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constance. Jeté hors de toutes ses idées arrêtées de régularité, d'ordre et de méthode, il fut saisi de désespoir à la vue d'un désordre si général, et, jugeant avant les autres tout perdu, il se sentit lui-même prêt à tout abandonner.>>

Le 29o bulletin, bulletin célèbre où l'Empereur fit connaître à l'Empire l'étendue de ses désastres, dit à l'occasion de cet hiver précoce et terrible: «Les chemins furent couverts de verglas; les chevaux de cavalerie, d'artillerie, du train, périssaient toutes les nuits, non par centaines, mais par milliers; surtout ceux de France et d'Allemagne. Plus de trente mille périrent en peu de jours; notre cavalerie se trouva toute à pied; notre artillerie et nos transports étaient sans attelages. Il fallut abandonner et détruire une grande partie de nos pièces et de nos munitions de guerre et de bouche...-Cette armée si belle le 6, était bien différente dès le 14, presque sans cavalerie, sans artillerie, sans transports. Sans cavalerie, nous ne pouvions pas nous éclairer à un quart de lieue; sans artillerie, nous ne pouvions pas risquer une bataille et attendre l'ennemi de pied ferme. Il fallait marcher pour ne pas être contraints à une bataille, que le défaut de munitions nous empêchait de désirer; il fallait occuper un certain espace, pour ne pas être tournés, et cela sans cavalerie qui flanquât et liât les colonnes. Cette difficulté, jointe à un froid excessif subitement venu, rendit notre situation fâcheuse. Des hommes que la nature n'a pas trempés assez fortement pour être au-dessus de toutes les chances du sort et de la fortune perdirent leur gaieté, leur bonne humeur, et ne révèrent que malheurs et catastrophes; ceux qu'elle a créés supérieurs à tout conservèrent leur sérénité et leurs manières ordinaires, et virent une nouvelle gloire dans des difficultés diverses et nouvelles à surmonter. L'ennemi trouvait sur les chemins les traces de cette affreuse calamité qui frappait l'armée française ; il chercha à en profiter. Il enveloppait toutes les colonnes par ses Cosaques, qui enlevaient, comme les Arabes dans le désert, les trains et les voitures qui s'écartaient. Cette méprisable cavalerie ne fait que du bruit, et n'est pas capable d'enfoncer une compagnie de voltigeurs; mais elle se rendit redoutable à la faveur des circonstances. >>

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Le 10 novembre, lendemain du jour où l'Empereur arriva à Smolensk, l'armée prit les positions suivantes: la vieille garde était dans la ville; la jeune garde occupait les faubourgs; la cavalerie, montée et démontée, tenait les villages entre la route de Krasnoi et le Dniéper, à la hauteur de Wilkowitzki; le duc d'Abrantès était à deux lieues de Smolensk, sur la route de Jelnia; le général Zayonscheck, qui avait remplacé, dans le commandement du 5o corps, le prince Poniatowski, blessé par suite d'une chute de cheval, était à trois lieues, sur celle de Mstislaw; le vice-roi traversait le Wop; le maréchal Ney défendait le passage du Dniéper à Slobpnewa; Davoust était à Tsughinowo, en mesure de le soutenir, s'il était nécessaire.

L'armée n'avait pas trouvé à Smolensk les secours qu'elle espérait, et cette déception avait singulièrement accru le découragement. Le séjour dans cette ville donna lieu d'ailleurs à des scènes que M. de Ségur a retracées avec sa vivacité et peut-être aussi avec son exagération accoutumée.

«L'armée, dit-il, a revu Smolensk; elle a touché à ce terme tant de fois offert à ses souffrances. Les soldats se la montrent. La voilà cette terre promise, où sans doute leur famine va retrouver l'abondance, leur fatigue le repos; où les bivouacs par dix-neuf degrés de froid vont être oubliés dans des maisons bien échauffées. Là, ils goûteront un sommeil réparateur; ils pourront refaire leur habillement; là, de nouvelles chaussures et des vêtements propres au climat leur seront distribués !

