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cret de son nécessaire. Cette nuit, le moment lui avait paru arrivé de recourir à cette dernière ressource. Le valet de chambre, qui couchait derrière sa porte entr'ouverte, l'avait vu délayer quelque chose dans un verre d'eau, boire, et se recoucher. Bientôt les douleurs avaient arraché à Napoléon l'aveu de sa fin prochaine. C'était alors qu'il avait fait appeler ses serviteurs les plus intimes. Yvan avait été appelé aussi; mais, apprenant ce qui venait de se passer, et entendant Napoléon se plaindre de ce que l'action du poison n'était pas assez prompte, il avait perdu la tête, et s'était sauvé précipitamment de Fontainebleau. On ajoute qu'un long assoupissement était survenu, qu'après une sueur abondante les douleurs avaient cessé, et que les symptômes effrayants avaient fini par s'effacer, soit que la dose se fùt trouvée insuffisante, soit que le temps en eût amorti le venin. On dit enfin que Napoléon, étonné de vivre, avait réfléchi quelques instants: «Dieu ne le veut pas !» s'était-il écrié, et, s'abandonnant à la Providence qui venait de conserver sa vie, il s'était résigné à de nouvelles destinées.

«Ce qui vient de se passer est le secret de l'intérieur. Quoi qu'il en soit, dans la matinée du 13, Napoléon se lève et s'habille comme à l'ordinaire. Son refus de ratifier le traité a cessé, il le revêt de sa signature '.»

1 Voici le texte de ce traité célèbre signé à Paris, et néanmoins connu sous le nom de traité de Fontainebleau. -Sa non exécution, malgré la garantie donnée par toutes les puissances alliées, fut un des motifs qui décidèrent le retour de l'Empereur en 1815.

Article I. Sa Majesté l'empereur Napoléon renonce, pour lui et ses successeurs et descendants, ainsi que pour chacun des membres de sa famille, à tout droit de souveraineté et de domination, tant sur l'empire français et le royaume d'Italie, que sur tout autre pays.

Art. II. Leurs Majestés l'empereur Napoléon et l'impératrice Marie-Louise conserveront ces titres et qualités pour en jouir leur vie durant.

La mère, les frères, sœurs, neveux et nièces de l'Empereur, conserveront également, partout où ils se trouveront, les titres de princes de sa famille.

Art. III. L'ile d'Elbe, adoptée par Sa Majesté l'empereur Napoléon pour le lieu de son séjour, formera, sa vie durant, une principauté qui sera possédée par lui en toute souveraineté et propriété.

Il sera donné en outre en toute propriété à l'empereur Napoléon, un revenu annuel de deux millions de francs, en rentes sur le grand livre de France, dont un million réversible à l'impératrice.

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Art. IV. Toutes les puissances s'engagent à employer leurs bons offices pour faire respecter par les Baibaresques le pavillon et le territoire de l'ile d'Elbe, et pour que, dans ses rapports avec les Barbaresques elle soit assimilée à la France.

Art. V. Les duchés de Parme, de Plaisance et Guastalla, seront donnés en toute propriété et souveraineté à Sa Majesté l'impératrice Marie-Louise. Ils passeront à son fils et à sa descendance en ligne directe. Le prince son fils prendra dès ce moment le titre de prince de Parme, Plaisance et Guastalla.

Art. VI. Il sera réservé, dans les pays auxquels l'empereur Napoléon renonce, pour lui et sa familie, des domaines, ou donné des rentes sur le grand livre de France, produisant un revenu annuel, net, et déduction faite de toutes charges, de deux millions cinq cent mille francs. Ces domaines ou rentes appartiendront en toute propriété, et pour en disposer comme bon leur semblera, aux princes et princesses de sa famille, et seront répartis entre eux, de manière à ce que le revenu de chacun soit dans la proportion suivante,

Savoir :

A Madame mère, trois cent mille francs;

Au roi Joseph et à la reine, cinq cents mille francs;

Au roi Louis, deux cents mille francs;

A la reine Hortense et à ses enfants, quatre cent mille francs; Au roi Jérôme et à la reine, cinq cent mille francs:

A la princesse Élisa, trois cent mille francs;

A la princesse Pauline, trois cent mille francs.

