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31. Jan.1896.

Nr. 11334. engageait la responsabilité du Gouvernement ottoman au point de faire peser Frankreich. sur des soldats turcs une accusation d'assassinat, j'ai tenu à vérifier par tous les moyens en mon pouvoir l'exactitude des faits qui m'étaient signalés. J'ai le regret de dire à Votre Excellence qu'il ne subsiste plus de doutes ni sur le meurtre du Père Salvator à Mudjuk-Déressi, ni sur le pillage et l'incendie des couvents des Pères Franciscains, soit dans cette première localité, soit à Yénidjé-Kalé ou à Dom-Kalé, ni sur la participation de la troupe dont la mission eut été de protéger les missionnaires et leurs résidences. || Les informations qui me viennent des Agents de la France et les renseignements particuliers qui m'ont été donnés concordent entre eux. Voici les faits qu'ils établissent: || A la fin du mois d'octobre les Pères Franciscains de YénidjéKalé, inquiets d'une situation déjà troublée, ont écrit par trois fois au mutessarif de Marach pour réclamer des soldats de garde. Ils n'ont reçu aucune réponse à leurs lettres.. Le 17 novembre cependant, un détachement de soldats turcs est venu camper devant le village de Mudjuk-Déressi. Les Chrétiens se sont crus sauvés; il n'en était rien. Ces soldats ont pris part au pillage et au massacre, ils ont pénétré dans l'hospice des Pères Franciscains où se trouvait le P. Salvatore Lilli di Cappadocia, ils lui ont pris l'argent qu'il possédait, lui ont ensuite offert leur protection, l'ont emmené et l'ont tué à coups de fusils sur les marches de sa maison. || Le sac et l'incendie du couvent ont suivi ce meurtre. || Je laisse à Votre Excellence le soin de qualifier une pareille conduite et je la prie de faire connaître sans retard les mesures prises par le Gouvernement ottoman pour punir comme ils le méritent les auteurs de ces actes. || Les mêmes soldats se sont fait remarquer dans les scènes de pillage et de meurtre dont les villages de Yénidjé-Kalé et de DomKalé ont été le théâtre. Les trois religieux, en résidence à Yénidjé-Kalé, ont pu s'enfuir à temps, mais leur école a été détruite par l'incendie; le couvent de Dom-Kalé a eu le même sort. || D'autres établissements religieux ont subi des pertes ou ont été détruits sur d'autres points de l'Asie Mineure pendant la période de troubles que nous traversons. || Je prie aussi Votre Excellence de prendre acte des réserves expresses que je formule, dès à présent, et d'une manière générale au sujet des demandes d'indemnité que j'aurai à adresser au Gouvernement ottoman en raison du pillage ou de la destruction de couvents et d'immeubles appartenant à des religieux latins. P. Cambon.

Nr. 11335. Frankreich.

Nr. 11335. FRANKREICH. - Die Botschaft in Konstantinopel an den Minister des Auswärtigen. Bericht der Konsuln aus Zeitun.

Péra, 22 février 1896.

Les Consuls en mission adressent de Zeitoun le télégramme-circulaire ci22. Feb. 1896. dessous aux ambassadeurs. || „Misère inconcevable parmi. les réfugiés, froid glacial, malades par milliers entassés à côté de cadavres. Les femmes n'ont

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même plus de quoi se couvrir. Parmi les premiers réfugiés sortis dé la ville, Nr. 11335. plusieurs sont morts d'épuisement. Aucun secours, ceux du Gouvernement 22. Feb. 1896. ottoman sont insuffisants. Nous faisons un appel en faveur de ces malheureux dépouillés de tout." || Tous les représentants des Puissances ont pris entre eux l'engagement d'envoyer des secours et ont transmis cet appel à leurs gouvernements'; les besoins sont pressants et des collectes sont faites parmi le personnel des ambassades pour attendre l'arrivée d'autres ressources. || Les réfugiés sont au nombre de 12,000 environ. || Je serai très reconnaissant à Votre Excellence de mettre le plus tôt possible la somme qu'elle jugera nécessaire pour que la part de la France soit conforme à nos traditions charitables. J. de la Boulinière.

