Page images
PDF
EPUB

somme fixée au contrat, et de supporter toutes les dettes de la communauté. La femme reste étrangère à cette communauté, elle ne peut pas être poursuivie par les créanciers comme commune; et si elle l'était pour quelques dettes de communauté, parce qu'elle serait obligée personnellement, elle ne les payerait que sauf recours pour le tout contre le mari ou ses successeurs (1).

Quand c'est à l'égard de la femme ou de ses héritiers que le forfait est établi, les effets sont les mêmes, sauf cette différence très-impor-, tante, que, la femme, et ses héritiers comme elle, ayant en toute circonstance le droit de renoncer à la communauté, sans qu'aucune convention puisse lui enlever ce droit (art. 1853), il en résulte cette conséquence, formellement consacrée d'ailleurs par notre art. 1524, que cette femme aura toujours le choix ou de prendre pour elle seule l'actif et le passif de la communauté, en payant au mari la somme convenue, ou d'abandonner le tout au mari et de se rendre étrangère à la communauté, au moyen d'une renonciation, comme elle le ferait dans le cas de communauté légale.

M. Bellot (III, p. 298) et M. Zachariæ (III, p. 556) prétendent qu'il faut mettre ici sur la même ligne que ce bénéfice de renonciation, cet autre bénéfice, concédé à la femme par l'art. 1483, de n'être tenue des dettes, en acceptant, que jusqu'à concurrence de son émolument, sous la condition d'avoir fait dresser inventaire. C'est, selon nous, une erreur palpable et qui se réfute péremptoirement par le rapprochement des trois art. 1453, 1524 et 1483. Si, malgré la stipulation par laquelle la femme (comme compensation de sa chance de gains énormes) s'oblige à payer une somme et à prendre toute la communauté pour son compte personnel, malgré une convention qui, d'après les principes, ferait disparaître pour elle les deux avantages du bénéfice d'inventaire et du droit de renonciation, si, malgré cela, disons-nous, cette femme conserve néanmoins la faculté de renoncer encore à la communauté, c'est que son droit de renonciation est d'ordre public et de telle nature qu'il lui est interdit de s'en dépouiller, toute convention contraire étant déclarée nulle. Or où trouve-t-on un texte légal qui attribue la même importance, la même nature, au bénéfice de l'art. 1483? Nulle part; il n'en existe pas. Aussi notre art. 1524, qui prend soin de rappeler ici le droit de renonciation, se garde-t-il bien d'y parler du bénéfice d'inventaire. Cela étant, et le droit qu'on invoque ici pour la femme de restreindre sous ce second rapport l'effet naturel de sa convention n'étant écrit ni dans la disposition de notre article, ni dans quelque autre article posant un principe semblable à celui d'où découle cette disposition, ce droit ne peut donc exister; la convention, inefficace à l'encontre du droit de renonciation, conserve toute sa force à l'endroit du bénéfice d'inventaire; et la femme, dès lors, bien suffisamment protégée assurément par sa faculté de renoncer, devra, du mo

(1) Pothier (458); Duranton (XV, 209); Toullier (XIII, 414-420); Rolland (761); Rodière et Pont (II, 332, 334, et 2e édit., 1593,1595); Troplong (2152-2159); Dalloz (2969).

T. V.

48

ment qu'elle préfère prendre la communauté, payer la totalité des dettes, même au delà de son émolument (1).

3° De l'attribution éventuelle de toute la communauté à l'un des époux.

1525. Il est permis aux époux de stipuler que la totalité de la communauté appartiendra au survivant ou à l'un d'eux seulement, sauf aux héritiers de l'autre à faire la reprise des apports et capitaux tombés dans la communauté, du chef de leur auteur.

Cette stipulation n'est point réputée un avantage sujet aux règles relatives aux donations, soit quant au fond, soit quant à la forme, mais simplement une convention de mariage et entre associés.

I.

SOMMAIRE.

La clause prévue par l'article n'est point exclusive de la communauté. Comment elle peut être stipulée.

II. Elle donne aux héritiers du prémourant le droit de reprendre tous les biens entrés de son chef dans la communauté : erreur de Toullier.