Soit par cette sorte de respect qu'inspire un vieux guerrier, soit pour faire parade de générosité, les alliés avaient laissé à Napoléon le choix de sa retraite. Il indiqua l'île d'Elbe, voisine de la Corse, où il était né, et de l'Italie, premier théâtre de sa gloire. Il conservait le titre d'Empereur. Sur sa demande, on lui permit d'emmener un petit nombre de ces vieux soldats avec lesquels il avait couru tant de hasards, hommes fermes et dévoués, que le malheur ne décourageait pas. Quatre cents d'entre eux furent désignés pour le suivre; si on eût admis tous ceux de bonne volonté, la garde entière l'aurait accompagné.

Dispersion de la famille impériale. -Adieux à l'armée. Départ de l'Empereur pour l'ile d'Elbe. Le traité du 13 avril fut suivi de la dispersion de la famille impériale. L'impératrice et le roi de Rome remis entre les mains des Autrichiens, furent conduits à Vienne. La mère de l'Empereur, le cardinal Fesch, son oncle, cherchèrent un refuge à Rome; ses frères Joseph, Louis et Jérôme, se retirèrent en Suisse.

L'Empereur, cerné à Fontainebleau par les avantpostes ennemis, ne put embrasser aucun de ses parents. Il vit successivement partir d'auprès de lui la plupart des généraux et des maréchaux qui, naguère

Les princes et princesses de la famille de l'empereur Napoléon conserveront en outre tous les biens meubles et immeubles, de quelque nature que ce soit, qu'ils possèdent à titre particulier, et notamment les rentes dont ils jouissent, également comme particulier, sur le grand livre de France, ou le Monte-Napoleone de Milan.

Art. VII. Le traitement annuel de l'impératrice Joséphine sera réduit à un million en domaines ou en inscriptions sur le grand livre de France. Elle continuera à jouir en toute propriété de tous ses biens meubles et immeubles particuliers, et pourra en disposer conformément aux lois françaises.

Art. VIII. Il sera donné au prince Eugène, vice-roi d'Italie, un établissement convenable hors de France.

Art. IX. Les propriétés que Sa Majesté l'empereur Napoléon possède en France, soit comme domaiue extraordinaire, soit comme domaine privé, resteront à la couronne.

Sur les fonds placés par l'empereur Napoléon, soit sur le grand livre, soit sur la banque de France, soit sur les actions des forêts, soit de toute autre manière, et dont Sa Majesté fait l'abandon à la couronne, il sera réservé un capital qui n'excédera pas deux millions, pour être employé en gratifications en faveur des personnes qui seront portées sur l'état que signera l'empereur Napoléon, et qui sera remis au gouvernement français.

Art. X. Tous les diamants de la couronne resteront à la France. Art. XI. L'empereur Napoléon fera retourner au trésor et aux autres caisses publiques toutes les sommes et effets qui auraient été déplacés par ses ordres, à l'exception de ce qui provient de la liste civile.

Art. XII. Les dettes de la maison de Sa Majesté l'empereur Napoléon, telles qu'elles se trouvent au jour de la signature du présent traité, seront immédiatement acquittées sur les arrérages dus par le trésor public à la liste civile, d'après les états qui seront signés par un commissaire nommé à cet effet.

Art. XIII. Les obligations du Monte-Napoleone de Milan, envers tous ses créanciers, soit français, soit etrangers, seront exactement remplies, sans qu'il soit fait aucun changement à cet égard.

Art. XIV. On donnera tous les sauf-conduits nécessaires pour le libre voyage de Sa Majesté l'empereur Napoléon, de l'impératrice, des princes et princesses, et de toutes les personnes de leur suite qui voudront les accompagner ou s'établir hors de France, ainsi que pour le passage de tous les équipages, chevaux, et effets qui leur appartiennent.

Les puissances alliées donneront en conséquence des officiers et quelques hommes d'escorte.

Art. XV. La garde impériale française fournira un détachement de douze à quinze cents hommes de toutes armes pour servir d'escorte jusqu'à Saint-Tropez, lieu de l'embarquement.

on écouta ses dernières paroles.

