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certitude que le système qui lui avait paru séduisant en théorie n'était pas réalisable dans la pratique.

L'article de la Revue française souleva de vives controverses; nous lui devons les dernières réflexions du vénérable M. Henrion de Pansey, recueillies par M. Cotelle, sur le contentieux admi

nistratif.

M. de Broglie, auteur de cet article, résumait ainsi sa doctrine : « Toute réclamation élevée >> contre un acte quelconque du gouvernement >> statuant de puissance à sujet; toute réclamation >> dont le but est d'obtenir, soit la révocation, soit >> la réformation d'un tel acte; toute question en >> un mot qui porte sur le mérite, sur la justice, >> sur l'opportunité d'une mesure prise par le gou>> vernement discrétionnairement et dans la limite >> de ses pouvoirs, doit être portée devant le gou>> vernement lui-même.

>> Toute plainte, en revanche, qui se fonde sur >> les termes exprès d'une loi, d'un décret, d'une >> ordonnance, d'un arrêté, n'importe; toute ques>> tion dont la solution se trouve d'avance écrite >> dans un texte, tellement que, les faits étant véri>> fiés, il ne reste plus qu'à voir ce que porte le > texte invoqué, jusqu'à quel point il s'applique » ou ne s'applique pas, est du ressort des tribu

» naux. »

Qu'entendait M. de Broglie par ces mots : Un acte quelconque du gouvernement statuant de puissance à sujet? La définition plus ou moins complète de cette pensée nous mettrait peut-être d'ac

cord.

Le contentieux administratif naît, selon moi, de l'exercice du pouvoir exécutif touchant à un droit, ou à un droit acquis. C'est toujours par suite d'un acte statuant de puissance à sujet, que s'élève le litige contentieux. Il n'est jamais le résultat d'un acte de l'état agissant comme simple particulier contre un citoyen, parce qu'alors l'état, propriétaire d'une partie du sol, a pour juge les tribunaux communs, les tribunaux civils ordinaires.

Comment définirons-nous les mesures prises par le gouvernement discrétionnairement ? Quand le gouvernement sera-t-il considéré comme ayant agi dans les limites de ses pouvoirs? A ces questions la réponse serait indispensable avant de parler d'abus

et de réformes.

Il y a plus: comment appliquer à la pratique la seconde pensée de l'auteur de l'article? Qui vérifiera les faits pour appliquer le texte ? Qui jugera si ou non le droit prétendu résulte d'une ordonnance, d'un règlement ? Et si les tribunaux changent et dénaturent les termes mêmes des actes administratifs, quel sera le pouvoir supérieur appelé à faire respecter l'autorité administrative?

Dans l'impuissance de reconnaître la portée et les limites de la doctrine formulée, j'ai examiné les détails et les applications. L'auteur de l'article de la Revue déclare qu'il faut mettre courageusement la main à l'œuvre, et dégager une fois pour toutes le contentieux administratif proprement dit de ce qui n'est pas lui, et l'épurer avec soin de toutes les matières judiciaires. Ainsi, notamment, il faut renvoyer, dit-il, au jugement de la cour de cassation les pourvois contre les décisions de la cour des comptes; toutes les questions de liquidation doivent être du ressort des tribunaux, et les difficultés qui peuvent s'élever relativement à l'exécution des marchés et fournitures doivent également leur étre soumises.

Dans ces trois cas, le gouvernement me paraît statuer de puissance à sujet; c'est un intérêt général qui détermine son action. L'autorité judiciaire entraverait la marche de l'administration, qui ne jouirait pas de la liberté qui fait sa force.

Si la cour des comptes, méconnaissant le but de son institution, frappait de réprobation des ordonnancements réguliers, et déclarait en débet les comptables qui les auraient reçus, quel est, dans l'intérêt général, le pouvoir placé assez haut pour maintenir son autorité dans les bornes qu'elle ne doit pas dépasser? C'est le pouvoir exécutif.

Les questions de liquidation touchent le trésor. Pour imposer au trésor la charge la plus légère, il faut une loi, lorsqu'il n'y a aucun contact de droits particuliers. Pourquoi donc, dans ce dernier cas, enlever au pouvoir exécutif l'examen du litige? Ne traitera-t-il pas de puissance à sujet? N'est-ce pas dans l'intérêt général qu'il appliquera la législation à un cas particulier? N'aura-t-il pas à apprécier, à côté de la rigueur des textes, des questions de convenance et d'opportunité ?

L'exécution des marchés et fournitures ? Pour ce cas spécial, M. de Broglie craint que l'application des règlements de service ne soit un peu embarrassante pour les tribunaux, les formes de la justice quelque peu lentes, et il ne voit pas pourquoi les parties (sans doute l'état qu'il qualifie de partie et le fournisseur) ne conviendraient pas de choisir des arbitres. Pour les marchés, pour les fournitures, pour les travaux publics, tous actes de l'administration intéressant à un haut degré l'intérêt général et devant, dans tous les cas, grever le trésor, ce serait enlever au pouvoir exécutif une partie de sa puissance et de son énergie que de confier aux tribunaux civils la connaissance des difficultés auxquelles donnerait lieu cette partie du service.

Que répondrait-on à un ministre qui viendrait présenter un excédant de crédits extraordinaires en apportant un arrêt qui aurait condamné le trésor à quelques millions d'indemnité pour l'inexécution d'un marché ou d'une fourniture?

Je viens d'écrire le mot sur lequel s'échafaude cette opinion qui ne veut plus de contentieux administratif, ou celle non moins étrange qui, repoussant la juridiction des tribunaux civils, veut créer un tribunal administratif supérieur.

L'état est partie, répète-t-on sans cesse, et on ne peut pas être juge et partie.

« Si l'on proposait, dit l'auteur de l'article de >> la Revue, dans un procès entre particuliers, de

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