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tante dans les frais de correspondance et d'envois d'argent, diminutions notables sur les tarifs existants qui permettront d'atteindre des marchés jusqu'alors inaccessibles. L'association de vente encore débarrasse les agriculteurs du besoin de vendre vite; elle déjoue les ententes des acheteurs, elle permet de régulariser les cours. Elle fait bénéficier la petite et la moyenne culture des moyens de la grande exploitation, au point qu'on a pu dire qu'elle était pour ces dernières <«< non seulement un avantage mais presque une condition d'existence ». Si bien qu'en présence des bienfaits qu'elle apporte au monde agricole, il faut se souvenir des difficultés de toute nature qu'elles ont à surmonter, des ennemis de tous ordres qu'elles ont à vaincre, pour comprendre que le développement de ces associations ne soit pas plus prononcé et leur succès plus important.

CHAPITRE V

CRITIQUE DES ORGANISATIONS SYNDICALES

Cette organisation de la vente par les producteurs euxmêmes ne va-t-elle pas devenir plus nuisible aux consommateurs que le régime des intermédiaires? L'agriculture ne vat-elle pas, par la vente directe, tendre tous ses efforts pour organiser une sorte de monopole? Les Unions de syndicats ne vont-elles pas former le parallèle des grands organismes de l'industrie commerciale?

Désormais affranchis des intermédiaires, les agriculteurs ne chercheront-ils pas à organiser une sorte de monopole commercial des produits de leurs exploitations et imposer ensuite leurs exigences aux intermédiaires? Faut-il être, par exemple, de l'avis de M. Coulet qui nous fait un tableau, trop sombre sans doute, de la généralisation de l'organisation syndicale à toutes les branches de l'agriculture, puis des associations en Unions redoutables de ces syndicats épars sur le territoire, et enfin de la centralisation de ces Unions en une Fédération agricole qui absorbera progressivement le commerce et l'industrie des produits de l'agriculture? Fautil voir tout proche « le jour où le résultat définitif de la politique agricole actuelle apparaîtra sous la forme d'un monopole des produits ruraux? » En résumé, ces organisations agricoles tendraient à tuer le commerce par l'élimination de tous les intermédiaires, à provoquer la formation d'enten

tes agricoles en vue d'imposer aux consommateurs des prix excessifs, à détruire enfin la classe moyenne, rempart de la société. Les premiers atteints, en effet, seront les petits commerçants; leur disparition entraînera celle de la moyenne bourgeoisie et il en résultera de graves perturbations sociales. En ce qui concerne l'organisation collective de l'achat en agriculture, il est vraiment excessif de dénoncer les syndicats agricoles qui les préparent comme ayant pour objet unique d'avilir les prix de toutes les marchandises utiles à l'agriculture. Le mobile des syndicats n'est pas seulement, en effet, d'obtenir à bon marché ce dont les syndiqués ont besoin, mais encore et surtout d'obtenir des marchandises loyales et sincères, de déjouer les manoeuvres des fraudeurs. Les syndicats savent que l'avilissement des prix pousse à la sophistication des denrées et ils sont assez éclairés et assez consciencieux pour ne pas poursuivre le bon marché illimité, et pour écarter le fournisseur suspect et disposé à vouloir toutes les réductions. Le préjudice que par la centralisation des commandes les syndicats ont pu causer au commerce est loin d'être aussi considérable qu'on le prétend. Comme l'a dit M. Welche au Congrès d'Angers: « Le groupement et la centralisation très denses des commandes, lorsque surtout ces commandes sont suivies de livraisons effectives, épargnent au commerce des frais de courtiers, de voyageurs, de publicité, de réclames très considérables. Elles assurent de plus aux commerçants une clientèle de choix et les mettent à à l'abri presque complètement des chances de non-paiement, et dans le bénéfice représenté par ces pertes évitées et ces dépenses diminuées ou presque entièrement supprimées, les commerçants trouvent la possibilité d'accorder une forte prime aux syndiqués, sans diminuer leurs légitimes bénéfices ». Il convient de faire observer encore que les fournitu

res agricoles visent presque uniquement le commerce du gros qui, avant l'intervention des syndicats, était pour une bonne part entre les mains d'étrangers; soutenues ou même suscitées par les syndicats, des maisons françaises se sont créées pour partager leurs bénéfices. Les machines agricoles ont diminué de prix en même temps qu'augmentait le nombre des producteurs français qui en devenaient acquéreurs. Le commerce des engrais, plus particulièrement, a trouvé une large compensation à la réduction de ses bénéfices, dans l'accroissement considérable de la consommation des matières fertilisantes. Ainsi la consommation des superphosphates qui, en 1899, était de 425.000 tonnes, s'est élevée, en 1899, à 975.000 (1).

M. Gide () compte en moyenne en France: 1 épicier pour 90 familles, 1 boulanger et 1 boucher pour 180 (dans les villes, la proportion est bien plus forte). Le même économiste évalue à plus de 7 milliards et demi le tribut annuel prélevé par ces intermédiaires. « Il n'est pas douteux, a pu dire un ministre contemporain (3), que, dans l'alimentation publique, l'intermédiaire joue un rôle trop considérable au détriment de l'agriculteur; il n'est pas douteux qu'entre le producteur et le consommateur, il y a trop d'échelons. Il en résulte ce phénomène étrange que, pendant que l'agriculteur vend ses produits à des prix de plus en plus avilis, la consommation les paie toujours aussi chers ».

N'est-on pas en droit d'espérer trouver un remède dans la mise en relations directes du producteur et du consommateur?

Le développement des organisations collectives d'achat et

(Grandeau, Revue économique, 1900.

2 Gide, Principes d'économie politique, 1900.

3 M. Méline, J. Off., Chambre, 1897.

de vente nous semble pouvoir entraîner un autre avantage. Il pourra contribuer dans une certaine mesure à arrêter l'émigration de la population rurale vers les villes, car c'est parmi les petits commerçants des cités qu'on retrouve une grande partie des petits propriétaires qui désertent les campagnes.

L'élimination par les coopératives d'une partie de la multitude des intermédiaires sera loin d'entrainer, comme conséquence nécessaire, la disparition de la classe moyenne et la rupture de l'équilibre social. Il nous semble plutôt, avec M. Launay ('), que la coopération facilitera plutôt l'accession à cette classe moyenne d'une grande quantité d'ouvriers sérieux ou de petits employés économes. « Il y aura, non pas suppression, mais déplacement des éléments constitutifs de cette classe de la société ».

Au surplus, ceux au profit de qui sont dirigées contre le mouvement syndical agricole des critiques parfois violentes (2) ont formé depuis longtemps déjà des syndicats, des Chambres syndicales et même des Unions de syndicats puissantes, exemples: l'Union générale des syndicats girondins à Bordeaux, le Comité de l'alimentation parisienne comprenant 23.000 membres, le Syndicat général de la boucherie française, de la charcuterie, de la boulangerie, etc., le Comité central des chambres syndicales qui groupe 48 chambres syndicales et 8.125 membres. Ces fédérations apparemment n'ont pas plus été formées en vue de la défense des consommateurs que de celle des producteurs.

A en contempler la puissance, on comprend que le prix des denrées alimentaires soit toujours demeuré aussi élevé

(1) M. Launay, Etude sur les unions de syndicats agricoles.

() V. E. Coulet, Le mouvement syndical et coopératif dans l'agriculure française.

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