«Soldats de ma vieille garde, dit-il, je vous fais mes «adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constam«ment sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Dans «ces derniers temps, comme dans ceux de ma prospé«rité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure «et de fidélité. Avec des hommes tels que vous, notre «cause n'était pas perdue; mais la guerre était inter«minable. C'eût été la guerre civile, et la France n'en «serait devenue que plus malheureuse. J'ai donc sa«crifié tous nos intérêts à ceux de la patrie; je pars:

encore, briguaient la faveur de sa présence; Berthier, | qu'il voulait parler; et, dans le silence le plus religieux, son major général, le confident de tous ses plans militaires, le quitta sans même lui faire d'adieux!. L'Empereur attendait à Fontainebleau l'arrivée des commissaires des puissances alliées qui devaient l'accompagner jusqu'à son embarquement, lorsque le colonel Montholon se présenta devant lui; cet officier arrivait des bords de la Haute-Loire, où il avait été chargé de faire une reconnaissance militaire; il rendit compte à l'Empereur des sentiments des populations et des troupes, et parla de rallier les armées du Midi (Soult venait de livrer aux Anglais la bataille de Toulouse). Napoléon sourit à son zèle. «Non, lui répondit-«vous, mes amis, continuez de servir la France. Son «il, il est trop tard; ce ne serait plus à présent qu'une «guerre civile, et rien ne pourrait m'y décider.>>

«bonheur était mon unique pensée; il sera toujours «<l'objet de mes voeux! Ne plaignez pas mon sort; si j'ai <«<consenti à me survivre, c'est pour servir encore à «votre gloire. Je veux écrire les grandes choses que «nous avons faites ensemble!.... Adieu, mes enfants; «je voudrais vous presser tous sur mon cœur; que «j'embrasse au moins votre drapeau!.....>>

«A ces mots, le général Petit, saisissant l'aigle, s'avança; Napoléon reçut le général dans ses bras, et baisa le drapeau. Le silence d'admiration que cette grande scène inspirait n'était interrompu que par les sanglots des soldats. Napoléon, dont l'émotion crois

Le jour du départ pour l'île d'Elbe arriva enfin. «Le 20 mars, à midi, les voitures de voyage se rangèrent dans la cour du Cheval-Blanc, au bas de l'escalier du Fer-à-Cheval. La garde impériale prit les armes et forma la haie; à une heure Napoléon sortit de son appartement, il trouva rangé sur son passage ce qui restait autour de lui de la cour la plus nombreuse et la plus brillante de l'Europe : c'étaient le duc de Bassano, le général Belliard, le colonel de Bussy, le colonel Anatole de Montesquiou, le comte de Turenne, le général Fouler, le baron Mesgrigny, le colo-sante était visible, fit un effort et reprit d'une voix nel Gourgaud, le baron Fain, le lieutenant-colonel Athalin, le baron de La Place, le baron Lelorgne d'Ideville, le chevalier Jouanne, le général Kosakowski, et le colonel Vonsowitch, ces deux derniers Polonais. Napoléon tendit la main à chacun d'eux, descendit vivement l'escalier, et s'avança vers la garde. Il fit signe

Art. XVI. Il sera fourni une corvette armée, et les bâtiments de transport nécessaires pour conduire au lieu de sa destination Sa Majesté l'empereur Napoléon, ainsi que sa maison. La corvette demeurera en toute propriété à Sa Majesté.

Art. XVII Sa Majesté l'empereur Napoléon pourra emmener avec lui, et conserver pour sa garde, quatre cents hommes de bonne volonté, tant officiers, que sous officiers et soldats.

Art. XVIII. Tous les Français qui auront suivi Sa Majesté l'empereur Napoléon et sa famille, seront tenus, s'ils ne veulent perdre leur qualité de Français, de rentrer en France dans le terme de trois ans, à moins qu'ils ne soient compris dans les exceptions que le gouvernement français se réserve d'accorder après l'expiration de ce terme.

Art. XIX. Les troupes polonaises de toutes armes qui sont au service de France, auront la liberté de retourner chez elles, en conservant armes et bagages, comme un témoignage de leurs services honorables. Les officiers, sous officiers et soldats conserveront les décorations qui leur ont été accordées, et les pensions affectées à ces décorations.

Art. XX. Les hautes puissances alliées garantissent l'exécution de tous les articles du présent traité. Elles s'engagent à obtenir qu'ils soient adoptés et garantis par la France.