Nr. 11336. FRANKREICH. Der Botschafter in Konstantinopel an den türkischen Minister des Auswärtigen. Ermordung und Plünderung von Christen.

Péra, le 22 avril 1896.

Frankreich.

22. Apr.1896.

Monsieur le Ministre, || Pendant les tristes événements dont plusieurs pro- Nr. 11336. vinces de l'Empire ont été le théâtre en Asie Mineure depuis plusieurs mois, un certain nombre de catholiques ont perdu la vie, un grand nombre ont été ruinés ou ont subi des dommages matériels considérables, des établissements, des couvents, des écoles placés sous la protection de la France ont été pillés ou même détruits. Parmi les cas qui ont été portés à ma connaissance, il en est d'une gravité exceptionnelle qui nécessitent mon intervention auprès de la Sublime Porte. L'inertie des autorités ottomanes et, parfois même, leur complicité ressort clairement des faits que je vais signaler à Votre Excellence; Elle n'hésitera certainement pas, après en avoir pris connaissance, à reconnaître la légitimité de mes réclamations et Elle me prêtera, je n'en doute pas, tout son concours pour les réparations diverses, tant pénales que pécuniaires, qui s'imposent au Gouvernement ottoman. || Je n'ai pas besoin de revenir longuement sur le meurtre du P. Salvatore à Mudjuk-Déressi, bien que ce soit un des incidents les plus pénibles parmi tous ceux qui nous occupent et qu'une accusation terrible pèse sur l'autorité militaire turque. Je n'ai qu'à rappeler les lettres de l'Ambassade des 31 janvier et 22 mars derniers; elles ont fait connaître à Votre Excellence les détails de ce drame et les conditions dans lesquelles il a été consommé; elles contiennent certaines informations sur l'attitude des soldats turcs qui sont accablantes et qui n'ont pas été contestées. Onze catholiques latins ont subi la mort en même temps que le P. Salvatore. L'enquête récemment ordonnée par S. M. le Sultan ne laissera aucun doute sur ces faits et je réclame, dès à présent, des poursuites contre les auteurs de cet attentat qui remonte au mois de novembre dernier. Je sais que, depuis cette époque, les autorités locales se sont attachées à effacer les traces du crime, à en disperser les témoins et à éloigner ses auteurs de façon à égarer

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Nr. 11336. toutes recherches. || A Marache, Stepan Pittis, drogman du couvent des 22. Apr. 1896. Franciscains, a été tué, assassiné sans motif et sans provocation. Il laisse une veuve et huit enfants. || Aucune satisfaction n'a encore été donnée par les autorités et ce crime est resté impuni. || 120 catholiques ont également perdu la vie dans cette ville et 13 à Diarbékir, sans compter les blessés. Aucune poursuite n'a été, à ma connaissance, exercée contre les criminels. || A AïnTab, à Césarée, des catholiques ont été tués aussi et leurs meurtriers restent impunis. Un autre fait grave s'est produit à Killis le mois dernier, sur lequel j'appelle toute l'attention de Votre Excellence en lui demandant une répression prompte et énergique. Le vicaire de l'église catholique arménienne, Ohannés Estépanian, a été massacré au moment où il rentrait chez lui. Son corps réclamé aux autorités par le curé arménien catholique, n'a pu être rendu. Le meurtre n'est pas contesté, mais le cadavre est introuvable, parce que sans doute il a été détruit par le feu comme l'ont été d'ailleurs ceux du Père Salvatore et de ses onze compagnons, près de Mudjuk-Déressi. || Quelles mesures ont été prises pour retrouver les coupables et assurer leur châtiment? || D'autres catholiques arméniens ont encore péri dans diverses localités de l'Asie Mineure; beaucoup ont été emprisonnés ou ont été soumis à des vexations; pour tous, je réclame la justice et la protection des autorités locales. || J'arrive à l'examen des localités où des religieux, soit Français, soit protégés français ont subi des dommages matériels par suite des désordres, du pillage et de l'incendie de leurs maisons. || A Trébizonde, les Frères de la Doctrine chrétienne ont, pendant les troubles et la période qui les a suivis, éprouvé des pertes et été entraînés par la force des choses à des dépenses exceptionnelles dont ils doivent étre équitablement indemnisés. || Le Vali a saisi la Sublime Porte, le 13/25 décembre, d'une demande d'indemnité formulée en leur faveur par le Consul de France à Trébizonde. Je sais qu'une Commission instituée par Cadri Bey a cru pouvoir émettre un avis défavorable à cette requète en alléguant que l'autorité ne pouvait pas être rendue responsable des conséquences d'actes de dévouement qu'elle n'a pas provoqués. La décision du Gouvernement ottoman ne sera certainement pas dictée par des considérations de cet ordre, et c'est avec confiance que je fais appel à son équité. Pour la mission de Malatia, il s'agit d'un désastre matériel, d'un fait brutal qu'on ne peut nier. Les établissements des Péres capucins, dans la ville même, ont été entièrement détruits; l'église, les écoles, l'habitation des Pères, les objets du culte, le mobilier, tout a disparu, rien n'a échappé à la destruction et au pillage. || Dans le village de Koilou, l'habitation des Pères avec la chapelle et l'école a été détruite, ainsi que tous les objets mobiliers qui s'y trouvaient. || A Bismichan, leur maison a été pillée et endommagée. || A Husemk et à Susmiri, il y a eu également des dégâts et une destruction partiels. Les pertes totales s'élèvent à 120,000 francs au moins pour les établissements de la ville et à un minimum de 10,000 francs pour les maisons situées dans les quatre villages que je viens de désigner, et je ne tiens compte