III. Effets de la clause. Elle ne constitue point par elle-même une donation; mais, bien entendu, il peut aussi être fait une véritable donation par le prémourant de sa part de communauté au survivant.

IV. Les époux peuvent restreindre ou élargir l'étendue de la clause. Développe ments: erreur de M. Battur.

I. On peut stipuler que la communauté entière restera, soit au survivant des époux, quel qu'il soit, soit à tel époux, si c'est lui qui

survit.

On a prétendu que cette clause n'est pas simplement modificative de la communauté légale, mais bien exclusive de toute communauté, et se trouve dès lors placée å tort dans notre chapitre. C'est une erreur. Sans doute, il y aurait exclusion de communauté, si l'attribution de tous les biens entrés dans la prétendue communauté était faite à l'une des parties purement et simplement, sans condition, et de telle sorte qu'il fut certain à l'avance que la totalité de ces biens ira de tel côté. Si l'on disait, par exemple, que le mari, soit qu'il survive ou prédécède, prendra la totalité de ces biens, ou que tous ces biens resteront au mari ou à ses héritiers, il est clair que, puisqu'il serait entendu à l'avance que tout appartient au mari et rien à la femme, on ne pourrait plus dire qu'il y ait une communauté. Mais telle n'est pas la clause prévue par notre article: ce n'est pas d'une attribution pure et simple qu'il y est question, mais seulement d'une attribution éventuelle. La communauté entière restera au survivant des époux, ou à tel époux s'il surrit; telle est la stipulation prévue. Or, dans le premier cas, chacun des époux conserve l'espoir d'obtenir seul les biens; dans le second, celui

(1) Conf. MM. Paul Pont et Rodière (II, 337, et 2e édit., 1598); Odier (11, 904); Troplong (III, 2166). - Toullier ne prévoit pas la question; mais il est étrange que M. Duvergier, qui fait une note tout exprès pour l'indiquer, ne lai donne aucune solution et n'exprime aucun sentiment à cet égard (XIII, 421). Sic Dalloz (2982).

qui n'est point appelé à la totalité peut du moins, par sa survie, arriver au partage ordinaire par moitié. Il y a donc toujours pour chacun des époux espoir d'acquérir, en tout ou en partie, les bénéfices du travail commun: il y a société, communauté (1). Et telle a bien été la pensée des rédacteurs: la preuve en est dans tout le contexte de notre section. Tandis, en effet, que les art. 1521, 1522, 1523 et 1524 parlent tous de l'époux ou de ses héritiers, le nôtre a soin de ne parler que de l'époux survivant; et la même différence se retrouve dans l'art. 1520, qui, après avoir également parlé tout d'abord de l'époux survivant ou de ses héritiers, a soin aussi de ne parler que de l'époux survivant quand il arrive à la clause qui nous occupe. Il ne s'agit donc bien que d'une attribution éventuelle et faite sous une condition de survie qui peut ne pas se réaliser (2).

Bien entendu, une autre condition peut être ajoutée à celle de la survie; et il peut être dit que le survivant des époux, ou tel époux survivant, prendra la communauté entière, s'il n'y a pas d'enfants du mariage, ou si tel autre événement s'accomplit ou ne s'accomplit pas.

II. L'attribution de la communauté entière à l'époux survivant n'a lieu (à moins de stipulation contraire, cas sur lequel nous reviendrons bientôt) que sauf le droit, pour les héritiers du prémourant, de reprendre tous les biens qui sont entrés dans la communauté du chef de leur auteur, soit par les apports faits lors du mariage, soit par les successions ou donations mobilières échues pendant le mariage (3). C'est seulement aux bénéfices provenant, soit des revenus de ces biens, ainsi que de ceux des immeubles, soit de l'industrie des époux, que la stipulation s'applique (4).

(1) Voy. MM. Rodière et Paul Pont (t. II, no 342, et 2e édit., 1603); Odier (919); Troplong (2173); Dalloz (2999). Et la Cour de cassation a déduit une conséquence de ceci, en décidant que, dans le cas où il a été stipulé que la totalité de la communauté appartiendrait au survivant des époux, la communauté n'en doit pas moins être partagée entre eux après la séparation de biens, le droit réservé par l'art. 1525 aux héritiers du prédécédé de reprendre les apports de celui-ci ne pouvant profiter qu'aux héritiers et n'autorisant pas les époux, ou l'un d'eux, quand la dissolution arrive par l'effet d'une séparation de biens, à reprendre ses apports et à les soustraire ainsi au partage qui est la conséquence de cette séparation de biens. Rej., 1er juin 1853 (Dev., 53, 1, 513).