Art. XXI. Le présent traité sera ratifié, et les ratifications en seront échangées à Paris, dans le terme de deux jours, ou plutôt, si faire se peut.

plus ferme : «Adieu, encore une fois, mes vieux com«pagnons ! que ce dernier baiser passe dans vos «cœurs!......» Il dit; puis s'arrachant au groupe qui l'entourait, il s'élança dans sa voiture, au fond de laquelle le général Bertrand était déjà placé, et partit.

Fait à Paris, le 11 avril mil huit cent quatorze.

Les négociateurs qui stipulèrent ainsi les intérêts de l'empereur Napoléon furent le duc de Vicence et les maréchaux Macdonald et Ney. Les plénipotentiaires des puissances alliées furent, pour l'Autriche le prince de Metternich; pour la Russie, le baron de Nesselrode; et pour la Prusse, le baron de Hardemberg. — Lord Castlereagh accéda à ce traité au nom de l'Angleterre. Les membres du gouvernement provisoire y adhérèrent, et garantirent en tout ce qui regardait la France les stipulations qu'il renfermait.

Enfin le 31 mai 1814, sur la demande des puissances alliées, M. de Talleyrand, prince de Bénévent, signa, au nom de Louis XVIII, la déclaration suivante:

«Le soussigné, ministre secrétaire d'État au département des affaires étrangères, ayant rendu compte au roi de la demande que leurs excellences messieurs les plénipotentiaires des cours alliées ont reçu, de leurs souverains, l'ordre de faire, relativement au traité du 11 avril, auquel le gouvernement provisoire a accédé, il a plu à Sa Majesté de l'autoriser de déclarer en son nom, que les clauses du traité à la charge de la France seront fidèlement exécutées. Il a, en conséquence, l'honneur de le déclarer par la présente, à leurs excellences.»

A l'exception des clauses qui tendaient à éloigner de Paris l'empereur Napoléon, et à le déporter en quelque sorte à l'ile d'Elbe, aucune des clauses de ce traité, qu'environnaient tant de garanties, ne fut exécutée !

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ÉVÉNEMENTS DE 1815.

RETOUR DE NAPOLÉON. BATAILLE DE WATERLOO.

LICENCIEMENT DE L'ARMÉE.

SOMMAIRE.

État des esprits en France. Non exécution du traité de Fontainebleau.

Napoléon prend la résolution de revenir en France. - Départ de l'ile d'Elbe. Traversée. Arrivée sur les côtes de France. - Débarquement. — Retour à Paris. - Proclamation au peuple et à l'armée. Opérations de l'armée royale dans le Midi. — Capitulation du duc d'Angoulême. — Soulèvement de la Vendée. — Pacification. - Espérances déçues. — Acte additionnel. - Champ de Mai, - Forces de l'armée française. — Napoléon se décide à prendre l'offensive. Commencement des hostilités. - Passage de la Sambre. Bataille de Ligny, ou 2o bataille de Fleurus. - Combat de QuatreBras. Marche contre les Anglais. — Grouchy est chargé de poursuivre les Prussiens. Bataille de Waterloo ou de Mont-Saint-Jean.

- Opérations du corps de Grouchy. - Plaine de Waterloo après la bataille. - Jugement sur la bataille. — Retour de l'Empereur à Paris. Deuxième abdication. Retour de l'armée sur Paris. Combats de Versailles et de Roquencourt. — Combat de Sèvres. — Armistice. - Rentrée de Louis XVIII à Paris. — Opérations sur le Rhin. — Opérations dans les Vosges. — Opérations dans les Alpes et le Dauphiné. - Siége et défense d'Huningue. — Insurrection à Strasbourg. — Licenciement de l'armée. - Traité de paix. — Napoléon est conduit à Sainte-Hélène.

