefois même ne l'atteigne pas. Que s'il y a un excédant, cet excédant n'est

-

de choses fongibles, on reconnaît que le mari a sur eux tous les droits d'un usufraitier (Dalloz, 2694). S'il s'agit de meubles estimés par le contrat, on applique l'art. 1551 pour décider que le mari en devient propriétaire, sauf restitution de sa valeur. Mais il y a de grandes difficultés à l'égard des meubles qui, sans se consommer de suite, se détériorent peu à peu par l'usage, comme les meubles meublants. Pothier pense que le conjoint devient seulement créancier de la valeur de ces objets (no 728), et son opinion est suivie par MM. Troplong (no 1936), Merlin vo Réalisat., 21, no 4), Bellot (t. III, p. 119), Delvincourt (t. III, p. 41, édit. 1819), Battur (II, 153). D'autres auteurs soutiennent, au contraire, que la femme demeure proprie taire des meubles. Bourjon (Droit commun, t. III, p. 433, note 1); Renusson (Des Propres, ch. 6, sect. 3, nomb. 5); Duplessis (p. 143 et 144); Toullier (t. XII, n° 375); Duranton (t. XIV, no 318, et XV, no 21); Zachariæ (t. III, p. 516, note 18); Championnière (t. IV, no 2896); Taulier (t. V, p. 180); Bugnet (sur Pothier, De la Com mun., no 325); Pont et Rodière (t. II, n° 51, et 2e édit., 1276). Voy. aussi Zachariæ, et Dalloz (loc. cit., 2698). La jurisprudence n'offre sur ce point que des solutions peu satisfaisantes. Paris, 21 janv. 1837, 15 avr. 1839; Cass., 2 juil. 1840; Bourges, 6 août 1834; Cass., 5 nov. 1860 (Dev., 61, 1, 49); Amiens, 17 déc. 1861 (Dev., 62, 2, 246); Paris, 21 fév. 1868 (Dev., 68, 2, 176); Cass., 26 juill. 1869 (Dev., 69, 1, 401).

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pas frappé d'une vraie réalisation, il ne devient pas propre rigoureusement; il appartient comme le reste à la communauté, qui est seulement débitrice envers l'époux d'une somme égale à la valeur de cet excédant. L'époux, dans ce cas, a mis tout son mobilier dans le fonds social en libération de la dette par lui contractée; c'est une dation en payement de la somme par lui promise; et la communauté, dès lors, acquiert la propriété de tous les meubles, sauf à compter. Lors donc que la communauté se dissout et que la valeur du mobilier provenu de l'époux excède la somme promise, cet époux reprend la valeur de l'excédant, sans pouvoir exiger les meubles en nature et sans qu'on puisse non plus le contraindre à les reprendre ainsi c'est la communauté qui est devenue propriétaire de ces meubles dès qu'elle les a reçus, et c'est pour elle qu'ils ont augmenté ou diminué de valeur (1).

II. La convention d'apport rend l'époux débiteur de la somme promise; et il faut par conséquent, lors des comptes qui suivent la dissolution de communauté, qu'il complète le payement de cette somme ou qu'il prouve l'avoir payée en entier au moyen du mobilier entré de son chef.

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La justification du mobilier apporté lors du mariage peut se faire, aux termes de l'art. 1502, par des moyens fort simples. Il suffit, pour celui de la femme, d'une quittance que le mari donne, soit dans le contrat, soit dans un acte postérieur, à la femme ou à ceux qui l'ont dotée; et l'on peut convenir (ce qui se pratique en effet souvent) que le fait même de la célébration vaudra quittance (2): c'est au mari de ne pas consentir alors à la célébration avant d'avoir reçu la livraison des choses promises. Pour l'apport du mari, une quittance ne pouvait pas être exigée: cette quittance n'aurait pas pu émaner de la femme, qui n'a pas qualité pour représenter la communauté; le mari, d'un autre côté, ne peut pas se donner quittance à lui-même. La loi se contente donc ici de la simple déclaration que le mari fait au contrat : c'est à la femme ou à ses conseils d'en vérifier l'exactitude avant de signer (3). Il va sans dire, au surplus, que la femme pourrait prouver par témoins que, dans l'intervalle du contrat où se trouve la déclara

(1) Conf. Zachariæ (t. III, p. 525); Pont et Rodière (t. II, no 81, et 2e édit., 1311). Voy. cependant M. Troplong (no 1957); Journal des notaires (no 9903); Dalloz 2743).

(2) Rej., 19 janv. 1836; Caen, 3 mai 1845 (Dev., 36, 1, 198; 45, 2, 536); Orléans, 29 mai 1855 (Dalloz, 56, 2, 62). - Sic MM. Pont et Rodière (t. II, no 89, et 2e édit., 1321); Troplong (t. III, n° 1967). Voy. Cass., 22 fév. 1860; Bordeaux, 29 mars 1851; Dijon, 7 mai 1862.

