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de sa proposition en y ajoutant ce correctif : << Enfin, le ministre de la justice, par sa présence, >> son rang, son autorité, sans nuire à la pleine >> indépendance des délibérations, empécherait >> néanmoins que le tribunal ne prononcât jamais >> par voie de disposition générale et réglementaire, » ou n'introduisît une jurisprudence contraire aux » légitimes intérêts de l'état, et par sa surveillance >> éclairée, active, continue, renfermerait les juges >> dans les bornes du devoir et dans la stricte appli>> cation des lois existantes... »

Ne devrait-il pas suffire d'exposer un semblable système pour qu'il fût jugé? L'INDÉPENDANCE TROP

ABSOLUE DES JUGES CORRIGÉE PAR LA PRÉSENCE DU MINISTRE DE LA JUSTICE, PAR SA SURVEILLANCE ÉCLAIRÉE, ACTIVE, CONTINUE.......

Et le même publiciste ajoute, tout en déclarant que c'est une concession faite à des craintes chimériques et pour ne pas laisser prise à la moindre objection : « Enfin, pour rassurer pleinement les mi>>> nistres sur les effets de cette indépendance, ne >> serait-il pas possible de remettre en vigueur les >> dispositions de l'article 7 de l'ordonnance royale >> du 29 juin 1814 sur l'organisation du conseil >> d'état? Cet article porte: Nous pourrons évoquer » au conseil d'en haut les affaires du contentieux » de l'administration qui se lieraient à des vues » d'intérêt général. »

Ou les précautions prises dans l'intérêt de l'unité et de la liberté d'action du pouvoir exécutif ôteraient force, indépendance, vie au tribunal administratif, et alors ce ne serait plus qu'un simulacre de réforme, un rouage inutile ;

Ou ce tribunal jouirait d'une indépendance complète, et ce ne serait plus alors un tribunal administratif, mais un tribunal judiciaire avec ses immenses inconvénients. Alors plus de ligne de séparation entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire. Qu'importerait la rapidité des formes admises devant ce tribunal jugeant les actes de l'administration? Au fond, ce serait un pouvoir...

Ce ne sont donc point des garanties seulement que vient offrir la création d'un tribunal administratif; c'est le changement même de notre ordre constitutionnel. Il y a là un danger réel, grave : que tous les hommes de bonne foi veuillent y

réfléchir...

La juridiction administrative ne serait-elle pas une partie indivisible du pouvoir exécutif, elle ne serait, à mes yeux, ni inconstitutionnelle, ni illégale.

Elle n'est pas inconstitutionnelle, parce que la constitution ne s'est occupée que de l'ordre judiciaire.

En 1814, il fallait rassurer les esprits contre le retour aux anciennes idées. Plus de parlements, plus de sénéchaussées, plus de bailliages ; les cours, les tribunaux, publicité des audiences, jury en matière criminelle. La charte devait consacrer ces conquêtes de la révolution; le philosophe qui montait sur le trône, plus sage que ces ardents partisans d'une époque passée sans retour, consacra dans sa constitution les principes que chacun regardait comme la sauvegarde de nos libertés.

En 1830, le cri général fut : plus de commissions, sous quelques dénominations qu'on les présente. Les cours prévótales, les commissions militaires, apparaissaient encore avec leur hideux cortége de condamnations politiques.

A ces deux époques, on ne songea même pas à diminuer l'action du pouvoir exécutif. Dans les moments de crise, les trois pouvoirs de la société sentent plus vivement qu'en leur union est la force

commune.

A-t-on jamais soutenu que la charte détruisait tout ce qu'elle ne nommait pas? Elle était empreinte d'un esprit trop conservateur pour qu'on lui fit produire un effet que n'aurait même pas produit la constitution la plus démocratique.

Dans l'opinion d'un silence destructeur, il aurait fallu admettre qu'il n'existait plus,

Ni conseils de guerre pour l'armée de terre ;

Ni conseils de révision;

Ni conseils de guerre maritime ;

Ni cour des comptes (1);

Ni conseils de prud'hommes ;

Ni conseil de l'université;

Ni conseils académiques;

Ni arbitrages forcés;

Ni chambres de discipline, etc., etc. C'était faire abus d'une règle à peine reçue au palais: inclusio unius est exclusio alterius.

(1) On avait bien voulu attaquer l'existence de cette cour, admirable création appelée à régulariser les crédits, et que la surveillance du conseil d'état empêche de s'écarter de son but. Des projets de lois furent proposés en 1816; mais on finit par respecter ce qui existait; on perdit l'espoir de faire mieux.

M. de Cormenin lui-même (1) quoiqu'il pensat que la juridiction du conseil n'était ni constitutionnelle ni légale, repoussait l'application des art. 58, 62 et 63 de la charte de 1814 : « Ces articles sont >> clairs, précis; mais où sont-ils placés dans la >> charte? sous le titre de l'ordre judiciaire. Que >> règlent-ils évidemment d'après l'esprit et la let>> tre de ce titre? Les seules matières de l'ordre >> judiciaire. Or, ici, il ne s'agit uniquement que >> de l'ordre administratif. Ainsi ce principe con>> sacré par la charte ne souffre aucune excepр>> tion dans les matières civiles et criminelles ; >> mais c'est forcer ses conséquences que de l'ap>> pliquer aux matières administratives qu'il n'a ni >> prévues ni réglées. »

Tel devait être le langage de ce publiciste, puisqu'il conclut en proposant de créer un tribunal spécial en dehors du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire. Je laisse à d'autres plus hardis que moi à décider si ce tribunal ne serait pas un véritable tribunal d'exception...

(1) Page 104.

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