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Élat des esprits en France. Non exécution du traité de Fontainebleau. Napoléon prend la résolution de revenir en France. — Malgré le respect et l'empressement avec lesquels la famille royale fut reçue en 1814, on sait combien l'administration, établie au nom du roi, satisfit peu les espérances populaires. Louis XVIII, quels que fussent les défauts de son caractère privé, et les vices de son organisation morale, était un prince sage et prudent; il s'était rappelé que Henri IV estimait que Paris vaut bien une messe, et il avait pensé qu'une couronne valait bien une constitution. Malheureusement pour lui, comme Napoléon renversé par la défaite de ses lieutenants, il fut trahi par les fautes de ses ministres. Sa charte aurait pu devenir un pacte d'alliance entre le peuple et le souverain. Ce pacte fut mis de côté par ceux-là mêmes qui avaient le plus d'intérêt à son existence. Les ministres du roi, les courtisans qu'il avait ramenés de son exil, les émigrés anciens et nouveaux qui reparaissaient plus exigeants, plus âpres et plus fiers, changèrent les dispositions en éveillant toutes les inquiétudes. On tracassa les propriétaires de biens nationaux; on humilia les hommes distingués qui ne sortaient pas des rangs d'une noblesse privilégiée ; et cette armée, dont la gloire consolait la France des victoires de l'étranger, on la traita avec mépris.

Depuis un an que l'Empereur était à l'île d'Elbe, où il s'occupait avec sa merveilleuse intelligence et son habituelle activité à améliorer la population, les ports et les routes, l'industrie et l'agriculture, aucun des engagements pécuniaires pris avec lui n'avait été rempli. Il réclamait contre ce manque de foi, lorsqu'il apprit que, dans le congrès de Vienne, les ministres français, afin de pouvoir se livrer, probablement, sans retenue à leurs absurdes projets, avaient proposé de l'enlever de l'île d'Elbe pour le transférer dans un exil plus lointain, à Sainte-Hélène. L'Empereur n'avait rien fait qui put excuser cette violation gratuite du traité de paix : ses faibles moyens de défense auraient été impuissants pour résister à une pareille tentative, il

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Armée anglo-belge. Général. Lord WELLINGTON. Armée prussienne. Général. Le maréchal BLUCHER. résolut de la prévenir par la plus audacieuse expédition dont l'histoire ait jamais conservé le souvenir. D'attaqué qu'il allait être, il se fit assaillant. Le succès de cette entreprise est une des plus grandes preuves du génie de Napoléon, et de sa connaissance des hommes et des mobiles qui les font agir. — En partant de l'ile d'Elbe, tout fut prévu par lui et déterminé à l'avance.

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Départ de l'île d'Elbe. Traversée. Arrivée sur les côtes de France. Le 26 février, après avoir fait ses préparatifs avec la plus grande célérité et dans un profond secret, l'Empereur, accompagné des généraux Bertrand, Drouot, Cambronne et des autres officiers supérieurs qui l'avaient suivi dans son exil, s'embarqua, à neuf heures du soir, sur l'Inconstant, brick de guerre portant 26 canons. Il avait avec lui les 400 hommes de sa garde: trois autres bâtiments qui se trouvaient à Porto-Ferrajo, reçurent 200 hommes d'infanterie, 100 Polonais, et un bataillon de flanqueurs, fort de 200 et quelques hommes, presque tous Corses ou Italiens. Le vent, venant du sud, était favorable. Le capitaine du brick espérait que le lendemain, avant le jour, l'île de Capraïa serait doublée, et que les bâtiments seraient hors des croisières française et anglaise; mais cet espoir fut décu. On avait à peine doublé le cap Saint-André de l'île d'Elbe, que le vent mollit, la mer devint calme. Au lever de l'aurore, le brick n'avait fait que six lieues, et se trouvait encore, ainsi que les autres bâtiments, entre l'île de Capraïa et la côte Elboise, en vue des croisières.

Le péril paraissait imminent, les officiers de marine étaient d'avis de retourner à Porto-Ferrajo; Napoléon ordonna qu'on continuât la navigation, se proposant, en dernière ressource, d'aborder les bâtiments croiseurs pour tenter de les enlever. Ceux-ci consistaient en deux frégates et un brick de la marine française. Quelques renseignements obtenus d'avance sur les dispositions des équipages permettaient de croire qu'ils arboreraient le pavillon tricolore sans

