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Tout ce qu'ils peuvent faire,c'est de refuser l'application de l'arrêté réglementaire en invoquant, comme pour tous les règlements administratifs, l'exception d'illégalité, en se fondant sur le texte de l'article 471 15° du code pénal.

Aller au-delà, c'est, pour les tribunaux, risquer d'excéder leurs pouvoirs et porter atteinte à l'exécution des règlements administratifs, c'est s'exposer à empiéter sur le domaine de l'autorité administrative.

Et tel est bien le reproche auquel se sont exposés les adversaires des clauses de non-garantie, tel est aussi le reproche qu'a encouru la jurisprudence après comme avant 1874.

Si l'on examine attentivement les arrêts et les jugements, on s'aperçoit, en effet, que la jurisprudencç n'a jamais écarté d'une façon directe et expresse les clauses d'irresponsabilité absolue. Obligés de tenir compte de la taxe légale des tarifs homologués, les cours et tribunaux, hostiles à l'application des clauses, ont dù biaiser et détourner, à l'aide d'une interprétation arbitraire, le sens exact et la portée parfaitement claire des clauses.

Avant 1874, la jurisprudence, tout en s'inclinant devant la force légale des tarifs, se trouvait conduite à dire qu'attendu qu'il était contraire à l'ordre public pour le voiturier ou pour les Compagnies des chemins de fer de s'exonérer de ses fautes, la clause <«< la Compagnie ne répond pas des déchets et avaries de route »,

ne pouvait s'interpréter sainement qu'en ce sens, à savoir que les Compagnies étaient irresponsables des déchets et avaries résultant des cas de force majeure, du vice propre ou de la faute de l'expéditeur, faits justificatifs que, conformément au droit commun, le transporteur devait avoir à charge de prouver.

C'était dénaturer complètement le sens des clauses, c'était indirectement les priver de leur effet et, par une voie détournée, refuser d'appliquer une disposition administrative ayant, quant au fond, de l'avis de la jurisprudence même, valeur et force législative.

Nous serons moins sévère pour la deuxième interprétation de la jurisprudence qui, à partir de l'arrêt de 1874, s'est prononcée pour le système du renservement de la preuve.

Sans doute, cette interprétation, comme la première. a cu le tort grave, comme nous allons l'établir dans le chapitre suivant, de modifier la portée réelle de la clause de non-garantie insérée dans des tarifs faisant force de loi. Sans doute, la jurisprudence a eu encore le tort de se dégager un peu trop librement du sens assigné aux stipulations de non-responsabilité par les parties et de s'écarter de l'intention des parties.

Mais ces critiques incontestables une fois admises, au point de vue positif, il faut reconnaitre l'esprit de sagesse et de prudence avec lequel la jurisprudence s'est efforcée de concilier le désir légitime des Compagnies de chemins de fer de se décharger d'une respon

sabilité d'une lourdeur écrasante avec les intérêts considérables du public des expéditeurs et des commerçants, soucieux de ne pas être victimes des exagérations des clauses de non-garantie, dont la validité, selon nous, incontestable au point de vue de la loi positive, n'était certainement pas sans présenter en fait de graves inconvénients et d'importants dangers, par les abus redoutables que l'usage des stipulations d'irresponsabilité absolue étaient de nature à entraîner.

CHAPITRE IV

Système de la jurisprudence après 1874. Thèse du renversement de la preuve.

En vue de concilier les intérêts opposés en conflit et de donner satisfaction à la fois aux expéditeurs et aux commerçants ainsi qu'aux Compagnies de Chemins de fer, la jurisprudence de la Cour de cassation, dans sa deuxième interprétation, qui prend son point de départ dans l'arrêt initial du 4 février 1874, a consacré le système du renversement de la preuve.

Cette troisième thèse constitue un moyen terme entre deux extrêmes la jurisprudence a tenté d'établir un juste milieu entre les exagérations contraires de la théorie de la validité des clauses, qui affirme l'irresponsabilité intégrale, et de la théorie de la nullité qui, faisant bon marché de la convention des parties et de la force légale des tarifs homologués, proclame la rigidité du principe de la responsabilité des articles 1784 Code Civil et de l'ancien article 103 Code de

commerce et se prononce pour la responsabilité à

outrance.

Le système du renversement de la preuve, plus conciliant, reconnait d'abord, il est vrai, l'impossibilité pour le transporteur de s'affranchir de la responsabilité de ses fautes, ainsi comprise la stipulation de non responsabilité serait contraire à l'ordre public;mais il interprète la clause de non-garantie en ce sens qu'elle aura pour effet de déplacer le fardeau de la preuve la présomption de responsabilité, qui en vertu des articles 1784 C. Civil et 103 Code de commerce pèse sur le voiturier, est renversée de telle sorte que le transporteur est présumé irresponsable; toutes les charges de la preuve incomberont à l'expéditeur ou au destinataire qui devra établir la faute du transporteur.

N'osant donner un plein effet à la clause de nongarantie, la jurisprudence se contente de lui faire produire au moins un effet restreint.

La première idée du système du renversement de la preuve appartient à Troplong. Elle a été formulée au no 942 tome III du « Traité de l'Échange et du Louage ». Critiquant dans un passage célèbre et qu'il est classique de citer l'opinion de Pardessus, qui déclare la clause de non-garantie sans valeur:

<«< Sans doute, dit Troplong, toute convention qui affranchirait le voiturier des soins qui excluent la faute serait immorale et inadmissible, et je suis le

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