(3) Mais la déclaration du mari, dans le contrat de mariage, qu'il possède un mobilier de telle valeur, consistant en créances, titres, billets et argent disponibles, ne suffit pas pour faire preuve de cet apport, alors que plus tard, et lors de la dissolution de la communauté, le mari ou ses représentants ne font ni n'offrent la preuve que des billets, titres et créances ont été payés, ni qu'une quantité déterminée de deniers a été versée dans la communauté. Cass., 8 mars 1852 (Dev., 52, 1, 497). - Si la femme ou ceux qui l'ont dotée s'étaient réservé la faculté d'exiger ultérieurement la justification de l'apport promis par le mari, cette réserve devrait avoir son effet. MM. Duranton (XV, 44); "Zachariæ (III, 524); Rodière et Pont (II, 91, et 2e édit., 1323).

tion à la célébration du mariage, le mari s'est empressé de transformer son mobilier en immeubles, et que la communauté dès lors n'a pas reçu le mobilier que le mari semble avoir apporté on sait que la fraude peut toujours se prouver par témoins, fraus omnia corrumpit. — Il va sans dire aussi que l'apport, soit du mari, soit de la femme, pourrait se prouver par d'autres moyens. Dire, comme le fait l'art. 1502, que ces moyens prouveront suffisamment, c'est dire qu'il est d'autres moyens qui prouveraient aussi et même plus énergiquement. Et, en effet, un inventaire spécialement dressé ad hoc est assurément l'acte le plus probant de tous; et il est bien évident que c'est pour dispenser de l'état en bonne forme dont parle l'art. 1499, et nullement pour l'exclure, que la loi se contente ici d'une preuve moins rigoureuse. Quant au mobilier qui échoit pendant le mariage, les moyens de justification sont réglés par la disposition déjà connue de l'art. 1504 (1).

On tenait autrefois, pour ce mobilier arrivant pendant le mariage, qu'il ne comptait pas pour l'acquittement de la somme promise, laquelle ne devait se prendre que sur les biens présents, en sorte que ce mobilier postérieurement échu entrait purement et simplement dans la communauté, sans que l'époux pût ni réclamer l'excédant de valeur, si la somme promise était dépassée par les deux mobiliers réunis, ni se dispenser de compléter le payement de cette somme, si le mobilier du jour du mariage était insuffisant (Pothier, n° 296). Delvincourt, M. Battur (II, 338), et M. Troplong (III, 1963), enseignent qu'il en doit encore être ainsi sous le Code: mais l'inexactitude de cette idée ressort clairement et de l'art. 1500, dans le second alinéa duquel le pronom en se rapporte au mobilier présent et futur dont parle l'alinéa précédent, et surtout de l'art. 1503, qui autorise l'époux à reprendre l'excédant de valeur du mobilier par lui apporté lors du mariage, ou qui lui est échu depuis. Sans doute, si le contrat de mariage, s'écartant des principes de nos articles, expliquait que c'est par son mobilier présent que l'époux s'oblige à mettre en communauté une valeur de son mobilier futur devant tomber purement et simplement dans cette communauté, cette clause recevrait son exécution comme toute autre qu'il plaît aux parties de stipuler; mais quant à la règle de Pothier, règle qui ressort nettement de l'ensemble du § 1er de son art. 2 (n° 287-296), et d'après laquelle l'époux, en principe et dans toute convention d'apport, ne peut imputer sur la valeur par lui promise à la communauté que son mobilier présent, il est évident qu'elle est fausse aujourd'hui en présence de nos articles et se trouve remplacée sous le Code par une règle toute contraire (2).

(1) Du reste, lorsque l'un des futurs époux, apportant dans la communauté un objet mobilier d'une valeur naturellement incertaine et susceptible de variation, a attribué à cet objet une valeur déterminée, et que l'autre futur conjoint a accepte cette fixation de valeur, une telle clause constitue un forfait qui lie les époux et leurs héritiers. Paris, 14 mai 1853 (Dev., 54, 2, 729).

(2) Conf. Toullier (XIII, 311); Duranton (XV, 35); Zachariæ (III, p. 523); Odier (II, 754); Rodière et Paul Pont (II, 99, et 2e édit., 1335). Voy. Dalloz (2728).

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Il est bien clair, au surplus, que c'est d'après sa valeur au jour où il est entré dans la communauté, et non d'après celle du jour de la dissolution, que le mobilier doit s'estimer (1).