grande difficulté. Vers midi, le vent fraichit un peu, à quatre heures, le convoi se trouva à la hauteur de Livourne. Une frégate paraissait à cinq lieues sous le vent; une autre était en vue vers les côtes de Corse; un troisième bâtiment de guerre (le brick le Zéphir), venait droit, vent arrière, à la rencontre du brick que montait Napoléon. A six heures, les deux bâtiments se croisèrent; l'Empereur voulant passer près du brick sans être reconnu, ordonna aux grenadiers de la garde d'ôter leurs bonnets et de se cacher dans l'entre-pont. Les deux bricks passèrent bord à bord. Dès qu'on fut à portée de la voix, le lieutenant de l'Inconstant demanda au capitaine du Zéphir s'il avait des commissions pour Gênes; et sur sa réponse négative, les deux bâtiments, allant en sens contraire, se perdirent bientôt de vue, sans que le capitaine du Zéphir se doutât de ce que portait le brick qu'il venait de rencontrer.

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Le vent continua à fraîchir dans la nuit du 27 au 28. Au jour, le convoi aperçut un vaisseau de 74 qui paraissait se diriger sur Saint-Florent, en Corse, ou sur la Sardaigne. A sept heures, il eut connaissance de la côte de Noli, dans l'état de Gènes. A midi, il était en vue d'Antibes. A trois heures du soir, le 1er mars, il entra dans le golfe Juan.

! Débarquement. — Retour à Paris.-Proclamation au peuple et à l'armée. Le débarquement se fit sans obstacle. Le voyage de l'Empereur, de Cannes à Paris, fut une marche triomphale. Les soldats envoyés pour le combattre, le saluaient de leurs acclamations et se rangeaient de son côté. Pas un coup de fusil ne fut tiré. Sur la route, il ne fut arrêté par aucune tentative de résistance; c'était à qui s'empresserait le plus vite à lui apporter ses hommages, versatilité de sentiments qui devait lui inspirer de tristes réflexions. Que de malheurs ce dévouement de 1815 aurait évités à la France, s'il eût eu lieu en 1814! L'Empereur, de retour en France le 1er mars, arriva à Paris le 20 au soir, et prit aussitôt possession du château des Tuileries, que la nuit antérieure Louis XVIII avait abandonné pour se retirer à Gand.

Napoléon avait été précédé, dans sa marche, de deux proclamations au peuple et à l'armée qui, par l'influence qu'elles exercèrent, avaient frayé sa route jusqu'à la capitale. On y remarquait les passages suivants :

«Français, après la prise de Paris, mon cœur fut «déchiré, mais mon âme resta inébranlable. Je ne con«sultai que l'intérêt de la patrie; je m'exilai sur un «rocher au milieu des mers. Ma vie vous était et deavait encore vous être utile.....

«Elevé au trône par votre choix, tout ce qui a été «fait sans vous est illegitime. Depuis vingt-cinq ans la «France a de nouveaux intérêts, de nouvelles institu«tions, une nouvelle gloire, qui ne peut être garantie «que par un gouvernement national, et par une dy<<<nastie née dans ces nouvelles circonstances..... Un «prince qui règnerait sur vous, qui serait assis sur <<mon trône par la force des mêmes armées qui ont «<ravagé notre territoire, chercherait en vain à s'é«tayer des principes du droit féodal; il ne pourrait

«<assurer l'honneur et les droits que d'un petit nombre «d'individus ennemis du peuple, qui, depuis vingt«cinq ans, les a condamnés dans toutes nos assemblées «nationales.....

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<«<Dans mon exil, j'ai entendu vos plaintes et vos «vœux vous réclamiez ce gouvernement de votre «choix, qui seul est légitime; vous accusiez mon long «<sommeil ; vous me reprochiez de sacrifier à mon re«pos les grands intérêts de la patrie. J'ai traversé les «mers au milieu des périls de toute espèce; j'arrive «parmi vous, reprendre mes droits qui sont les vôtres... «Français, il n'est aucune nation, quelque petite «qu'elle soit, qui n'ait eu le droit de se soustraire et «ne se soit soustraite au déshonneur d'obéir à un «prince imposé par un ennemi momentanément vic«torieux.... C'est à vous seuls, et aux braves de l'ar«mée que je me fais et me ferai toujours gloire de tout «devoir....

