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une véritable donation, il y a lieu à toutes les conséquences de la donation, notamment au payement du droit de mutation par le survivant comme donataire, et que le tribunal qui jugerait autrement violerait les principes du droit, en dénaturant l'acte sous prétexte de l'interpréter. C'est ce qu'a jugé plusieurs fois la Cour suprême, notamment dans un arrêt assez récent (1).

IV. Il est évident que les époux sont libres, soit de restreindre, soit d'élargir l'étendue de la situation prévue par notre article.

Ainsi, ils peuvent convenir que le survivant, au lieu de la communauté entière, prendra seulement une moitié de cette communauté et l'usufruit de l'autre moitié; et, comme cette stipulation est moins avantageuse que celle indiquée par l'article, il est clair qu'elle ne constituerait pas plus qu'elle une donation par elle-même (2). Il est évident aussi que, le prémourant conservant alors la propriété d'une moitié de la communauté, ce ne serait plus le cas de considérer l'attribution comme faite de plein droit sous la réserve, pour les héritiers de celuici, de la faculté de reprendre les valeurs provenues du chef de leur auteur. Il est également évident que le survivant n'aurait alors à supporter qu'une moitié des dettes et les intérêts seulement, sa vie durant, de l'autre moitié.

Réciproquement, les époux peuvent étendre la clause. Ils peuvent dire que le survivant prendra toute la communauté, y compris les biens communs provenant du chef du prémourant; mais, comme ils excèdent alors les limites dans lesquelles la loi a bien voulu dépouiller juridiquement ces stipulations du caractère de donation qu'elles ont dans le fait, il faudrait reconnaître là une libéralité réductible, d'après les règles ordinaires. Sans doute on ne peut pas dire, comme M. Battur (II, 489), que la convention serait nulle, puisqu'elle n'a évidemment rien de contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public; mais elle ne jouirait plus du bénéfice exceptionnel écrit dans notre article (3).

SECTION VIII

DE LA COMMUNAUTÉ A TITRe universel.

1526. Les époux peuvent établir par leur contrat de mariage une communauté universelle de leurs biens tant meubles qu'immeubles, présents et à venir, ou de tous leurs biens présents seulement, ou de tous leurs biens à venir seulement.

I. Cet article se trouve expliqué par ce qui a été dit sous les ar

(1) Cass, d'un jugement d'Évreux, 23 avr. 1849 (Dev., 49, 1, 446). Cass., 29 janv. 1866 (Dev., 66, 1, 149).

(2) Pont et Rodière (II, 345, et 2o édit., 1606); Troplong (2180); Rej., 20 janv. 1830; Agen, 1er juin 1838.

(3) Delvincourt (t. III); Bellot (III, p. 303); Zachariæ (III, p. 557); Paul Pont et Rodière (II, 346, et 2e édit., 1609); Championnière (t. III, no 2769); Dalloz (2996). Voy. Troplong (2181); Douai, 7 fév. 1850; Cass., 15 fév. 1832, 15 fév. 1841, 24 déc. 1850, 21 mars 1860, 29 avr. 1863.

ticles 1505 et suivants, où l'on a vu que la clause de communauté universelle est toujours et nécessairement un cas d'ameublissement, tandis que la clause d'ameublissement, même étendue à tous les immeubles, ne donne pas toujours réciproquement une communauté universelle, puisqu'elle peut n'être stipulée que par un époux. Ce qui a été dit précédemment suffit également pour faire comprendre que la stipulation de notre article doit toujours, comme dérogatoire au droit commun, s'interpréter restrictivement, et que la phrase dans laquelle les époux déclareraient mettre en communauté tous leurs biens meubles et immeubles, sans plus d'explication, ne s'entendrait que des biens présents.

Du reste, même quand les époux ont mis en commun tous leurs biens présents et futurs, il se pourra encore qu'ils aient des biens propres, puisque des donations ou legs pourraient leur être faits à la condition que les choses n'entreront point dans leur communauté. Il va sans dire que, dans ce cas, les dettes grevant ces donations ou legs, ainsi que celles qui seraient contractées plus tard relativement aux biens ainsi donnés, resteraient personnelles à l'époux propriétaire.

DISPOSITIONS

COMMUNES AUX HUIT SECTIONS CI-DESSUS.

1527. Ce qui est dit aux huit sections ci-dessus ne limite pas à leurs dispositions précises les stipulations dont est susceptible la communauté conventionnelle.

Les époux peuvent faire toutes autres conventions, ainsi qu'il est dit à l'article 1387, et sauf les modifications portées par les articles 1388, 1389 et 1390.