«A cette vue les corps d'élite, quelques soldats et les cadres ont seuls conservé leurs rangs; le reste a couru et s'est précipité. Des milliers d'hommes, la plupart sans armes, ont couvert les deux rives escarpées du Borysthène; ils se sont pressés en masse contre les hautes murailles et les portes de la ville; mais leur foule désordonnée, leurs figures hâves, noircies de terre et de fumée, leurs uniformes en lambeaux, les vêtements bizarres par lesquels ils y ont suppléé, enfin leur aspect étrange, hideux, et leur ardeur effrayante, ont épouvanté. On a cru que si l'on ne repoussait l'irruption de cette multitude enragée de faim, elle mettrait tout au pillage, et les portes lui ont été fermées. «On espérait aussi que, par cette rigueur, on force

A Smolensk, le froid acquit tout à coup une inten-rait à se rallier. Alors, dans les restes de cette malsité insoutenable; le 13 novembre 1, le thermomètre marquait dix-sept degrés au-dessous de zéro. Ce froid si rigoureux produisit des effets déplorables sur des malheureux accablés déjà de tant de maux et de fatigues; beaucoup périrent, un plus grand nombre eurent les pieds, les mains ou le nez gelés. Smolensk et les environs regorgèrent de cadavres. Par bonheur le temps se radoucit le 14; car si le froid eût duré avec tant de rigueur, c'en était fait de l'armée entière.

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heureusc armée, il s'est établi une horrible lutte entre l'ordre et le désordre. C'est vainement que les uns ont prié, pleuré, conjuré, qu'ils ont menacé et cherché à ébranler les portes, qu'ils sont tombés mourant aux pieds de leurs compagnons chargés de les repousser : ils les ont trouvés inexorables; il a fallu qu'ils attendissent l'arrivée de la première troupe encore commandée et en ordre.

«C'était la vieille et la jeune garde. Les hommes débandés n'entrèrent qu'à sa suite: eux et les autres corps, qui, depuis le 8 jusqu'au 14, arrivèrent successivement, crurent qu'on n'avait retardé leur entrée que pour donner plus de repos et de vivres à cette garde. Leurs souffrances les rendirent injustes, ils la maudirent.

«Seraient-ils donc sans cesse sacrifiés à cette classe 11

«privilégiée! à cette vaine parure qu'on ne voyait plus «qu'aux revues, aux fêtes, et surtout aux distributions! «L'armée n'aurait-elle jamais que ses restes? pour les «obtenir, faudrait-il toujours attendre qu'elle fût ras«<sasiće?» On ne pouvait leur répondre, qu'essayer de tout sauver, ce serait tout perdre; qu'il fallait du moins conserver un corps entier, et donner la préfé- | rence à celui qui, dans une dernière occasion, pourrait faire un plus puissant effort.

«Cependant ces malheureux sont dans cette Smolensk tant désirée; ils ont laissé les rampes du Borysthène jonchées des corps mourants des plus faibles d'entre eux! l'impatience, et plusieurs heures d'attente les ont achevés. Ils en laissent d'autres sur l'escarpement de glace qu'il leur faut surmonter pour atteindre la haute ville. Le reste court aux magasins, et là, il en expire encore pendant qu'ils en assiégent les portes; car on les en a repoussés. «Qui sont-ils? de quel corps? <«comment les reconnaître?» Les distributeurs des vivres en sont responsables; ils ne doivent les délivrer qu'à des officiers autorisés, et porteurs de reçus contre lesquels ils échangeront les rations qui leur sont confiées; et ceux qui se présentent n'ont plus d'officiers, ils ne savent où sont leurs régiments: les deux tiers de l'armée sont ainsi.

les maisons pleines des cadavres de ces infortunés. «Enfin, cette funeste Smolensk, que l'armée avait cru le terme de ses souffrances, n'en marquait que les commencements. Une immensité de douleurs se déroulait devant nous; il fallait marcher encore quarante jours sous ce joug de fer. Les uns, déjà surchargés des maux présents, s'anéantirent et succombèrent devant cet effrayant avenir; quelques autres se révoltèrent contre leur destinée; ils ne comptèrent plus que sur eux-mêmes, et résolurent de vivre à quelque prix que ce fût.