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dans cette évaluation que de la valeur des maisons et des objets détruits. Nr. 11336. Le préjudice moral causé à la mission, que les autorités n'ont pas su protéger, 22. Apr. 1896. est considérable, et il sera nécessaire d'en tenir compte dans la fixation du chiffre de l'indemnité qui est due par le Gouvernement ottoman. || A MudjnkDérassi et à Yénidjé-Kalé, les couvents et écoles des Pères Franciscains ont été pillés, puis incendiés; dans leur maison de Dom-Kalé, les dégâts ont été importants. La troupe était sur les lieux et au lieu de contenir la populace effrénée qui se livrait au meurtre des chrétiens et à l'incendie de leurs maisons, elle a pris part à tous les méfaits, même à ceux dirigés contre nos religieux, dont elle a tué un et contraint trois à chercher un refuge à Zeitoun. || A Malatia, l'autorité militaire avait été inerte, ici elle a été complice. || La reconstitution de la mission détruite et le payement, dans ce but, d'une indemnité appropriée au désastre est pour le Gouvernement ottoman une obligation aussi stricte que celle de rechercher et de punir les coupables, contre lesquels j'ai déjà porté plainte devant lui. || A Aïn-Tab, à Orfa, à Diarbékir, à Kharpout, à Erzeroum, partout nos missions ont eu à souffrir des événements; partout, par leur dévouement et leur charité elles ont, sans compter, cherché à réparer des maux que les autorités auraient dû empêcher de se produire. Elles n'ont pas réclamé auprès de moi des indemnités pour les peines qu'elles ont prises ou les dépenses excessives qu'elles ont faites par un élan spontané de leur esprit d'humanité et de charité. || L'équité ne permet pas à la Sublime Porte de les oublier et une part devra leur être réservée, à titre de réparation, dans la somme totale de l'indemnité dont le Gouvernement ottoman, après entente avec moi, se reconnaîtra redevable. || Je ne puis terminer cette communication sans parler des événements d'Akbès et de Cheiklé. Les couvents des Lazaristes et des Pères trappistes dans ces deux localités ont été, à deux reprises différentes, en grand danger. Il s'en est fallu de très peu qu'un grand malheur n'arrivât, dont les conséquences eussent été des plus sérieuses. Je rends hommage à l'intervention énergique de deux hommes, le mutessarif de Yarpouz, Kairy Bey, et le muhassabadji Mehmed Mouktar Effendi, dont je n'oublierai ni les noms ni la conduite digne de grands éloges; mais je ne suis pas rassuré pour l'avenir. Je considère les religieux français de Cheiklé et d'Abkès comme étant encore en danger. Leur vie sera à la merci d'un incident, tant que les organisateurs du désordre, les chefs de bandes kurdes qui sont venus jusqu'à la porte de nos couvents, n'auront pas été arrêtés et exilés, tant que les malfaiteurs ne sauront pas qu'ils ne peuvent plus compter sur l'impunité, que les autorités connaissent leur devoir et sont décidées à le remplir. Votre Excellence reconnaîtra qu'une pareille situation ne peut pas durer et que je suis en droit de réclamer les mesures les plus promptes et les plus sévères pour rétablir autour d'Abkès et de Cheiklé la sécurité qui n'existe plus. Je lui serai très reconnaissant de me faire connaître sans retard une décision de nature à faire cesser la trop légitime inquiétude des missionnaires français de ces deux résidences. | Je lui serai également très

