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rapporta cette circonstance, n'en parut du tout point choqué. Ces deux hommes s'applaudiffoient de leur conduite: l'un croyant avoir fait pour fon ancien maître tout ce qu'il pouvoit faire humainement; & l'autre perfuadé avec raison qu'il venoit de gagner à fon parti un Officier du premier mérite. Mais cet état dura peu.

,

Il fe répandit quelques jours après dans tout Pekin un bruit faux à la vérité, quoique revêtu de tout ce qui pouvoit le rendre croyable que le Prince héritier étoit en fûreté dans le Chantong, & qu'il y réclamoit vivement fes droits. Cette nouvelle embarraffa étrangement Lykouéching. Il voyoit dans ce jeune prétendant un véritable Maître ; & Lyftching malgré fes bienfaits, n'étoit plus à fes yeux qu'un ufurpateur. La difficulté étoit donc d'accorder fon ferment & la fûreté des conditions promifes avec le devoir d'un fujet fidéle. Lykouéching crut l'avoir trouvé cet accord

kouei fe

dans un acte de defefpoir qui le porta à s'étrangler en vrai infenfé, le jour même que cette fauffe noilvelle lui fut donnée.

Lyftching devina aisément le fecret motif de cette mort. Sa paffion y trouva un prétexte de fe mettre au large: il oublia les promeffes qu'il avoit faites, & y oppofa des ordres contraires, tous. marqués au coin de la tyrannie. Ce fut en conféquence de ces ordres cruels, qu'on profana le tombeau du feu Empereur, qu'on ruina la fale des ancêtres des Mings & qu'on maffacra fans pitié tous ceux de cette race qu'on vint à bout de découvrir à Pekin ou aux environs.

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Oufan- La providence cependant fe préprépare paroit un vengeur des énormes atà mar- tentats de ce tyran. C'étoit Outre les fankouei, Commandant des trourebelles pes chinoifes fur la frontière la

cher co

plus orientale de la Tartarie. Toute la valeur d'un héros, beaucoup d'élévation dans l'efprit, une ame franche, fous un extérieur noble

& impofant, voilà en abbrégé le caractère de ce guerrier. S'il eût eu un peu plus d'application à con noître les hommes; un certain art de s'en défier à propos, pour prendre avec eux toutes les fûretés que la prudence exige; plus de politique en un mot dans les occafions délicates de fa vie ; fes grands projets auroient infailliblement réuffi, fa gloire eût été plus brillante, & fa fortune infiniment plus folide qu'elle ne le fut.

Ce Général ayant appris le danger où étoit l'Empereur de fuccomber fous les efforts des rebelles, fe détermina de lui-même à marcher au fecours de ce Monarque, en prenant la route de Pekin. Mais quelque aguerrie que fût fon armée par les divers petits combats qu'elle avoit foutenus contre les Tartares, il vit bien qu'étant fi inférieure à celle de Lyftching, il lui feroit impoffible avec elle feule de mettre les révoltés à la raison. La confiance même qu'il avoit d'encourager par fon exemple les

Chinois fidéles à leur Prince, ne lui donnoit qu'un espoir incertain de quelque notable augmentation de troupes; vû les progrès qu'avoit déjà fait la rébellion dans toutes les parties de l'Etat. Ainfi toute réflexion faite, Oufankouei voulant d'abord frapper un grand coup, crut devoir fe procurer un puiffant renfort, avec lequel il fût fûr de vaincre. Malheureusement le parti qu'il prit, pour délivrer fa patrie du joug d'un tyran, n'aboutit pas à ce feul effet: il ne lui cherchoit que des alliés, & il lui donna de nouveaux maîtres. L'idée affez bien fondée qu'afakouei voit ce Commandant Chinois de traite avec les la bravoure & de la bonne foi des Tartares Mancheoux, lui fit efpérer qu'en s'adreffant à eux, il en obtiendroit aifément un puiffant fecours. Il leur envoya donc un homme de confiance, qui devoit leur offrir de fa part de groffes fommes d'argent, une grande quantité d'étoffes de foie, des toiles à proportion, & autant de jeunes

Ou

Man

cheoux.

époufes qu'il leur en faudroit pour l'affortiment de leurs ménages; (61) le tout à condition qu'ils lui enverroient inceffamment de bonnes troupes, pour agir fous fes ordres contre Lyftching.

Ce député arriva à Chinyang dans le temps que le Confeil des Princes Mancheoux y étoit affemblé pour les affaires générales de la nation. Il leur fit part du fujet de fa venue, en leur expofant la propofition d'Oufankouei: elle fut écoutée favorablement & acceptée à l'heure même tout d'une voix. Il eft vrai qu'on n'avoit actuellement fur pied qu'environ fept mille hommes, qui eurent ordre de partir pour la Chine: mais on promit

(61) C'est un fait conftant que les nations tartares abondent tellement en hommes, qu'il en eft plufieurs dans chaque tribu, qui fe trouvent réduits à un célibat forcé. A la Chine au contraire le nombre des perfonnes du fexe excéde ordinaire

ment celui des mâles: du moins eft-il bien certain que parmi le bas peuple, fur-tout à la campagne, les familles fe croyant furchargées de cette mul titude de filles qui leur naiffent, ont fouvent la cruauté de les expofer fur les grands chemins.

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