(2) Il ne faudrait pas en conclure que l'attribution absolue de tous les biens à tel époux, pour lui ou ses héritiers et indépendamment de sa survie, serait nulle. Cette clause ne serait plus celle que prévoit notre article, elle serait exclusive de communauté, non point constitutive d'une communauté conventionnelle; mais si elle n'est autorisée ni par notre article, ni même par la disposition plus large du premier alinéa de l'art. 1497, elle l'est par l'art. 1387, puisqu'elle n'a rien de contraire à l'ordre public.

(3) Dans le cas où il a été stipulé que la totalité de la communauté appartiendrait à l'époux survivant, sauf aux héritiers de l'autre à suivre la reprise des apports et des capitaux tombés dans la communauté du chef de leur auteur, il n'est dû sur la remise de ces apports et capitaux faite aux héritiers du prédécédé, lesquels ne font que reprendre ce qui leur appartient, ni droit de mutation, ni droit de quittance ou libération. Cass., 12 fév. 1867 (Dev., 67, 1, 182).

(4) Zachariæ (III, p. 557); Rodière et Paul Pont (II, 346, et 2e édit., 1609); Douai, 9 mai 1849 (Dev., 50, 2, 180). Mais le droit réservé par l'art. 1525 aux héritiers de l'époux commun en biens prédécédé est exclusivement applicable au cas où les conventions matrimoniales des époux attribuent au survivant d'eux la totalité de la communauté sans aucune réserve. Douai, 7 fév. 1850 (Dev., 50, 2, 587). Ce droit de

Il est vrai que Toullier (XIII, 422) interprète autrement la seconde phrase de notre premier alinéa, et prétend que les capitaux dont parle l'article sont uniquement les valeurs mobilières que l'époux prédécédé se serait réservées propres par une clause de réalisation. Selon lui, il faut distinguer les biens entrés dans la communauté des biens tombés dans la communauté : les premiers sont ceux qui font partie de l'actif social, qui sont vraiment biens communs; les seconds sont ceux qui sont versés dans la caisse sociale sans lui appartenir, et qui se trouvent ainsi mêlés aux biens communs sans avoir eux-mêmes cette qualité. Or comme la loi n'ordonne ici la reprise que pour les capitaux tombés dans la communauté, et non pas pour ceux qui y sont entrés, c'est donc uniquement, dit-il, des meubles demeurés propres qu'il s'agit.

On a vraiment peine à croire qu'un pareil argument soit celui d'un auteur sérieux; et cette idée, dont le développement forme pourtant toute l'explication que Toullier donne de notre art. 1525, est aussi fausse qu'elle est puérile. Et d'abord, la prétendue différence de signification entre les mots entrer et tomber dans la communauté est démentie par les textes du Code, qui se servent indifféremment de l'une et de l'autre expression en parlant des biens composant l'actif commun (art. 1403, alinéas 1 et 3; art. 1405). D'autre part, les apports, que notre article met sur la même ligne que les capitaux tombés en communauté, indiquent bien qu'il s'agit des valeurs provenues de l'époux pour composer l'actif social. Enfin, un coup d'oeil jeté sur les travaux préparatoires lève tout doute à cet égard; car notre article ne parlait d'abord que des apports, et les mots qui suivent y ont été mis, à la demande du Tribunat, sur cette observation précisément que, le mot apports ne s'entendant ordinairement que de ce qui est apporté lors de la célébration, et les héritiers ayant également le droit de reprendre les capitaux échus à l'époux pendant le mariage, il fallait s'expliquer aussi quant à ces derniers (Fenet, XIII, p. 617).