«Dès lors, suivant qu'ils se trouvèrent les plus forts ou les plus faibles, ils arrachèrent violemment ou dérobèrent à leurs compagnons mourants leurs subsistances, leurs vêtements, et même l'or dont ils avaient rempli leurs sacs au lieu de vivres. Puis, ces misérables, que le désespoir avait conduits au brigandage, jetaient leurs armes pour sauver leur infâme butin, profitant d'une position commune, d'un nom obscur, d'un uniforme méconnaissable, et de la nuit, enfin de tous les genres d'obscurités, toutes favorables à la làcheté et au crime. »

M. Fain lui-même trace le tableau suivant du séjour de l'armée à Smolensk et de sa situation lors du départ de cette ville :

«Pendant les quatre jours passés à Smolensk, l'avidité de tous les besoins a forcé les consignes. Comment maintenir l'équilibre entre cette foule affamée, quelques agens d'administration et si peu de temps? Les distributions n'ont été qu'un pillage continuel, ét, dans ce désordre, l'activité individuelle s'est ranimée pour un moment. - On a rallié tout ce qu'on a pu rallier: 50,000 hommes sont encore armés, suivent encore leurs chefs, et gardent encore quelque appa

« Ces infortunés se répandent dans les rues, n'ayant plus d'espoir que le pillage. Mais partout des chevaux disséqués jusqu'aux os leur annoncent la famine: partout les portes et les fenêtres des maisons, brisées et arrachées, ont servi à alimenter les bivouacs: ils n'y trouvent point d'asiles, point de quartiers d'hiver préparés, point de bois; les malades, les blessés, restent dans les rues, sur les charrettes qui les ont apportés. C'est encore, c'est toujours la fatale grande route passant au travers d'un vain nom; c'est un nouveau bi-rence de la discipline militaire. C'est l'élite des soldats, vouac dans de trompeuses ruines, plus froides encore que les forêts qu'ils viennent de quitter.

«Alors, seulement, ces hommes débandés cherchent leurs drapeaux; ils les rejoignent momentanément pour y trouver des vivres; mais tout le pain qu'on avait pu confectionner venait d'être distribué il n'y avait plus de biscuit, point de viande. On leur délivra❘ de la farine de seigle, des légumes secs et de l'eaude-vie. Il fallut des efforts inouïs pour empêcher les détachements des différents corps dè s'entre-tuer aux portes des magasins; puis, quand après de longues formalités ces misérables vivres étaient délivrés, les soldats refusaient de les porter à leurs régiments, ils se jetaient sur les sacs, en arrachaient quelques livres de farine, et s'allaient cacher pour les dévorer. Il en fut de même pour l'eau-de-vie. Le lendemain on trouva

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ce sont les plus robustes et les plus courageux. Sous leur protection, 60,000 hommes peut-être, de tous les rangs, de toutes les conditions, de tous les corps, de toutes les armes, marchent confondus, tantôt par bandes, tantôt faisant foule, tous s'empressant de se devancer les uns les autres. Tandis que l'Empereur est à Smolensk, la tête de ces colonnes désorganisées a déjà atteint Kranoi et Liadi.....>>

Mais l'Empereur a songé à en tirer parti :

«Des officiers intelligents ont pris les devants, avec des sapeurs, pour rendre les routes práticablėš. Ils ramasseront aux défilés des principaux passages tout ce qu'ils pourront trouver d'hommes de bonne volonté ; ils s'en serviront pour éclairer le chemin, et préserver les ponts que les Cosaques pourraient essayer de rompre.» Cette utile prévoyance sauva un grand nombre de soldats.