«Soldats! nous n'avons pas été vaincus! Deux hom«mes sortis de nos rangs ont trahi nos lauriers, leur «pays, leur prince, leur bienfaiteur. Ceux que nous «avons vus pendant vingt-cinq ans parcourir toute «l'Europe pour nous susciter des ennemis, qui ont «<passé leur vie à combattre contre nous dans les rangs << des armées étrangères, en maudissant notre belle «France, prétendraient-ils commander et enchaîner «nos aigles, eux qui n'ont jamais pu en soutenir les «regards? Souffrirons-nous qu'ils héritent du fruit de «nos glorieux travaux ; qu'ils s'emparent de nos hon«neurs, de nos biens, qu'ils calomnient notre gloire?... «Ils cherchent à rabaisser ce que le monde admire ; et «s'il reste encore des défenseurs de notre gloire, c'est «parmi ces mêmes ennemis que nous avons combattus «sur le champ de bataille..... Dans mon exil, j'ai en«tendu votre voix, je suis arrivé à travers tous les «obstacles et tous les périls; votre général, appelé au << trône par le choix du peuple, et élevé sur vos pavois, «vous est rendu, venez le joindre... Arrachez ces cou«leurs que la nation a proscrites.... Arborez cette co«carde tricolore, vous la portiez dans nos grandes «journées! Reprenez ces aigles que vous aviez à Ulm, «à Austerlitz, à léna, à Eylau, à Friedland, à Tudela, «à Eckmülh, à Essling, à Wagram, à Smolensk, å la «Moskowa, à Lutzen, à Wurtschen, à Montmirail..... «Vos biens, vos rangs, votre gloire, les biens, les «<rangs et la gloire de vos enfants, n'ont pas de «plus grands ennemis que ces princes que les étran«gers nous ont imposés. Les vétérans des armées de «Sambre-et-Meuse, du Rhin, d'Italie, d'Égypte, de «l'Ouest, de la grande armée, sont humiliés; leurs ho«norables cicatrices sont flétries. Leurs succès seraient «des crimes, ces braves seraient des rebelles, si, comme «le prétendent les ennemis du peuple, des souverains «légitimes étaient au milieu des armées étrangères. «Les honneurs, les récompenses, les affections, sont «pour ceux qui les ont servis contre la patrie et contre «nous. Soldats! venez vous ranger sous les drapeaux «de votre chef: son existence ne se compose que de la «vôtre; son intérêt, son honneur, sa gloire, ne sont «autres que votre intérêt, votre honneur et votre gloire. «La victoire marchera au pas de charge; l'aigle,

«avec les couleurs nationales, volera, de clocher, jus- | ments du Midi, et d'établir un gouvernement central qu'aux tours de Notre-Dame. Vous pourrez mon- à Toulouse. Ne croyant pas devoir s'éloigner des trou«trer avec honneur vos cicatrices; alors vous pourrez pes qui allaient entrer en campagne, il envoya à Tou «<vous vanter de ce que vous aurez fait. Vous serez les louse le comte de Damas-Crux avec des pouvoirs, pour «libérateurs de la patrie. Dans votre vieillesse, entou- y établir, de concert avec M. de Vitrolles, le gouver«rés et considérés de vos concitoyens, ils vous enten-nement provisoire. Ces deux messieurs remirent au «dront avec respect raconter vos hauts faits; vous «pourrez dire avec orgueil : «Et moi aussi je faisais «partie de cette grande armée qui est entrée deux fois «dans les murs de Vienne, de ceux de Rome, de Ber«lin, de Madrid, de Moscou, qui a délivré Paris de la «souillure que la trahison et la présence de l'ennemi y «ont empreinte.>>

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maréchal Pérignon le gouvernement de la 10e division militaire, dont Toulouse était le chef-lieu.

Comme nous l'avons dit, le plan adopté par le duc d'Angoulême consistait à marcher, avec les trois corps d'armée, sur Lyon, dont l'occupation aurait assuré, à ce qu'il espérait, celle de tous les départements méridionaux, si, comme le prince devait y compter, d'après une déclaration des souverains alliés, en date du 13 mars, les troupes étrangères pénétraient dans le royaume pour agir contre Napoléon.