III. Par l'effet de notre clause, l'époux survivant prend la totalité de la communauté, moins les biens provenus de son conjoint, et réci proquement il supporte la totalité des dettes, moins aussi celles correspondantes aux biens repris, lesquelles, d'après le principe exposé sous l'art. 1500, et appliqué par les art. 1511 et 1514, restent à la charge des héritiers qui font la reprise. Mais ici, comme dans les articles précédents, il y a une différence importante entre le mari et la femme. Quand c'est le mari qui est appelé à retenir toute la communauté, et, par suite, à en supporter seul les dettes, il ne peut jamais se soustraire à ce résultat; et si mauvaise que soit la communauté, c'est lui, et lui seul, qui reste chargé de son passif. Quand, au contraire, c'est à la femme que la communauté se trouve dévolue, elle a le choix, d'après le principe rappelé sous l'article précédent, ou de conserver aussi cette communauté en payant toutes les dettes, ou de rester étrangère au

reprise ne constitue pas les héritiers copropriétaires de la communauté; ils sont simplement créanciers de la masse. Cass., 7 avril 1862.

passif comme à l'actif, au moyen d'une renonciation. C'est toujours la conséquence de cette règle, que nulle convention ne peut porter atteinte, chez la femme, à son droit de renoncer.

Du reste, si avantageuse que puisse être parfois pour le survivant la stipulation dont il s'agit, elle n'est jamais réputée donation. Elle ne l'est, dit notre article, ni quant aux formes, ce qui n'a plus de sens aujourd'hui, comme on l'a vu sous l'art. 1516, ni quant au fond, ce qui rend inapplicable le droit ordinaire et appartenant à tout héritier réservataire de faire réduire aux limites du disponible. Mais c'est seulement le droit ordinaire de tout héritier réservataire qui se trouve ainsi écarté; car nous savons que, dans la communauté conventionnelle, d'après l'art. 1527, comme dans la communauté légale, d'après l'article 1496, les différents avantages procurés à l'un des époux au détriment de l'autre, par les diverses combinaisons de société que la loi établit ou autorise, ne sont affranchis du caractère de libéralité réductible qu'en général, mais non à l'égard des enfants d'un précédent lit de l'époux qui procure l'avantage. Cette solution, contestée par Toullier, ne saurait cependant être douteuse en présence des articles cités, et elle est en effet admise par tous les auteurs et par la Cour suprême (1).

Mais si l'attribution au survivant de la totalité de la communauté n'est point une donation ordinaire par elle-même et nécessairement, ce n'est pas à dire assurément qu'elle ne puisse jamais l'être; il est, au contraire, bien évident que, si les époux peuvent ainsi attribuer toute leur communauté au survivant par une simple convention de société, ils peuvent fort bien aussi le faire par une pure et véritable donation, qui serait dès lors réductible, comme toute autre donation, sur la demande de tout réservataire. Sans doute, ce n'est pas par cela seul que les époux auraient dit qu'iis conviennent de donner la communauté entière au survivant, qu'il faudrait voir une donation dans la clause, car il faut partout s'attacher moins aux mots qu'à la vraie pensée des parties; mais si la pensée de n'attribuer la communauté qu'à titre de donation est bien manifestée par l'acte, s'il est dit, par exemple, comme dans l'espèce dont nous citons l'arrêt en note, que l'on établit une communauté partageable par moitié, et que le prémourant fait donation entre-vifs, au survivant qui l'accepte, des biens communs qui composeront sa moitié, il faut bien reconnaître alors que la volonté des contractants a été d'atteindre par une donation le résultat qu'ils pouvaient atteindre par une convention de société; que, la clause présentant ainsi

(1) Delvincourt (t. III); Bellot (t. III, p. 309); Rolland (778); Duranton (XV, 244); Glandaz (no 460); Zachariæ (III, p. 557); Paul Pont et Rodière (II, 384, et 2e édit., 1651); Troplong (no 2217); Odier (II, 920); Dalloz (3003); Cass., 24 mai 1808; Rej., 13 juin 1855 (Dev., 55, 1, 513). Ce dernier arrêt juge, d'ailleurs, que la décision, qui considère la stipulation dont s'agit comme excessive, et, par suite, qu'il y a lieu de la réduire, ne renferme, en ce point, qu'une décision de fait qui échappe à la censure de la Cour de cassation. Voy. encore un arrêt de la Cour de Paris du 9 juill. 1825, et les arrêts de la Cour de cassation des 13 avr. 1858 et 3 déc. 1861.

« PreviousContinue »