RÉSUMÉ CHRONOLOGIQUE.

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Combat de Smoliany (corps de Gouvion Saint-Cyr). 3 NOVEMBRE. Combat de Wiasma.

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FIN DE LA RETRAITE. PASSAGE DE LA BÉRÉZINA.

RETOUR DE L'ARMÉE EN PRUSSE.

SOMMAIRE.

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Évacuation de Smolensk. — Arrrivée de l'Empereur à Krasnoi. -Les deux armées sont en présence. - Combat de Merlino. - Bataille de Krasnoi. — Arrivée à Orsza. — Proclamation à la garde et à l'armée. — Combat de Katowa. Belle retraite du maréchal Ney. Arrivée de l'Empereur à Toloczin. - Prise de Borisow par Tchitchagof. — Kutusof passe le Dniéper. - Oudinot reprend Borisow, Arrivée de l'armée sur la Bérézina, —- Établissement des ponts de Studianka. — Fassage de la Bérézina. - Combat de Borisow. - Prise de la division Partouneaux. - Bataille de la Bérézina. Fin du passage. Encombrement. - Destruction des ponts. - Suite de la retraite. — héflexions sur les journées de la Bérézina. — Opérations des corps détachés. Désorganisation de l'armée. L'Empereur part pour retourner en France. Combat d'Oszmiana. — Danger couru par l'Empereur. - Son retour à Paris. — Arrivée à Wilna. – Évacuation de cette ville. - Combat de Kowno. L'armée rentre en Prusse.-Position des deux armées sur le Niémen.

ARMÉE FRANÇAISE.

Général en chef. - L'Empereur NAPOLÉON.

Évacuation de Smolensk. — L'évacuation de Smolensk était décidée. — L'Empereur, ne recevant pas de nouvelles du prince Eugène, avec lequel toutes les communications étaient coupées par les Cosaques, et parce que Smolensk était cerné depuis le 11, sur la rive droite, par des régiments détachés du corps de Platof, avait donné l'ordre au maréchal Ney de ne se retirer que très lentement. Ce maréchal étant, le 12, en position à Tsughinowo, y fut attaqué par Yurkof; le combat dura toute la journée et fut très meurtrier; Ney conserva sa position. Le même jour, le général Zayonscheck et le général Junot se portèrent sur Krasnoi.-Junot, ayant réuni aux débris de son corps les cavaliers démontés, fut chargé d'escorter l'artillerie de la garde et le grand parc d'artillerie.

Le général Claparède partit, le 13, pour Krasnoi avec sa division. Il escortait le convoi des trophées, celui du trésor et les bagages du quartier général.—Le maréchal Davoust passa le Dniéper avec quatre de ses divisions, et occupa une partie des faubourgs et des villages les plus rapprochés de Smolensk. I laissa sur la rive droite une division, qui s'établit entre Smolensk et le corps de Ney, lequel était encore à quatre lieues de cette ville. Dans l'après-midi, le vice-roi arriva avec les débris de son corps; il laissa la division Broussier en position sur la route de Pétersbourg, et entra dans Smolensk avec le reste de ses troupes.

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| taillon; mais voyant arriver la division Claparède, il évacua cette ville après en avoir pillé les magasins, et se retira à une lieue de là, sur Putkowa.

L'Empereur, avant de quitter Smolensk, avait donné au vice-roi l'ordre d'en partir le lendemain pour suivre le mouvement de la garde; il avait en même temps ordonné au maréchal Davoust de soutenir Ney dans la retraite d'arrière-garde, de se replier sur Krasnoi avec son corps d'armée et celui du duc d'Elchingen, et, avant de partir, de faire sauter les tours de l'enceinte de Smolensk, de faire brûler les munitions d'artillerie, de détruire les caissons, les fusiis, et tout ce qu'on ne pourrait pas emmener.