Néanmoins, dans le cas où il y aurait des enfants d'un précédent mariage, toute convention qui tendrait dans ses effets à donner à l'un des époux au delà de la portion réglée par l'article 1098, au titre Des Donations entre-vifs et des Testaments, sera sans effet pour tout l'excédant de cette portion; mais les simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs, quoique inégaux, des deux époux, ne sont pas considérés comme un avantage fait au préjudice des enfants du premier lit.

-

I. Les deux dispositions de cet article se trouvent expliquées par ce qui a été dit précédemment. Nous renvoyons, pour la première, à l'art. 1387; pour la seconde, à l'art. 1496, qui porte pour la communauté légale la même règle qui est écrite ici pour la communauté conventionnelle, règle dont nous avons signalé plusieurs fois les applications, notamment sous les art. 1516 et 1025.

1528. La communauté conventionnelle reste soumise aux règles de la communauté légale, pour tous les cas auxquels il n'y a pas été dérogé implicitement ou explicitement par le contrat.

I. Ce principe est de toute évidence, et nous avons eu fréquemment occasion de le faire connaître et de l'appliquer dans l'explication de la partie du Code que nous terminons ici.

RÉSUMÉ DU TITRE CINQUIÈME

DU CONTRAT (PÉCUNIAIRE) DE MARIAGE

(PREMIÈRE PARTIE.)

I. Nous avons étudié, au tit. V du liv. I, le contrat qui régit l'association conjugale, et fixe les droits respectifs des époux quant à leurs personnes; nous avons à étudier ici le contrat qui régit cette association et fixe les droits des époux quant à leurs biens. Ce dernier est généralement désigné par le nom de contrat de mariage; mais, quoiqu'il n'y ait aucun inconvénient à employer cette expression, il ne faut pas oublier qu'elle est peu exacte, qu'elle conviendrait beaucoup mieux au mariage lui-même, qui est aussi un contrat, et qu'il ne s'agit ici que du contrat pécuniaire, qui accompagne comme accessoire le contrat moral, dont on s'est occupé précédemment.

A la différence du contrat moral de mariage, où tout est réglé par les dispositions mêmes de la loi, sans que rien y puisse dépendre de la volonté privée des parties, le contrat pécuniaire, au contraire, est entièrement abandonné au libre arbitre des contractants, qui jouisseut même à cet égard d'une plus grande latitude que pour tout autre contrat. C'est seulement à défaut de conventions régulièrement fixées par les époux, que la loi intervient pour les soumettre de plein droit au système organisé par elle comme régime de droit commun.

Toutefois, et si grande que soit la latitude laissée ici aux époux, elle reçoit pourtant quelques restrictions demandées, soit par la morale elle-même, soit par des considérations d'intérêt général.

II. Et d'abord, il n'est pas besoin de dire que les contractants ne pourraient faire aucune convention dérogeant, soit aux droits que la puissance maritale confère à l'époux sur la personne de l'épouse ou des enfants, soit à ceux qui découlent, pour l'un ou l'autre des conjoints, de la puissance paternelle ou de la tutelle légitime.

Ainsi, il serait vainement dit au contrat que la femme ne sera pas tenue, pour tel ou tel cas, d'habiter avec son mari, ou qu'elle pourra consentir seule au mariage des enfants, ou que les enfants, au lieu de rester soumis, pour leur éducation, à la direction du mari, seront nécessairement élevés de telle façon ou dans telle religion déterminées à l'avance. De telles clauses seraient sans aucune valeur, quoi qu'en aient dit des auteurs estimables; et s'il est incontestable que la puissance maritale devrait être arrêtée par les tribunaux, du moment qu'il

serait reconnu par eux qu'elle arrive à l'abus et dépasse ses limites raisonnables, il est certain aussi que les conventions des époux n'auraient aucun rôle à jouer dans les décisions rendues à cet égard, et demeureraient complétement non avenues (art. 1388, nos III et IV).

Ainsi encore, il ne pourrait pas être utilement convenu que tel époux sera privé du droit de correction des enfants ou du droit d'usufruit légal sur les biens de ses enfants. Du moment qu'il s'agit d'un attribut de la puissance paternelle ou de la tutelle légale (qui n'est qu'une continuation de cette puissance), par cela seul, et sans qu'il faille considérer ni dans quel titre du Code le droit est écrit, ni par quel époux ou à quel moment il s'exerce, les stipulations du contrat n'y peuvent porter aucune atteinte (ibid., no VII).

Mais, encore une fois, ces règles se devinent par elles-mêmes et ne constituent pas des restrictions à notre principe, puisque c'est seulement pour le contrat pécuniaire que les époux sont libres de stipuler, tandis qu'il s'agit ici des effets du contrat moral, du mariage même (ibid.) C'est donc ailleurs qu'il faut chercher les restrictions que nous avons annoncées.

