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sible, en l'état des mœurs rurales, l'adoption, par le Parlement français, d'une de ces lois qu'on a justement qualifiées lois sociales, allait permettre de l'entreprendre et de l'accomplir avec un succès inespéré.

» La loi du 21 mars 1884, destinée à protéger la liberté du travail dans l'industrie et à régler plus équitablement les rapports entre le capital et la main d'œuvre, a servi à donner à l'agriculture une organisation corporative aussi favorable au développement de la production du sol qu'au progrès général des conditions d'existence des cultivateurs » (').

Les syndicats agricoles allaient donc venir à leur heure. Les causes de la crise agricole sont diverses, divers par suite seront les remèdes. A un mal aussi complexe, le remède ne peut être ni simple, ni unique. Si nous avons montré quelques causes et quelques effets de la crise agricole, c'est pour expliquer celui que nous proposons d'établir. L'association, sans être considérée comme une panacée universelle, se montrera un secours réellement efficace, elle est peut-être celui qui rendra le plus de services à notre agriculture nationale.

(1) Comte de Rocquigny, loc. cit.

CHAPITRE II

DÉVELOPPEMENT DES SYNDICATS AGRICOLES

La loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels, élaborée surtout dans l'intérêt des groupements commerciaux, industriels et ouvriers, n'apporta pas de changements bien appréciables à la condition de ceux-ci, tandis qu'elle était peu après la source de bouleversements considérables dans l'agriculture, où elle avait paru ne devoir jamais causer telle transformation.

Le texte du projet de loi en discussion portait : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels et commerciaux ». Les syndicats professionnels institués par la loi devaient être en quelque sorte une copie plus parfaite des institutions déjà existantes et constituées illégalement depuis la loi de 1864, telles que la Fédération des ouvriers typographes, l'Union des chambres syndicales des ouvriers de France, les diverses Chambres syndicales ouvrières des centres industriels. La plupart des syndicats que pouvait prévoir la loi de 1884 avaient en effet des précédents nombreux. Au contraire, une seule tentative de syndicat agricole avait été engagée, et encore, si l'on considère qu'elle ne date que de mars 1883, on comprend que le législateur n'ait pu prévoir la formation et le développement actuel des syndicats agricoles, alors que, dans le monde agricole voué jusqu'alors

à l'esprit de routine, n'existait aucune institution comparable à celles qui s'étaient fondées et fonctionnaient dans le monde. industriel.

Sur l'intervention d'un sénateur M. Oudet le texte définitif fut ainsi libellé : « Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles ».

Il n'était d'ailleurs jamais entré dans la pensée de la commission, déclare le rapporteur de la loi, M. Tolain, d'exclure l'agriculteur du bénéfice de cette loi, car l'agriculture est une industrie au sens économique du mot, étant la mise en œuvre de l'activité humaine dans un but producteur.

Ce serait trop nous écarter de notre sujet que d'examiner avec les détails qu'il comporte le cadre juridique où doivent se mouvoir les syndicats professionnels, les diverses règles imposées par la loi à leur création et à leur fonctionnement. Nous nous bornerons donc à examiner les règles juridiques en rapport avec notre étude économique.

Au Congrès des syndicats agricoles d'Orléans, en 1897, M. de Rocquigny donnait cette définition du syndicat agricole : « Une association professionnelle d'agriculteurs, grands et petits, fermiers, métayers, employés ou ouvriers de culture unis pour étudier en commun et défendre les intérêts économiques agricoles ».

La loi, en effet, autorise les syndicats professionnels à se constituer librement ayant pour objet l'étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles et cela aux termes mêmes de l'article 3. Mais cette rédaction définitive a pu présenter encore des difficultés. Que faut-il entendre par cette expression : « L'étude et la défense des intérêts économiques agricoles que comme l'objet exclusif et l'activité des syndicats? Si la

» que la loi indi

loi avait attribué aux syndicats ruraux seulement l'étude et la défense « des intérêts économiques de l'agriculture » le rôle de ces syndicats eût été réduit, semble-t-il, d'après le sens ordinaire des mots « intérêts économiques », à une étude et à une défense plus théoriques que pratiques, plus spéculatives qu'actives, telles qu'on pourrait attendre l'une et l'autre, par exemple, d'une chambre ou d'un conseil supérieur de l'agriculture. Les syndicats auraient pu sans doute émettre des avis sur les moyens de rendre plus fructueuse la production des richesses, plus facile leur circulation, plus utile leur consommation, mais on aurait pu leur contester le droit d'intervenir personnellement dans des opérations faites par le syndicat pour le compte des syndiqués: achats de matières premières et d'outils, écoulement et vente dans les meilleures conditions de produits agricoles, crédit aux agriculteurs, secours mutuels, assurance contre l'incendie, les accidents, la mortalité du bétail, etc. (').

Il nous semble rationnel d'entendre d'une manière large la règle relative à l'objet des syndicats agricoles, d'autant plus que cette extension paraît correspondre exactement à l'intention des auteurs de la loi. La Commission de la Chambre, en effet, avait proposé une énumération des œuvres auxquelles pourraient se consacrer les syndicats professionnels. Or ce texte fut supprimé, après renvoi à la commission, de crainte qu'il ne fut interprété dans le sens d'une restriction.

De cette loi sur les syndicats professionnels il ne peut guère y avoir de commentateur plus autorisé que le ministre de l'intérieur en 1884, M. Waldeck-Rousseau, qui prit une

(') Il a été jugé par la Cour de cassation qu'un syndicat agricole pouvait être valablement formé entre des fermiers d'étangs et des propriétaires exploitant euxmêmes « pour tout ce qui concerne l'exploitation des étangs, la reproduction et la consommation du poisson, la pêche et la vente de ces produits » (Cass. rej, 5 janvier 1897, D., 97. 1. 120).

Sylvestre

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large part à sa confection. Or, dans une consultation rédigée par lui pour le « Musée social », il dit notamment (1): « C'est essentiellement dans l'article 3 qu'il faut chercher quels actes sont, d'une façon générale, permis aux syndicats. Ici la capacité est limitée, non par une énumération des actes, mais par leur caractère et leur nature. Il faut et il suffit qu'ils aient un caractère d'intérêt professionnel commun aux adhérents du syndicat. L'article 3 parle non seulement d'étude mais de défense des intérêts agricoles. Toute la discussion prouve que, loin de vouloir enfermer les associations professionnelles dans le cercle des études abstraites, on souhaitait les en faire sortir, et la pratique adoptée sur des points divers est conforme à cette interprétation, puisque, sans aller plus loin chercher des exemples, on voit que l'achat des matières premières, la vente des produits, l'établissement des comptoirs d'achat ou de vente sont considérés comme les actes les plus légitimes.

» La loi de 1884 est une loi spéciale qui s'applique à une catégorie particulière, les syndiqués professionnels. Elle est, à vrai dire, une loi d'exception. Elle permet de former, aux conditions qu'elle précise, des associations, en vue d'objets déterminés ».

C'est cette théorie que les syndicats agricoles avaient dès leurs débuts mise en pratique, dans leurs opérations ayant pour but la défense des intérêts particuliers de leurs adhérents. C'est ainsi, du reste, qu'ils assurèrent leur succès en offrant dès le premier jour aux agriculteurs des avantages matériels et pécuniaires résultant notamment de la pratique des achats collectifs et des ventes directes des produits agricoles par les syndicats.

(1) Musée social, circulaire n° 19, série B, 25 juin 1898, p. 566.

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