Le maréchal Ney, chargé de faire l'arrière-garde, devait prendre, le 15, la position du couvent et du faubourg de Smolensk, et faire sauter la ville en l'évacuant le 16 ou le 17.

Arrivée de l'Empereur à Krasnoi. —Les deux armées sont en présence. Pendant que Napoléon se dirigeait sur Orsza, Kutusof continuait lentement sa marche sur Krasnoi. Le 14 novembre, jour où Osterman arrivait vis-à-vis de Koritnia, Miloradowitz parvint à une petite journée de Krasnoi. L'armée russe était en ce moment forte de 90,000 bommes, sa cavalerie était très bien montée, son artillerie consistait en plus de cinq cents bouches à feu.

L'armée française se trouvait, au contraire, réduite à 42,000 combattants, dont 5,000 de cavalerie, dans le plus mauvais état ; elle avait déjà perdu plus de trois cent cinquante bouches à feu, en y comprenant celles qu'on était forcé d'abandonner à Smolensk ; et si un changement de temps ne détruisait pas le verglas, on devait s'attendre à perdre le reste en peu de jours. Près de 30,000 traîneurs marchaient avec les colonnes et génaient leurs mouvements; enfin, pour compliquer cette triste situation, un grand nombre de détachements de Cosaques, placés sur le flanc gauche

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de l'armée, ne lui laissaient aucun repos; l'arrivée de Kutusof à Krasnoi semblait devoir la mettre dans une position entièrement désespérée.

L'Empereur continua, le 15, son mouvement sur Krasnoi. Miloradowitz, qui commandait l'avant-garde russe, avait appuyé à droite pour venir prendre position à Merlino, village situé sur la grande route, à une lieue et demie avant d'arriver à Krasnoi. L'Empereur, arrivé à Krasnoi le 15 au soir, acquit enfin la certitude que l'armée russe toute entière était sur son flanc gauche. Le jour même, cette armée occupa la position suivante en vue de Krasnoi: sa droite, formée du corps de Miloradowitz, s'étendait jusque sur la grande route, à la hauteur de Merlino; sa gauche était devant Krasnoi; son centre en avant de Szidowa, où Kutusof établit son quartier général.

Plusieurs généraux engagèrent le général en chef russe à se diriger, avec la totalité de ses forces, sur la route de Krasnoi à Liady, pour y prendre position, en prolongeant sa gauche jusqu'au Dniéper, afin de fermer toute retraite à l'empereur Napoléon et aux autres corps français qui étaient encore dispersés depuis Krasnoi jusqu'à Smolensk. La situation des choses ayant convaincu le général russe que c'était là le seul parti à prendre, il se décida à adopter ce plan. Mais au moment où il donnait des ordres en conséquence, il fut informé, par un paysan échappé de Krasnoi, que l'Empereur était en personne dans cette ville, qui, ainsi que ses environs, était remplie de troupes de la garde impériale. Il révoqua aussitôt les ordres qu'il venait de donner.

L'Empereur sentait parfaitement le danger de sa position; il comprenait qu'il était important pour lui de se retirer à l'instant même; mais alors, il aurait sacrifié les corps de Davoust, du vice-roi et de Ney: il resta se confiant à sa fortune, comptant sur la pusillanimité et les tergiversations de son adversaire, et déterminé à tenir dans Krasnoi jusqu'à ce qu'on l'obligeât à abandonner cette ville. La jeune garde prit position en face de l'armée russe; la cavalerie de LatourMaubourg sur la rive droite de Krasnoi; la vieille garde, infanterie et cavalerie, et la division Claparède restèrent dans la ville et aux alentours.