III. De ce que la convention d'apport rend l'époux débiteur de la somme par lui promise, il s'ensuit qu'il est garant envers la communauté des meubles qu'il lui donne en payement, et qu'on ne compterait pas à son acquit ceux dont elle aurait été évincée. Dans la communauté légale, l'époux n'apporte ses meubles qu'en tant qu'ils sont à lui et avec les droits tels quels qu'il a sur eux; ici, au contraire, c'est telle somme déterminée qu'il lui faut payer, et il est évident que si la communauté vient à être évincée de quelques-uns des effets qu'elle a reçus, ces effets ne viendront point en payement de la somme (Pothier, n° 302) (2). -Quand il s'agit de créances, il faut, de plus, pour pouvoir les imputer sur la somme, qu'elles aient été payées à la communauté; mais il y a ici une distinction à faire entre le mari et la femme, distinction fondée sur ce que c'est au mari de poursuivre et de faire effectuer le payement des créances appartenant à la communauté. Les créances provenant de la femme sont présumées avoir été acquittées ou n'avoir manqué de l'être que par la négligence du mari, tant que celuici ne justifiera pas de poursuites faites en temps utile et restées sans résultat; en sorte que la femme n'aura pas d'autre preuve à faire que celle de l'existence des créances. Pour celles qui viennent du mari, au contraire, celui-ci, pour en obtenir l'imputation, doit évidemment prouver, soit par des contre-quittances, soit autrement, que le payement en a été fait (3).

De ce même principe que l'époux est, envers la communauté, débiteur de la somme promise, il suit également que les dettes grevant son mobilier doivent être supportées par lui et non par la communauté. Ce n'est pas à dire qu'il y ait proprement séparation de dettes, en ce sens que les créanciers de l'époux ne pourraient pas agir sur les biens communs tout le mobilier de l'époux étant entré dans la communauté, il est tout simple que les créanciers peuvent l'y poursuivre. Mais l'époux devra tenir compte à la communauté des dettes payées pour lui par celle-ci en d'autres termes, le mobilier provenant de l'époux ne s'imputera sur la somme promise que déduction faite du montant de ces dettes. Sans cela, en effet, le prétendu apport de l'époux n'aurait rien de réel, et la somme dont il est débiteur ne serait pas payée (4).

(1) Pothier (288 et 289); Toullier (t. XIII, nos 301, 302 et 310); Duranton (t. XV, nos 33 et 43); Rodière et Pont (II, 100, et 2e édit., 1336); Troplong (1958).

(2) Conf. Duranton (t. XV, 43; Toullier (XIII, 324); Pont et Rodière (II, 102, et 2e édit., 1338); Troplong (1955); Dalloz (2730).

(3) Conf. Pothier (290); Bellot (XIII, p. 94); Toullier (XIII, 310); Battur (II, no 386); Rodière et Pont (II, no 98, et 2e édit., 1333); Odier (750); Troplong (1959), Dalloz (2727).

(4) Voy. Pothier (no 352); Toullier (t. XIII, no 350); Duranton (t. XV, no 95); Rodière et Pont (t. II, no 198, et 2o édit., 1448); Troplong (2022); Dalloz (2795).

1504. Le mobilier qui échoit à chacun des époux pendant le mariage, doit être constaté par un inventaire.

A défaut d'inventaire du mobilier échu au mari, ou d'un titre propre à justifier de sa consistance et valeur, déduction faite des dettes, le mari ne peut en exercer la reprise.

Si le défaut d'inventaire porte sur un mobilier échu à la femme, celle-ci ou ses héritiers sont admis à faire preuve, soit par tiers, soit par témoins, soit même par commune renommée, de la valeur de ce mobilier.

I. Cette disposition, qui s'applique et en cas de clause de réalisation et en cas de clause d'apport, se trouve expliquée sous l'art. 1499, n° III.

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SECTION III

DE LA CLAUSe d'ameublissement.

1505. Lorsque les époux ou l'un d'eux font entrer en communauté tout ou partie de leurs immeubles présents ou futurs, cette clause s'appelle ameublissement.

SOMMAIRE.

I. Clause d'ameublissement. Elle peut avoir pour but, comme la clause réciproque d'immobilisation, d'établir l'égalité entre les deux époux.

II. Diverses espèces d'ameublissement. L'une de ces espèces constitue la communauté universelle. Renvoi pour la réfutation de plusieurs erreurs.

III. La clause d'ameublissement est de droit étroit: conséquences: erreur de Toullier

et de M. Battur.

IV. Son effet se restreint à la composition de l'actif commun.

stipuler comme toute autre cause.

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I. De même que les époux peuvent restreindre la communauté ordinaire en excluant de son actif tout ou partie de leurs biens meubles; qui se trouvent ainsi immobilisés, c'est-à-dire assimilés aux immeubles, de même et réciproquement ces époux peuvent étendre la communauté au delà du droit commun en y faisant entrer tout ou partie de leurs biens immeubles, qui se trouveront ainsi réputés meubles quant à la composition de l'actif social. Tel est le but de la clause d'ameublis sement.

Ces deux clauses opposées d'immobilisation du mobilier et d'ameublissement des immeubles seront souvent, pour les époux, des moyens d'établir entre eux une égalité qui, à raison de leur position respective, ne résulterait pas de l'adoption de la communauté légale. Ainsi, que de deux époux possédant chacun 100000 francs, l'un en immeubles, l'autre en meubles, le premier ameublisse la moitié de sa fortune, en même temps que le second immobilise la moitié de la sienne, chacun d'eux aura mis en commun une valeur égale et conservera propre une valeur égale aussi, tandis que l'adoption de la communauté légale aurait réduit à zéro le patrimoine propre de l'un, en conservant intact à l'autre

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