III. — On trouve une première restriction à la pleine liberté des époux de stipuler ce qu'ils voudront et comme ils voudront, dans les formes rigoureuses et les conditions sévères imposées, soit au contrat, soit aux changements qu'on voudrait lui apporter après une première rédaction.

Le Code, à la différence de plusieurs de nos anciennes coutumes, et pour assurer l'immutabilité des conventions matrimoniales, exige, à peine de nullité, qu'elles soient arrêtées irrévocablement avant la célébration de l'union, par acte passé devant notaire et avec minute. Du reste, l'acte, alors même qu'il contient des donations entre-vifs, est dispensé de la présence effective du notaire en second ou des témoins, et il suffit à sa validité, d'après la triste loi du 21 juin 1843, de la constatation mensongère de cette présence. Ainsi, il y aurait aujourd'hui nullité de l'acte qui serait fait sous seing privé ou qui ne serait passé devant notaire qu'en brevet; et il y aurait aussi nullité, quoi qu'en ait dit un auteur (dont l'erreur, au surplus, est unanimement rejetée), de tous changements apportés au contrat postérieurement à la célébration (art. 1394-97, n°* I et II).

Ces changements au contrat seront possibles tant que la célébration n'a pas eu lieu; mais sous des conditions plus ou moins sévères, selon qu'il s'agit de les exécuter vis-à-vis des tiers ou entre les époux seulement. Même entre les époux, le changement n'est valable qu'autant qu'il est constaté, comme le contrat, par acte passé devant notaire, en minute, et qu'il est fait avec le concours de tous ceux qui ont été parties à ce contrat, et qui doivent se réunir par eux-mêmes ou par des fondés de pouvoir, pour y consentir tous simultanément. Or il faut regarder ici comme ayant été parties au contrat, non pas seulement les époux, mais aussi ceux des signataires qui leur ont fait des libéralités, ceux dont le consentement est nécessaire à leur mariage, et même,

quoiqu'il y ait controverse sur ce point, ceux dont ils sont tenus de requérir le conseil, puisque ces derniers, loin d'avoir seulement à donner un avis qu'on pourrait suivre ou ne pas suivre, sont armés au contraire d'un pouvoir très-grand et remplissent dans l'acte un rôle très-important. Si une seule de ces parties manque, il devient impossible de faire le changement projeté, alors même que cette partie ne serait qu'un simple donateur; et le seul moyen, dans ce dernier cas, d'arriver au résultat voulu, c'est d'abandonner le premier contrat et d'en faire un nouveau, en sacrifiant la donation dont l'auteur ne veut ou ne peut se prêter au changement. Que si, au lieu de substituer un contrat nouveau au contrat primitif, on se contentait d'ajouter à ce dernier un acte modificatif auquel le donateur n'interviendrait pas, cet acte serait nul, le premier contrat subsisterait seul et le changement projeté ne se réaliserait pas. Pour que l'acte modificatif soit valable envers les tiers, il faut en outre que les parties aient soin de le faire rédiger à la suite de la minute du contrat. La loi exige aussi que le notaire ne délivre jamais aucune expédition du contrat sans y joindre l'expédition de l'acte accessoire; mais la violation de cette dernière règle n'entraînerait pas au profit des tiers la nullité du changement, elle leur permettrait seulement de s'adresser au notaire pour se faire indemniser du préjudice que leur cause l'expédition incomplète (ibid., IV et V).

Du reste, on ne peut pas ranger parmi les changements au contrat, les donations que, postérieurement à ce contrat, des tiers feraient aux époux. Mais il faut y ranger, au contraire, la donation qu'un des époux ferait à l'autre, puisqu'elle viendrait modifier la position respective que le contrat faisait à ces époux. Il faudrait y ranger également les conventions que les parties présenteraient comme simplement interprétatives d'une ou plusieurs clauses obscures de leur contrat, car du moment que ces parties entendent faire une convention, un acte juridiquement obligatoire, il est clair qu'elles doivent suivre les règles voulues, et sans lesquelles leur écrit ne serait autre chose qu'un commentaire dénué de toute force juridique (ibid., III).

IV. La fixité que la loi entend imprimer aux conventions matrimoniales, et qui ne permet pas de changer un premier système au moyen d'actes rédigés ensuite pendant le cours du mariage, ne permet pas davantage de le changer au moyen des clauses insérées à l'avance dans le contrat lui-même.

Il est donc interdit de stipuler que, par l'échéance d'un terme ou l'accomplissement d'une condition, tel système viendra commencer plus tard et se substituer, avec ou sans rétroactivité, à un premier système; la loi veut un régime unique et identique pour toute la durée du mariage. Il est vrai que, par une cause purement historique, le texte du Code n'exprime cette règle que pour un seul régime; mais son esprit commande de l'appliquer à tous (1399, nos I-III).

V. — Arrivons aux restrictions portant sur le fond même des conventions.

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