Le général Ernouf, à la tête de l'aile droite de l'armée royale, composée des 58° et 83° régiments, d'un bataillon du 9o et de quelques compagnies du 87o, en tout 2,000 hommes de ligne et 2,500 gardes nationaux des Bouches-du-Rhône, du Var et de Vaucluse, avec quatre pièces de campagne, devait marcher sur Grenoble, que couvraient 300 hommes de troupes impériales et un rassemblement de gardes nationales du Dauphiné, sous les ordres du général Chabert. Le général Ernouf devait ensuite descendre l'Isère, et joindre corps du centre pour marcher sur Lyon.

Le corps du centre était commandé par le duc d'Angoulême en personne. Il se composait du 10o régiment de ligne, d'une partie du 14o de chasseurs à cheval, et de huit bataillons incomplets des gardes nationaux des départements de Vaucluse, du Gard et de l'Hérault : en tout 4,000 combattants avec dix pièces de campagne et deux obusiers.

Dans la nuit du 9 au 10 mars, le duc d'Angoulême partit de Bordeaux afin d'opérer le rassemblement d'une armée royale à Nîmes. Arrivé dans cette dernière ville, il apprit que Napoléon venait d'entrer à Lyon. A Nimes, le duc d'Angoulême reçut les pou-le voirs du roi qui lui conféraient le gouvernement général des 7, 8, 9, 10 et 11e divisions militaires. Le 13, le prince réunit un conseil de guerre composé des généraux Ambert, Merle, Briche, du comte de DamasCrux, son premier gentilhomme, du vicomte de Bruges et du baron de Damas, ses aides de camp. Parmi plusieurs plans proposés on adopta celui qui semblait le moins donner au hasard, et qui consistait à régulariser la défense avec le plus d'ensemble possible par le mélange des troupes de ligne et des gardes nationales; on résolut de diviser ces forces en trois corps, manœuvrant de concert depuis les Alpes jusqu'aux montagnes de l'Auvergne, en remontant vers Lyon. Les bataillons formés furent dirigés successivement sur Pont-Saint-Esprit, lieu de leur rassemblement.

Quand le prince crut avoir réuni les moyens nécessaires pour ouvrir la campagne, il partit pour Marseille, où il espérait trouver le noyau de l'armée active qu'il lui fallait créer pour l'accomplissement de ses desseins. En un instant 12 à 1,500 volontaires royalistes furent armés dans cette ville.

L'aile gauche, qui ne devait agir que quand on serait maître de Lyon, était commandée par le général Compans, et formée des gardes nationaux des départements composant les 9 et 10o divisions militaires.

Le général Rey devait aussi, de Saint-Étienne, marcher sur Lyon avec une colonne intermédiaire composée de quelques bataillons et compagnies de gardes nationaux de l'Ardèche et de la Haute-Loire, rassemblés au Puy. Enfin, le général Gilly commandait les troupes de seconde ligne, ou la réserve, réunie à Nimes et aux environs.

Les choses en étaient là, lorsque presque tous les régiments de ligne commencèrent à manifester les dispositions les plus hostiles au gouvernement royal. Le prince prit le parti de faire stationner les récalcitrants à Montpellier, à Avignon et à Nîmes, et il se rendit au Pont-Saint-Esprit, où venaient d'arriver quelques bataillons de volontaires royaux, le 14o de chasseurs à cheval, et le 1er régiment étranger.

Le prince se rendit le même jour à Toulon, visita les arsenaux, et dirigea sur Nîmes des armes, des munitions de guerre et de l'artillerie. Il revint ensuite à Marseille, où il confia au général Ernouf le commandement de l'aile droite de l'armée royale. Peu de jours suffirent à ce général pour organiser quinze compagnies franches de 100 hommes chacune. L'aile droite se réunit à Sisteron, et le général enferma trois bri-partisans de Napoléon dans le département de la gades sous les ordres des maréchaux de camp Loverdo, Peyremond et Gardanne.

Le 29 mars, le vicomte d'Escars, que le duc d'Angoulême avait chargé d'observer les mouvements des

Drôme, entra à Montélimart avec une faible avantgarde, et y fut bientôt rejoint par le prince, qui, après avoir donné ses ordres, repartit pour le PontSaint-Esprit, afin de mettre ce poste essentiel en état

Le prince était allé rejoindre son quartier général à Nimes, lorsqu'il y reçut l'ordre du roi de prendre le titre de lieutenant général de S. M. dans les départe- | de défense.

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