Combat de Merlino. - Pendant que ces événements se passaient à Krasnoi, le vice-roi continuait son mouvement, et le maréchal Davoust quittait Smolensk. Instruit de la marche du 4o corps, Miloradowitz se prépara à l'attaquer au passage d'un ravin qui se trouve à la hauteur de Merlino. Il était presque nuit, et le prince Eugène, accompagné de son état-major et des sapeurs de son corps d'armée, avait devancé son avant-garde de trois quarts de lieue environ, lorsqu'il vit les militaires isolés dont la route était couverte, rétrograder précipitamment. Ce mouvement était dù à la présence d'un corps de cavalerie russe qui venait d'intercepter cette route au-delà du ravin de Merlino. En même temps, Miloradowitz débouchait d'un ravin qui avait d'abord caché ses troupes, et s'approchait pour couper la retraite au 4o corps. Le vice-roi, après avoir chargé le général Guilleminot de se maintenir,

avec les troupes qu'il pourrait réunir, près d'un petit bois traversé par la route, rejoignit son corps au galop, l'arrêta et le déploya aussitôt pour faire face à l'ennemi. Sa ligne de bataille formait avec la route un angle fort aigu.

Pendant ces dispositions du prince, le général Guilleminot formait en compagnies les militaires isolés qui avaient conservé leurs armes, et les réunissait aux sapeurs, et à un détachement de marins de la garde qui se trouvaient là. Il rassembla ainsi environ 1,200 hommes. Attaqué vivement, et s'apercevant que le vice-roi, qui l'était aussi, ne pouvait venir le dégager, et qu'il allait être coupé du 4e corps, il se reploya sur ce corps, après avoir formé sa troupe en carré. Les Russes le suivirent avec de la cavalerie et une artillerie nombreuse, dont le feu l'incommodait beaucoup. Il se retira d'abord en bon ordre; mais lorsqu'on fut assez près du 4 corps pour n'avoir plus à craindre d'être chargé par la cavalerie ennemie, les soldats rompirent leurs rangs et coururent vers la ligne française, derrière laquelle ils passèrent par les intervalles des bataillons.

Cependant Miloradowitz, après avoir canonné le 4o corps, dirigea contre ce corps plusieurs charges de cavalerie; mais cette cavalerie ne réussit que sur la gauche, où elle dispersa deux bataillons. La position du prince Eugène était fort difficile: il ne lui restait guère que 5,000 fantassins, pas de cavalerie, et il n'avait conservé que deux bouches à feu. Heureusement pour lui, la nuit mit fin à un combat qui, s'il eût duré plus long-temps, aurait infailliblement amené l'entière destruction de son corps. Profitant de l'obscurité, il se hâta de faire en sorte de rejoindre l'Empereur. Il se jeta donc à droite dans les terres, marcha sans bruit dans la direction de Krasnoi, passa près de plusieurs corps ennemis qu'il laissa à sa gauche, et fut assez heureux pour opérer sa jonction dans le milieu de la nuit.

Bataille de Krasnoi.-L'Empereur, convaincu que, tant que Miloradowitz conserverait sa position, il ne restait à Davoust aucune chance de salut, se décida à attaquer Kutusof le 17 novembre, dans l'espoir que ce général ferait rapprocher Miloradowitz de son centre, et ne laisserait que des troupes légères sur la route. En conséquence, il expédia dans la nuit les ordres suivants : le maréchal Mortier devait se tenir prêt à attaquer avant le jour; la vicille garde et trente bouches à feu de l'artillerie de la garde devaient rétrograder sur la route de Smolensk, jusqu'à moitié chemin de Krasnoi à Katowa; la cavalerie de la garde et celle de Latour-Maubourg reçurent l'ordre de suivre ce mouvement. Le général Claparède fut chargé de défendre Krasnoi; outre sa division, il réunissait sous son commandement la garnison de Krasnoi, les militaires isolés, et ce qui y était resté de l'artillerie de la garde. Le vice-roi devait, avant le jour, se mettre en retraite sur Liady.

L'Empereur n'avait, pour reprendre ainsi l'offensive, que 14,000 hommes d'infanterie et 2,200 de cavaleric, L'artilleric de la jeune garde était la seule qui fùt

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