Nr. 11336. obligé de me réprondre le plus promptement possible au sujet des autres Frankreich. mesures de répression que je réclame dans cette lettre, et au sujet des 22.Apr. 1896. indemnités dont je la prie de faire adopter le principe par son Gouvernement et dont je suis prêt à discuter le detail avec elle. P. Cambon.

Nr. 11337. Frankreich. 30. Apr. 1896.

Nr. 11337. FRANKREICH. -Der Botschafter in Konstantinopel an den Minister des Auswärtigen. Ausdehnung der Reformen auf Rumelien. Stellung Bulgariens.

Péra, le 30 avril 1896.

Depuis le moment où un projet de réformes en Arménie a été sérieusement étudié, les Bulgares se sont préoccupés d'obtenir des améliorations en faveur des populations des vilayets de la Roumélie qu'ils considèrent comme se rattachant en grande majorité à la patrie bulgare. || La réconciliation avec la Russie a suspendu au moins pour cette année une agitation qui se préparait pour obtenir de la Porte par voie d'intimidation un certain nombre de concessions parmi lesquelles se trouvaient les réformes. Le maintien de la tranquillité dans les Balkans ayant été une des exigences formelles de la Russie aussi bien que des autres Puissances européennes, le Gouvernement princier, fortifié par le succès de sa politique d'entente avec la Russie a pu, sans se rendre impopulaire, arrêter le mouvement qui menaçait la sécurité des frontières de la Turquie. Le Prince Ferdinand et M. Stoïloff ont cependant su tirer parti de leur condescendance aux volontés du Tzar et obtenir le concours du Gouvernement russe dans la question des réformes. M. de Nélidow a été chargé d'appuyer auprès du Sultan cette réclamation du Gouvernement bulgare et il a conseillé à Sa Majesté d'étendre les réformes aux provinces de la Roumélie. La satisfaction qu'Abdul Hamid a éprouvée en voyant se dissiper un des dangers qu'il redoute le plus a également pu être exploitée; le Gouvernement bulgare n'a pas manqué de faire valoir auprès du Sultan le succès des efforts qu'il a faits pour contenir les agitateurs. || Le Prince, pendant son séjour à Constantinople, a, de son côté, insisté sur l'utilité de donner aux populations bulgares une satisfaction sans laquelle il lui deviendrait très difficile de faire taire les mécontents. || Le Sultan et le Gouvernement impérial ne pouvaient que se laisser convaincre par d'aussi bonnes raisons et le décret concédant des réformes pour les vilayets de la Roumélie vient d'être publié. || J'ai l'honneur d'en envoyer ci-joint le texte à Votre Excellence. || Reste à savoir si, dans l'application des réformes, les provinces européennes seront mieux partagées que les provinces de l'Asie Mineure pour lesquelles les mêmes bénéfices ont été obtenus. | Les conditions sont plus favorables pour elles parce que l'élément turc est moins important et que des excès de sa part seraient plus dangereux pour lui. Des difficultés, bien que d'un autre caractère, n'en sont pas moins à prévoir, l'application sincère des réformes paraissant être au-dessus des forces de la Turquie et contraire à toutes ses traditions. P. Cambon.

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